Responsabilité du producteur face à un produit défectueux : enjeux de sécurité et de visibilité des étiquettes.

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Responsabilité du producteur face à un produit défectueux : enjeux de sécurité et de visibilité des étiquettes.

Responsabilité du fait des produits défectueux

La responsabilité du producteur est régie par les articles 1245 et suivants du Code civil, qui établissent un régime de responsabilité de plein droit pour les dommages causés par un défaut de produit. Selon l’article 1245, « le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu’il soit ou non lié par un contrat avec la victime ». Cette responsabilité est fondée sur la directive 85/374/CEE du 25 juillet 1985, transposée en droit français par la loi n° 98-389 du 19 mai 1998.

Conditions de la responsabilité

Pour engager la responsabilité du producteur, le demandeur doit prouver trois éléments : le dommage, le défaut du produit et le lien de causalité entre le dommage et le défaut. En l’espèce, la cour a retenu que la présence d’une étiquette en plastique rigide et tranchante sur le produit alimentaire constituait un défaut, car elle créait un risque d’ingestion pour le consommateur.

Défaut de sécurité du produit

L’article 1245-3 du Code civil précise que « le produit est défectueux lorsqu’il n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre ». La cour a constaté que l’étiquette, plantée directement dans la préparation culinaire, pouvait s’enfoncer et devenir moins visible, augmentant ainsi le risque d’ingestion.

Indemnisation du préjudice d’affection

Le préjudice d’affection est reconnu pour les descendants en ligne directe, comme le stipule la jurisprudence. Les arrières-petits-enfants de la victime, ayant entretenu des relations avec leur aïeul, sont fondés à demander une indemnisation pour le préjudice d’affection, conformément aux principes établis par la jurisprudence et le référentiel de Mornet.

Article 700 du Code de procédure civile

L’article 700 du Code de procédure civile permet au juge de condamner la partie perdante à payer une somme au titre des frais exposés par la partie gagnante. Dans cette affaire, la cour a condamné la société Groupe Bigard et la société HDI Global SE à verser des sommes aux consorts [LU] et à d’autres parties pour couvrir les frais de justice.

L’Essentiel : La responsabilité du producteur est régie par les articles 1245 et suivants du Code civil, établissant un régime de responsabilité de plein droit pour les dommages causés par un défaut de produit. Pour engager cette responsabilité, le demandeur doit prouver le dommage, le défaut du produit et le lien de causalité. La cour a retenu qu’une étiquette en plastique rigide sur un produit alimentaire constituait un défaut, créant un risque d’ingestion pour le consommateur.
Résumé de l’affaire : Le 24 octobre 2017, un individu a été admis aux urgences en raison de douleurs abdominales aiguës, nécessitant une intervention chirurgicale d’urgence. Cette opération a révélé une péritonite causée par la perforation de l’intestin due à l’ingestion d’une étiquette en plastique, identifiée comme provenant de bouchées à la reine préparées par la société Groupe Bigard. Malheureusement, l’individu est décédé quelques jours plus tard à l’hôpital, laissant derrière lui un conjoint survivant et plusieurs descendants.

Les ayants droit de la victime ont assigné la société SAS Adis, son assureur la SA Allianz Iard, ainsi que la société Groupe Bigard et son assureur, la société HDI Global SE, devant le tribunal judiciaire de Montargis, demandant réparation pour les préjudices subis. Le tribunal a rendu un jugement le 28 avril 2022, déclarant irrecevable l’action contre la SAS Adis et la SA Allianz Iard, tout en reconnaissant la responsabilité de la société Groupe Bigard et de la Compagnie HDI Global SE pour le produit défectueux.

Les sociétés appelées ont contesté cette décision, arguant que les consorts de la victime n’avaient pas prouvé le défaut de sécurité du produit. En réponse, les consorts ont soutenu que l’étiquette en plastique rigide présentait un risque pour le consommateur, entraînant la perforation intestinale et le décès de la victime. Le tribunal a ordonné une expertise médicale pour évaluer les préjudices.

En appel, la cour a confirmé la responsabilité de la société Groupe Bigard, tout en infirmant le jugement concernant le préjudice d’affection des arrière-petits-enfants de la victime, leur reconnaissant le droit à indemnisation. La cour a également condamné les sociétés appelées aux dépens de la procédure d’appel, tout en réservant le quantum des indemnités à déterminer par le tribunal de première instance.

Q/R juridiques soulevées :

Quel est le fondement juridique de la responsabilité de la société Groupe Bigard dans cette affaire ?

La responsabilité de la société Groupe Bigard est engagée sur le fondement des articles 1245 et suivants du Code civil, qui traitent de la responsabilité du fait des produits défectueux.

L’article 1245 du Code civil stipule :

« Le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu’il soit ou non lié par un contrat avec la victime. »

Les consorts [LU] soutiennent que le produit, en l’occurrence une bouchée à la reine, était affecté d’un défaut en raison de la présence d’une étiquette en plastique rigide, pointue et tranchante, qui a causé des dommages à la victime.

L’article 1245-3 précise que :

« Un produit est défectueux lorsqu’il n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre. »

Dans cette affaire, la cour a retenu que la présence de l’étiquette, plantée directement dans la préparation culinaire, constituait un défaut du produit, car elle créait un risque pour le consommateur, susceptible de ne pas la voir et de l’ingérer.

Ainsi, la cour a confirmé que la société Groupe Bigard était responsable des conséquences dommageables résultant de ce défaut.

Quel est le statut des demandes d’indemnisation pour préjudice d’affection des arrières-petits-enfants ?

Les arrières-petits-enfants de la victime, [AF] [LU], ont initialement été déboutés de leur demande d’indemnisation pour préjudice d’affection. Cependant, la cour a infirmé ce jugement en considérant que ces arrières-petits-enfants, étant des descendants en ligne directe, avaient effectivement subi un préjudice d’affection du fait de la disparition de leur arrière-grand-père.

La cour a souligné que les arrières-petits-enfants avaient connu leur aïeul durant de nombreuses années et entretenaient des relations avec lui, ce qui justifie leur droit à une indemnisation.

Il est important de noter que la jurisprudence a souvent reconnu que les descendants en ligne directe peuvent invoquer un préjudice d’affection sans avoir à démontrer un lien affectif spécifique avec le défunt.

Ainsi, la cour a décidé que le quantum de leur indemnisation serait statué par le tribunal judiciaire de Montargis, qui reste saisi de cette question.

Quel est le rôle de l’expertise médicale dans cette affaire ?

L’expertise médicale a été ordonnée par le tribunal pour évaluer l’étendue du préjudice subi par la victime, [AF] [LU], et ses héritiers. Cette mesure d’expertise est cruciale pour établir le lien de causalité entre l’ingestion de l’étiquette et les conséquences médicales qui en ont découlé, notamment l’arrêt cardiaque et le décès de la victime.

L’expert a pour mission de :

1. Prendre connaissance du dossier médical de la victime et des documents pertinents.
2. Décrire les lésions causées par l’ingestion de l’étiquette et évaluer les souffrances endurées par la victime.
3. Déterminer si l’ingestion de l’étiquette a été la cause directe du décès ou si d’autres facteurs médicaux ont joué un rôle.

Cette expertise est essentielle pour quantifier le préjudice personnel de la victime et celui de ses ayants-droit, permettant ainsi au tribunal de statuer de manière éclairée sur les demandes d’indemnisation.

Quel est l’impact de l’article 700 du Code de procédure civile dans cette affaire ?

L’article 700 du Code de procédure civile permet au juge de condamner la partie perdante à payer à l’autre partie une somme d’argent au titre des frais de justice. Dans cette affaire, la cour a appliqué cet article pour condamner la société Groupe Bigard et la société HDI Global SE à verser des sommes aux consorts [LU] et à d’autres parties.

L’article 700 dispose que :

« Le juge peut, dans sa décision, condamner la partie perdante à payer à l’autre partie une somme au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. »

Ainsi, la cour a décidé de condamner in solidum la société Groupe Bigard et la société HDI Global SE à verser des sommes spécifiques aux consorts [LU] et à d’autres parties, en tenant compte des circonstances de l’affaire et des frais engagés par les demandeurs.

Cette disposition vise à garantir que les parties qui ont dû engager des frais pour faire valoir leurs droits soient compensées, renforçant ainsi l’accès à la justice.

COUR D’APPEL D’ORLÉANS

C H A M B R E C I V I L E

GROSSES + EXPÉDITIONS : le 11/03/2025

la SELARL LX POITIERS-ORLEANS

la SELARL SELARL INTER BARREAUX LAVILLAT-BOURGON

la SCP MERLE-PION-ROUGELIN

ARRÊT du : 11 MARS 2025

N° : – 25

N° RG 22/01537 – N° Portalis DBVN-V-B7G-GTG4

DÉCISION ENTREPRISE : Jugement TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de MONTARGIS en date du 28 Avril 2022

PARTIES EN CAUSE

APPELANTES :

– Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265280678314482

S.A. GROUPE BIGARD, S.A au capital de 100.000.000 € immatriculée au RCS de QUIMPER sous le n° B 776 221 467, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège [Localité 93]

[Localité 52]

ayant pour avocat postulant Me Sophie GATEFIN de la SELARL LEXAVOUE POITIERS-ORLEANS, avocat au barreau d’ORLEANS,

ayant pour avocat plaidant Me Etienne BOYER de la SCP DBM, avocat au barreau de PARIS

Compagnie d’assurance HDI GLOBAL SE, société de droit étranger, anciennement dénommée HDI GERLING INDUSTRIE, immatriculée au RCS de NANTERRE sous le n° 478 913 882, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

[Adresse 103]

[Localité 85]

ayant pour avocat postulant Me Sophie GATEFIN de la SELARL LEXAVOUE POITIERS-ORLEANS, avocat au barreau d’ORLEANS,

ayant pour avocat plaidant Me Etienne BOYER de la SCP DBM, avocat au barreau de PARIS

D’UNE PART

INTIMÉS :

– Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265283730548686

Monsieur [O] [LU]

né le [Date naissance 36] 1951 à [Localité 100]

[Adresse 59]

[Localité 78]

Monsieur [IO] [LU]

né le [Date naissance 18] 1974 à [Localité 91]

[Adresse 53]

[Localité 78]

Monsieur [TE] [LU]

devenu majeur et intervenant volontairement,

né le [Date naissance 42] 2006 à [Localité 92]

[Adresse 53]

[Localité 78]

Monsieur [Y] [LU]

né le [Date naissance 3] 2002 à [Localité 88]

[Adresse 72]

[Localité 84]

Monsieur [F] [LU]

né le [Date naissance 40] 1978 à [Localité 91]

[Adresse 23]

[Localité 77]

agissant tant en son nom personnel qu’ès qualité de représentant légal de ses deux enfants mineurs :

– Madame [W] [LU]

née le [Date naissance 31] 2012 à [Localité 91]

[Adresse 23]

[Localité 77]

– Monsieur [H] [LU]

né le [Date naissance 3] 2010 à [Localité 91]

[Adresse 23]

[Localité 77]

Monsieur [WM] [LU]

né le [Date naissance 54] 1952 à [Localité 100]

[Adresse 96]

[Localité 76]

Monsieur [M] [LU]

né le [Date naissance 51] 1982 à [Localité 91]

[Adresse 74]

[Localité 75]

Monsieur [D] [LU]

né le [Date naissance 5] 1985 à [Localité 1]

[Adresse 25]

[Localité 82]

Madame [ZL] [LU]

née le [Date naissance 9] 1992 à [Localité 91]

[Adresse 74]

[Localité 75]

Madame [T] [FJ] épouse [C]

née le [Date naissance 7] 1978 à [Localité 92]

[Adresse 89]

[Localité 86]

agissant tant en son nom personnel qu’ès qualité d’héritière de Madame [LX] [LU] épouse [FJ] décédée le [Date décès 49] 2022 et ès qualité de représentant légal de son enfant mineur :

– Monsieur [OW] [C]

né le [Date naissance 11] 2009 à [Localité 90]

[Adresse 63]

[Localité 57]

Madame [P] [C]

née le [Date naissance 4] 2003 à [Localité 94]

[Adresse 14]

[Localité 81]

Madame [WA] [C]

née le [Date naissance 41] 2001 à [Localité 90]

[Adresse 14]

[Localité 81]

Madame [X] [FJ] épouse [WD]

née le [Date naissance 22] 1980 à [Localité 92]

[Adresse 38]

[Localité 67]

agissant tant en son nom personnel qu’ès qualité d’héritière de Madame [LX] [LU] épouse [FJ] décédée le [Date décès 49] 2022 et ès qualité de représentant légal de ses 2 enfants mineurs :

– Madame [E] [WD]

née le [Date naissance 21] 2007 à [Localité 102]

[Adresse 38]

[Localité 67]

– Monsieur [PF] [WD]

né le [Date naissance 21] 2007 à [Localité 102]

[Adresse 38]

[Localité 67]

Madame [Z] [WD]

née le [Date naissance 27] 2004 à [Localité 87]

[Adresse 38]

[Localité 67]

Monsieur [M] [WD]

né le [Date naissance 29] 2000 à [Localité 87]

[Adresse 38]

[Localité 67]

Monsieur [OT] [WD]

né le [Date naissance 30] 2001 à [Localité 87]

[Adresse 38]

[Localité 67]

Monsieur [FG] [FJ]

né le [Date naissance 12] 1982 à [Localité 97]

[Adresse 34]

[Localité 73]

agissant tant en son nom personnel qu’ès qualité d’héritier de Madame [LX] [LU] épouse [FJ] décédée le [Date décès 49] 2022 et ès qualité de représentant légal de son enfant mineure :

– Madame [S] [FJ]

née le [Date naissance 55] 2012 à [Localité 95]

[Adresse 34]

[Localité 73]

Monsieur [FM] [FJ],

devenu majeur et intervenant volontairement,

né le [Date naissance 8] 2006 à [Localité 95]

[Adresse 34]

[Localité 73]

Madame [R] [FJ]

née le [Date naissance 35] 2003 à [Localité 95]

[Adresse 34]

[Localité 73]

Monsieur [L] [LU]

né le [Date naissance 48] 1963 à [Localité 97]

[Adresse 28]

[Localité 69]

Monsieur [OZ] [LU]

né le [Date naissance 47] 1989 à [Localité 101]

[Adresse 28]

[Localité 69]

agissant tant en son nom personnel qu’ès qualité de représentant légal de son enfant mineure :

– Madame [CK] [LU]

née le [Date naissance 24] 2015 à [Localité 99]

[Adresse 28]

[Localité 69]

Monsieur [I] [LU]

né le [Date naissance 19] 1995 à [Localité 98]

[Adresse 79]

[Localité 68]

Madame [WG] [LU]

née le [Date naissance 6] 1964 à [Localité 97]

[Adresse 60]

[Localité 58]

Monsieur [AH] [IS]

né le [Date naissance 16] 1997 à [Localité 87]

[Adresse 60]

[Localité 58]

Monsieur [U] [LU]

né le [Date naissance 2] 1965 à [Localité 97]

[Adresse 50]

[Localité 66]

Madame [J] [LU] épouse [G]

née le [Date naissance 44] 1967 à [Localité 97]

[Adresse 26]

[Localité 66]

Madame [LR] [G]

née le [Date naissance 45] 1995 à [Localité 87]

[Adresse 61]

[Localité 71]

Monsieur [B] [G]

né le [Date naissance 43] 1998 à [Localité 87]

[Adresse 33]

[Localité 56]

Monsieur [K] [LU]

né le [Date naissance 20] 1968 à [Localité 97]

[Adresse 46]

[Localité 17]

Madame [N] [LU]

devenue majeure et intervenant volontairement

née le [Date naissance 19] 2003 à [Localité 87]

[Adresse 80]

[Localité 65]

Madame [SY] [LU]

née le [Date naissance 37] 1995 à [Localité 87]

[Adresse 64]

[Localité 70]

Monsieur [V] [FJ], intervenant volontaire,

ès qualité d’ayant droit de Madame [LX] [LU] épouse [FJ] décédée le [Date décès 49] 2022

[Adresse 13]

[Localité 32]

tous ayant pour avocat postulant Me Cécile BOURGON de la SELARL SELARL INTER BARREAUX LAVILLAT-BOURGON, avocat au barreau de MONTARGIS et pour avocat plaidant Me Alexandre LAVILLAT, avocat au barreau de PARIS

– Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265 2819 2891 6761

S.A. ALLIANZ IARD, SA au capital de 991.967.200 euros, immatriculée au RCS de Nanterre sous le numéro B 542 110 291, prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siége

[Adresse 10]

[Localité 85]

ayant pour avocat postulant Me Julie PION de la SCP MERLE-PION-ROUGELIN, avocat au barreau de MONTARGIS,

ayant pour avocat plaidant Me Pierre JUNG de l’AARPI NGO JUNG & PARTNERS, avocat au barreau de PARIS

– Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265306871423429

S.A.S. ADIS, SAS immatriculée au RCS d’ORLEANS sous le numéro 330 066 531 prise en la personne de ses représentants légaux domicilés en cette qualité au siège

[Adresse 15]

[Localité 66]

ayant pour avocat postulant Me Alexis DEVAUCHELLE de la SCP LAVAL – FIRKOWSKI – DEVAUCHELLE AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau d’ORLEANS,

ayant pour avocat plaidant Me Marine ADAM de la SELARL CHEVALLIER ET ASSOCIES, avocat au barreau de BREST

D’AUTRE PART

DÉCLARATION D’APPEL en date du : 23 juin 2022

ORDONNANCE DE JONCTION avec RG 22/01550 en date du :

25 juillet 2022

ORDONNANCE DE CLÔTURE du : 18 novembre 2024

COMPOSITION DE LA COUR

Lors des débats à l’audience publique du 20 Janvier 2025 à 14h00, l’affaire a été plaidée devant Madame Anne-Lise COLLOMP, présidente de chambre et Monsieur Laurent SOUSA, conseiller, en charge du rapport, en l’absence d’opposition des parties ou de leurs représentants.

Lors du délibéré, au cours duquel Madame Anne-Lise COLLOMP, présidente de chambre et Monsieur Laurent SOUSA, conseiller, ont rendu compte des débats à la collégialité, la Cour était composée de:

Madame Anne-Lise COLLOMP, Présidente de chambre,

Monsieur Laurent SOUSA, Conseiller,

Madame Laure- Aimée GRUA, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles

GREFFIER :

Mme Karine DUPONT, Greffier lors des débats et du prononcé.

ARRÊT :

Prononcé publiquement le 11 mars 2025 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.

*

FAITS ET PROCEDURE :

Le 24 octobre 2017, [AF] [LU] a été admis aux urgences en raison de violentes douleurs à l’abdomen. Il a subi une intervention chirurgicale en urgence. Il en est résulté qu’il souffrait d’une péritonite, consécutive à la perforation de l’instestin causée par un corps étranger dans l’intestin grêle, identifié par le chirurgien comme étant une étiquette en plastique sur laquelle était écrit ‘L’Excellence à la française’.

[AF] [LU] est décédé à l’hôpital d’un arrêt cardiaque, le [Date décès 62] 2017. Il a laissé pour lui succéder son conjoint survivant, Mme [A] [FP], veuve [LU], ses enfants, petits-enfants et arrières petits-enfants.

L’étiquette en cause provenait de bouchées à la reine préparées par la société Groupe Bigard, commercialisées par le service traiteur de la SAS Adis qui exploite le centre commercial E. Leclerc situé à [Localité 87].

Par actes d’huissier en date des 2, 3 et 4 juin 2020, les ayants-droits de [AF] [LU], y compris Mme [FP], veuve [LU] ont fait assigner la SAS Adis et son assureur, la SA Allianz Iard, la SA Groupe Bigard et son assureur, la société HDI Global SE devant le tribunal judiciaire de Montargis en réparation de leurs préjudices à la fois en qualité d’héritiers de [AF] [LU] et à titre personnel.

[A] [FP], veuve [LU], est décédée le [Date décès 39] 2020.

Par jugement en date du 28 avril 2022, le tribunal judiciaire de Montargis a :

– déclaré irrecevable l’exception de nullité de l’assignation soulevée par la SAS Adis et par la SA Allianz iard,

– déclaré irrecevable la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir des demandeurs, soulevée par la SA Groupe Bigard, la Compagnie HDI Global SE et la SA Allianz Iard,

– déclaré irrecevable l’action en responsabilité des demandeurs contre la SAS Adis,

– rejeté en conséquence les demandes indemnitaires formées par les demandeurs contre la SAS Adis et la SA Allianz Iard,

– mis hors de cause la SAS Adis et la SA Allianz Iard pour la suite de l’instance,

– dit que la SA Groupe Bigard et la Compagnie HDI Global SE sont tenues solidairement à réparatio des conséquences dommageables du fait du produit défectueux dont [AF] [LU] a été victime,

– débouté M. [Y] [LU], M. [TE] [LU], M. [H] [LU], Mlle [W] [LU], Mlle [WA] [C], Mlle [P] [C], M. [OW] [C], M. [M] [WD], M. [OT] [WD], Mlle [Z] [WD], Mlle [E] [WD], M. [PF] [WD], Mlle [R] [FJ], M. [FM] [FJ], Mlle [S] [FJ], Mlle [CK] [LU], de leur demande d’indemnisation au titre du préjudice d’affection,

Avant dire droit sur le préjudice personnel de [AF] [LU] et sur celui de ses héritiers et de ses petits-enfants,

– ordonné une expertise médicale sur dossier et désigné le docteur [CN] en qualité d’expert pour y procéder,

– débouté la SAS Adis et la SA Allianz Iard de leur demande d’indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– sursis à statuer sur la demande d’indemnisation au titre des frais funéraires,

– sursis à statuer sur la demande d’indemnisation au titre du préjudice d’affection des héritiers et des petits-enfants de [AF] [LU],

– sursis à statuer sur la demande d’indemnisation des demandeurs et de la SA Groupe Bigard et de la Compagnie HDI Global SE au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– réservé les dépens.

Par déclaration en date du 23 juin 2022, la SA Groupe Bigard et la Compagnie d’assurance HDI Global SE ont relevé appel de l’intégralité des chefs de ce jugement sauf en ce qu’il a débouté M. [Y] [LU], M. [TE] [LU], M. [H] [LU], Mlle [W] [LU], Mlle [WA] [C], Mlle [P] [C], M. [OW] [C], M. [M] [WD], M. [OT] [WD], Mlle [Z] [WD], Mlle [E] [WD], M. [PF] [WD], Mlle [R] [FJ], M. [FM] [FJ], Mlle [S] [FJ], Mlle [CK] [LU], de leur demande d’indemnisation au titre du préjudice d’affection.

Les parties ont constitué avocat et ont conclu.

Mme [LX] [LU] épouse [FJ] est décédée le [Date décès 49] 2022, laissant pour lui succéder Mme [T] [FJ] épouse [C], Mme [X] [FJ] épouse [WD] et M. [FG] [FJ] ainsi que son conjoint survivant, M. [V] [FJ].

M. [V] [FJ] est intervenu volontairement à l’instance.

Par ordonnance d’incident du 6 novembre 2023, le conseiller de la mise en état a :

– déclaré recevable l’appel interjeté le 23 juin 2022 par la société HDI Global SE,

– rejeté les demandes fondées sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure

civile,

– condamné la société Allianz iard aux dépens de l’incident.

Suivant conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 20 mars 2023, la SA Groupe Bigard et la Compagnie d’assurance HDI Global SE demandent à la cour de:

– déclarer la société Bigard et la Compagnie HDI Global SE bien fondées en leur appels principaux et incident,

A titre principal :

– infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Montargis en date du 28 avril 2022 en ce qu’il a retenu la responsabilité de la société Bigard sur le fondement de la responsabilité des produits défectueux et qu’elle était donc tenue solidairement avec son assureur, la Compagnie HDI Global SE à réparation des conséquences dommageables du produit défectueux dont a été victime M. [AF] [LU],

Statuant à nouveau :

– juger que les consorts [LU], [WD] et [FJ] ne démontrent pas le défaut de sécurité du produit, en l’espèce des bouchées à la reine composées d’une étiquette « excellence à la française »,

– juger que la responsabilité de la société Bigard ne peut en aucun cas être engagée sur le fondement de la responsabilité des produits défectueux,

En conséquence,

– débouter purement et simplement les consorts [LU], [WD] et [FJ] de l’ensemble de leurs demandes à l’encontre de la société Bigard et de la Compagnie HDI Global SE en toutes fins qu’elles comportent, en ce compris la demande d’expertise judiciaire,

– condamner les consorts [LU], [WD] et [FJ], ou tout succombant, à la somme de 15.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.

En tout état de cause :

– confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Montargis en date du 28 avril 2022 en ce qu’il débouté M. [Y] [LU], M. [TE] [LU], M. [H] [LU], Mme [W] [LU], Mme [WA] [C], Mme [P] [C], M. [OW] [C], M. [M] [WD], M.

[OT] [WD], Mme [Z] [WD], Mme [E] [WD], M. [PF] [WD], Mme [R] [FJ], M. [FM] [FJ], Mme [S] [FJ] et Mme [CK] [LU] de leurs demandes d’indemnisation,

En conséquence,

– débouter M. [Y] [LU], M. [TE] [LU], M. [H] [LU], Mme [W] [LU], Mme [WA] [C], Mme [P] [C], M. [OW] [C], M. [M] [WD], M. [OT] [WD], Mme [Z] [WD], Mme [E] [WD], M. [PF] [WD], Mme [R] [FJ], M. [FM] [FJ], Mme [S] [FJ] et Mme [CK] [LU] de leurs demandes d’indemnisation au titre du préjudice d’affection de leurs demandes d’indemnisation.

Suivant conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 20 décembre 2022, les consorts [LU] demandent à la cour de :

A titre principal,

– débouter les appelantes en toutes leurs demandes, fins et conclusions ;

– confirmer en conséquence le jugement entrepris en ce qu’il a dit que les sociétés Groupe Bigard et HDI Global SE sont tenues solidairement à réparation des conséquences dommageables du produit défectueux dont [AF] [LU] a été victime ;

A titre subsidiaire,

– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a déclaré irrecevable l’action en responsabilité engagé contre la société Adis, rejeté les demandes indemnitaires formées contre les Sociétés Adis et Allianz et mis hors de cause ces deux sociétés ;

– juger que la société Adis a commis une faute en procédant à la vente du produit litigieux ;

– condamner en conséquence in solidum les sociétés Adis et Allianz à indemniser les victimes des conséquences dommageables liées à l’ingestion par [AF] [LU] du produit litigieux ;

A titre reconventionnel,

– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté M. [Y] [LU], M. [TE] [LU], M. [H] [LU], Mlle [W] [LU], Mlle [WA] [C], Mlle [P] [C], M. [OW] [C], M. [M] [WD], M. [OT] [WD], Mlle [Z] [WD], Mlle [E] [WD], M. [PF] [WD], Mlle [R] [FJ], M. [FM] [FJ], Mlle [S] [FJ], et Mlle [CK] [LU] de leur demande d’indemnisation au titre du préjudice d’affection lié au décès de

[AF] [LU] ;

– surseoir à statuer sur le quantum de leur indemnisation ;

– renvoyer les parties devant la juridiction de première instance pour qu’il soit statué sur le quantum des préjudices ;

– condamner solidairement les sociétés Groupe Bigard et HDI Global SE à payer la somme de 10.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner solidairement les Sociétés Groupe Bigard et HDI Global SE aux entiers dépens.

Suivant conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 14 novembre 2024, la SAS Adis demande à la cour de :

– juger définitifs les chefs du jugement du tribunal judiciaire de Montargis du 28 avril 2022 ayant :

– déclaré irrecevable l’action en responsabilité des demandeurs contre la SAS Adis,

– rejeté en conséquence les demandes indemnitaires formées par les demandeurs contre la SAS Adis et la SA Allianz Iard,

– mis hors de cause la SAS Adis et la SA Allianz Iard pour la suite de l’instance,

– juger que la société Bigard et la compagnie HDI Global SE ne formule aucune demande à l’encontre de la société Adis.

– confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Montargis du 28 avril 2022 en ce qu’il a :

– déclaré irrecevable l’action en responsabilité des demandeurs contre la SAS Adis,

– rejeté en conséquence les demandes indemnitaires formées par les demandeurs contre la SAS Adis et la SA Allianz Iard,

– mis hors de cause la SAS Adis et la SA Allianz Iard pour la suite de l’instance,

– dit que la SA Groupe Bigard et la Compagnie HDI Global SE sont tenues solidairement à réparation des conséquences dommageables du fait du produit défectueux dont [AF] [LU] a été victime,

– débouté M. [Y] [LU], M. [TE] [LU], M. [H] [LU], Mlle [W] [LU], Mlle [WA] [C], Mlle [P] [C], M. [OW] [C], M. [M] [WD], M. [OT] [WD], [MA] [Z] [WD], [MA] [E] [WD], M. [PF] [WD], Mlle [R] [FJ], M. [FM] [FJ], Mlle [S] [FJ], Mlle [CK] [LU], de leur demande d’indemnisation au titre du préjudice d’affection,

– avant dire droit sur le préjudice personnel de [AF] [LU] et sur celui de ses héritiers et de ses petits-enfants, ordonné une expertise médicale sur dossier et désigné le docteur [CN] en qualité d’expert, avec mission de :

1) Prendre connaissance du dossier et de tous documents médicaux utiles recueillis tant auprès des héritiers de la victime que de tous tiers détenteurs,

2) Examiner le dossier médical de [AF] [LU], décrire les lésions causées par les faits d’ingestion de l’étiquette du produit alimentaire «Bouchée à la reine » fabriquée par la SA Groupe Bigard, indiquer les traitements appliqués, leur évolution, leur état à la date du décès le [Date décès 62] 2017 et un éventuel état antérieur en précisant son incidence,

3) Décrire les souffrances endurées par [AF] [LU] entre l’ingestion de l’étiquette présente de la Bouchée à la reine et son décès et les évaluer sur une échelle de 1 à 7, en distinguant, le cas échéant, différentes périodes (entre l’ingestion et l’opération, puis entre l’opération et le

décès),

4) Dire si le fait dommageable, à savoir l’ingestion de l’étiquette du produit, a été la cause du décès de [AF] [LU] par arrêt cardiaque à la suite de son opération, ou si ce décès se serait, en tout état de cause, spontanément manifesté à la date du [Date décès 62] 2017 compte tenu de

ses antécédents médicaux;

5) Donner son avis sur le lien entre l’arrêt cardiaque de [AF] [LU] le [Date décès 62] 2017 et les motifs de son hospitalisation le 25 octobre 2017.

– débouter purement et simplement les consorts [LU] de l’ensemble de leurs demandes à l’encontre de la société Adis.

– condamner tout succombant à verser à la société Adis la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Suivant conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 26 décembre 2022, la SA Allianz Iard demande à la cour de :

– confirmer en tout point le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Montargis le 28 avril 2022,

– juger que la société Bigard ne formule aucune demande contre la société Allianz Iard ou son assurée, la société Adis,

– juger que la société HDI Global SE ne formule aucune demande contre la société Allianz Iard, ou son assurée, la société Adis,

Et en conséquence :

– juger que la société Adis n’est pas responsable du décès de M. [AF] [LU],

– débouter les consorts [LU] de leurs demandes formulées à l’encontre de la société Allianz Iard,

– mettre hors de cause la société Allianz Iard,

– juger que M. [IO] [LU], M. [F] [LU], M. [M] [LU], M. [D] [LU], Mme [ZL] [LU], M. [Y] [LU] et M. [TE] [LU] ne justifient pas de leur préjudice d’affection, en conséquence, les débouter de leur demande au titre du préjudice d’affection,

– condamner tout succombant à payer à la société Allianz Iard la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– rejeter le surplus des demandes qui pourraient être formulées contre la société Allianz

Iard.

Pour un plus ample exposé des faits et des moyens des parties, il convient de se reporter à leurs dernières conclusions.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 18 novembre 2024.

Le 9 janvier 2025, le message suivant a été adressé par le conseiller de la mise en état aux consorts [LU] :

‘Un certain nombre d’enfants mineurs, qui figurent dans la procédure comme étant représentés par leur représentant légal, sont devenus majeurs (ceux nés avant 2007). L’instance se trouve donc interrompue, sauf à ce qu’ils interviennent volontairement à la procédure.

L’article 783 du code de procédure civile  autorisant les demandes d’intervention volontaire après l’ordonnance de clôture, je vous propose, si cela vous est possible, de régulariser la procédure en signifiant des conclusions d’intervention volontaire pour les personnes concernées avant l’audience de plaidoirie du 20 janvier prochain’.

Le 16 janvier 2025, les consorts [LU] ont déposé et notifié de nouvelles conclusions, portant intervention volontaire de :

– [TE] [LU], né le [Date naissance 42] 2006 ;

– [FM] [FJ], né le [Date naissance 83] 2006 ;

– [N] [LU], née le [Date naissance 19] 2003.

MOTIFS

Sur la responsabilité de la société Groupe Bigard

Moyens des parties

La société Groupe Bigard sollicite l’infirmation du jugement qui a retenu sa responsabilité sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux. Elle fait valoir que les consorts [LU] ne démontrent pas le défaut de sécurité du produit. Elle estime que le tribunal a retenu à tort que l’étiquette s’enfoncerait dans la garniture ce qui pourrait permettre son ingestion, ce qui est faux. Elle soutient qu’il résulte en effet des différentes photographies produites que l’étiquette, sur laquelle il est inscrit ‘L’excellence à la française’, est parfaitement visible et décelable même après les manipulations que le distributeur ou le consommateur final ont pu faire. Elle ajoute qu’elle produit en appel un constat d’huissier, auquel a été envoyé un carton de dix bouchées à la reine, qui tend à démontrer que la chauffe du produit n’a pas pour effet de masquer l’étiquette, que la garniture se maintient parfaitement et que l’étiquette reste parfaitement visible dans tous les cas, même après leur mise en chauffe au four à 180 degrés.

Elle fait encore valoir qu’à supposer que l’étiquette n’ait été que très peu visible, il est impossible, pour un consommateur moyen, d’ingérer ce type d’étiquette, en plastique et de dimension 3,6 X 3,8 cm, sans s’en apercevoir, quand bien même il serait porteur d’un appareil dentaire complet.

Les consorts [LU] sollicitent la confirmation du jugement qui a retenu la responsabilité de la société Groupe Bigard, sur le fondement des articles 1245 et suivants du code civil, relatifs à la responsabilité de plein droit des producteurs du fait des produits défectueux. Ils font valoir que l’utilisation d’étiquettes en plastique rigide et tranchant conduisait à l’existence d’un risque pour le consommateur et constituait donc un défaut du produit au sens de l’article 1245-3 du code civil, ces étiquettes ayant tendance à s’enliser

lorsqu’elles sont plantées dans la sauce. Le dommage est constitué par la perforation intestinale, l’hospitalisation puis le décès de [AF] [LU]. Ils contestent les allégations de la société Groupe Bigard, qui soutient que l’étiquette était parfaitement visible, les photographies versées aux débats montrant au contraire que les étiquettes ont une tendance très marquée à s’enfoncer dans la sauce, d’autant plus lorsqu’elles se réchauffent. Ils estiment que le constat d’huissier produit en appel est à prendre avec précaution, les produits ayant été soigneusement sélectionnés par la société Groupe Bigard, sont arrivés directement en sortie de préparation sans intermédiaire, que l’huissier est averti de la présence des étiquettes, que [AF] [LU] avait 92 ans et la vue déclinante, qu’il a mis la bouchée à réchauffer seul, et a ingéré l’étiquette sans s’en rendre compte. En tout état de cause, ils soulignent que l’huissier a constaté que sur l’une des bouchées, l’étiquette était légèrement plus enfoncée, ne laissant apparaître que la première ligne des inscriptions sur l’étiquette, ce qui démontre que la submersion des étiquettes est donc possible.

Réponse de la cour

En application de l’article 1245 du code civil :

‘Le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu’il soit ou non lié par un contrat avec la victime’.

Les articles 1245 et suivants du code civil instaurent un régime d’indemnisation spécifique, résultant de la directive 85/374 CEE du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux. Cette directive a été transposée en droit interne par la loi n° 98-389 du 19 mai 1998, qui a institué une responsabilité de plein droit des producteurs pour les dommages causés par un défaut de leurs produits, dite responsabilité du fait des produits défectueux.

Le demandeur à l’indemnisation doit démontrer le dommage, le défaut du produit et le lien de causalité entre dommage et défaut.

En l’espèce, la société Groupe Bigard soutient qu’il n’est pas établi que son produit est affecté d’un défaut.

Toutefois, c’est par de justes et pertinents motifs que la cour adopte que le premier juge a retenu que le produit en cause, une bouchée à la reine, était affecté d’un défaut tenant à la présence d’une étiquette en plastique rigide, pointue et tranchante, d’une taille en permettant l’ingestion, plantée directement sur le produit.

En effet, il résulte des photographies produites que ces étiquettes sont plantées directement sur l’aliment, lequel est constitué en son centre d’une garniture non rigide et sont donc susceptibles, en fonction des manipulations effectuées tant au stade du transport, que de leur commercialisation ou encore par le consommateur après leur acquisition, de s’incliner plus ou moins dans l’aliment et/ou de s’y enfoncer de façon plus ou moins importante.

Ainsi, les photographies produites démontrent, contrairement à ce que soutient la société Groupe Bigard, que les étiquettes, dont la pointe est intégralement imergée dans le produit, sont plus ou moins inclinées et plus ou moins enfoncées dans la garniture, les deux lignes d’écriture n’étant pas apparentes sur l’ensemble des bouchées présentées, notamment sur les bouchées présentes sur l’étalage du magasin Leclerc (pièce 3, cinquième photographie) où les étiquettes sont, au moins pour les bouchées du fond, partiellement enfoncées.

Il résulte du procès-verbal établi par huissier le 15 juin 2022 que l’enfoncement de cette étiquette est parfaitement possible, même sans manipulation particulière du produit, puisque :

– sur les dix bouchées à la reine reçues, l’une d’entre elle avait une étiquette ‘légèrement enfoncée’, ne laissant apparaître que la première ligne des inscriptions de l’étiquette, ne dépassant que de 1,3 cm de la préparation au lieu de 2,1 cm pour les autres.

– après la cuisson, la bouchée dont l’étiquette était partiellement enfoncée ne laissait toujours apparaître que la première ligne d’inscription, sans évolution avec la cuisson.

Il en résulte qu’il est donc possible que les étiquettes s’enfoncent, au moins partiellement, dans la préparation, quand bien même ce cas n’affecte qu’une bouchée sur dix dans l’échantillon considéré.

Si l’enfoncement constaté par l’huissier ou constaté sur les photographies n’est que partiel et ne dissimule pas entièrement l’étiquette, force est de constater que les photographies portent sur des produits encore présents sur les étalages des magasins et que l’échantillon confié à l’huissier, s’il a été conditionné dans les mêmes conditions d’emballage que celui effectué dans un magasin Leclerc, n’a pas subi les mêmes manipulations que celles, mulitples, résultant de leur transport par un transporteur, de leur mise en rayon dans une grande surface, après le cas échéant déconditionnement ou défilmage par un opérateur du magasin, voire reconditionnement, au regard des explications de la société Groupe Bigard, de leur mise en rayon au rayon traiteur ou en libre-service, de leurs manipulations éventuelles par les clients, de leur achat dans un sac ou caddy plus ou moins plein, puis passage en caisse, transport avec le reste des courses dans des conditions ignorées, rangement à la maison…

Le risque d’enfoncement plus ou moins important des étiquettes dans la préparation est donc avéré. Quant à leur couleur noire, relevée par la société Groupe Bigard pour souligner leur caractère particulièrement visible, il résulte des éléments produits qu’elle n’est présente que sur un côté des étiquettes, l’autre côté étant de couleur blanche ou claire, lequel est donc plus susceptible d’être confondu avec la préparation alimentaire.

Il ne peut dès lors être soutenu que les étiquettes sont, de façon systématique, parfaitement visibles par le consommateur au moment où de la consommation du produit, puisqu’un enfoncement au moins partiel dans la préparation culinaire est parfaitement possible.

Le premier juge a retenu à bon droit que le format et la taille de l’étiquette ne font pas obstacle à son ingestion, ce que démontre d’ailleurs le fait que [AF] [LU] ait pu en ingérer une, retrouvée dans son intestin.

Or la présence sur un produit alimentaire d’une étiquette non comestible en plastique, tranchante et comportant un bout pointu, d’une taille en permettant l’ingestion, plantée directement dans la préparation culinaire dans laquelle elle est susceptible de s’enfoncer de façon plus ou moins importante et donc d’être plus ou moins visible, constitue un défaut du produit puisqu’elle crée un risque pour le consommateur susceptible de ne pas la voir et de l’ingérer.

Il est établi par les pièces produites que la perforation de l’intestin de [AF] [LU] a été causée par l’ingestion de cette étiquette, et est donc directement imputable au défaut du produit.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a retenu que la responsabilité de la société Groupe Bigard est engagée sur le fondement de la responsabilité des produits défectueux et a dit qu’elle était, soliciairement avec son assureur la société HDI Global SE, tenue à réparation des conséquences dommageables en résultant pour [AF] [LU] et ses ayants-droit, et en ce qu’il ordonne une mesure d’expertise afin d’évaluer l’étendue du préjudice.

La demande subsidiaire des consorts [LU] tendant à voir infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a déclaré irrecevable leur action en responsabilité contre la société Adis et rejeté leurs demandes indemnitaires contre la société Adis et la société Allianz, est donc sans objet, le jugement étant confirmé en ce qu’il a déclaré irrecevable leur action contre la société ADIS, et a mis hors de cause la socité ADIS et la société ALLIANZ son assureur pour la suite de l’instance.

Sur le rejet de la demande d’indemnisation du préjudice d’affection des petits-enfants

Moyens des parties

Les consorts [LU] sollicitent l’infirmation du jugement qui a débouté les arrière-petits-enfants de [AF] [LU] de leur préjudice d’affection. Ils font valoir que [AF] [LU] s’impliquait énormément dans sa vie familiale et entretenait des liens étroits avec ses enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants, ainsi qu’il résulte des nombreuses photographies qui montrent sa présence régulière aux fêtes de famille. Ils soutiennent que le référentiel de Mornet ne fait pas mention des arrière-petits-enfants, qui ne sont pas assimilables aux ‘autres parents ou proches’, que la jurisprudence a toujours considéré que les descendants en ligne directe étaient légitimes à invoquer un préjudice d’affection sans avoir à démontrer un lien affectif ou des relations spécifiques avec le défunt. Ils précisent que ses arrières-petits-enfants sont nés pour la plupart entre 2002 et 2012 et ont donc eu largement le temps de tisser des liens avec lui.

La société Groupe Bigard sollicite la confirmation du jugement de ce chef. Elle estime qu’il n’est pas démontré de lien étroit entre [AF] [LU] et ses arrière-petits-enfants, que les photographies produites ne démontrent pas. Elle soutient que les arrière-petits-enfants font partie de la catégorie ‘autres parents ou proches’ du référentiel de Mornet, de sorte qu’il faut démontrer des liens étroits pour justifier d’une indemnisation.

Réponse de la cour

Les arrières-petits-enfants de [AF] [LU], qui sont ses descendants en ligne directe, ont ainsi perdu leur aïeul.

Il est soutenu, et justifié par des photographies versées aux débats, que [AF] [LU] entretenait des relations avec l’ensemble des membres de sa famille, en ce compris avec les jeunes enfants.

Il ne saurait dès lors être considéré que les arrières-petits-enfants de [AF] [LU], qui ont connu leur arrière-grand-père, durant de nombreuses années pour les plus âgés d’entre eux, n’ont subi aucun préjudice d’affection du fait de la disparition de ce dernier.

Le jugement sera infirmé en ce qu’il a débouté les arrières-petits-enfants de [AF] [LU] de leur demande d’indemnisation.

Sur les demandes accessoires

La société Groupe Bigard et la société HDI Global SE seront tenues aux dépens de la procédure d’appel.

Les circonstances de la cause justifient de les condamner à verser, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile :

– aux consorts [LU] une somme de 2500 euros

– à la société Allianz IARD une somme de 1000 euros,

– à la société ADIS une somme de 1000 euros.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en dernier ressort,

CONFIRME en ses dispositions critiquées le jugement entrepris, sauf en ce qu’il déboute M. [Y] [LU], M. [TE] [LU], M. [H] [LU], Mlle [W] [LU], Mlle [WA] [C], Mlle [P] [C], M. [OW] [C], M. [M] [WD], M. [OT] [WD], Mlle [Z] [WD], Mlle [E] [WD], M. [PF] [WD], Mlle [R] [FJ], M. [FM] [FJ], Mlle [S] [FJ], Mlle [CK] [LU], de leur demande d’indemnisation au titre du préjudice d’affection ;

L’INFIRME de ce chef ;

Statuant à nouveau du chef infirmé et y ajoutant,

DIT que M. [Y] [LU], M. [TE] [LU], M. [H] [LU], Mlle [W] [LU], Mlle [WA] [C], Mlle [P] [C], M. [OW] [C], M. [M] [WD], M. [OT] [WD], Mlle [Z] [WD], Mlle [E] [WD], M. [PF] [WD], Mlle [R] [FJ], M. [FM] [FJ], Mlle [S] [FJ], Mlle [CK] [LU] , arrières-petits-enfants de [AF] [LU], sont fondés à solliciter l’indemnisation de leur préjudice d’affection ,

DIT qu’il sera statué sur le quantum de leur indemnisation par le tribunal judiciaire de Montargis, qui reste saisi de l’indemnisation du préjudice en ce qu’il a sursis à statuer de ce chef ;

CONDAMNE in solidum la société Groupe Bigard et la société HDI Global SE à payer, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile :

– une somme de 2500 euros aux consorts [LU],

– une somme de 1000 euros à la société Allianz Iard ;

– une somme de 1000 euros à la société ADIS ;

CONDAMNE in solidum la société Groupe Bigard et la société HDI Global SE aux dépens de la procédure d’appel.

Arrêt signé par Mme Anne-Lise COLLOMP, Présidente de Chambre et Mme Karine DUPONT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


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