Type de juridiction : Tribunal judiciaire
Juridiction : Tribunal judiciaire de Nancy
Thématique : Responsabilité du livreur et préjudices d’exploitation en pharmacie
→ RésuméMonsieur, exploitant d’une officine de pharmacie, a subi un sinistre le 24 juillet 2021, causé par un livreur de la société CONFRATERNELLE D’EXPLOITATION DE REPARTITION PHARMACEUTIQUE RHIN RHONE MEDITERRANEE. Ce dernier a mal positionné des caisses, entraînant le déraillement du rideau métallique de la pharmacie. Un constat amiable a été signé le 6 septembre 2021, reconnaissant les faits. L’assureur de Monsieur a mis en demeure la société de régler 3.368 euros pour les dommages matériels. En l’absence de paiement, une nouvelle mise en demeure a été adressée, réclamant 26.601,60 euros pour l’ensemble des préjudices subis.
Monsieur a ensuite assigné la société devant le Tribunal judiciaire de Nancy pour obtenir réparation. Dans ses conclusions, il a demandé des indemnités pour perte d’exploitation, préjudice moral et frais de procédure. Il a soutenu que le livreur, en laissant les caisses sur la course du rideau, avait agi de manière imprudente, engageant ainsi la responsabilité de la société. La directrice de la société a reconnu les faits lors de la réunion de constatation, ce qui a été contesté par la défenderesse sur la base de l’absence de mandat. La société a contesté la réalité de la livraison et l’existence des préjudices, arguant que les demandes de Monsieur n’étaient pas justifiées. Elle a également souligné qu’elle avait déjà indemnisé les dommages matériels. Le tribunal a finalement reconnu la responsabilité de la société, condamnant celle-ci à verser 1.000 euros pour le temps passé par Monsieur à gérer les conséquences du sinistre et 500 euros pour le préjudice d’image. Les demandes de perte d’exploitation et de préjudice moral ont été rejetées. La société a été condamnée aux dépens et à verser 2.000 euros au titre des frais de justice. |
MINUTE N° :
JUGEMENT DU : 04 Avril 2025
DOSSIER N° : N° RG 22/01314 – N° Portalis DBZE-W-B7G-IE2W
AFFAIRE : Monsieur [Y] [N] C/ S.A. CONFRATERNELLE D’EXPLOITATION DE REPARTITION PHARM ACEUTIQUE RHIN RHONE MEDITERRANEE
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE NANCY
POLE CIVIL section 5
JUGEMENT
COMPOSITION DU TRIBUNAL :
PRESIDENT : Madame Mathilde BARCAT,
Statuant par application des articles 812 à 816 du Code de Procédure Civile, avis préalablement donné aux Avocats.
GREFFIER : Madame Sarah ANNERON
PARTIES :
DEMANDEUR
Monsieur [Y] [N], demeurant [Adresse 2]
représenté par Maître Serge DUPIED de la SELARL SERGE DUPIED, avocat au barreau de NANCY, avocat plaidant, vestiaire : 170
DEFENDERESSE
S.A. CONFRATERNELLE D’EXPLOITATION DE REPARTITION PHARM ACEUTIQUE RHIN RHONE MEDITERRANEE disposant également d’un établissement situé à [Adresse 7], dont le siège social est sis [Adresse 3]
représentée par Maître Maxime JOFFROY de la SCP JOFFROY LITAIZE LIPP, avocats au barreau de NANCY, avocat postulant, vestiaire : 3, Maître Michel BELLAICHE, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant
Clôture prononcée le : 13 juin 2023
Débats tenus à l’audience du : 05 Février 2025
Date de délibéré indiquée par le Président : 04 Avril 2025
Jugement prononcé par mise à disposition au greffe du 04 Avril 2025
le
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EXPOSE DU LITIGE
Monsieur [Y] [N] exploite une officine de pharmacie sous la dénomination PHARMACIE [N] située au [Adresse 1] à [Localité 8].
La société anonyme CONFRATERNELLE D’EXPLOITATION DE REPARTITION PHARMACEUTIQUE RHIN RHONE MEDITERRANEE (ci-après « la SA CERP RHIN RHONE MEDITERRANEE »), immatriculée au RCS de [Localité 5] sous le numéro 535 420 533, dont le siège social est situé [Adresse 4] (90), exerce, quant à elle, une activité de commerce de gros de produits pharmaceutiques.
Le 6 septembre 2021, un procès-verbal de constatations amiable a été signé chiffrant les désordres concernant un sinistre survenu le 24 juillet 2021, et mentionnant que le livreur de la SA CERP RHIN RHONE MEDITERRANEE « a disposé 2 caisses, l’une sur l’autre sur la course du rideau et a laissé le rideau métallique [de la PHARMACIE [N]] se refermer, ce qui a eu pour conséquence de faire dérailler le rideau de ses coulisses ».
Par courrier du 6 décembre 2021, la Compagnie MMA, assureur de Monsieur [N], a mis en demeure la SA CERP RHIN RHONE MEDITERRANEE d’avoir à régler la somme totale de 3.368 euros visant à couvrir les conséquences matérielles du sinistre.
En l’absence de règlement, par courrier recommandé du 14 mars 2022, le conseil de Monsieur [N] a mis en demeure la SA CERP RHIN RHONE MEDITERRANEE d’avoir à régler la somme de 26.601,60 € TTC pour l’ensemble des préjudices subis par Monsieur [N], en ce compris le temps passé à gérer le sinistre, les pertes d’exploitation subies par son officine et les frais additionnels.
Par acte signifié par huissier le 3 mai 2022, reçu au greffe par voie électronique le 4 mai 2022, Monsieur [N] a fait assigner la SA CERP RHIN RHONE MEDITERRANEE devant le Tribunal judiciaire de Nancy aux fins d’indemnisation de son préjudice.
La défenderesse a constitué avocat le 23 mai 2022.
Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 22 mars 2023, Monsieur [N] formule les demandes suivantes sous le bénéfice de l’exécution provisoire :
-la condamnation de la SA CERP RHIN RHONE MEDITERRANEE à lui verser les sommes suivantes :
*8.800 euros HT, soit 10.560 euros TTC, au titre de la perte d’exploitation et du temps passé ;
*10.000 euros au titre de son préjudice moral et sa perte d’image ;
-la condamnation de la SA CERP RHIN RHONE MEDITERRANEE à lui verser la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
-la condamnation de la SA CERP RHIN RHONE MEDITERRANEE aux dépens.
Monsieur [N] entend engager la responsabilité de la SA CERP RHIN RHONE MEDITERRANEE, sur le fondement des articles 1240, 1241 et 1242 du code civil, pour la détérioration du rideau métallique de son officine le 24 juillet 2021. Il fait valoir que le livreur, préposé de la défenderesse, a déposé deux caisses de produits pharmaceutiques dans la course du rideau métallique alors que ce dernier se refermait, avant de tenter de le débloquer à l’aide d’un pied de biche.
Le demandeur fait valoir que les faits ont été reconnus lors de la réunion du 6 septembre 2021 par Madame [T], directrice de la SA CERP RHIN RHONE MEDITERRANEE, laquelle a signé le procès-verbal de constatations. S’agissant de l’absence de mandat de la directrice, le demandeur fait valoir que Madame [T] avait donné l’apparence d’avoir qualité pour représenter la société et que faute d’avoir émis des réserves sur les circonstances de l’incident, celles-ci ne peuvent désormais plus être contestées.
En réponse à l’absence de preuve de la livraison, le demandeur fait valoir que celle-ci est matérialisée par la présence de factures datées de la veille pour une livraison le lendemain, de photographies de la livraison sur lesquelles sont visibles les caisses siglées de la SA CERP RHIN RHONE. Sur l’absence de réalisation de constat dans l’immédiat, le demandeur argue de la fuite du livreur et de l’heure matinale de survenance du sinistre à 6h26.
S’agissant de ses demandes indemnitaires, Monsieur [N] les articule comme suit :
Sur son préjudice résultant du temps passé à la réalisation des démarches, il soutient que six heures d’intervention au tarif horaire de 200 euros, soit 1.200 euros HT, ont été nécessaires le 24 juillet 2021, pour gérer les conséquences du blocage de la porte (redirection des clients, téléphone et intervention de la société PORTALP). Par ailleurs, il allègue que deux heures de présence ont été nécessaires s’agissant de la réunion contradictoire du 6 septembre 2021, soit 400 euros HT, et vingt heures pour le suivi du dossier (50 courriels, appels, devis), soit 4.000 euros HT. Enfin, le demandeur allègue que huit heures de travail ont été nécessaires le 6 avril 2022 lors de la journée au cours de laquelle le rideau métallique a été remplacé, pour suivre les travaux, réorienter les clients et indiquer que la pharmacie était ouverte, soit 1.600 euros HT.
Sur son préjudice résultant de la perte d’exploitation subie par son officine le 24 juillet 2021, le demandeur soutient avoir subi une perte de 30% du chiffre d’affaires pour la matinée, soit une perte totale de 600 euros HT. La perte d’exploitation du 6 avril 2022 lors du remplacement du rideau est également soutenue à hauteur de 30% sur la journée complète, soit 1.000 euros HT, en raison d’une entrée des clients nécessairement par l’arrière de l’officine et d’un stationnement inutilisable.
Sur son préjudice résultant des tracas vécus et d’une perte d’image de l’officine, Monsieur [N] fait état de craintes quotidiennes de ne plus pouvoir ouvrir le rideau pendant sept mois et du fait que les clients aient observé le rideau abîmé. Le demandeur allègue également la mauvaise foi de la SA CERP RHIN RHONE MEDITERRANEE lorsqu’elle affirme qu’aucune contrainte n’a été entraînée par le sinistre.
***
Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 9 juin 2023, la SA CERP RHIN RHONE MEDITERRANEE formule les demandes suivantes :
-le rejet de l’ensemble des demandes formées par Monsieur [N] à son encontre ;
-la condamnation de Monsieur [N] aux dépens ;
-la condamnation de Monsieur [N] à lui verser la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
En défense, la SA CERP RHIN RHONE fait valoir sur le fondement de l’article 1353 du code civil que l’origine de la panne alléguée par le demandeur est ignorée, et que ne sont rapportées ni la preuve d’une faute de la SA CERP RHIN RHONE MEDITERRANEE, ni celle d’un préjudice en découlant au titre des 1240 et 1241 du code civil. La défenderesse fait notamment valoir que la réalité d’une livraison le 24 juillet 2021 n’est pas établie.
S’agissant de l’expertise amiable diligentée par le demandeur, la défenderesse argue de son insuffisance probatoire, de l’absence de représentation valide lors de l’expertise faute de mandat accordé à Madame [T] et de l’absence de Monsieur [D] [I], livreur allégué. De surcroît, s’agissant d’une expertise amiable diligentée par le demandeur, la défenderesse tire argument de ce qu’elle ne peut constituer seule un élément de preuve et qu’elle n’y a par ailleurs pas été dûment convoquée. Elle fait valoir que seule cette pièce justifie de la date du sinistre, un mois et demi après sa survenance supposée. Elle ajoute également que seuls les propos du demandeur ont été rapportés dans l’expertise, sans investigation permettant d’écarter la possibilité d’une panne, d’une casse postérieure à la date alléguée, de la vétusté ou d’un défaut d’entretien.
En réponse aux différents préjudices allégués, la défenderesse fait valoir qu’elle a déjà réglé l’ensemble des préjudices à hauteur de 3.368 euros le 6 décembre 2021. De surcroît, elle relève qu’aucune perte d’exploitation, perte de temps ou tracas imputable au sinistre litigieux n’a été invoquée lors de la réunion d’expertise amiable, ni dans les mises en demeures qui lui ont été adressées. Elle ajoute que ces demandes n’apparaissent qu’aux termes d’un courrier du 14 mars 2022, alors que le courrier valant règlement des entiers préjudices avait déjà été diffusé, faisant droit à la mise en demeure et à hauteur de 3.368 euros. Sur la demande au titre des démarches réalisées, la défenderesse invoque l’absence de démonstration et de justification du quantum, en ce qu’initier une procédure était nécessairement chronophage et que ce poste se confond avec la demande au titre des pertes d’exploitation. Aussi, le taux horaire déterminé ne serait pas justifié.
S’agissant du travail de suivi du dossier, la défenderesse soutient que ce temps était inhérent à la procédure et non un préjudice indemnisable, et que le taux horaire n’est pas justifié.
Sur la perte de chiffre d’affaires le jour du sinistre, elle estime que celle-ci n’est pas démontrée. Elle conteste le principe de l’indemnité en ce que le demandeur allègue la création d’un accès provisoire et la libération à 14h le 24 juillet 2021 de l’accès principal. Elle conteste également le calcul de l’expert-comptable qu’elle estime non justifié, et souligne l’absence d’éléments financiers et l’absence de mention de ce préjudice dans l’expertise amiable.
Sur la perte de chiffre d’affaires au jour du remplacement du rideau, la défenderesse observe que l’office demeurait accessible par la porte arrière . Elle relève que le calcul est basé sur un chiffre d’affaires de référence distinct du poste précédent. Elle remet en cause le caractère probant de l’attestation de l’expert-comptable.
Sur les heures de travail, la défenderesse affirme que les 8 heures alléguées à indiquer l’accès aux clients ne sont pas compatibles avec la vente de produit, ni les supposées 6 heures passées au téléphone le jour du sinistre. De surcroît, la défenderesse estime ne pas être tenue à rémunérer ces heures de travail qui auraient eu lieu en toutes circonstances, dans une demande qui se confond avec celle de perte d’exploitation. Enfin, le calcul de l’expert-comptable est remis en cause par la défenderesse en ce que Monsieur [N] n’est pas salarié.
Sur la demande d’indemnisation au titre des tracas vécus et du préjudice d’image, la SA CERP RHIN RHONE MEDITERRANEE conteste l’existence et le montant du préjudice, en ce qu’il s’agirait d’une simple contrariété ne répondant pas aux critères du préjudice moral et que le préjudice d’image n’est ni justifié, ni chiffré.
***
Il sera rappelé qu’en application de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions de chacune des parties pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens.
La présente décision est contradictoire.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 13 juin 2023.
L’affaire a été appelée à l’audience du 5 février 2025 lors de laquelle elle a été mise en délibéré au 4 avril 2025 par mise à disposition au greffe.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort,
DECLARE la SA CONFRATERNELLE D’EXPLOITATION DE REPARTITION PHARMACEUTIQUE RHIN RHONE MEDITERRANEE responsable de l’incident survenu le 24 juillet 2021 dans l’officine de Monsieur [Y] [N]
CONDAMNE la SA CONFRATERNELLE D’EXPLOITATION DE REPARTITION PHARMACEUTIQUE RHIN RHONE MEDITERRANEE à verser à Monsieur [Y] [N] la somme de 1.000 euros ( mille euros) au titre du temps passé ;
CONDAMNE la SA CONFRATERNELLE D’EXPLOITATION DE REPARTITION PHARMACEUTIQUE RHIN RHONE MEDITERRANEE à verser à Monsieur [Y] [N] la somme de 500 euros (cinq cents euros) au titre du préjudice d’image ;
DEBOUTE Monsieur [Y] [N] de sa demande d’indemnisation au titre de la perte d’exploitation ;
DEBOUTE Monsieur [Y] [N] de sa demande d’indemnisation au titre de son préjudice moral ;
CONDAMNE la SA CONFRATERNELLE D’EXPLOITATION DE REPARTITION PHARMACEUTIQUE RHIN RHONE MEDITERRANEE aux dépens ;
CONDAMNE la SA CONFRATERNELLE D’EXPLOITATION DE REPARTITION PHARMACEUTIQUE RHIN RHONE MEDITERRANEE à verser à Monsieur [Y] [N] la somme de 2.000 euros (deux-mille euros) au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
DÉBOUTE la SA CONFRATERNELLE D’EXPLOITATION DE REPARTITION PHARMACEUTIQUE RHIN RHONE MEDITERRANEE de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
RAPPELLE l’exécution provisoire de la décision.
Ainsi jugé et prononcé par mise à disposition au greffe le 4 avril 2025, le présent jugement étant signé par la présidente et la greffière.
LE GREFFIER LA PRESIDENTE
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