Type de juridiction : Tribunal judiciaire
Juridiction : Tribunal judiciaire de Marseille
Thématique : Responsabilité médicale et obligation d’information : enjeux et conséquences pour le patient.
→ RésuméContexte de l’affaireEn 2009, madame [I] [E] a consulté le docteur [W], chirurgien-dentiste, pour des problèmes de parodontie. Le traitement proposé incluait l’extraction de dents mobiles et la pose de neuf implants dentaires. Au fil des années, plusieurs interventions ont été réalisées, notamment la pose de bridges et de couronnes. Consultations et complicationsEn mai 2018, madame [E] a consulté le docteur [W] en raison d’un abcès sur la dent 26, ce qui a conduit à des examens radiographiques et à une antibiothérapie. En octobre 2018, de nouveaux implants ont été posés, suivis d’autres bridges et couronnes en 2019. Malgré ces soins, madame [E] a exprimé son insatisfaction, notamment en raison d’une dissymétrie entre ses mâchoires. Procédure judiciaireInsatisfaite des résultats, madame [E] a assigné le docteur [W] devant le juge des référés, qui a désigné un expert, le docteur [C]. Ce dernier a rendu son rapport en novembre 2022, mettant en évidence des manquements dans les soins prodigués par le docteur [W]. En février 2023, madame [E] a formellement assigné le docteur [W] et son assureur, la MACSF. Demandes de madame [E]Dans ses conclusions, madame [E] a demandé des indemnités pour divers préjudices, incluant des frais de santé, des frais de déplacement, des souffrances temporaires, un préjudice esthétique, et un déficit fonctionnel permanent. Elle a également souligné un manquement à l’obligation d’information de la part du docteur [W]. Réponse du docteur [W] et de la MACSFLe docteur [W] et la MACSF ont contesté les demandes de madame [E], arguant qu’il n’y avait pas de manquement à l’obligation d’information, car des documents avaient été signés. Ils ont également remis en question le montant des préjudices demandés, affirmant que madame [E] ne justifiait pas certaines dépenses. Analyse du devoir d’informationLe tribunal a rappelé que le devoir d’information incombe au professionnel de santé et que son non-respect peut entraîner un préjudice moral. L’expert a noté l’absence d’information sur les risques liés aux prothèses dentaires, mais a également conclu que les soins étaient nécessaires. Le tribunal a donc rejeté la demande de perte de chance tout en reconnaissant un préjudice d’impréparation. Évaluation des soins et préjudicesL’expert a identifié des fautes dans le traitement, entraînant des conséquences médicales pour madame [E]. Les préjudices patrimoniaux ont été évalués, incluant les frais de reprise des soins et d’autres dépenses. Les préjudices extra-patrimoniaux ont également été pris en compte, notamment les souffrances endurées et le préjudice esthétique. Décision du tribunalLe tribunal a condamné le docteur [W] et la MACSF à verser à madame [E] un total de 42.756,13 € pour divers préjudices, tout en réservant la demande relative au déficit fonctionnel temporaire. Ils ont également été condamnés à payer des frais d’expertise et des honoraires en vertu de l’article 700 du code de procédure civile. |
TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE
PREMIERE CHAMBRE CIVILE
JUGEMENT N° 24/ DU 21 Novembre 2024
Enrôlement : N° RG 23/02202 – N° Portalis DBW3-W-B7H-3BVA
AFFAIRE : Mme [I], [U], [M] [Y] épouse [E] (Me Céline COLONNA MILANINI)
C/ M. [K] [W] (Me Basile PERRON) et autres
DÉBATS : A l’audience Publique du 26 Septembre 2024
COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Président : SPATERI Thomas, Vice-Président (juge rapporteur)
Assesseur : BERGER-GENTIL Blandine, Vice-Présidente
Assesseur : BERTHELOT Stéphanie, Vice-Présidente
Greffier lors des débats : BESANÇON Bénédicte
Vu le rapport fait à l’audience
A l’issue de laquelle, les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le : 21 Novembre 2024
Jugement signé par SPATERI Thomas, Vice-Président et par ALLIONE Bernadette, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
NATURE DU JUGEMENT
réputée contradictoire et en premier ressort
NOM DES PARTIES
DEMANDERESSE
Madame [I], [U], [M] [Y] épouse [E]
née le [Date naissance 1] 1959 à [Localité 4] (13)
de nationalité Française, retraitée, demeurant et domiciliée [Adresse 6]
représentée par Maître Céline COLONNA MILANINI, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE
C O N T R E
DEFENDEURS
Monsieur le Docteur [K] [W]
de nationalité Française, chirurgien-dentiste, domicilié [Adresse 2]
Société MACSF
société d’assurance à forme mutuelle inscrite au SIREN sous le n° 775 665 631, dont le siège social est sis [Adresse 5], prise en la personne de ses dirigeants légaux en exercice domiciliés en cette qualité audit siège
représentés par Maître Basile PERRON de la SELARL CABINET CHOULET AVOCATS, avocat au barreau de MARSEILLE
CPAM DES BOUCHES-DU-RHONE
dont le siège social est sis [Adresse 3], prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
défaillante
EXPOSÉ DU LITIGE :
Faits et procédure :
En 2009 madame [I] [E] a consulté le docteur [W], chirurgien-dentiste, en raison d’une parodontie. Celui-ci a préconisé l’extraction de dents mobiles et la pose de 9 implants au niveau des dents 12, 11, 21, 22, 23, 36, 37, 46 et 47.
En 2010 le docteur [W] a procédé à la pose d’un bridge dento-implanto-porté des dents 16 à 26, d’un bridge dento-implanto-porté des dents 44, 45, 46, 48 et deux couronnes sur les dents 36 et 37.
Le 20 septembre 2017 il a de nouveau posé des bridges sur les dents 48, 44 et 45 et des couronnes sur les dents 36 et 37.
Le 30 mai 2018 madame [E] a consulté le docteur [W] en raison d’un abcès au niveau de la dent 26. Le docteur [W] a réalisé une radio panoramique et prescrit une antibiothérapie.
Le 22 octobre 2018 le docteur [W] a procédé à la pose d’implants au niveau des dents 16 , 24 et 25. Début 2019 il a mis en place un bridge dento-implanto-porté des dents 16 à 26, un bridge dento-implanto-porté des dents 43, 44, 45, 46, 47 et deux couronnes sur les dents 36 et 37.
Insatisfaite des soins réalisés et se plaignant d’une importante dissymétrie entre les mâchoires, madame [E], après avoir consulté un autre praticien, a fait assigner le docteur [W] devant le juge des référés de ce siège, lequel a, par ordonnance du 26 novembre 2021, désigné le docteur [C] en qualité d’expert.
Celui-ci a déposé son rapport définitif le 26 novembre 2022.
Par acte de commissaire de justice des 14,17 et 24 février 2023 madame [E] a fait assigner le docteur [W] et son assureur la MACSF, en présence de la CPAM des Bouches du Rhône.
Demandes et moyens des parties :
Aux termes de ses dernières conclusions en date du 29 mars 2023 madame [E] demande au tribunal de condamner le docteur [W] et de son assureur à lui payer les sommes suivantes :
Au titre des préjudices patrimoniaux :
25.206,13 € au titre des dépenses de santé actuelles avant consolidation (sommes à parfaire en fonction des soins effectués),560 € au titre des frais de déplacement directement en lien avec son préjudice,360 € au titre des frais d’assistance à expertise ;Au titre des préjudices extra-patrimoniaux :
13.802,40 € au titre du déficit fonctionnel temporaire (somme à parfaire),8.000 € au titre des souffrances temporaires endurées,3.000 € au titre du préjudice esthétique temporaire,5.000 € au titre de la perte de chance,5.000 € au titre du préjudice d’impréparation,7.500 € au titre du déficit fonctionnel permanent.Elle demande encore la condamnation du docteur [W] à lui payer la somme de 6.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de ses demandes elle fait valoir que l’expertise a mis en évidence le fait que les soins prodigués par le docteur [W] n’ont pas été attentifs, consciencieux et conformes aux données acquises de la science. Ainsi au niveau de la mandibule elle lui indique que les bridges sont le fruit d’un plan de traitement non conforme, d’une réalisation défaillante avec comme conséquence la présence d’une gingivite chronique, d’infections récurrentes et de difficultés à s’alimenter, et esthétiquement non satisfaisants.
Elle ajoute que le docteur [W] a manqué à son obligation d’information, aucun formulaire de consentement éclairé n’ayant été fourni ni signé.
Sur son préjudice elle expose avoir été contrainte de faire l’avance de frais de reprise, pour une somme de 25.206,13 € restant à sa charge. En désaccord avec l’expert, elle estime que le taux de déficit fonctionnel temporaire partiel doit être fixé à 10 % au lieu de 2 %, et le taux de déficit fonctionnel permanent à 5 % au lieu de 2 % compte tenu du retentissement psychologique.
Le docteur [W] et la MACSF ont conclu le 11 mars 2024 à la réduction des sommes pouvant être allouées à madame [E] et au rejet des demandes concernant le défaut d’information aux motifs que l’octroi d’une indemnisation en raison de la faute dans le choix du traitement et au titre de la perte de chance de refuser ce traitement conduirait à une double indemnisation, qu’aucun manquement au devoir d’information n’est caractérisé dès lors que madame [E] a signé les devis et un formulaire de consentement mentionnant un risque d’échec et de complications.
Sur le montant du préjudice ils exposent que madame [E] ne justifie pas des dépenses de santé actuelles restées à sa charge pour la reprise des soins, ni des frais de déplacement dont elle sollicite le remboursement, que le taux de déficit fonctionnel permanent est nul dès lors que les dents défaillantes ont été remplacées et qu’en tout état de cause ce poste de préjudice ne peut être liquidé en absence de consolidation.
La CPAM des Bouches du Rhône n’a pas constitué avocat.
PAR CES MOTIFS :
Le tribunal, statuant par jugement réputé contradictoire et en premier ressort :
Condamne in solidum le docteur [K] [W] et la MACSF à payer à madame [I] [Y] épouse [E] la somme de 42.756,13 € de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du présent jugement ;
Réserve la demande au titre du déficit fonctionnel temporaire ;
Dit qu’il appartiendra à madame [I] [Y] épouse [E] de saisir à nouveau le tribunal, le cas échéant, afin d’obtenir l’indemnisation de ce poste de préjudice dès que la consolidation de son état de santé sera acquise ;
Déboute madame [I] [Y] épouse [E] de sa demande au titre de la perte de chance ;
Condamne in solidum le docteur [K] [W] et la MACSF à payer à madame [I] [Y] épouse [E] la somme de 3.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne in solidum le docteur [K] [W] et la MACSF aux dépens, qui comprendront les frais d’expertise, avec droit de recouvrement direct au profit de maître COLONNA-MILANINI, conformément à l’article 699 du code de procédure civile.
AINSI JUGÉ, PRONONCÉ ET MIS À DISPOSITION AU GREFFE DE LA PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE MARSEILLE LE VINGT ET UN NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT QUATRE.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
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