Tribunal judiciaire de Lille, 19 novembre 2024, RG n° 23/01864
Tribunal judiciaire de Lille, 19 novembre 2024, RG n° 23/01864

Type de juridiction : Tribunal judiciaire

Juridiction : Tribunal judiciaire de Lille

Thématique : Responsabilité et gestion des indemnités : enjeux de communication et d’information entre employeur et organisme de sécurité sociale.

Résumé

Contexte de l’affaire

Madame [N] [B] est ergothérapeute au sein de l’Association [5] depuis 1988 et a été placée en retraite progressive à partir de janvier 2021. Elle a été en arrêt de travail pour maladie depuis le 23 août 2022, bénéficiant du maintien de salaire de son employeur.

Notification de l’indu

Le 22 mai 2023, l’Association [5] a informé Mme [N] [B] que la CPAM avait signalé qu’elle avait perçu à tort des indemnités journalières, entraînant l’arrêt de leur versement à partir du 1er avril 2023. Le 24 mai 2023, la CPAM a notifié à Mme [N] [B] l’arrêt des indemnités au-delà du 16 octobre 2022.

Demande de remboursement

Le 25 mai 2023, la CPAM a adressé à l’Association [5] une notification d’indu d’un montant de 5.033,34 euros pour les indemnités versées à tort. En réponse, Mme [N] [B] a saisi la commission de recours amiable le 31 mai 2023 pour contester ce refus d’indemnisation.

Actions en justice

Le 28 septembre 2023, en l’absence de réponse de la commission, Mme [N] [B] a saisi le tribunal judiciaire de Lille pour demander la remise gracieuse de l’indu. Par la suite, elle a assigné l’Association [5] en intervention forcée, alléguant des fautes dans la gestion de son dossier.

Demandes de Mme [N] [B]

Lors de l’audience, Mme [N] [B] a demandé au tribunal de reconnaître la responsabilité de l’Association [5] et de la CPAM, de les condamner à lui verser des indemnités pour préjudice financier et moral, ainsi que le remboursement des frais de justice.

Réponse de la CPAM et de l’Association [5]

La CPAM a contesté la demande de Mme [N] [B], arguant que l’indu était justifié et que seule l’Association [5] pouvait contester. De son côté, l’Association [5] a demandé au tribunal de se déclarer incompétent et de débouter Mme [N] [B] de ses demandes.

Examen des fautes alléguées

Le tribunal a examiné les trois fautes alléguées par Mme [N] [B] concernant le retard dans la transmission des arrêts de travail, le remboursement de l’indu sans l’informer, et l’absence de saisine du tribunal après le rejet de la commission de recours amiable.

Décision du tribunal

Le tribunal a rejeté les demandes de Mme [N] [B], considérant qu’aucune faute n’avait été commise par l’Association [5] ou la CPAM dans la gestion de son dossier. Il a également condamné Mme [N] [B] aux dépens et à verser 800 euros à l’Association [5] au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

1/ Tribunal judiciaire de Lille N° RG 23/01864 – N° Portalis DBZS-W-B7H-XSLD
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE

PÔLE SOCIAL

-o-o-o-o-o-o-o-o-o-

JUGEMENT DU 19 NOVEMBRE 2024

N° RG 23/01864 – N° Portalis DBZS-W-B7H-XSLD

DEMANDERESSE :

Mme [N] [B]
[Adresse 2]
[Localité 4]
comparante et assistée par Me Julien BRIOUT, avocat au barreau de LILLE

DEFENDERESSE :

CPAM [Localité 8] [Localité 9]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 9]
représentée par Madame [I], munie d’un pouvoir

PARTIE(S) INTERVENANTE(S) :

Association [5]
[Adresse 3]
[Localité 4]
représentée par Me Stéphane PICARD, avocat au barreau de Paris substitué par Me Maud GUFFROY

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Président : Fanny WACRENIER, Vice-Présidente
Assesseur : Didier SELLESLAGH, Assesseur du pôle social collège employeur
Assesseur : Vianney HERMAN, Assesseur pôle social collège salarié

Greffier

Christian TUY,

DÉBATS :

A l’audience publique du 24 septembre 2024, date à laquelle l’affaire a été mise en délibéré, les parties ont été avisées que le jugement serait rendu le 19 Novembre 2024.

EXPOSÉ DU LITIGE

Madame [N] [B] exerce les fonctions d’ergothérapeute au sein de l’Association [5] en CDI à temps complet depuis le 1er février 1988.

A compter du 1er janvier 2021, Mme [N] [B] a été placée en situation de retraite progressive.

A compter du 23 août 2022, Mme [N] [B] a été placée en arrêt de travail pour maladie. A noter qu’au cours de son arrêt de travail, Mme [N] [B] a bénéficié du maintien de salaire de son employeur dans le cadre du régime de la subrogation.

Le 22 mai 2023 l’Association [5] a informée Mme [N] [B] que la Caisse Primaire d’Assurance Maladie (CPAM) de [Localité 8]-[Localité 9] l’a avisé de ce que Mme [B] a perçu à tort certaines indemnités journalières et qu’en conséquence le versement de ces indemnités cessait au 1er avril 2023.

Le 24 mai 2023, la Caisse Primaire d’Assurance Maladie de Roubaix-Tourcoing a notifié à Mme [N] [B] l’arrêt du versement des indemnités journalières au titre de son arrêt de travail au-delà du 16 octobre 2022.

Le 25 mai 2023, la Caisse Primaire d’Assurance Maladie de Roubaix-Tourcoing a adressé à l’Association [5] une notification d’indu d’un montant de 5.033,34 euros en raison du versement à tort des indemnités journalières sur la période du 17 octobre 2022 au 27 mars 2023 suite au changement de statut de Mme [N] [B] au 16 octobre 2022.

Le 31 mai 2023, Mme [N] [B] a saisi la commission de recours amiable aux fins de contester le refus de la caisse d’indemniser son arrêt de travail au-delà du 16 octobre 2022.

Le 20 juin 2023, l’Association [5] a informé Mme [N] [B] avoir saisi la commission de recours amiable aux fins de contester l’indu notifié le 25 mai 2023.

Le 30 juin 2023, Mme [N] [B] a fait valoir ses droits à la retraite complète.

Le 14 septembre 2023, l’Association [5] a adressé à Mme [N] [B] un trop perçu de rémunérations à la suite du rejet implicite de son recours devant la commission de recours amiable.

Le 28 septembre 2023, en l’absence de réponse de la commission de recours amiable, Mme [N] [B] a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Lille aux fins de solliciter la remise gracieuse de la totalité de l’indu réclamé par la caisse.

Par acte extrajudiciaire du 29 mars 2024, Mme [N] [B] a assigné en intervention forcée son ancien employeur, l’association [5], considérant que cette dernière a commis des fautes dans la gestion de son dossier.

L’affaire, appelée à l’audience du 19 décembre 2023, a été entendue après renvois, à l’audience du 24 septembre 2024.

A l’audience, Mme [N] [B], par l’intermédiaire de son conseil, a déposé des conclusions auxquelles il convient de se référer pour le détail de ses demandes, moyens et prétentions soutenus oralement.

Elle demande au tribunal de :

– Déclarer recevable l’action engagée visant à obtenir l’indemnisation de ses préjudices résultant de l’impossibilité de solliciter la remise gracieuse de l’indu notifié par la CPAM,

– Dire et juger que l’association [5] et la CPAM ont commis des fautes justifiant à son égard l’engagement de leur responsabilité civile délictuelle,

– Condamner in solidum l’association [5] et la CPAM à lui verser la somme de 5.033,34 euros en réparation de son préjudice financier et la somme de 2.500 euros en réparation de son préjudice moral,

– Condamner in solidum l’association [5] et la CPAM au paiement de la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– Condamner in solidum l’association [5] et la CPAM au entiers frais et dépens de l’instance.

Au soutien de ses demandes, elle expose en substance que :

– La CPAM était fondée à limiter le versement de ses indemnités journalières à 60 jours et elle ne conteste donc pas la nature de l’indu réclamé par la CPAM né de la décision du 24 mai 2023,
– Cependant, elle estime qu’elle a subi un préjudice financier important du fait des fautes communes de l’association et de la CPAM dans la gestion de ses indemnités journalières,
– Ainsi, l’association a tardé à transmettre les arrêts de travail à la CPAM puisque ce n’est que le 1er mars 2023 que l’association a transmis à la CPAM les éléments permettant de traiter son arrêt du 23 août 2022, ce qui a eu pour conséquence une notification tardive par la CPAM de ce que les [7] avaient été versées à tort pour la période du 26/08/2022 au 27/03/2023 et cessaient le 01/04/2023,
– L’association a commis une deuxième faute en remboursant l’indu à la CPAM sans l’en aviser, ce qui a eu pour conséquence que cette somme a été retenue dans son solde tout compte, ce qui l’a plongée dans une grande précarité,

– L’association a commis une troisième faute en ne saisissant pas le tribunal en contestation de l’indu après le rejet implicite de son recours devant la commission de recours amiable, ce qui l’a privé de la possibilité de solliciter la remise gracieuse de l’indu,
– Le pôle social est compétent pour statuer sur sa demande de dommages et intérêts formulée à l’encontre de son employeur dans le sens où son action a été initialement engagée en vue de demander la remise gracieuse de l’indu,
– La CPAM a également sa part de responsabilité dès lors qu’elle a réclamé tardivement l’indu, tout en continuant le versement de ces prestations durant 6 mois alors qu’elle devait être au fait de la législation applicable,
– Son préjudice financier est important puisqu’elle a été privée de son maintien de salaire à compter de mai 2023 et d’une partie de son solde tout compte pour rembourser cet indu,
– Son préjudice moral est également important car la situation a engendré un état de fatigue psychologique nécessitant un suivi régulier à ce titre.

En réponse, la Caisse Primaire d’Assurance Maladie de Roubaix-Tourcoing a déposé des écritures auxquelles il convient de se reporter pour le détail de ses demandes, moyens et prétentions soutenues oralement.

Elle demande au tribunal de :

– Déclarer la demande de remise de dettes formulée par Mme [N] [B] irrecevable,

– Débouter Mme [N] [B] de ses demandes, fins et conclusions,

– Débouter Mme [N] [B] de sa demande d’indemnisation au titre de son préjudice financier et de son préjudice moral,

– Débouter Mme [N] [B] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– Condamner Mme [N] [B] aux frais et dépens de l’instance.

Au soutien de ses demandes, elle expose en substance que :

– L’employeur étant le seul créancier connu de la caisse en raison du régime subrogatoire, l’indu n’a été notifié qu’à l’employeur et seul ce dernier pouvait contester l’indu devant le pôle social du tribunal judiciaire ; or l’indu a été remboursé par l’employeur,
– L’indu était justifié et Mme [B] ne remet plus en cause son bien-fondé,
– L’erreur de versement des indemnités journalières s’est inscrite dans un contexte d’évolution législative, ce qui a généré l’indu ; cependant cette erreur n’est pas constitutive d’une faute.

L’association [5], par l’intermédiaire de son conseil, a déposé des conclusions auxquelles il convient de se reporter pour le détail de ses demandes, moyens et prétentions.

Elle demande au tribunal de :

À titre liminaire :

– Se déclarer incompétent au profit du Conseil de prud’hommes de Lille pour connaitre de l’action en responsabilité civile de Mme [N] [B] à son encontre,
– Débouter Mme [N] [B] de l’ensemble de ses demandes, fins, et conclusions,

À titre principal :

– Juger que l’association n’a commis aucune faute ou négligence envers Mme [N] [B],
– Débouter Mme [N] [B] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

À titre subsidiaire :

– Limiter à de plus justes proportions les demandes de Mme [N] [B]

En tout état de cause :

– Condamner Mme [N] [B] au paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– Condamner Mme [N] [B] aux entiers frais et dépens de l’instance.

Au soutien de ses demandes, elle fait valoir en substance que :

– Le Conseil de prud’hommes est seul compétent pour statuer sur une demande de dommages et intérêts formulé par un salarié contre son employeur dans le cadre de l’engagement de sa responsabilité civile,

– Mme [B] ne rapporte pas la preuve d’un envoi tardif des arrêts de travail, le mail produit n’est pas probant et les propres pièces de Mme [B] justifient du contraire,

– Mme [B] prétend à tort n’avoir pas été tenue informée de sa situation,

– La commission de recours amiable a été saisie pour contester l’indu ; par la suite elle n’avait aucune obligation de saisir le tribunal après le rejet implicite, ce d’autant que l’indu est justifié et n’est pas contesté par Mme [B],

– Si tant est que Mme [B] ait subi un préjudice, il repose sur l’erreur de la caisse dans l’application du régime de prise en charge, ce qui ne saurait engager sa propre responsabilité.

A l’issue des débats, les parties ont été informées que le jugement serait rendu après plus ample délibéré par décision mise à disposition du greffe le 19 novembre 2024.

PAR CES MOTIFS

Le Tribunal statuant, après débats en audience publique, par jugement contradictoire, en premier ressort, mis à disposition au greffe ;

CONSTATE que la demande de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie de [Localité 8] [Localité 9] de voir déclarer irrecevable le recours de Madame [N] [B] portant sur la remise gracieuse de l’indu est devenue sans objet,

REJETTE l’exception d’incompétence du pôle social du tribunal judiciaire de Lille soulevée par l’Association [5],

DÉBOUTE Mme [N] [B] de sa demande visant à faire reconnaitre la responsabilité de l’Association [5] ;

DÉBOUTE Mme [N] [B] de sa demande visant à faire reconnaitre la responsabilité civile de la CPAM de Roubaix-Tourcoing ;

DÉBOUTE en conséquence Mme [N] [B] de l’ensemble de ses demandes en dommages et intérêts formées à l’encontre de l’Association [5] et de la CPAM de Roubaix-Tourcoing ;

CONDAMNE Mme [N] [B] aux dépens ;

CONDAMNE à titre reconventionnel Mme [N] [B] à payer à l’Association [5] la somme de 800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes plus amples ou contraires,

DIT que le présent jugement sera notifié à chacune des parties conformément à l’article R. 142-10-7 du code de la sécurité sociale par le greffe du Pôle social du Tribunal judiciaire de Lille.

Ainsi et jugé et mis à disposition du greffe du Pôle social du Tribunal judiciaire de Lille les jour, mois et an sus-dits.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE
Christian TUY Fanny WACRENIER

Expédié aux parties le :

– 1 CE à Me [T] [E] et à la CPAM de Roubaix-Tourcoing
– 1 CCC à Me Julien BRIOUT, à [5] et à Mme [N] [B]

 


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