Tribunal judiciaire de Bobigny, 17 septembre 2024, RG n° 23/00442
Tribunal judiciaire de Bobigny, 17 septembre 2024, RG n° 23/00442

Type de juridiction : Tribunal judiciaire

Juridiction : Tribunal judiciaire de Bobigny

Thématique : Le secret médical opposable à la CPAM

Résumé

La CPAM est tenue de faciliter la désignation d’un praticien par la victime pour obtenir des documents couverts par le secret médical, conformément à l’article D.461-29 du code de la sécurité sociale. En omettant cette démarche, la CPAM ne respecte pas ses obligations, ce qui entraîne l’inopposabilité de sa décision de prise en charge de la maladie professionnelle à l’employeur. Dans cette affaire, la société [5] a contesté la décision de la CPAM, arguant qu’elle n’avait pas été informée de la nécessité de désigner un praticien, ce qui a conduit le tribunal à déclarer la décision inopposable.

La CPAM a l’obligation d’effectuer les démarches nécessaires en vue de la désignation d’un praticien par la victime ou ses ayants droit au sens de l’article D.461-29 du code de la sécurité sociale pour obtenir des pièces couvertes par le secret médical.

En ne procédant pas de cette façon, la CPAM manque aux obligations lui incombant (la décision de prise en charge de la maladie professionnelle a été déclarée inopposable à l’employeur).

Résumé de l’affaire : Mme [R] [H], salariée de la S.A.S.U [5] en tant que chargée de relations publiques, a demandé à la CPAM de Seine-Saint-Denis la reconnaissance d’une maladie professionnelle pour un « burn out – syndrome anxiodépressif » le 14 février 2022, accompagnée d’un certificat médical. La CPAM a accepté la prise en charge de cette maladie « hors tableau » par lettre du 4 octobre 2022. En réponse, la S.A.S.U [5] a contesté cette décision par l’intermédiaire de la commission de recours amiable, puis a saisi le tribunal judiciaire de Bobigny le 13 mars 2023, demandant l’inopposabilité de la décision de prise en charge. L’affaire a été entendue à plusieurs reprises, avec des demandes de la S.A.S.U [5] pour que la CPAM communique l’avis du CRRMP et pour que le tribunal déclare son recours recevable. La CPAM a, quant à elle, demandé le rejet des demandes de la S.A.S.U [5], affirmant que le principe du contradictoire avait été respecté et que l’absence de preuve de sollicitation de l’avis du médecin du travail ne justifiait pas l’inopposabilité de sa décision. Le tribunal a mis l’affaire en délibéré pour le 17 septembre 2024.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

17 septembre 2024
Tribunal judiciaire de Bobigny
RG n°
23/00442
Tribunal judiciaire de Bobigny
Service du contentieux social
Affaire : N° RG 23/00442 – N° Portalis DB3S-W-B7H-XPSU
Jugement du 17 SEPTEMBRE 2024

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE BOBIGNY

JUGEMENT CONTENTIEUX DU 17 SEPTEMBRE 2024

Serv. contentieux social
Affaire : N° RG 23/00442 – N° Portalis DB3S-W-B7H-XPSU
N° de MINUTE : 24/01735

DEMANDEUR

Société [5]
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Me Bruno LASSERI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D1946

DEFENDEUR

*CPAM DE SEINE-SAINT-DENIS
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Mylène BARRERE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D 2104

COMPOSITION DU TRIBUNAL

DÉBATS

Audience publique du 18 Juin 2024.

M. Cédric BRIEND, Président, assisté de Madame Corinne KOSNANSKY et Monsieur Sylvain DELFOSSE, assesseurs, et de Monsieur Denis TCHISSAMBOU, Greffier.

Lors du délibéré :

Président : Cédric BRIEND,
Assesseur : Corinne KOSNANSKY, Assesseur salarié
Assesseur : Sylvain DELFOSSE, Assesseur employeur

JUGEMENT

Prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort, par Cédric BRIEND, Juge, assisté de Denis TCHISSAMBOU, Greffier.

Transmis par RPVA à : Me Bruno LASSERI, Me Mylène BARRERE

Tribunal judiciaire de Bobigny
Service du contentieux social
Affaire : N° RG 23/00442 – N° Portalis DB3S-W-B7H-XPSU
Jugement du 17 SEPTEMBRE 2024

FAITS ET PROCEDURE

Mme [R] [H], salariée de la S.A.S.U [5], exerçant en qualité de chargée de relations publiques a transmis à la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) de Seine-Saint-Denis une demande de reconnaissance de maladie professionnelle du 14 février 2022 déclarant être atteinte d’un “burn out – syndrome anxiodépressif”.

Le certificat médical initial daté du 14 février 2022 et joint à cette demande par Mme [R] [H] mentionne les constatations suivantes : “burn out professionnel”.

Par lettre du 4 octobre 2022, la CPAM a notifié à la S.A.S.U [5] la prise en charge de la maladie “hors tableau” de Mme [R] [H].

Par lettre de son conseil du 21 novembre 2022, la S.A.S.U [5] a saisi la commission de recours amiable aux fins de contester le bienfondé de la décision de prise en charge de cette maladie professionnelle.

En l’absence de réponse de la commission de recours amiable, par requête envoyée le 13 mars 2023 au greffe du tribunal judiciaire de Bobigny, la S.A.S.U [5] a saisi cette juridiction aux fins de se voir déclarer inopposable la décision de prise en charge de la maladie professionnelle de Mme [R] [H].

L’affaire a été appelée et retenue à l’audience du 13 juin 2023 du service du contentieux social du tribunal judiciaire de Bobigny et renvoyée aux audiences du 12 décembre 2023, 26 mars 2023 et 18 juin 2023 date à laquelle l’affaire a été retenue et les parties ont été régulièrement convoquées pour être entendues en leurs observations.

Par des conclusions récapitulatives et responsives déposées et soutenues à l’audience la S.A.S.U [5], représentée par son conseil, demande au tribunal de :
Déclarer son recours recevable et bien fondé ; Prononcer l’inopposabilité de la décision de prise en charge de la maladie déclarée par Mme [H] ; Enjoindre la CPAM de lui communiquer l’avis du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) lui faisant grief ;En tout état de cause, ordonner l’exécution provisoire du jugement à intervenir.
Elle soutient qu’il appartient à la CPAM qui a désigné un CRRMP, lorsque l’employeur en fait la demande, d’effectuer les démarches nécessaires en vue de la désignation d’un praticien par la victime, afin d’obtenir la communication des pièces couvertes par le secret médical, conformément aux dispositions de l’article D. 461-29 du code de la sécurité sociale. Elle précise qu’en l’espèce, Mme [H] n’a pas été destinataire du courrier lui demandant de désigner un praticien. A titre subsidiaire, elle indique ne pas avoir été destinataire de l’avis du CRRMP saisi.

La CPAM, régulièrement représentée, par des conclusions en défense déposées et soutenues à l’audience, demande au tribunal de :
Débouter la société [5] de ses demandes ;Déclarer opposable à la société [5] la décision de prise en charge de la pathologie déclarée par Mme [H] ainsi que l’ensemble de ses conséquence ;Condamner la société [5] aux entiers dépens.
Au soutien de ses demandes, elle indique que le principe du contradictoire a été respecté. Elle indique qu’il n’est pas démontré que le courrier du 22 juin 2022 adressé par la société [5] a bien été reçu par la CPAM. Elle ajoute que l’absence de preuve de sollicitation de l’avis du médecin du travail par la CPAM ne constitue pas un motif d’inopposabilité de la décision prise après avis favorable du CRRMP. Elle ajoute que n’ayant pas reçu l’accord de l’assurée, ni les coordonnées de son praticien, elle ne pouvait légalement donner accès au dossier de Mme [H] à l’employeur sans violer les dispositions de l’article D. 461-29 du code de la sécurité sociale

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, le tribunal, conformément à l’article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions de celles-ci.

L’affaire a été mise en délibéré au 17 septembre 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande d’inopposabilité de la décision de prise en charge

Aux termes de l’article D. 461-29 du code de la sécurité sociale, “Le dossier examiné par le comité régional comprend les éléments mentionnés à l’article R. 441-14 auxquels s’ajoutent :

1° Les éléments d’investigation éventuellement recueillis par la caisse après la saisine du comité en application de l’article R. 461-10 ;

2° Les observations et éléments éventuellement produits par la victime ou ses représentants et l’employeur en application de l’article R. 461-10 ;

3° Un avis motivé du médecin du travail de la ou des entreprises où la victime a été employée portant notamment sur la maladie et la réalité de l’exposition de celle-ci à un risque professionnel présent dans cette ou ces entreprises éventuellement demandé par la caisse en application du II de l’article R. 461-9 et qui lui est alors fourni dans un délai d’un mois ;

4° Un rapport circonstancié du ou des employeurs de la victime décrivant notamment chaque poste de travail détenu par celle-ci depuis son entrée dans l’entreprise et permettant d’apprécier les conditions d’exposition de la victime à un risque professionnel éventuellement demandé par la caisse en application du II de l’article R. 461-9 et qui lui est alors fourni dans un délai d’un mois ;

5° Le rapport établi par les services du contrôle médical de la caisse primaire d’assurance maladie indiquant, le cas échéant, le taux d’incapacité permanente de la victime.

La communication du dossier s’effectue dans les conditions définies à l’article R. 441-14 en ce qui concerne les pièces mentionnées aux 1°, 2° et 4° du présent article.

L’avis motivé du médecin du travail et le rapport établi par les services du contrôle médical mentionnés aux 3° et 5° du présent article sont communicables de plein droit à la victime et ses ayants droit. Ils ne sont communicables à l’employeur que par l’intermédiaire d’un praticien désigné à cet effet par la victime ou, à défaut, par ses ayants droit. Ce praticien prend connaissance du contenu de ces documents et ne peut en faire état, avec l’accord de la victime ou, à défaut, de ses ayants droit, que dans le respect des règles de déontologie.

Seules les conclusions administratives auxquelles ces documents ont pu aboutir sont communicables de plein droit à son employeur.”

Selon la disposition susvisée, l’avis motivé du médecin du travail et le rapport établi par les services du contrôle médical mentionnés aux 3° et 5° du présent article ne sont communicables à l’employeur que par l’intermédiaire d’un praticien désigné à cet effet par la victime ou, à défaut, par ses ayants droit. Il appartient à la caisse d’effectuer les démarches nécessaires en vue de la désignation d’un praticien par la victime ou ses ayants droit et le simple rappel du texte dans la le courrier avisant de la transmission au CRRMP ne peut être considéré comme une démarche en vue de la désignation d’un médecin.

En l’espèce, la CPAM a informé la société [5] le 16 juin 2022 de la transmission du dossier de Mme [H] au CRRMP saisi.

Si la société [5] ne verse pas aux débats l’accusé de réception du courrier daté du 22 juin 2022 ayant pour objet “demande de pièces suite à la transmission CRRMP”, elle justifie avoir sollicité de nouveau auprès de la CPAM par un message électronique du 27 juillet 2022 la communication des pièces médicales du dossier et fait référence dans ce message électronique à un précédent courrier du 22 juin 2022. Il est donc établi que la société [5] a sollicité, pendant la période de constitution du dossier à destination du CRRMP, la communication des éléments médicaux de sa salariée.

Par un message électronique à la CPAM du 25 juillet 2022, Mme [H] fait mention d’un courrier du 22 juin 2022″demandant la transmission des pièces médicales suite à la transmission du dossier au CRRMP”. Ce message était conclu en ces termes: “Quid du secret médical?”. Compte tenu de ce message et en l’état des pièces versées aux débats, il sera jugé que la CPAM ne justifie pas de l’envoi à Mme [H] d’un courrier en vue de la désignation par elle d’un praticien aux fins de communication à la société [5] de l’avis motivé du médecin du travail et du rapport établi par les services du contrôle médical.

La CPAM n’a donc pas effectué les démarches nécessaires en vue de la désignation d’un praticien par la victime ou ses ayants droit au sens de l’article D.461-29 susvisé et ayant ainsi manqué aux obligations lui incombant, la décision de prise en charge de la maladie professionnelle doit être déclarée inopposable à l’employeur.

Sur les mesures accessoires

En application de l’article 696 du code de procédure civile, la CPAM, partie perdante, supportera les dépens de l’instance.

L’exécution provisoire sera ordonnée en application des dispositions de l’article R. 142-10-6 du code de la sécurité sociale.

PAR CES MOTIFS

Le Tribunal, statuant publiquement par jugement contradictoire, rendu en premier ressort, par mise à disposition au greffe,

Dit que la décision de prise en charge du 4 octobre 2022 de la caisse primaire d’assurance maladie de Seine-Saint-Denis de la maladie professionnelle du 11 avril 2020 de Mme [R] [H] est inopposable à la S.A.S.U [5] ;

Condamne la caisse primaire d’assurance maladie de Seine-Saint-Denis aux dépens ;

Ordonne l’exécution provisoire ;

Rappelle que tout appel du présent jugement doit, à peine de forclusion, être interjeté dans le délai d’un mois à compter de sa notification.

Fait et mis à disposition au greffe du contentieux social du tribunal judiciaire de Bobigny.

La Minute étant signée par :

Le greffier Le président

Denis TCHISSAMBOU Cédric BRIEND

 


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