Responsabilité professionnelle et perte de chance : enjeux d’une mission notariale mal exécutée

·

·

Responsabilité professionnelle et perte de chance : enjeux d’une mission notariale mal exécutée

La responsabilité civile délictuelle est régie par les articles 1240 et suivants du Code civil, qui établissent que toute personne qui cause un dommage à autrui par sa faute est tenue de le réparer. En matière de responsabilité professionnelle, l’article 1991 du Code civil impose au mandataire, tel qu’un notaire ou un avocat, de respecter les obligations découlant de son mandat et de répondre des dommages-intérêts résultant de son inexécution. La perte de chance, en tant que préjudice, est reconnue dans la jurisprudence, nécessitant la démonstration d’une chance réelle et sérieuse de succès dans une action en justice, comme l’indiquent les articles 1231-1 et 1231-2 du Code civil, qui stipulent que le débiteur est condamné à payer des dommages-intérêts pour l’inexécution de son obligation, et que ces dommages-intérêts doivent correspondre à la perte subie par le créancier. En outre, l’article L124-3 du Code des assurances permet au tiers lésé d’agir directement contre l’assureur garantissant la responsabilité civile de la personne responsable, renforçant ainsi la protection des victimes en matière de réparation des préjudices.

L’Essentiel : La responsabilité civile délictuelle impose à toute personne causant un dommage à autrui par sa faute de le réparer. En matière professionnelle, le mandataire doit respecter ses obligations et répondre des dommages-intérêts en cas d’inexécution. La perte de chance, reconnue par la jurisprudence, nécessite la démonstration d’une chance réelle de succès dans une action en justice. De plus, un tiers lésé peut agir directement contre l’assureur garantissant la responsabilité civile, renforçant ainsi la protection des victimes.
Résumé de l’affaire :

Constitution de la SCI

Par acte notarié du 09 septembre 1987, une mère et sa fille ont constitué une Société Civile Immobilière (SCI) dans le but d’acquérir un immeuble en vue de sa transformation en résidence médicale pour personnes âgées. Pour financer cette opération, la SCI a contracté un prêt de 10.000.000 de francs, avec des membres de la famille se portant cautions solidaires.

Prêts et hypothèques

Un second prêt de 2.000.000 de francs a été consenti à la SCI pour l’aménagement des constructions, avec des garanties supplémentaires sous forme d’hypothèques sur des biens immobiliers appartenant aux cautions. Malheureusement, l’opération de résidence médicalisée n’ayant pas abouti, la SCI a vendu plusieurs lots en copropriété.

Imputation des paiements et ventes

Le notaire en charge a remis une somme correspondant au prix de vente des lots à la banque, qui a décidé d’imputer ce montant sur le premier prêt, entraînant la vente de biens immobiliers à des prix inférieurs à leur valeur. Les membres de la famille et la SCI ont alors décidé d’engager la responsabilité du notaire pour obtenir réparation de leur préjudice.

Actions en justice

Des actions en justice ont été intentées contre le notaire successeur et le notaire initial, mais le Tribunal de Grande Instance a débouté les demandeurs, déclarant l’action contre le notaire initial irrecevable pour cause de prescription. Les demandeurs ont interjeté appel, mais la Cour d’appel a confirmé la décision de première instance.

Assignation de l’avocat

Estimant que leur avocat avait commis une faute en assignant tardivement le notaire initial, les membres de la famille et la SCI ont assigné l’avocat ainsi que ses assureurs, demandant des dommages et intérêts pour la perte de chance de faire valoir leurs droits.

Demandes des parties

Les demandeurs ont demandé la condamnation de l’avocat à leur verser une somme pour la perte de chance et des frais inutiles. En réponse, l’avocat et ses assureurs ont demandé le rejet des demandes, arguant qu’aucune faute n’avait été commise et que les demandeurs n’avaient pas prouvé l’existence d’une chance réelle de succès dans leur action contre le notaire.

Décision du tribunal

Le tribunal a finalement débouté les demandeurs de leur demande principale concernant la perte de chance, tout en reconnaissant qu’ils avaient engagé des frais inutiles. L’avocat a été condamné à rembourser une somme pour ces frais, et les assureurs ont été tenus solidairement responsables. Les demandes d’intérêts et de capitalisation ont été rejetées, et les dépens ont été mis à la charge des demandeurs.

Q/R juridiques soulevées :

Sur la responsabilité de l’avocat

La question se pose de savoir si l’avocat a commis une faute en assignant le notaire successeur dans un contentieux qui ne pouvait engager que la responsabilité de ce dernier.

Aux termes de l’article 1231-1 du Code civil, « le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure ».

En l’espèce, il est établi que l’avocat a effectivement commis une faute en assignant le notaire successeur, alors que la responsabilité ne pouvait être engagée que pour des faits personnels.

Cette situation a conduit à une action prescrite, rendant ainsi la demande des consorts [S] et de la SCI [15] irrecevable.

Sur le préjudice subi par les demandeurs

Les demandeurs soutiennent avoir subi un préjudice en raison de la faute de l’avocat, notamment une perte de chance d’intenter une action recevable contre le notaire.

L’article 1231-2 du Code civil stipule que « les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu’il a faite et du gain dont il a été privé ».

Pour établir ce préjudice, les demandeurs doivent prouver l’existence d’une chance réelle et sérieuse de gagner leur procès contre le notaire.

Cependant, il n’est pas démontré que le notaire ait commis une faute dans l’exécution de son mandat, ce qui affaiblit la demande de réparation.

Sur la notion de perte de chance

La perte de chance est définie comme la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable.

Les demandeurs doivent prouver que leur action en justice contre le notaire aurait eu une probabilité élevée de succès.

En l’espèce, les éléments fournis ne permettent pas d’établir l’existence d’une faute du notaire, ce qui rend la demande de perte de chance infondée.

Sur les frais de justice exposés

Les demandeurs invoquent également des frais de justice inutiles.

L’article 1231-2 du Code civil, précité, s’applique ici, car les demandeurs ont effectivement été condamnés à payer des frais irrépétibles lors des instances précédentes.

Il est donc établi que la faute de l’avocat a conduit à des frais inutiles, et ce lien de causalité est reconnu.

Sur l’appel en garantie des assureurs

Les demandeurs sollicitent que les assureurs de l’avocat les garantissent en cas de condamnation.

L’article L124-3 du Code des assurances précise que « le tiers lésé dispose d’un droit d’action directe à l’encontre de l’assureur garantissant la responsabilité civile de la personne responsable ».

En l’espèce, les sociétés [19] et [20] seront condamnées solidairement avec l’avocat à payer les frais inutiles exposés par les demandeurs.

Sur les intérêts dus

Concernant les intérêts, l’article 1231-7 du Code civil stipule que « la condamnation à une indemnité emporte intérêts au taux légal ».

Les demandeurs ne peuvent pas demander des intérêts à compter d’une date antérieure à la décision, car le principe est que les intérêts courent à compter du prononcé du jugement.

Sur les demandes subsidiaires et accessoires

Les demandes subsidiaires, notamment celle d’une provision pour expertise, ne peuvent être examinées en raison du rejet de la demande principale.

Les dépens seront supportés par la partie perdante, conformément à l’article 696 du Code de procédure civile.

Enfin, l’article 700 du même code ne sera pas appliqué, chaque partie devant supporter ses propres frais irrépétibles.

Copie ❑ exécutoire
❑ certifiée conforme
délivrée le
à
la SCP COULOMB DIVISIA CHIARINI
Me Caroline GREFFIER

TRIBUNAL JUDICIAIRE Par mise à disposition au greffe
DE NIMES
Le 18 Novembre 2024
1ère Chambre Civile
————-
N° RG 23/01865 – N° Portalis DBX2-W-B7H-J454
Minute n° JG24/

JUGEMENT

Le Tribunal judiciaire de NIMES, 1ère Chambre Civile, a, dans l’affaire opposant :

Mme [X] [H] épouse [S]
née le [Date naissance 2] 1945 à [Localité 22],
demeurant [Adresse 9]

M. [L] [S]
né le [Date naissance 1] 1938 à [Localité 22],
demeurant [Adresse 9]

Mme [D] [S] épouse [K]
née le [Date naissance 6] 1968 à [Localité 23], demeurant [Adresse 3]

S.C.I. [15]
inscrite au RCS d’EVRY sous le numéro SIREN [N° SIREN/SIRET 7], prise en la personne de Madame [D] [S] en sa qualité de Gérante, dont le siège social est sis [Adresse 10]

Tous représentés par la SELARL ARTEMIS, avocats au barreau de PARIS, avocats plaidant, et par Me Caroline GREFFIER, avocat au barreau de NIMES, avocat postulant,

à :

Me [C] [O],
avocat inscrit au barreau de Marseille, immatriculé sous le numéro [N° SIREN/SIRET 11] au RCS de MARSEILLE,
demeurant [Adresse 5]

S.A. [19]
immatriculée au RCS du MANS sous le numéro [N° SIREN/SIRET 8], prise en la personne de son représentant légal en exercice, dont le siège social est sis [Adresse 4]

Société [20],
immatriculée au RCS de LE MANS sous le numéro [N° SIREN/SIRET 12], prise en la personne de son représentant légal, dont le siège social est sis [Adresse 4]

Tous représentés par la SCP COULOMB DIVISIA CHIARINI, avocats au barreau de NIMES, avocats plaidant,

Rendu publiquement, le jugement contradictoire suivant, statuant en premier ressort après que la cause a été débattue en audience publique le 16 Septembre 2024 devant Nina MILESI, Vice-Président, Antoine GIUNTINI, Vice-président, et Margaret BOUTHIER-PERRIER, magistrat à titre temporaire, assistés de Aurélie VIALLE, greffière, et qu’il en a été délibéré entre les magistrats.

EXPOSE DU LITIGE

Par acte notarié du 09 septembre 1987, Madame [X] [S] et sa fille, Madame [D] [S], ont constitué la SCI [15] dans le but notamment d’acquérir un immeuble à [Localité 14] en vue de sa transformation en résidence médicale pour personnes âgées.
Pour la réalisation de cette opération, par acte notarié reçu par Maître [G] [Z] du 16 septembre 1989, la SCI [15] a contracté un prêt auprès d’un [13] pour un montant de 10.000.000 de francs.
Madame [D] [S] et ses parents, Madame [X] [S] et Monsieur [L] [S], se sont portés cautions solidaires du remboursement de ce prêt et une hypothèque conventionnelle a été consentie sur le bien de [Localité 14].
Par acte notarié du 05 août 1992 reçu par Maître [G] [Z], le [13] a consenti un second prêt à la SCI [15] d’un montant de 2.000.000 de francs en vue de l’aménagement des constructions.
Les consorts [S] se sont portés caution solidaire de ce prêt et ils ont consenti à la mise en place d’hypothèques en premier rang sur deux appartements leur appartenant situés à [Localité 21] et [Localité 16], une inscription en deuxième rang sur la maison d’habitation des époux [S] sise à [Localité 17], ainsi qu’une inscription en deuxième rang sur l’immeuble sis à [Localité 14].
L’opération de résidence médicalisée n’ayant pas pu aboutir, la SCI [15] a procédé entre le 22 décembre 1992 et le 30 décembre 1992 à la vente de neuf lots en copropriété, par l’intermédiaire de Maître [Z].
Le 05 janvier 1993, Maître [Z] a remis au [13] la somme de 2.317.193,22 de francs, correspondant au prix de vente des lots en copropriété, sans préciser le numéro de prêt sur lequel le montant devait s’imputer.
Le [13] a imputé le versement sur le premier prêt souscrit, soit celui d’un montant de 10.000.000 de francs puis a vendu par adjudication les biens de [Localité 17] et [Localité 16] pour obtenir le remboursement du second prêt de 2.000.000 de francs.
Estimant que les biens ont été vendus à des prix bien inférieurs à la valeur des immeubles, la SCI [15] et les consorts [S] ont saisi Maître [C] [O] aux fins d’engager la responsabilité de Maître [Z] en réparation de leur préjudice.
Par acte en date du 17 juin 2013, Maître [O] a assigné Maître [J], le notaire qui a succédé à Maître [Z], aux fins d’engager sa responsabilité.
Par acte en date du 02 avril 2014, la SCI [15] et les consorts [S] ont assigné en intervention forcée Maître [Z].
Par jugement en date du 25 janvier 2016, le Tribunal de Grande Instance d’Auxerre a débouté les demandeurs de leur action à l’encontre de Maître [J] au motif que la responsabilité professionnelle d’un notaire ne pouvait être engagée que pour un fait qui lui était personnel et a déclaré l’action à l’encontre de Maître [Z] irrecevable pour prescription depuis le 19 juin 2013.
La SCI [15] et les consorts [S] ont interjeté appel de cette décision et la Cour d’appel de Paris a, par arrêt du 03 juillet 2018, confirmé la décision de première instance.
Estimant que Maître [C] [O] a commis une faute en ayant fait délivrer une assignation tardive à Maître [Z], Madame [X] [H] épouse [S], Monsieur [L] [S], Madame [D] [S] épouse [K] et la SCI [15] ont, par actes en dates des 07 et 11 avril 2023, assigné Maître [C] [O], la [19] et la [20].

***

Aux termes de leurs dernières écritures, notifiées par voie dématérialisée le 24 juillet 2024, Madame [X] [H] épouse [S], Monsieur [L] [S], Madame [D] [S] et la SCI [15] demandent au tribunal, sur le fondement des articles 1231-1, 1231-2, 1231-6, 1231-7, 1240 du Code civil et de l’article L124-3 du Code des assurances, de :

– CONDAMNER Maître [O] à leur payer la somme de 720.667,63 euros au titre de la perte de chance de faire valoir leurs droits à l’encontre de Maître [Z],

Au cas où le Tribunal devait ordonner une expertise judiciaire,
– CONDAMNER Maître [O] au versement d’une somme provisionnelle de 360.333,82 € correspondant à 50,00 % des préjudices subis par les demandeurs ;

En tout état de cause :
– CONDAMNER Maître [O] à payer à Monsieur [L] [S], Madame [X] [S], Madame [D] [S] et la SCI [15] la somme de 3.500,00 euros au titre des frais inutilement exposés.
– CONDAMNER les [18] à relever et garantir Maître [O] de toute condamnation prononcée à son encontre.
– ASSORTIR les sommes allouées de l’intérêt légal à compter du 3 août 2018, date de la réalisation des préjudices.
– ORDONNER la capitalisation des intérêts.
– CONDAMNER les défendeurs aux entiers dépens de l’instance, lesquels seront directement recouvrés par Maître Caroline GREFFIER, avocate au barreau de NÎMES, conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile.
– CONDAMNER Maître [O] au versement de la somme de 10.000,00 €, au profit des demandeurs au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile.
– DEBOUTER les défendeurs en toutes demandes, fins et prétentions qu’ils pourraient porter à l’encontre des demandeurs.
– NE PAS ECARTER l’exécution provisoire de la décision à venir.

Les demandeurs soutiennent que Maître [O] a commis une faute de nature à engager sa responsabilité d’une part en assignant le notaire successeur de Maître [Z] alors qu’il est constant qu’un notaire successeur n’est responsable que des fautes personnelles qu’il a commises dans la gestion des dossiers transmis et non des fautes de son prédécesseur, et d’autre part en assignant Maître [Z] trop tardivement rendant l’action prescrite. Ils estiment que Maître [O] leur a causé un préjudice en les privant de la chance d’intenter une action recevable contre Maître [Z] ainsi que des frais de procédure inutiles. Ils indiquent que Maître [Z] a commis une faute professionnelle en ne remboursant pas le prêt de 2.000.000 de francs conformément à leurs attentes, ce qui a empêché l’extinction des hypothèques associées au prêt conduisant à la saisine et à la vente de leurs biens à un prix inférieur à leur valeur marchande. Ainsi, ils estiment qu’en l’absence de faute de Maître [O], ils auraient probablement obtenu réparation de leur préjudice, en fixant la perte de chance à 90%. En réponse au moyen des défendeurs tendant à soutenir que les demandeurs n’ont pas contesté l’imputation erronée faite par la banque, ils répliquent qu’il est constant que même si la victime avait des moyens de défense, le notaire doit réparer le dommage directement causé par sa faute.

Subsidiairement, si une expertise est ordonnée d’office, ils sollicitent la condamnation des défendeurs au paiement d’une provision correspondant à 50% du préjudice estimé.
Ils sollicitent la condamnation des sociétés [18] à relever et garantir Maître [O] de toute condamnation qui pourrait être prononcée à son encontre.

***

Aux termes de leurs dernières écritures, notifiées par voie dématérialisée le 30 juillet 2024, Maître [C] [O], et les sociétés [19] et [20] demandent au tribunal, sur le fondement de l’article 1240 du Code civil, de :

– DEBOUTER la société dénommée SCI [15], Madame [X] [H] épouse [S], Madame [D] [S] épouse [K] et Monsieur [L] [S] de l’intégralité de leurs demandes comme étant infondées.
– CONDAMNER in solidum la SCI [15], Madame [X] [H] épouse [S], Madame [D] [S] épouse [K] et Monsieur [L] [S] à payer à Maître [C] [O] la somme de 4 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’à supporter les entiers dépens de l’instance.

Maître [C] [O] et les compagnies [18] sollicitent le rejet des demandes formulées à leur encontre en soutenant que Maître [Z] n’a commis aucune faute dans l’exécution de son mandat. Ils rappellent que la responsabilité de l’avocat est engagée que si l’action engagée était manifestement vouée à l’échec, que le préjudice doit être réel et non hypothétique, et que la perte de chance doit être définie et prouvée en démontrant une probabilité élevée de succès qui a été perdue. Ainsi ils soutiennent que la faute de Maître [O] n’a pas causé de préjudice aux demandeurs car ils ne rapportent pas la preuve que Maître [Z] avait reçu les instructions nécessaires pour l’imputation des paiements sur le prêt de 2.000.000 de francs et non sur celui de 10.000.000 de francs. Ils soulignent que dans le cadre de l’imputation légale, à défaut de volonté exprimée de la part du débiteur, la dette échue doit être remboursée en priorité car elle est exigible, et rappellent que seule la dette au titre du prêt de 10.000.000 de francs était échue puisque payable mensuellement et déjà amortie pour partie car celle au titre du prêt de 2.000.000 de francs était à échoir. En tout état de cause, ils expliquent que même si l’imputation avait été faite sur ce second prêt, les consorts [S] auraient quand dû vendre leurs biens immobiliers dans la mesure où ils étaient défaillants dans le remboursement du premier prêt.

***

Pour un exposé complet des faits, prétentions et moyens des parties, il y a lieu en vertu de l’article 455 du code de procédure civile de se reporter à leurs dernières écritures.

***

La clôture est intervenue le 30 août 2024 par ordonnance en date du 04 avril 2024.
L’affaire a été fixée à l’audience du 16 septembre 2024 pour être plaidée.
La décision a été mise en délibérée au 18 novembre 2024.

***

EXPOSE DES MOTIFS

I) SUR LES DEMANDES PRINCIPALES

Aux termes de l’article 1231-1 du Code civil,  » le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure « .

En l’espèce, les consorts [S] et la SCI [15] demandent en premier lieu la condamnation de Maître [O], avocat, à les indemniser au titre de la perte de chance de faire valoir leurs droits à l’encontre de Maître [Z], notaire, mais aussi de leur avoir fait exposer des frais de justice inutiles.
Cette demande suppose l’établissement d’une faute de Maître [O], d’un préjudice des demandeurs, et d’un lien de causalité entre les deux.

S’agissant d’une faute de Maître [O]

En l’espèce, il n’est pas contesté en défense que Maître [O] a commis une faute en assignant le notaire qui a succédé à Maître [Z] dans un contentieux qui ne pouvait engager que la responsabilité de ce dernier, ainsi qu’en assignant celui-ci de manière tardive, l’action à son encontre étant alors prescrite.

S’agissant du préjudice des consorts [S] et de la SCI [15]

Aux termes de l’article 1231-2 du Code civil,  » les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu’il a faite et du gain dont il a été privé (…) « .
L’article 1984 du Code civil dispose que  » le mandat ou procuration est un acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son nom.
Le contrat ne se forme que par l’acceptation du mandataire « .

Il y a lieu de souligner que l’article 1985 alinéa 2 du même code précise que  » l’acceptation du mandat peut n’être que tacite, et résulter de l’exécution qui lui a été donnée par le mandataire « .

Aux termes de l’article 1991 alinéa 1 du même Code,  » le mandataire est tenu d’accomplir le mandat tant qu’il en demeure chargé, et répond des dommages-intérêts qui pourraient résulter de son inexécution « .

En l’espèce, les demandeurs invoquent tout d’abord une perte de chance d’obtenir réparation en justice d’une faute qu’aurait commis leur notaire, Maître [Z], dans l’exécution d’un mandat qu’ils lui auraient confié.
La perte de chance répare la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable ; s’agissant plus précisément de la chance de réussite d’une action en justice, le caractère réel et sérieux de celle-ci doit s’apprécier au regard de la probabilité de succès de cette action.
En conséquence, il appartient aux consorts [S] et la SCI [15] de prouver l’existence d’une chance réelle et sérieuse de gagner leur procès contre leur notaire, Maître [Z], abstraction faîte de la faute de leur avocat, Maître [O]. A cette fin, ils doivent démontrer dans un premier temps l’existence de la faute invoquée du notaire dans l’exécution de son mandat.
Si le mandat est un contrat consensuel en principe, ne nécessitant pas de formalisme, il est nécessaire pour en démontrer l’existence d’établir la rencontre de deux volontés, tant sur son principe que sur son étendue.
En l’espèce, les demandeurs soutiennent avoir confié mandat à Maître [Z] d’affecter le produit de la vente des 9 lots de l’immeuble de [Localité 14] sur le remboursement du prêt de 2 millions de francs, afin d’obtenir l’extinction des hypothèques sur leur pavillon de [Localité 17] et leur appartement de [Localité 16], et de procéder à leur levée. Ils doivent donc établir l’existence de ce mandat, son étendue et son acceptation concordante par le mandataire.
Ils versent à cette fin notamment une télécopie datée du 20 juillet 1992, adressée à Maître [Z], dans laquelle ils indiquent que le  » CA a accepté le prêt de 2 MF avec prise d’hypothèques sur [Localité 17], [Localité 16], [Localité 21]. Elles seront levées dès le remboursement de la vente des 9 logements. Dans l’offre de prêt, n’oublie surtout pas d’indiquer que les hypothèques seront levées après le remboursement, prévu en janvier/février 1993 « . Il est également versé aux débats une page d’accusé de réception de fax, portant les mêmes numéros et la même date, tendant à établir qu’il a été reçu par l’intéressé.
Il peut être considéré dans ce fax une proposition de mandat exprès d’indiquer dans  » l’offre de prêt  » considérée  » que les hypothèques seront levées après le remboursement, prévu en janvier/février 1993 « . En outre, si le mandataire est limité dans ses actes à ce qui figure dans la  » procuration « , il est admis qu’il dispose d’une latitude pour accomplir les actes se trouvant dans la suite nécessaire de ceux visés par le mandat exprès, en l’occurrence faire procéder à la mainlevée de l’hypothèque qui garantissait le paiement de la créance.
Cependant le contrat d’ouverture de crédit correspondant, à savoir les 2 millions de francs, signé par les parties le 5 août 1992, soit environ 15 jours plus tard, ne reprend pas cette imputation contractuelle de l’hypothèque. Mais malgré cette absence, le document est signé par les demandeurs. Cet acte, seul dans le dossier à manifester la rencontre des volontés des éventuels mandants et mandataires, ne permet donc que de caractériser un éventuel mandat exprès ne portant que sur la rédaction d’une offre de prêt avec inscription des hypothèques, sans imputation conventionnelle particulière. La signature des demandeurs sur l’offre de prêt finale sans mention de ce que  » les hypothèques seront levées après le remboursement, prévu en janvier/février 1993  » s’analyse ici comme un quitus donné au potentiel mandataire pour sa mission.
En outre, s’il est acquis que la banque avait accepté le prêt de 2 millions de francs avec prise des hypothèques en question, il n’est nullement établi qu’elle était d’accord pour l’imputation conventionnelle alléguée, qui allait de surcroît à l’encontre de ses intérêts. En conséquence, à supposer la mission du notaire d’inscrire cette imputation conventionnelle des hypothèques, celle-ci comportait nécessairement un aléa, contrairement à ce qu’avancent les demandeurs, pour lequel un résultat ne saurait être garanti, sauf clause catégorique, inexistante ici. Dès lors, le notaire n’aurait été tenu non pas d’une obligation de résultat mais d’une obligation de moyen, dont l’inexécution nécessite la preuve d’une faute autre que celle de la seule absence du résultat escompté, preuve qui n’est pas rapportée en l’espèce par les demandeurs.
S’agissant des deux autres fax versés au dossier, en dates des 4 février et 15 mars 1993, il n’est pas établi qu’ils aient été envoyés à Maître [Z], encore moins qu’il les ait reçus. En outre le contenu de ces télécopies, postérieures au remboursement querellé du prêt en date du 7 janvier 1993, n’évoquent que le souhait de Madame [X] [S] de faire lever les hypothèques sans autre précision. Ils ne permettent pas d’établir l’existence d’un mandat préalable, accepté par toutes les parties, de confier au notaire la mission d’imputer le prix de la vente des 9 lots sur le crédit de deux millions de francs, ni d’ailleurs qu’il avait les moyens de sa mission.
Il ressort donc que les pièces versées par les demandeurs n’établissent pas l’existence d’une faute du notaire en ce qu’il n’a pas fait imputer le prix de la vente des 9 lots sur le crédit de deux millions de francs.
Dès lors, les consorts [S] et la SCI [15] ne démontrent pas l’existence d’une chance réelle et sérieuse de gagner leur procès contre leur notaire, Maître [Z], abstraction faîte de la faute de leur avocat, Maître [O]. Ils seront donc déboutés de ce chef de demande.

Les demandeurs invoquent en second lieu des frais inutilement exposés.

S’il a été démontré que le préjudice de perte de chance de gagner leur procès contre Maître [Z] n’était pas réel et sérieux, il est en revanche certain qu’ils ont été condamnés à payer les frais irrépétibles lors des instances devant le Tribunal judiciaire d’Auxerre et la Cour d’Appel de Paris.

Sur le lien de causalité entre la faute de Maître [O] et le préjudice retenu

En l’espèce, il ressort clairement de la motivation et du dispositif du jugement du Tribunal de grande instance d’Auxerre du 25 janvier 2016 qu’en tant que parties perdantes au procès, les consorts [S] et la SCI [15] sont condamnés à payer 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile. Il est établi également que la responsabilité étudiée par le Tribunal est celle de Maître [J], successeur de Maître [Z], et que le débouté se déduit du fait qu’il n’est en rien intervenu à l’acte querellé. L’action des demandeurs concernant Maître [Z] est ensuite déclarée irrecevable pour cause de prescription.

Il apparaît donc bien que les demandeurs sont condamnés aux frais irrépétibles à la suite des fautes de Maître [O], qui n’a pas poursuivi le bon notaire dans un premier temps, et qui a poursuivi Maître [Z] dans un deuxième temps en ayant laissé passer le délai de prescription.

S’agissant de l’arrêt de la cour d’appel de Paris, pour lequel Maître [O] est de nouveau l’avocat plaidant des demandeurs, il ne fait que confirmer, sans aucune surprise, la solution des premiers juges qui ont écarté la responsabilité de Maître [J] et déclaré l’action contre Maître [Z] prescrite. Là encore, la faute de Maître [O] s’aventurant dans un procès voué à l’échec, est en lien direct avec leur condamnation à payer 1.500 euros au titre des frais irrépétibles en tant que partie perdante.

En conséquence, Maître [O] sera condamné à payer à Monsieur [L] [S], Madame [X] [S], Madame [D] [S] et la SCI [15] la somme de 3.500,00 euros au titre des frais inutilement exposés.

Sur l’appel en garantie

L’article L124-3 du Code des assurances dispose que  » le tiers lésé dispose d’un droit d’action directe à l’encontre de l’assureur garantissant la responsabilité civile de la personne responsable.
L’assureur ne peut payer à un autre que le tiers lésé tout ou partie de la somme due par lui, tant que ce tiers n’a pas été désintéressé, jusqu’à concurrence de ladite somme, des conséquences pécuniaires du fait dommageable ayant entraîné la responsabilité de l’assuré. « .

En l’espèce, les demandeurs sollicitent dans leurs conclusions que les sociétés [19] et [20] relèvent et garantissent Maître [O] en leur qualité d’assureurs de sa responsabilité professionnelle. Néanmoins, en dépit de cette formulation, au regard du fondement légal invoqué et de l’assignations directe de ces sociétés par acte du 7 avril 2023, cette demande s’analyse comme une demande de condamnation solidaire dans l’exercice d’une action directe contre les assureurs.
Il n’est d’ailleurs soulevé aucune observationpar la [19] et la [19] sur cet appel en garantie.
Elles seront donc condamnées solidairement avec Maître [O] à payer à Monsieur [L] [S], Madame [X] [S], Madame [D] [S] et la SCI [15] la somme de 3.500,00 euros au titre des frais inutilement exposés.

Sur les intérêts

Aux termes de l’article 1231-7 alinéa 1 du code civil,  » en toute matière, la condamnation à une indemnité emporte intérêts au taux légal même en l’absence de demande ou de disposition spéciale du jugement. Sauf disposition contraire de la loi, ces intérêts courent à compter du prononcé du jugement à moins que le juge n’en décide autrement « .
L’article 1343-2 du même code dispose que  » les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produisent intérêt si le contrat l’a prévu ou si une décision de justice le précise « .
En l’espèce, il ne ressort pas du dossier d’élément conduisant à déroger au principe de l’article 1231-7 du Code civil. Les demandeurs seront donc déboutés de leur demande d’assortit les sommes allouées de l’intérêt légal à compter du 3 août 2018 et subséquemment de leur demande d’ordonner la capitalisation des intérêts.

Sur les demandes subsidiaires

Au regard du rejet de la demande principale d’indemnisation de la perte de chance, il n’y a pas lieu à statuer sur la demande de provision afférente à une éventuelle expertise qui aurait été ordonnée par le Tribunal.

II) SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES

Aux termes de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.
En l’espèce les défendeurs, qui succombent dans leur demande principale, supporteront les dépens.

Aux termes de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à ces condamnations
En l’espèce, si les demandeurs succombent dans leur demande principale, ils obtiennent gain de cause sur leur demande secondaire, du fait notamment de la caractérisation d’une faute de Maître [O]. Au regard de ces considérations, l’équité commande de laisser à chaque partie la charge de ses frais irrépétibles. Elles seront donc déboutées de leur demande au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.

Selon l’article 514 du Code de procédure civile,  » les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n’en dispose autrement « .
L’article 514-1 alinéa 1 du même code précise que  » le juge peut écarter l’exécution provisoire de droit, en tout ou partie, s’il estime qu’elle est incompatible avec la nature de l’affaire « .

En l’espèce, il ne ressort pas que l’exécution provisoire soit incompatible avec la nature de l’affaire.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal statuant en audience publique, en premier ressort, par jugement contradictoire,

DEBOUTE Monsieur [L] [S], Madame [X] [S], Madame [D] [S] et la SCI [15] de leur demande de condamnation à l’encontre de Maître [O] au titre de la perte de chance de faire valoir leurs droits à l’encontre de Maître [Z],

DIT n’y avoir lieu à ordonner une expertise judiciaire, ni à statuer sur le versement d’une somme provisionnelle ;

DIT que la demande de Monsieur [L] [S], Madame [X] [S], Madame [D] [S] et la SCI [15] de faire condamner les sociétés [19] et la [20] à relever et garantir Maître [O] de cette condamnation s’analyse comme une demande de condamnation solidaire avec Maître [O],

CONDAMNE solidairement Maître [O], la société [19] et la société [20] à payer à Monsieur [L] [S], Madame [X] [S], Madame [D] [S] et la SCI [15] la somme de 3.500,00 euros au titre des frais inutilement exposés,

DEBOUTE Monsieur [L] [S], Madame [X] [S], Madame [D] [S] et la SCI [15] de leur demande visant à faire courir l’intérêt légal à compter du 3 août 2018 avec la capitalisation des intérêts,

RAPPELLE que les intérêts légaux courent à compter du prononcé de la présente décision,

DEBOUTE Monsieur [L] [S], Madame [X] [S], Madame [D] [S] et la SCI [15] de leur demande sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile,

DEBOUTE Maître [C] [O] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE in solidum Monsieur [L] [S], Madame [X] [S], Madame [D] [S] et la SCI [15] aux entiers dépens de l’instance,

DIT n’y avoir lieu à écarter l’exécution provisoire de la décision,

RAPPELLE que l’exécution provisoire de cette décision est de droit.

Le présent jugement a été signé par Nina MILESI, Vice-Présidente et par Aurélie VIALLE, greffière présente lors de sa mise à disposition.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Votre avis sur ce point juridique ? Une actualité ? Une recommandation ?

Merci pour votre retour ! Partagez votre point de vue, une info ou une ressource utile.

Chat Icon