Responsabilité notariale et régularisation d’emprise sur parties communes

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Responsabilité notariale et régularisation d’emprise sur parties communes

Le notaire rédacteur d’un acte authentique est soumis à une obligation de conseil et d’efficacité, ce qui implique qu’il doit éclairer les parties sur la validité et l’efficacité des actes qu’il rédige. En vertu de l’article 1240 du Code civil, tout fait de l’homme qui cause un dommage à autrui oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. Dans le cadre de la vente immobilière, le notaire doit s’assurer de la régularité des droits des parties, notamment en vérifiant l’existence et la conformité des autorisations administratives nécessaires. Si des éléments du dossier soulèvent des doutes, le notaire est tenu de prendre des mesures pour clarifier la situation et, en cas d’incertitude persistante, d’avertir ses clients des risques encourus.

En l’espèce, le notaire a manqué à son obligation de diligence en ne vérifiant pas la configuration des lieux et en ne sollicitant pas les plans de l’immeuble, ce qui a conduit à une annexion irrégulière de parties communes. Ce manquement à son devoir de vigilance a causé un préjudice à la cliente, qui a dû engager des frais pour régulariser la situation. La responsabilité civile professionnelle du notaire est donc engagée, et il ne peut se prévaloir de la responsabilité du vendeur pour échapper à ses obligations. Les articles 696 et 700 du Code de procédure civile prévoient également que la partie perdante est condamnée aux dépens et peut être tenue de verser une somme pour les frais exposés non compris dans les dépens.

L’Essentiel : Le notaire rédacteur d’un acte authentique doit éclairer les parties sur la validité des actes. Dans une vente immobilière, il doit vérifier la régularité des droits des parties et les autorisations administratives. En ne vérifiant pas la configuration des lieux, le notaire a manqué à son obligation de diligence, entraînant un préjudice pour la cliente, qui a dû engager des frais pour régulariser la situation. Sa responsabilité civile professionnelle est engagée, et il ne peut se prévaloir de la responsabilité du vendeur.
Résumé de l’affaire :

Contexte de la Vente

Selon un acte reçu le 17 novembre 2006 par un notaire, un vendeur a cédé à un acheteur des lots de copropriété situés au 6e étage d’un immeuble pour un montant de 180 000 euros.

Problèmes Identifiés lors de la Revente

En 2021, l’acheteur a décidé de vendre son appartement. Lors de la promesse de vente, le notaire a découvert une emprise sur les parties communes sans autorisation, ce qui a conduit à l’insertion d’une condition suspensive dans l’acte de vente. Les plans obtenus ont révélé que des parties communes avaient été annexées lors de la réunion des lots.

Réclamation de l’Acheteur

Après avoir subi la rétractation de son acheteur, l’acheteur a engagé des frais pour régulariser la situation vis-à-vis de la copropriété et a mis en demeure le notaire de l’indemniser. En février 2023, elle a assigné l’office notarial en justice pour engager sa responsabilité civile professionnelle.

Demandes de l’Acheteur au Tribunal

Dans ses conclusions, l’acheteur a demandé au tribunal de condamner l’office notarial à lui verser des sommes pour couvrir les frais engagés, un préjudice moral, ainsi que des frais d’avocat. Elle a reproché au notaire de ne pas avoir vérifié les plans de l’immeuble, malgré des indices évidents d’irrégularité.

Arguments de l’Office Notarial

L’office notarial a contesté toute faute, affirmant qu’il n’était tenu qu’à une obligation de moyens. Il a soutenu que le vendeur avait déclaré ne pas avoir modifié la consistance des biens et que les documents fournis ne révélaient aucune anomalie. L’office a également contesté le lien de causalité entre la prétendue faute et les préjudices subis par l’acheteur.

Décision du Tribunal

Le tribunal a conclu que le notaire avait manqué à son obligation de diligence en ne vérifiant pas la légalité de la réunion des lots. Il a condamné l’office notarial à indemniser l’acheteur pour les frais engagés et a reconnu un préjudice moral, bien que moins que ce qui avait été demandé. Les frais de justice ont également été mis à la charge de l’office notarial.

Conclusion

Le tribunal a ordonné le paiement de sommes spécifiques à l’acheteur, ainsi que le remboursement des frais de justice, tout en maintenant l’exécution provisoire du jugement.

Q/R juridiques soulevées :

Sur la responsabilité de l’office notarial

En vertu de l’article 1240 du code civil, « tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».

Dans le cadre de la rédaction d’un acte authentique, le notaire est soumis à un double devoir : celui de conseil et celui d’efficacité. Cela implique qu’il doit éclairer les parties sur les conséquences de leurs actes et s’assurer de la validité de ceux-ci.

Il est précisé que le notaire doit contrôler l’étendue des droits des parties, ainsi que l’existence et la régularité des autorisations administratives nécessaires à la validité de l’opération.

Dans cette affaire, le notaire a été informé de la réunion matérielle des lots 149 et 150, ce qui aurait dû éveiller sa vigilance.

Il ne peut pas se retrancher derrière la signature d’un compromis de vente pour éluder son obligation de diligence. En effet, un compromis n’est qu’un acte préparatoire et ne libère pas le notaire de son devoir de vérification.

L’absence de demande de plans de l’immeuble, qui aurait permis de vérifier la configuration des lieux, constitue une négligence.

Ainsi, le notaire a manqué à son obligation de régularité et d’efficacité, engageant ainsi sa responsabilité civile professionnelle.

Sur le lien de causalité entre la faute et le préjudice

La SCP [I] [O] [C] [G] [A] conteste l’existence d’un lien de causalité entre la faute alléguée et les préjudices subis par la victime.

Il est important de rappeler que, selon l’article 1240 du code civil, la responsabilité est engagée lorsque le dommage est la conséquence directe d’une faute.

Dans ce cas, la victime a dû régulariser la situation auprès de la copropriété suite à la découverte d’une annexion irrégulière des parties communes.

Les frais engagés pour cette régularisation, tels que les honoraires de géomètre et les frais de convocation d’assemblée générale, sont directement liés à la négligence du notaire.

La victime a également subi un préjudice moral, justifié par les tracas occasionnés par la nécessité de régulariser la situation et d’exercer une action en justice.

Ainsi, le lien de causalité entre la faute du notaire et les préjudices subis par la victime est établi.

Sur les frais de régularisation et les frais d’avocat

La victime a engagé plusieurs frais pour régulariser la situation de son appartement, notamment des paiements à un géomètre et des frais de convocation d’assemblée générale.

Ces frais sont considérés comme des dépenses nécessaires pour remédier à la situation irrégulière causée par la faute du notaire.

En ce qui concerne les frais d’avocat, l’article 700 du code de procédure civile stipule que le juge peut condamner la partie perdante à payer à l’autre partie une somme pour les frais exposés et non compris dans les dépens.

Cependant, les frais d’avocat ne sont pas directement liés à la régularisation de l’acte de vente, mais plutôt à la défense des droits de la victime dans le cadre de la procédure judiciaire.

Il convient donc d’examiner ces frais dans le cadre de l’article 700, tout en tenant compte de l’équité et de la situation économique de la partie condamnée.

Sur le préjudice moral

La victime sollicite une indemnisation pour préjudice moral, qui doit être justifiée par des éléments concrets.

Bien que la victime n’ait pas produit de preuves tangibles concernant la rétractation de l’acheteur, les tracas liés à la régularisation de l’emprise irrégulière et à l’engagement d’une action en justice peuvent justifier une réparation.

Le tribunal peut accorder une somme pour le préjudice moral, même en l’absence de preuves directes de perte financière.

Dans ce cas, le tribunal a décidé d’accorder une somme de 2 000 euros en réparation du préjudice moral, tenant compte des circonstances de l’affaire et des désagréments subis par la victime.

Ainsi, le préjudice moral est reconnu et indemnisé en fonction des éléments présentés par la victime.

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Copies exécutoires
délivrées le :

1/1/2 resp profess du drt

N° RG 23/02724 – N° Portalis 352J-W-B7H-CZD5W

N° MINUTE :

Assignation du :
21 Février 2023

JUGEMENT
rendu le 20 Novembre 2024

DEMANDERESSE

Madame [F] [R]
[Adresse 2]
[Localité 3]

Représentée par Me Bertrand GATELLIER, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #G436

DÉFENDERESSE

S.C.P. [H] [I], [P] [O], [Z] [C], [L] [G] ET [B] [A]
[Adresse 1]
[Localité 3]

Représentée par Me Valérie TOUTAIN DE HAUTECLOCQUE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #D0848

Décision du 20 Novembre 2024
1/1/2 resp profess du drt
N° RG 21/04843 – N° Portalis 352J-W-B7F-CUEXZ

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Monsieur Benoit CHAMOUARD, Premier vice-président adjoint
Président de formation,

Madame Cécile VITON, Première Vice-Présidente adjointe
Madame Marjolaine GUIBERT, Vice-présidente
Assesseurs,

assistées de Madame Marion CHARRIER, Greffier

DÉBATS

A l’audience du 23 Octobre 2024 tenue en audience publique devant Monsieur Benoit CHAMOUARD et Madame Marjolaine GUIBERT magistrats rapporteurs, qui, sans opposition des avocats, ont tenu l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties en ont rendu compte au tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du code de procédure civile.

JUGEMENT

Prononcé par mise à disposition
Contradictoire
en premier ressort

EXPOSE DU LITIGE

Selon acte reçu le 17 novembre 2006 par Maître [X], membre de la SCP [X] [I] [Y] assisté de Me [G], M. [T] [E] a vendu à Mme [F] [R] les lots 149 et 150 matériellement réunis situés au 6e étage de l’immeuble sis [Adresse 2] et [Adresse 4] [Localité 3] au prix de 180 000 euros.

Au cours de l’année 2021, Mme [F] [R] a souhaité mettre en vente son appartement. Au moment de la signature de la promesse de vente, le notaire assistant l’acquéreur a identifié une emprise sur les parties communes pour laquelle aucune autorisation ni modification du règlement de copropriété ne semblait avoir été établie, et a inséré dans la promesse de vente du 18 août 2021 une condition suspensive relative à la fourniture des plans de l’immeuble.

Les plans obtenus auprès du service de publicité foncière ont effectivement permis de constater qu’une partie du palier avait été annexée lors de la réunion des lots 149 et 150.

Exposant avoir subi la rétractation de son acheteur, puis avoir dû débourser la somme de 5 940,73 euros pour régulariser la situation vis à vis de la copropriété, Mme [F] [R] a mis en demeure le 22 août 2022 Me [G], membre de la SCP [I] [O] [C] [G] [A] de l’indemniser de ses préjudices.

Par acte extrajudiciaire du 21 février 2023, Mme [F] [R] a fait assigner la SCP [I] [O] [C] [G] [A] devant le tribunal judiciaire de Paris aux fins d’engager sa responsabilité civile professionnelle sur le fondement de l’ancien article 1382 devenu l’article 1240 du code civil.

Dans ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 2 octobre 2023, Mme [F] [R] demande au tribunal de condamner la SCP [I] [O] [C] [G] [A] à lui payer la somme de 5 940,73 euros au titre des dépenses engagées pour régulariser la situation de son appartement, la somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral, la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et les entiers dépens, avec recouvrement dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile et sous le bénéfice de l’exécution provisoire de droit.

Elle reproche au notaire de ne pas avoir requis les plans annexés au règlement de copropriété afin de s’assurer de l’absence d’emprise de l’appartement sur les parties communes de l’immeuble malgré l’existence de plusieurs indices qui auraient dû l’alerter :
– l’existence d’une réunion matérielle de deux lots ;
– la circonstance tenant à ce que les lots 149 et 150 soient situés de part et d’autre du couloir de gauche du 6e étage selon l’état descriptif de division contenu dans le règlement de propriété ;
– l’absence de modification apportée au règlement d’origine, ce que la levée d’une fiche d’immeuble auprès du service de la publicité foncière aurait permis de constater.
Elle ajoute qu’en tout état de cause la demande de plans auprès du conservateur des hypothèques aurait levé toute incertitude, puisque ceux-ci démontrent clairement que la réunion des lots 149 et 150 ne pouvait se faire sans annexer une partie du couloir commun aux copropriétaires du bâtiment B de l’immeuble. Elle conteste avoir jamais été informée de la difficulté par le notaire, et lui reproche une négligence dans la rédaction de l’acte authentique de vente du 17 novembre 2006.
Elle soutient avoir subi un dommage certain, personnel et légitime, que la défenderesse doit indemniser en l’absence de démonstration d’un cas de force majeure, à hauteur des frais engagés pour régulariser l’acte de vente et du préjudice moral et économique subi, ayant dû renoncer à déménager tout en perdant une chance de vendre son appartement en 2021, période à laquelle le marché de l’immobilier était favorable aux vendeurs, et sombrant dans la dépression.

Dans ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 21 septembre 2023, la SCP [I] [O] [C] Piffaut Le Bourg demande au tribunal de débouter Mme [F] [R] de ses demandes et de la condamner à lui payer la somme de 3 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens, avec recouvrement dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile et d’écarter l’exécution provisoire.

Elle conteste toute faute, exposant que le notaire rédacteur d’un acte n’est tenu que d’une obligation de moyens et qu’il n’est tenu qu’à une obligation d’investigation limitée. Elle ajoute qu’en l’espèce rien ne pouvait lui permettre de détecter une anomalie quant à la désignation du bien, dès lors que :
– les lots réunis étant mitoyens, de sorte que rien n’empêchait qu’ils puissent être réunis matériellement comme juridiquement ;
– le vendeur avait déclaré ne pas avoir modifié la consistance des biens vendus, notamment par une annexion irrégulière privative des parties communes ;
– le certificat de superficie de l’époque ne comportait aucun plan ou croquis permettant d’alerter sur un éventuel risque d’emprise irrégulière;
– l’état daté du syndic établi le 27 octobre 2006 n’évoque aucune annexion de parties communes au 6e étage ;
– l’acte de propriété de M. [E] du 4 juillet 1995 vise la même désignation et la même réunion des lots ;
– il n’est pas certain qu’en 2006 le notaire aurait pu être plus renseigné sur la configuration des lieux, l’origine et la date du plan versé aux débat par la demanderesse en sa pièce n° 13 n’étant pas établies ;
– la consultation des pièces de la copropriété et notamment des plans de l’immeuble n’a été rendue obligatoire que par la loi du 24 mars 2014, soit plus de 8 années après l’établissement de l’acte incriminé du 17 novembre 2006.
Elle conteste tout lien de causalité entre la prétendue faute et les préjudices subis, au motif que les parties avaient signé le 15 novembre 2006 un compromis de vente sous seing privé sans intermédiaire, de sorte que la vente ne pouvait plus être remise en cause. Elle estime en outre que Mme [R] a concouru à son propre dommage en ne vérifiant pas la superficie du bien, en dépit de l’information donnée par le notaire à la page 13 de l’acte sur les conditions de l’article 46 de la loi du 10 juillet 1965.
Elle conteste l’existence d’un préjudice.
S’agissant des frais de régularisation, elle les considère uniquement imputables au vendeur. Elle conteste également la demande de remboursement d’une facture [5], dès lors que le bien a été revendu par l’intermédiaire d’une agence immobilière. Elle conteste enfin la nécessité de l’intervention d’un avocat dans ce dossier, considérant que Mme [R] aurait pu faire régulariser la situation avec l’aide du notaire, ajoutant qu’en tout état de cause les factures d’avocats dont le remboursement est sollicité font double emploi avec la demande formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
S’agissant du préjudice moral, elle le considère injustifié dès lors que Mme [R] a cédé le bien à M. [U] en connaissance de cause, en subordonnant la réalisation de la vente à la production de plans ne révélant aucune annexion de parties communes. Elle reproche à Mme [R] de n’apporter aucun élément justificatif concernant la revente de son bien alors que la situation est régularisée et ne démontre pas qu’elle ne pourrait le revendre au prix antérieurement proposé, pas plus qu’elle ne démontre ne pas avoir pu déménager, son acquisition du 12 juillet 2021 ayant précédé de plusieurs semaines la revente de l’appartement litigieux. Elle demande que l’exécution provisoire du jugement à intervenir soit écartée au regard de l’impossibilité de recouvrer les sommes versées en cas d’infirmation du jugement.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il est expressément renvoyé à leurs dernières écritures, dans les conditions de l’article 455 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 16 décembre 2023.

MOTIVATION

Selon l’article 768 du code de procédure civile, le tribunal ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion.

Sur la responsabilité de l’office notarial

En application de l’ancien article 1382 devenu l’article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Le notaire rédacteur de l’acte authentique est tenu tant d’un devoir de conseil que d’une obligation d’efficacité. De cette double obligation résulte pour le notaire le devoir d’éclairer les parties et de s’assurer de la validité et de l’efficacité des actes rédigés par lui. À ce titre, il doit contrôler l’étendue des droits des parties, comme l’existence et la régularité des pouvoirs ou autorisations administratives dont peut dépendre la validité d’une opération.

Si la vérification du notaire s’effectue en effet sur pièces et sur titres, et non sur place, il ne saurait se contenter de reprendre la désignation figurant dans le titre précédent. Lorsque des éléments du dossier font apparaître un doute, il doit prendre les mesures nécessaires pour éclaircir la situation. S’il n’y parvient pas, il doit au moins avertir ses clients du risque encouru.

En l’espèce, le notaire rédacteur de l’acte a été informé de la réunion matérielle des lots 149 et 150 pour ne former qu’une seule unité d’habitation comprenant  » entrée, salle de bains, séjour, chambre et cuisine « .

Il ne saurait valablement se retrancher derrière la signature préalable par les parties d’un compromis de vente pour éluder son devoir de vigilance, une telle convention ne constituant qu’un acte préparatoire destiné à arrêter la volonté des parties de vendre et d’acquérir sans attendre les délais utiles à la vérification, par le notaire authentificateur, des éléments nécessaires à la perfection de la vente.

S’il est exact que le vendeur, M. [E], a attesté dans l’acte du 17 novembre 2006 sous le paragraphe intitulé Déclarations du vendeur ne pas avoir personnellement annexé de parties communes sans l’autorisation de l’assemblée des copropriétaires et ne pas avoir  » modifié la consistance des biens vendus par une annexion ou une utilisation irrégulière privative des parties communes « , l’attention du notaire aurait dû être attirée par l’existence d’une réunion matérielle de deux lots, en présence d’une différence entre la description des lots 149 et 150 contenue à la page 19 du règlement de copropriété et ne mentionnant pas d’entrée, et la désignation des biens vendus dans l’acte du 17 novembre 2006 évoquant, à l’issue de la réunion matérielle des deux lots, une unité d’habitation unique  » comprenant : entrée, salle de bain, séjour, chambre et cuisine  » (page 5 de l’acte authentique du 17 novembre 2006). Dans ces conditions et en l’absence de tout plan de l’immeuble lui permettant de s’assurer de la configuration des lieux et de l’absence de risque d’annexion des parties communes, il lui appartenait de solliciter la communication du plan afférent au 6e étage du bâtiment B de l’immeuble.

L’examen de ce plan, évoqué à la page 14 du règlement de copropriété du 6 novembre 1967, communiqué par la demanderesse en sa pièce n° 13 et démontrant l’existence de murs porteurs séparant les lots 149 et 150, confronté au certificat de superficie du 13 juillet 2006 faisant en outre état d’une entrée de 2,49 m2 manifestement incompatible avec les parties privatives mentionnées par ledit plan, aurait alerté un notaire normalement prudent, comme cela a été le cas à l’occasion de la vente projetée du 18 août 2021, sur le risque d’irrégularité affectant l’assiette du bien vendu, et à tout à le moins inciter le notaire à prévenir Mme [F] [R] du risque encouru.

En s’abstenant de toute recherche visant à s’assurer de la licéité juridique de la réunion matérielle des lots 149 et 150 à l’occasion de la rédaction de l’acte authentique du 17 novembre 2006, le notaire a manqué à son obligation de régularité et d’efficacité de l’acte et a commis une faute susceptible d’engager sa responsabilité civile professionnelle.

En l’absence de subsidiarité de la responsabilité du notaire, ce dernier est mal fondé à exciper de la propre responsabilité du vendeur, Mme [R] pouvant librement choisir d’engager la responsabilité de l’office notarial sur le fondement de l’ancien article 1382 du code civil.
De même, l’office notarial ne démontrant pas la connaissance, par Mme [R], de l’emprise suspectée avant l’obtention des plans de la copropriété et de la facturation subséquente du 10 septembre 2021, aucune faute de Mme [R] susceptible d’éluder la responsabilité de la SCP [I] [O] [C] [G] [A] n’est en l’espèce établie.

Mme [F] [R] démontre avoir dû, à la suite de la découverte de l’annexion irrégulière des parties communes, régulariser la situation auprès de la copropriété.
Elle justifie à ce titre avoir dû régler :
– la somme de 58 euros payée à perte auprès du site [5], l’emprise irrégulière détectée ayant empêché Mme [R] de vendre son bien en 2021 ;
– la somme de 72 euros selon facture n° 860 / 2021 du 10 septembre 2021 afin d’obtenir la communication de la copie des plans de l’immeuble ;
– la somme de 1 140 euros versée à M. [S], géomètre, selon facture du 10 décembre 2021 ;
– la somme de 598,73 euros selon facture du 14 janvier 2022 aux fins de convoquer une assemblée générale extraordinaire pour régulariser l’emprise ;
– la somme de 1 431 euros et la somme de 1 261 euros selon prévisions de taxe n° 75428 et n° 75427 éditées par Maître [M], notaire, au titre des frais de mutation et des frais de modification de l’état descriptif de division ;
– la somme de 600 euros TTC réglée à l’étue [M] aux fins de réaliser un audit pour la mise en place et la rédaction d’un modificatif à l’état descriptif de division – règlement de copropriété concernant l’immeuble sis à [Localité 3] [Adresse 2], [Adresse 4] ;

La question du remboursement des frais d’avocats (notes d’honoraires des 22 novembre 2021 et 22 septembre 2022), à hauteur de respectivement 600 euros et 180 euros, n’entre pas dans le champ des frais de régularisation de l’acte de vente, mais sera examinée dans le cadre de l’étude du remboursement des frais irrépétibles.

L’office notarial est dès lors condamné à payer à Mme [F] [R] la somme de 5 160,73 euros en réparation des sommes payées à perte ou afin de régulariser l’emprise.

Mme [F] [R] sollicite également la condamnation de l’office notarial à lui payer la somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral.
Si elle ne produit aucune pièce justifiant du motif de rétractation de M. [U] et ne justifie pas avoir vendu son bien à perte, les tracas occasionnés par la nécessité de régulariser l’emprise irrégulière des parties communes et d’exercer la présente action justifient en l’espèce de lui accorder à ce titre la somme de 2 000 euros.
La SCP [I] [O] [C] Piffaut [A] est dès lors condamnée à payer à la demanderesse la somme de 2 000 euros à ce titre.

En application de l’article 1231-7 du code civil, les condamnations qui précèdent sont assorties des intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent jugement et jusqu’à complet paiement.

Sur les frais du procès et l’exécution provisoire

Aux termes de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.

La SCP [I] [O] [C] Piffaut [A] est condamnée aux dépens, avec recouvrement dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile.

En application de l’article 700 du code de procédure civile, dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou la partie perdante à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a lieu à condamnation.

Au regard des notes d’honoraires produites et en équité, il convient de condamner la SCP [I] [O] [C] [G] [A] à payer à Mme [F] [R] la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et de rejeter les autres demandes fondées sur cet article.

Les articles 514 et 514-1 du code de procédure civile disposent que les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire, à moins que la loi ou la décision rendue n’en dispose autrement. Le juge peut écarter l’exécution provisoire de droit, en tout ou partie, s’il estime qu’elle est incompatible avec la nature de l’affaire.

Aucun motif ne justifie en l’espèce d’écarter l’exécution provisoire de droit du présent jugement.

Les demandes plus amples ou contraires, non justifiées, sont rejetées.

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal, statuant après débats en audience publique, par jugement contradictoire rendu en premier ressort par mise à disposition au greffe,

CONDAMNE la SCP [I] [O] [C] [G] [A] à payer à Mme [F] [R] la somme de 5 160,73 euros en réparation de son préjudice pécuniaire, assortie des intérêts au taux légal à compter du présent jugement et jusqu’à complet paiement ;

CONDAMNE la SCP [I] [O] [C] [G] [A] à payer à Mme [F] [R] la somme de 2 000 euros en réparation du préjudice moral subi, assortie des intérêts au taux légal à compter du présent jugement et jusqu’à complet paiement ;

CONDAMNE la SCP [I] [O] [C] [G] [A] aux dépens, avec recouvrement dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la SCP [I] [O] [C] [G] [A] à payer à Mme [F] [R] la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

REJETTE les autres demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile ;

RAPPELLE que l’exécution provisoire de l’entier jugement est de droit.

Fait et rendu à Paris le 20 Novembre 2024

Le Greffier Le Président
Marion CHARRIER Benoit CHAMOUARD


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