Prescription de l’action en responsabilitéL’action en responsabilité exercée contre un conseiller en gestion de patrimoine pour manquement à son devoir d’information et de conseil est soumise aux dispositions de l’article 2224 du Code civil, qui stipule que « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ». La jurisprudence précise que le point de départ de la prescription est la date de la réalisation du dommage, c’est-à-dire lorsque le client prend connaissance des pertes subies, et non à la date de la conclusion du contrat. Devoir d’information et de conseilLe conseiller en gestion de patrimoine est tenu d’un devoir d’information et de conseil envers ses clients, conformément aux articles L. 531-1 et suivants du Code monétaire et financier. Ce devoir implique d’informer le client sur les caractéristiques des produits proposés, les risques associés, ainsi que sur l’adéquation de ces produits avec le profil d’investisseur du client. Le manquement à cette obligation peut entraîner une perte de chance pour le client de ne pas souscrire un produit inadapté, ce qui constitue un préjudice indemnisable. Perte de chanceLa perte de chance est un préjudice qui se mesure en pourcentage des pertes subies par le client. En cas de manquement à l’obligation d’information, le client peut revendiquer une indemnisation pour la perte de chance de ne pas contracter, qui est distincte de la perte en capital. La jurisprudence admet que le préjudice lié à la perte de chance doit être évalué en fonction des circonstances de l’espèce et des éléments de preuve fournis par le demandeur. Responsabilité du conseiller en gestion de patrimoineLa responsabilité du conseiller en gestion de patrimoine peut être engagée en raison d’un manquement à son devoir d’information et de conseil, ce qui peut entraîner une perte de chance pour le client. Les articles L. 550-1 et suivants du Code monétaire et financier précisent que le conseiller doit agir dans le meilleur intérêt de son client et s’assurer que les produits proposés correspondent à son profil d’investisseur. En cas de litige, il appartient au client de prouver le manquement du conseiller et le lien de causalité entre ce manquement et le préjudice subi. |
L’Essentiel : L’action en responsabilité contre un conseiller en gestion de patrimoine pour manquement à son devoir d’information et de conseil se prescrit par cinq ans à compter de la connaissance des faits. Le conseiller est tenu d’informer le client sur les caractéristiques des produits et les risques associés. Un manquement peut entraîner une perte de chance pour le client, qui peut revendiquer une indemnisation distincte de la perte en capital, évaluée selon les circonstances et les preuves fournies.
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Résumé de l’affaire : La société Aristophil, en partenariat avec une copropriétaire, a constitué deux collections de manuscrits, dont la commercialisation a été confiée à la société Art’courtage. Des investisseurs, dont une acheteuse et une autre, ont acquis des parts de ces collections via un contrat de courtage. Cependant, la société Aristophil a été placée en redressement judiciaire, puis en liquidation, en 2015, suite à des irrégularités signalées par la DGCCRF. Les investisseurs ont alors mis en demeure l’intermédiaire de proposer des indemnisations, mais l’assureur de ce dernier a contesté la certitude des préjudices.
En 2018, les investisseurs ont assigné la société Art’courtage pour obtenir réparation de la perte de chance liée à un manquement à l’obligation d’information et de conseil. Par la suite, la société Art’courtage a assigné son assureur. Le tribunal a rendu un jugement en 2022, déclarant certaines actions recevables et d’autres prescrites, tout en condamnant in solidum la société Compagnie financière [A] et l’assureur à verser des indemnités aux investisseurs pour la perte de chance de faire fructifier leur capital. Les investisseurs ont interjeté appel, contestant la prescription de certaines actions et demandant une réévaluation des indemnités. La société Compagnie financière [A] a demandé la confirmation du jugement en ce qui concerne la prescription, tout en contestant les demandes des investisseurs. L’assureur a également demandé la réformation du jugement, arguant que les manquements reprochés n’étaient pas établis. Le tribunal a finalement décidé de joindre les affaires et a confirmé la recevabilité de l’action pour perte de chance de faire fructifier le capital, tout en infirmant la déclaration de prescription pour la perte de chance de ne pas souscrire. Les demandes des investisseurs contre la société Compagnie financière [A] et son assureur ont été déboutées, les condamnant aux dépens. |
Q/R juridiques soulevées :
Quel est le point de départ de la prescription pour l’action en responsabilité contre le conseiller en investissements financiers ?L’article 2224 du Code civil stipule que « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. » Dans le cas présent, le tribunal a retenu que le point de départ de la prescription pour l’action en responsabilité contre la société Compagnie financière [A] était la date de conclusion du contrat, date à laquelle les demanderesses avaient eu connaissance des caractéristiques du placement. Cependant, il a également précisé que l’action fondée sur la performance du support et la perte de chance de faire fructifier le capital n’était pas prescrite, le point de départ étant le courrier d’Aristophil du 25 mars 2015, qui a informé ses clients de la suspension des opérations d’achat ou de rachat des œuvres. Ainsi, la cour a confirmé que l’action en responsabilité introduite par les demanderesses n’était pas prescrite, car elles n’avaient pris connaissance des faits leur permettant d’agir qu’à partir de la date de réalisation de leur dommage, soit en février 2015. Quel manquement a été reproché à la société Compagnie financière [A] concernant son devoir d’information et de conseil ?La société Compagnie financière [A] a été reprochée de ne pas avoir suffisamment informé ses clients des risques inhérents à la souscription des produits Aristophil. Le tribunal a retenu que la société n’avait pas établi avoir informé ses clients des risques concernant le rachat et de la perte de chance de faire fructifier leur capital. Il a été souligné que le conseiller en gestion de patrimoine est tenu d’un devoir d’information et de conseil concernant le mécanisme global de l’opération d’investissement. Il doit notamment informer le client sur le rendement et les risques de manière expresse, en lui remettant une notice précise comportant ces différents points. En l’espèce, il n’a pas été démontré que la société Compagnie financière [A] ait informé Mme [X] sur le rendement d’une telle acquisition, ni sur les risques y afférents, notamment de perte en capital, ce qui a conduit à la reconnaissance d’un manquement à son devoir d’information. Quel est le préjudice indemnisable pour la perte de chance de ne pas contracter ?Le préjudice pour perte de chance de ne pas contracter est mesuré en pourcentage de la perte subie par le client. Il est constant que le manquement à un devoir pré-contractuel d’information et de conseil prive le souscripteur d’une chance de ne pas contracter. Il importe peu que le risque qui s’est réalisé ait été extérieur à l’obligation de conseil du conseiller en gestion de patrimoine, dès lors qu’il est établi que mieux conseillé, le client aurait pu ne pas souscrire ce placement et ainsi éviter la perte. Dans le cas de Mme [X], elle a soutenu que son préjudice était égal au montant de la perte en capital qu’elle subissait après la vente aux enchères de l’ensemble des œuvres. Cependant, la cour a constaté qu’elle n’avait pas établi la preuve de la perte en capital qu’elle alléguait, ce qui a conduit à la conclusion qu’elle ne pouvait pas prétendre à une indemnisation pour la perte de chance de ne pas contracter. Quel est le lien entre la perte de chance de ne pas contracter et la perte de chance de faire fructifier son capital ?La perte de chance de faire fructifier son capital est nécessairement le pendant de la perte de chance de ne pas contracter. Il ne peut être fixé que dans la proportion de la première, car il s’agit de déterminer si Mme [X] n’avait pas conclu ce placement, elle aurait eu, dans la même proportion, la possibilité de souscrire un placement plus sécure et de valoriser son capital. Ainsi, la cour a noté qu’elle n’était pas en mesure d’apprécier le montant de la chance perdue en proportion des pertes certaines, ce qui a conduit à l’infirmation du jugement qui avait alloué une somme à Mme [X] pour la perte de chance de faire fructifier son capital. En conséquence, Mme [X] a été déboutée de toutes ses demandes indemnitaires à l’encontre de la société Compagnie financière [A] et de son assureur, la société CNA Insurance Company Europe. |
1ère CHAMBRE CIVILE
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ARRÊT DU : 01 AVRIL 2025
N° RG 22/04615 – N° Portalis DBVJ-V-B7G-M5NO
[I] [N]
[P] [U] veuve [X]
c/
S.A.R.L. COMPAGNIE FINANCIERE [A]
S.A. CNA INSURANCE COMPANY (EUROPE)
Nature de la décision : AU FOND
JONCTION AVEC LE DOSSIER N° RG 22/04697
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la cour : jugement rendu le 08 septembre 2022 par le Tribunal Judiciaire de BORDEAUX (chambre : 5, RG : 18/03973) suivant déclaration d’appel du 10 octobre 2022
APPELANTES :
[I] [N]
de nationalité Française,
demeurant [Adresse 4]
[P] [U] veuve [X]
de nationalité Française,
demeurant [Adresse 3]
Représentées par Me Julie-Anne BINZONI, avocat au barreau de BORDEAUX
et assistées de Me Dimitri PINCENT, avocat au barreau de PARIS, substitué par Me Julia LAMBERTINI, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉES :
S.A.R.L. COMPAGNIE FINANCIERE [A]
demeurant [Adresse 1]
Représentée par Me Edwige HARDOUIN, avocat au barreau de BORDEAUX
S.A. CNA INSURANCE COMPANY (EUROPE)
demeurant [Adresse 2]
Représentée par Me Aurélie VIANDIER-LEFEVRE de la SELAS AVLH AVOCATS & ASSOCIES, avocat au barreau de BORDEAUX
et assistée Me Céline LEMOUX de la SELEURL CL AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, substituée par Me Valentin GERVAIS, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été examinée le 18 février 2025 en audience publique, devant la cour composée de :
Paule POIREL, Présidente
Emmanuel BREARD, Conseiller
Bénédicte LAMARQUE,
Greffier lors des débats : Vincent BRUGERE
Le rapport oral de l’affaire a été fait à l’audience avant les plaidoiries.
ARRÊT :
– contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE
1. La société Aristophil et Mme [Z] [D], propriétaires indivis de la collection Le Secret des manuscrits de [H] Corday à [H] [B] (ci-après le secret des manuscrits) et de la collection Les Grandes heures du génie humain chapitre III (ci-après les grandes heures du génie humain), ont désigné pour chacune des indivisions, respectivement le 13 février 2012 et le 18 décembre 2012, Mme [Z] [D] gérant de celles-ci.
La société Aristophil s’est faite consentir la conservation et la garde par dépôt des collections pour cinq années, et une promesse de vente de celles-ci au terme du contrat.
La société Aristophil a confié la commercialisation des collections indivises à la société Art’courtage, auprès de laquelle l’eurl Compagnie financière [A] (ci-après la société [A]), exploitant sous l’enseigne Audiopro groupe, a souscrit, le 28 novembre 2012, un contrat de courtage de promotion des collections indivises.
Suivant contrat du 12 juin 2012, Mme [P] [U] a acquis, par le courtage de la société [A], à la SAS Aristophil, au prix de 55.500 euros, 37 parts sur 10.000 parts, ayant pour valeur nominale 1.500 euros chacune, de l’indivision dénommée le secret des manuscrits.
Suivant contrat du 3 février 2013, Mme [J] [N] a acquis, sur les conseils de M. [T], conseiller clientèle de la société [A], à la SAS Aristophil, au prix de 21.000 euros, 14 parts sur 6.800 parts, ayant pour valeur nominale 1.500 euros chacune, de l’indivision dénommée Les grandes heures du génie humain.
2. La société Aristophil a été placée en redressement judiciaire le 16 février 2015, converti en liquidation judiciaire le 5 août 2015, consécutivement à l’enquête préliminaire ouverte à son encontre sur la base d’un rapport de la DGCCRF.
Mesdames [U] et [N] ont mis en demeure l’intermédiaire de présenter des propositions indemnitaires le 5 août 2015. La société CNA Insurance Company, assureur de l’intermédiaire, a répondu à Mme [U] le 27 juillet 2015 que son préjudice n’était pas certain et a indiqué ne pas être garant des produits commercialisés par Aristophil ou de ses manquements.
Le 28 avril 2018, Mesdames [I] [N] et [P] [U] ont fait assigner la sarl Audipro Groupe, notamment en indemnisation de la perte de chance au titre de son manquement à l’obligation d’information et de conseil quant à la commercialisation du placement financier.
3. Le 25 octobre 2018, les demanderesses ont assigné en intervention forcée la société [A].
La société [A] a assigné le 27 mars 2019 la société CNA Insurance Company limited, son assureur.
Les instances ont été jointes et la société CNA Insurance company (Europe) est intervenue volontairement à l’instance.
4. Par jugement du 8 septembre 2022, le tribunal judiciaire de Bordeaux a :
– prononcé la mise hors de cause de la sarl Audipro groupe ;
– déclaré recevable l’intervention volontaire de la société CNA Insurance company Europe, aux lieu et place de la CNA Insurance company Limited, dont il convient de prononcer la mise hors de cause,
– déclaré prescrite l’action exercée par Mme [P] [U] et Mme [J] [N] en réparation du préjudice de perte de chance de ne pas souscrire un produit Aristophil ;
– déclaré recevable l’action exercée par Mme [P] [U] et Mme [J] [N] en réparation du préjudice de perte de chance de faire fructifier le capital investi ;
– condamné in solidum la sarl Compagnie financière [A] et la société CNA Insurance company (Europe), sous déduction de la franchise de 3.000 euros pour cette dernière au titre de la police d’assurance FN 1925, au paiement à Mme [P] [S] d’une somme de 5.490 euros au titre de la perte de chance de faire fructifier son capital ;
– condamné in solidum la sarl Compagnie financière [A] et la société CNA Insurance company (Europe), sous déduction de la franchise de 3.000 euros pour cette dernière au titre de la police d’assurance FN 1925, au paiement à Mme [J] [N] d’une somme de 1.795 euros au titre de la perte de chance de faire fructifier son capital ;
– débouté les parties du surplus de leurs chefs de demande ;
– condamné in solidum la sarl Compagnie financière [A] et la société CNA Insurance company (Europe) au paiement à Mme [P] [U] et Mme [J] [N] 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile;
– condamné in solidum la sarl Compagnie financière [A] et la société CNA Insurance company (Europe) aux dépens ;
– ordonné l’exécution provisoire.
5. Par déclaration électronique en date du 10 octobre 20222, Mme [N] et Mme [U] ont relevé appel de ce jugement(sous le n°RG 22/04615) régularisée le 14 octobre 2022 (sous le n°RG 22/04697), en ce qu’il a :
– déclaré prescrite l’action exercée par Mme [P] [U] et Mme [J] [N] en réparation du préjudice de perte de chance de ne pas souscrire un produit Aristophil ;
– condamné in solidum la sarl Compagnie financière [A] et la société CNA Insurance company (Europe), sous déduction de la franchise de 3.000 euros pour cette dernière au titre de la police d’assurance FN 1925, au paiement à Mme [P] [S] d’une somme de 5.490 euros au titre de la perte de chance de faire fructifier son capital ;
– condamné in solidum la sarl Compagnie financière [A] et la société CNA Insurance company (Europe), sous déduction de la franchise de 3.000 euros pour cette dernière au titre de la police d’assurance FN 1925, au paiement à Mme [J] [N] d’une somme de 1.795 euros au titre de la perte de chance de faire fructifier son capital ;
– débouté les parties du surplus de leurs chefs de demande ;
– condamné in solidum la sarl Compagnie financière [A] et la société CNA Insurance company (Europe) au paiement à Mme [P] [U] et Mme [J] [N] 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile
– condamné in solidum la sarl Compagnie financière [A] et la société CNA Insurance company (Europe) aux dépens.
6. Mmes [N] et [U], par dernières conclusions déposées le 3 février 2025, demandent à la cour de :
– joindre les affaires enregistrées sous les numéros RG n°22/04615 et RG n° 22/04697,
– rejeter les appels incidents des sociétés Compagnie financière [A] et CNA Insurance Company (Europe),
Infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Bordeaux le 8 septembre 2022 en ce qu’il a :
– déclaré prescrite l’action exercée par Mme [P] [U] et Mme [J] [N] en réparation du préjudice de perte de chance de ne pas souscrire un produit Aristophil ;
– condamné in solidum la sarl Compagnie financière [A] et la société CNA Insurance company (Europe), sous déduction de la franchise de 3.000 euros pour cette dernière au titre de la police d’assurance FN 1925, au paiement à Mme [P] [U] d’une somme de 5.490 euros au titre de la perte de chance de faire fructifier son capital ;
– condamné in solidum la sarl Compagnie financière [A] et la société CNA Insurance company (Europe), sous déduction de la franchise de 3.000 euros pour cette dernière au titre de la police d’assurance FN 1925, au paiement à Mme [J] [N] d’une somme de 1.795 euros au titre de la perte de chance de faire fructifier son capital ;
– débouté les parties du surplus de leurs chefs de demande.
Et, statuant à nouveau,
– déclarer recevable l’action de Mme [I] [N] et Mme [P] [X], dans sa globalité, dirigée contre la Société Compagnie Financière [A] et la société CNA Insurance Company (Europe),
– condamner la société Compagnie Financière [A] à verser à Mme [J] [N] :
– À titre principal, la somme de 17.850 ‘ de dommages-intérêts en réparation intégrale du préjudice principal, somme produisant intérêt légal à compter du 5 juin 2015, avec capitalisation des intérêts dus sur une année entière,
– À titre subsidiaire, la somme de 16.800 ‘ de dommages-intérêts en réparation du préjudice de perte de chance de ne pas souscrire un placement moins hasardeux, somme produisant intérêt légal à compter du 5 juin 2015, avec capitalisation des intérêts dus sur une année entière,
– En tout état de cause, la somme de 5.000 ‘ de dommages-intérêts en réparation du préjudice lié à l’immobilisation du capital investi, somme produisant intérêt légal à compter du 5 juin 2015, avec capitalisation des intérêts dus sur une année entière,
– condamner la société Compagnie Financière [A] à verser à Mme [P] [X] épouse [U] :
– À titre principal, la somme de 49.500 ‘ de dommages-intérêts en réparation intégrale du préjudice principal, somme produisant intérêt légal à compter du 5 juin 2015, avec capitalisation des intérêts dus sur une année entière,
– À titre subsidiaire, la somme totale de 44.000 ‘ de dommages-intérêts en réparation du préjudice de perte de chance de ne pas souscrire un placement moins hasardeux, somme produisant intérêt légal à compter du 5 juin 2015, avec capitalisation des intérêts dus sur une année entière,
– En tout état de cause, la somme de 13.750 ‘ de dommages-intérêts en réparation du préjudice lié à l’immobilisation du capital investi, somme produisant intérêt légal à compter du 5 juin 2015, avec capitalisation des intérêts dus sur une année entière.
– condamner la société CNA Insurance Company (Europe) à garantir les condamnations prononcées à l’encontre de la société Compagnie Financière [A] au bénéfice de Mme [J] [N], en application de la police d’assurance FN 1925, sous déduction de la franchise applicable à un sinistre de l’exercice 2015,
– condamner la société CNA Insurance Company (Europe) à garantir les condamnations prononcées à l’encontre de la société Compagnie Financière [A] au bénéfice de Mme [P] [X] épouse [U], en application de la police d’assurance FN 1925, sous déduction de la franchise applicable à un sinistre de l’exercice 2015,
– condamner in solidum la société Compagnie Financière [A] et la société CNA Insurance Company (Europe) à verser à Mme [J] [N] et Mme [P] [X] épouse [U] une somme supplémentaire de 6.000 ‘ au titre des frais irrépétibles d’appel,
– condamner in solidum la société Compagnie Financière [A] et la société CNA Insurance Company (Europe) aux entiers dépens d’appel.
7. La société Compagnie Financière [A], par dernières conclusions déposées le 4 avril 2023, demande à la cour de :
Confirmer la décision entreprise en ce qu’elle a déclaré prescrite l’action de Mme [N] et de Mme [X] en réparation du préjudice de perte de chance de ne pas souscrire un produit Aristophil.
L’infirmer pour le surplus,
En conséquence,
– juger irrecevable l’intégralité des demandes de Mme [N] et de Mme [X] pour cause de prescription,
– juger mal fondée les demandes de Mme [N] et de Mme [X]
En conséquence,
– débouter Mme [N] et Mme [X] de l’intégralité de leurs demandes formulées à l’encontre de la société Compagnie Financière [A],
– dire qu’elles ne démontrent pas un préjudice direct et certain,
A titre subsidiaire,
– condamner la société CNA Insurance compagnie limited à relever indemne la société Compagnie financière [A] de l’intégralité des condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre dans le cadre des contrats souscrits pour le compte de la société Art Courtage auprès de Mmes [N] et [X],
– condamner Mesdames [N] et [X] à payer à la société Compagnie Financière [A] la somme de 4 000 ‘ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
8. La société CNA Insurance Company, par dernières conclusions déposées le 27 janvier 2025, demande à la cour de :
Réformer le jugement entrepris en ce qu’il a :
– déclaré recevable l’action exercée par Mme [P] [U] et Mme [J] [N] en réparation du préjudice de perte de chance de faire fructifier le capital investi ;
– condamné in solidum la sarl Compagnie financière [A] et la société CNA Insurance Company (Europe), sous déduction de la franchise de 3.000 euros pour cette dernière au titre de la police d’assurance FN 1925, au paiement à Mme [P] [U] d’une somme de 5.490 euros au titre de la perte de chance de faire fructifier son capital ;
– condamné in solidum la sarl Compagnie financière [A] et la société CNA Insurance Company (Europe), sous déduction de la franchise de 3.000 euros pour cette dernière au titre de la police d’assurance FN 1925, au paiement à Mme [J] [N] d’une somme de 1.795 euros au titre de la perte de chance de faire fructifier son capital;
– condamné in solidum la sarl Compagnie financière [A] et la société CNA Insurance Company (Europe) au paiement à Mme [P] [U] et Mme [J] [N] 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile;
– condamné in solidum la sarl Compagnie financière [A] et la société CNA Insurance Company (Europe) aux dépens ;
Statuant de nouveau :
A titre principal :
– Juger que le rôle de la société Compagnie Financière [A] dans la l’acquisition de parts indivises auprès de la société Aristophil par Mme [N] n’est pas établi ;
– Juger que la qualité d’assuré de la police n° FN 1925 de M. [T] n’est pas établie ;
– Juger que Mme [X] ne démontre pas de faute commise par la société Compagnie financière [A] qui serait à l’origine du préjudice dont elle demande réparation ;
– Débouter les demanderesses de toutes leurs prétentions à l’égard de la société CNA Insurance Company (Europe) ;
A titre très subsidiaire :
– Juger que les demanderesses échouent à démontrer subir un préjudice réparable ;
– Débouter les demanderesses de toutes leurs prétentions ;
A titre infiniment subsidiaire,
– Juger que la société CNA Insurance Company (Europe) ne saurait être tenue à garantir la société Compagnie Financière [A] au-delà des termes de la police n° FN 1925 souscrite auprès d’elle et donc après application d’une franchise de 3.000 ‘ par demanderesse ;
– Juger que la police n° FN 1925 prévoit un plafond de garantie de 2.000.000 ‘ par période d’assurance applicable à l’ensemble des réclamations formées à l’encontre des assurées au titre de la police n° FN 1925 au cours de la même période d’assurance ;
– Juger que la police n° FN 1925 a cessé de produire ses effets à compter du 31 décembre 2014 (date de sa résiliation) ou, subsidiairement, le 29 janvier 2015 (du fait de sa caducité) ;
– Juger en conséquence que la réclamation des demanderesses doit être rattachée à la période de garantie subséquente de 5 ans ayant pris effet à la date de cessation des garanties (31 décembre 2014 ou 29 janvier 2015) ;
– Constater que la société CNA Insurance Company (Europe) a d’ores et déjà réglé ou séquestré au titre de cette période d’assurance subséquente de 5 ans des condamnations pour un montant de deux millions d’euros égal au plafond de garantie de la police n° FN 1925 applicable à cette période d’assurance subséquente ;
– Débouter, en conséquence, les demanderesses de leurs demandes de condamnation à l’encontre de la société CNA Insurance Company (Europe) ;
-Juger en revanche que les demanderesses pourront prétendre, en concurrence avec les autres investisseurs bénéficiant de la garantie de la société CNA Insurance Company (Europe) au titre de la période d’assurance subséquente de la police n°FN 1925, au bénéfice des condamnations séquestrées par la société CNA Insurance Company (Europe), ces sommes devant être réparties au marc l’euro des indemnités allouées par les décisions de justice irrévocables bénéficiant auxdits investisseurs ;
– A titre subsidiaire, juger, si la Cour retient que la police n° FN 1925 n’a pas été frappée de caducité au 29 janvier 2015, que la réclamation des demandeurs doit être rattachée à la période d’assurance de 2015 ;
– Condamner la société CNA Insurance Company (Europe) à garantir la société Compagnie Financière [A] des conséquences des condamnations prononcées à son encontre dans la limite des condamnations que la société CNA Insurance Company (Europe) aura déjà versées au titre des autres réclamations formulées au titre de la police n° FN 1925 pendant la période d’assurance 2015, et après application de la franchise contractuelle de 3.000 ‘ par demanderesse ;
En tout état de cause,
-Condamner in solidum les demanderesses à payer à la société CNA Insurance Company (Europe) une somme de 3.000 ‘ au titre de l’article 700 code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens d’instance dont distraction au profit de Maître Viandier Lefebvre en application de l’article 699 du code de procédure civile.
9. Par message RPVA du 3 février 2025, le conseil de la société CNA Insurance Company a sollicité le report de l’ordonnance de clôture.
L’affaire a été fixée à l’audience collégiale du 18 février 2025.
L’instruction a été clôturée par ordonnance du 4 février 2025
10. Il convient d’ordonner liminairement la jonction des deux instances instruites sous les n° RG n°22/04615 et RG n° 22/04697, sous le premier numéro RG 22/04615, unies par un lien tel qu’il est de l’intérêt d’une bonne administration de la justice de les juger ensemble.
I – Sur la recevabilité de l’action au regard de la prescription :
11. Le tribunal a déclaré prescrite l’action de Mmes [N] et [X] contre la compagnie financière [A] en sa qualité de ‘conseiller en investissements financiers’ en indemnisation d’une perte de chance de ne pas souscrire un produit Aristophil, ayant retenu que le point de départ de la prescription en était la date de la conclusion du contrat à laquelle les demanderesses avaient eu connaissances des caractéristiques du placement, en l’absence d’acte interruptif de prescription, mais que l’action fondée sur la performance du support et la perte de chance de faire fructifier son capital, n’était pas prescrite, le point de départ en étant le courrier d’Aristophil du 25 mars 2015 par lequel elle a informé ses clients de la suspension des opérations d’achat ou de rachat des oeuvres, du fait de l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire à son encontre.
12. Mesdames [N] et [X] demandent à la cour de réformer le jugement en ce qu’il a déclaré partiellement irrecevables leurs demandes, contestant la distinction opérée par le tribunal entre deux préjudices dont elles n’ont eu connaissance qu’avec la réalisation de leur dommage par l’ouverture de la procédure collective à l’encontre d’Aristophil, date où elles ont connu leurs pertes d’investissements et en conséquence les faits leur permettant d’agir. Ce n’est qu’alors qu’elles ont pris la mesure du manquement de la compagnie financière [A] à son devoir d’information et de conseil quant à la nature du placement et aux risques encourus.
13. La société financière [A] demande de confirmer le jugement déféré en ce qu’il a déclaré prescrite l’action entreprise par les demanderesses pour manquement au devoir d’information et de conseil pour perte de chance de ne pas souscrire et de l’infirmer pour le surplus en ce qu’il a déclaré recevable l’action pour perte de chance de faire fructifier le capital investi, dès lors que quelque soit le préjudice allégué il est jugé de façon constante que le manquement à une obligation d’information et de conseil qui consiste en une perte de chance de ne pas contracter se manifeste au jour de la conclusion du contrat à l’origine de l’action en responsabilité.
14. Si la société CNA Insurance company Europe demande dans le dispositif de ses écritures de réformer le jugement en ce qu’il a déclaré recevable l’action en réparation du préjudice de perte de chance de faire fructifier le capital investi, elle ne développe dans ses conclusions aucun moyen de réformation s’agissant de la prescription.
Sur ce :
15. Il n’est pas contesté que l’action en responsabilité exercée contre le conseiller en gestion de patrimoine pour manquement à son devoir d’information et de conseil est soumise aux dispositions de l’article 2224 du code civil selon lequel
‘Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.’
16. Il ne saurait être retenu avec le tribunal que la connaissance des faits permettant d’agir, alors qu’est précisément invoqué un défaut de conseil entachant la conclusion même du contrat, s’est manifestée lors de la conclusion du contrat, de sorte que Mesdames [N] et [X] ‘auraient dû’ avoir connaissance de ce manquement qui leur permettait d’agir dès la souscription, ce qui reviendrait à vider l’obligation de conseil de toute sa substance.
17. C’est au contraire à la date de la réalisation de leur dommage, soit le jour où elles ont pris connaissance et conscience que le placement ne produirait pas les bénéfices et rendements escomptés que Mesdames [N] et [X] ont connu les faits leur permettant d’agir, soit en l’occurrence à compter de février 2015, date de l’ouverture de la procédure collective contre la société Aristophil et du mois de mars 2015, date de l’information qui en a été donnée aux clients.
18. Elles ont alors pris connaissance à cette date du manquement de leur conseiller financier à ses obligations réalisant pour elle une perte de chance de ne pas souscrire ce placement. Quant à la perte de chance de ne pas réaliser un meilleur placement et de faire fructifier le capital, elle est nécessairement née de la même cause que la perte de chance de ne pas souscrire dès lors que ce que prétendent les appelantes c’est que si elles n’avaient pas souscrit ce placement désastreux pour elles, elles se seraient orienter vers un autre placement.
19. Il s’ensuit que l’action en responsabilité introduite contre la compagnie financière [A] par exploit en date du 25 octobre 2018 n’est en aucun cas prescrite quelle que soit la perte de chance alléguée.
20. Il s’ensuit que le jugement entrepris est confirmé en ce qu’il a déclaré recevable l’action en responsabilité entreprise par Mmes [N] et [X] pour perte de chance de faire fructifier leur capital mais infirmé en ce qu’il a déclaré prescrite l’action en responsabilité pour perte de chance de ne pas souscrire.
II – Sur les manquements reprochés à la compagnie financière [A] :
A) Sur l’intervention de la compagnie financière [A] :
21. Les parties sont en désaccord tant en ce qui concerne l’intervention de la compagnie financière [A] dans le contrat signé par Mme [N] qu’en ce qui concerne la qualité en laquelle elle est intervenue dans le contrat signé par Mme [X].
1 ) sur le contrat signé par Mme [N] :
22. Le tribunal a retenu que Mme [N] était fondée à se prévaloir de l’apparence en ce que M. [T] a été chargé de clientèle de la société Audipro-Groupe aux droits duquel est venue la Compagnie financière [A], les échanges contractuels entre M. [T] et Mme [N] ayant eu lieu au siège de la société [A], M. [T] ayant la qualité de chargé de clientèle de la société [A].
23. La société [A] conteste cette décision affirmant que rien ne la lie à M. [T].
24. La société CNA, assureur de la compagnie Financière [A], demande également de réformer la décision sur ce point, le fait que M. [T] se présente lui même sur les réseaux sociaux comme chargé de clientèle Audipro Groupe ne saurait établir le lien entre celui-ci et la compagnie financière [A], ni qu’il aurait présenté l’investissement à Mme [N] dans le cadre d’une subordination putative, ce qu’aucun élément n’atteste.
25. Mme [N] conclut à la confirmation du jugement entrepris, affirmant que M. [A], en tant que gérant de la société Compagnie financière [A] et, M. [T], en tant que chargé de clientèle de la même société, sont intervenus dans les souscriptions litigieuses comme représentants la compagnie financière [A], que M. [T] lui aurait indiqué agir au nom de la société Compagnie financière [A]/Audipro Groupe, ce pourquoi elle a adressé en juin 2015 un courrier recommandé à M. [T] au siège de la société Compagnie financière [A] ; que M. [A] qui a été l’intermédiaire dans la souscription de Mme [X] a signé le contrat comme mandataire conseiller en son nom et que de même, M. [T] a signé le contrat comme mandataire (conseiller) sans cependant remplir son nom, son nom et sa signature apparaissant en bas de chacun des documents pré-contractuels et contractuels.
Sur ce :
26. Il ne résulte cependant d’aucun élément que M. [T] qui apparaît bien le conseiller qui est intervenu lors des souscriptions litigieuses par Mme [N], est intervenu à cette occasion en qualité de mandataire ou chargé de clientèle de la société Compagnie financière [A], en l’absence de toute mention associée du nom de M. [T] et de la société Compagnie financière [A] dans l’ensemble du corpus des documents et engagements souscrits par Mme [N] et, si tant est que M. [T] en ait pris l’apparence, elle ne pourrait être opposée qu’à lui, alors pourtant que Mme [N] a choisi de ne pas l’appeler à la cause. Pas davantage, le fait qu’elle ait elle-même adressé un courrier à M. [T] à l’adresse de la Compagnie financière [A] en février 2015, après connaissance du redressement judiciaire ouvert à l’encontre d’Aristophil, ne saurait constituer un élément de preuve opposable à la compagnie financière [A]. Enfin, aucun élément ne vient confirmer ce qu’affirme Mme [N] à savoir que son engagement aurait été souscrit au siège de la société Compagnie financière [A].
27. Mme [N] qui échoue à rapporter la preuve que la compagnie Financière [A] serait intervenue, par son préposé ou mandataire, M. [T], dans la signature des contrats la concernant, est en conséquence déboutée de toutes ses demandes à l’encontre de la Compagnie financière [A] mais également à l’encontre de son assureur, la CNA Insurance Company Europe, dès lors que la garantie de la CNA n’est recherchée qu’en qualité d’assureur de la Compagnie financière [A], le jugement entrepris étant infirmé en ce qu’il a condamné ces dernières, sous déduction de la franchise de 3.000 euros pour la CNA au titre de la police d’assurance FN 1925, à payer à Mme [J] [N] d’une somme de 1.795 euros au titre de la perte de chance de faire fructifier son capital.
2) sur le contrat signé par Mme [X] :
28. Le tribunal a retenu que la Compagnie financière [A] était intervenue en qualité de conseiller en gestion de patrimoine mais a exclu sa qualité de conseiller en investissement financier, en regard de la nature des produits Aristophil et de l’absence de convention de gestion au sens de l’article L 550-1 du CMF.
29. La société Compagnie financière [A] conteste la décision qui a retenu sa responsabilité, observant qu’elle n’est pas partie au contrat conclu directement entre Mme [X] et la société Aristophil, elle même n’étant intervenue qu’en qualité de courtier, mandatée pour commercialiser les produits Aristophil à travers des contrats fournis et rédigés par son mandant, lesquels étaient directement souscrits entre les acheteurs, clients et la société Aristophil, de sorte qu’elle ne saurait être tenue pour responsable des déceptions de Mme [X] quant à son investissement. Si elle conteste être intervenue en qualité de CIF, elle ne conteste cependant pas expressément le jugement entrepris qui a retenu sa qualité de conseiller en gestion de patrimoine ne contestant pas qu’elle était tenue à un devoir de conseil, qu’elle estime avoir rempli.
30. La CNA, qui convient que la société Compagnie financière [A], qui avait la qualité de conseiller en gestion de Patrimoine, était tenue d’un devoir d’information et de conseil qu’elle soutient qu’elle a parfaitement rempli envers Mme [X], ne s’exprime pas ici sur la qualité de mandataire d’Art Courtage de la société [A].
31. Quant à Mme [X] elle met en avant la double qualité de conseiller en gestion de patrimoine et la société Compagnie financière [A] et de mandataire chargée de la vente des produits Aristophil pour lui reprocher des manquements multiples à son devoir d’information et de conseil
32. Le jugement n’est en conséquence pas contesté en ce qu’il a écarté la qualité de conseiller en investissement financier de la société Compagnie financière [A] et retenu sa qualité de conseiller en gestion de patrimoine.
33. La responsabilité de la société Compagnie financière [A] sera en outre recherchée en qualité de mandataire de la société Art. Courtage, mais non de la société Aristophil, chargée de la vente des produits Aristophil, qualité que revendique justement la société Compagnie financière [A] et qui n’est nullement remise en cause par les parties.
B) Sur la responsabilité de la société Compagnie Financière [A] envers Mme [X] :
34. Le tribunal a retenu que si la convention de garde ne permettait pas au client d’exiger du vendeur la reprise des quotes-parts, ceux-ci ayant clairement consenti au vendeur un droit de préemption et une promesse de vente, la société [A], tenue d’un devoir d’information, n’établissait pas avoir informé ses clients des risques concernant le rachat et de la perte de chance de faire fructifier son capital.
35. La société Compagnie Financière [A] qui insiste longuement sur sa qualité de mandataire et sur le fait qu’elle ne saurait être tenue des manquements de son mandant, fait cependant valoir qu’elle a communiqué des informations sincères et véritable au moment de la conclusion du contrat en l’état de ses connaissances au jour de la souscription, en 2012 et 2013, de l’état de santé de la société Aristophil qui bénéficiait d’une excellente réputation et notation auprès de la Banque de France. Elle estime ainsi s’être parfaitement acquittée de son obligation de conseil, ne contestant pas qu’elle lui incombait.
36. Mme [X] demande la confirmation du jugement qui a retenu un manquement du conseiller en gestion de patrimoine à son devoir d’information et de conseil et fait valoir sur ce point que la société [A] a manqué à son devoir d’information en phase pré-contractuelle, compte tenu du caractère très laconique et standardisé des documents utilisés (fiche connaissance client et mandat de recherche), qui ne constituent pas une définition précise du profil investisseur de Mme [X], mais également, pour n’avoir pas informé ses clients des caractéristiques des biens meubles vendus et pour n’avoir pas recherché en qualité de courtier les avis de valeur des oeuvres établies par les experts et les attestations d’assurances. De manière, générale, elle observe que dans la fiche connaissance client il n’existe aucune rubrique tenant à l’information du client sur le risque de perte en capital.
37. La CNA conteste tout manquement du conseiller en gestion de patrimoine au regard des informations dont il disposait.
Sur ce :
1) sur les manquements au devoir d’information et de conseil du conseiller en gestion de patrimoine :
38. Il est reproché ici à la Compagnie financière [A] de n’avoir pas suffisamment informé Mme [X] de l’absence de garantie de rachat au terme de la convention de garde mais également, de ne pas l’avoir informée des risques inhérents à la souscription, dans son ensemble, et de n’avoir pas recherché et analysé au stade pré-contractuel les demandes et besoins exprimés par Mme [X] et de ne s’être pas assuré que la proposition d’investissement en litige correspondait à son profil d’investisseur.
*1.1 – sur les termes de la convention de garde :
39. S’il n’est pas contesté que le conseiller en gestion de patrimoine est tenu d’un devoir d’information et de conseil concernant le mécanisme global de l’opération d’investissement, il n’est pas tenu d’une obligation de sur-information des clients concernant les termes clairs et intelligibles du contrat pour un client maîtrisant normalement la langue française.
40. La convention d’indivision en litige qui ne comporte que quelques articles, dont un article VII conférant au vendeur (la société Aristophil) un droit de préemption, aux conditions exactes proposées par le premier acquéreur, en cas de décision de l’acquéreur de mettre fin à la convention avant son terme pour revendre directement sa collection à un tiers et, en son article VI, une promesse de vente unilatérale consentie par le propriétaire (l’acquéreur) à la société (Aristophil) au terme de 5 ans de convention de garde, d’une durée de 6 mois courant à compter du terme de la convention de dépôt.
41. Celle-ci prévoit en effet de manière tout à fait claire que ‘ Durant ces 6 mois, la société aura la faculté d’acheter la collection au prix convenu ou à un prix d’expertise. Ce prix sera au minimum supérieur de 8 % par an au prix d’acquisition tel qu’il figure à l’annexe 1 pour une période de garde et de conservation de 5 années pleines et entières.’
42. Il ne peut y avoir de confusion sur le fait que le droit de préemption n’était qu’une possibilité pour la société Aristophil, ni sur le fait qu’elle n’était tenue d’aucune obligation d’achat mais au contraire se voyait consentir une promesse de vente dont la levée éventuelle après de 5 années de garde et de conservation conditionnait la rendement annuel de 8 % annoncé.
43. Cette clause parfaitement intelligible pour un acquéreur moyen, ne nécessitait donc pas d’information particulière pour laquelle le conseiller en gestion de patrimoine était susceptible d’engager sa responsabilité pour avoir manqué à son devoir d’information et de conseil.
*1.2 – sur l’information afférente à l’opération d’investissement en son ensemble:
44. Il pèse sur le conseiller en gestion de patrimoine une obligation d’informer et conseiller son client sur les investissements qu’il lui propose. Il doit notamment l’informer du rendement et des risques de manière expresse, au stade pré-contractuel, en lui remettant une notice précise comportant ces différents points, le cas échéant comportant des exemples précis d’investissements et de rendements.
45. Il ne résulte en l’espèce d’aucun élément que le conseiller en gestion de patrimoine ait informée Mme [X] sur le rendement d’une telle acquisition, en dehors des termes de la convention de gestion, ni sur les risques y afférents, notammment de perte en capitalinhérent à la souscription, alors qu’il n’est pas contesté que l’acquisition de manuscrits en indivision emportait pour le souscripteur un risque de perte en capital équivalent au montant de son investissement, en regard de la particulière volatilité du marché, justifiant qu’il n’y soit fait recours que dans un souci de diversification de son patrimoine.
46. Quant à la fiche connaissance client, elle se distingue par son indigence puisque n’y ont été cochées que quatre cases :
– à la rubrique objectif recherché a été entourée la mention ‘valoriser un patrimoine’, ce dont il ne ressort aucune information sur ce que le client entend par cet objectif et notamment s’il est prêt à prendre des risques et dans quelle mesure, ce qui au regard du placement proposé ainsi que retenu ci-avant, constituait une information primordiale pour adapter l’investissement proposé au degré de risque accepté par avance par le client.
– il y était encore indiqué que l’investissement souhaité était de 100.000 euros, qu’il constituait ‘moins de 10 %’ du patrimoine global du mandant et provenait de ‘la vente d’un fond de commerce’, de sorte que ce patrimoine global pouvait être de 100.000 euros à 1.000.000 d’euros, ce qui ne constituait en conséquence pas une information pertinente pour permettre au conseiller en gestion de patrimoine d’apprécier le degré de risque à conseiller à son client.
-enfin, quant à la clause de style selon laquelle le client a coché la case ‘dans le cadre du contrat (complété à la main de C . Corday à C.[B] n° 2933) je confirme que j’ai suivi les préconisations de mon conseiller en gestion de patrimoine qui sont conformes à ma situation familiale et patrimoniale et à mes besoins et exigences’, elle ne peut caractériser une exécution complète et idoine par la compagnie financière [A] de son devoir d’information et de conseil alors qu’elle ne permet pas à la cour d’en apprécier le contenu et le caractère de complétude.
47. La société Compagnie financière [A] ne justifie pas en conséquence avoir rempli son devoir d’information et de conseil quant aux risques afférents au placement souscrit et à son adéquation avec le profil d’investisseur de Mme [X].
48. Elle a donc engagé sa responsabilité de ce chef, ainsi que l’a justement retenu le tribunal, sans qu’il soit nécessaire de s’interroger sur ses éventuelles autres manquements relatifs à l’évaluation des oeuvres, dès lors que tout manquement du professionnel à son devoir d’information et de conseil emporte une perte de chance de ne pas souscrire le contrat en litige. Il convient en conséquence de rechercher si ce manquement a été à l’origine d’un préjudice pour Mme [X].
2) Sur le préjudice indemnisable de Mme [X] :
*2.1 – sur la perte de chance de ne pas contracter :
49. Mme [X] soutient que son préjudice est exactement égal au montant de la perte en capital qu’elle subit après la vente aux enchères de l’ensemble des oeuvres, ayant donné lieu à une dernière distribution courant 2024, et qu’ainsi, pour sa collection ‘les secrets des Manuscrits – De [H] Corday à [H] [B]’ son préjudice équivaut à la somme de 49 500 euros dont elle demande à être entièrement indemnisée et, à titre subsidiaire, à hauteur de 44 000 euros correspondant à sa perte de chance de ne pas souscrire à un tel placement.
50. La société Compagnie financière [A] demande d’infirmer le jugement qui a retenu un préjudice pour Mme [X] de 5 490 euros et de débouter celle-ci de son appel et de ses demandes de ce chef. Elle fait valoir que les appelantes se prévalent d’un préjudice sans indiquer à la cour les lots qui ont d’ores et déjà été cédés ni les bordereaux de vente, de sorte qu’elles n’établissent nullement que leurs pertes auraient été de 90 % à 92 % de leur investissement et que partant, leur préjudice est au mieux incertain au pire inexistant.
51. La CNA conclut pareillement, à titre infiniment subsidiaire, à une absence de préjudice réparable, en l’absence de lien de causalité entre les manquements reprochés à la société Compagnie financière [A] et le préjudice allégué qui ne résulte que de la liquidation judiciaire de la société Aristophil et des infractions pénales reprochées à son dirigeant auxquelles la société Compagnie financière [A] est étrangère, observant que les appelantes ont entrepris une action en réparation aux mêmes fins contre le notaire devant le tribunal de grande instance de Nice ; que subsidiairement, les appelantes n’établissent nullement le prix auquel la vente de leurs collections a été réalisée pas plus qu’elles n’établissent que l’ensemble aurait été vendu, ne justifiant pas en conséquence du caractère certain de leur préjudice lequel demeure au contraire hypothétique et non déterminable, les premières ventes de la société Aguttes ne présageant en rien des fruits des ventes à venir ; qu’enfin leur préjudice ne saurait jamais consister qu’en une perte de chance infime de ne pas contracter dès lors qu’au regard des termes parfaitement clairs des conventions en litige, les intimées auraient quels qu’aient été les informations données réalisés les dits investissements.
Sur ce :
52. Il est constant que le manquement à un devoir pré-contractuel d’information et de conseil prive le souscripteur d’une chance de ne pas contracter. Il importe peu que le risque qui s’est réalisé ait été extérieur à l’obligation de conseil du conseiller en gestion de patrimoine dès lors qu’il est établi que mieux conseillé, le client qui aurait pu ne pas souscrire ce placement, n’aurait alors pas subi la perte, ce qui correspond précisément à une perte de chance de ne pas contracter qui, si elle n’est jamais égale au montant de la perte réalisée, se mesure en pourcentage de celle-ci.
53. Mme [X] ne peut alléguer à ce sujet une jurisprudence sanctionnant un manquement au devoir d’information et de conseil par une obligation de réparation intégrale du préjudice subi intervenue dans une espèce où le projet présenté aux acquéreurs l’avait été comme dénué de tout risque, avec une sécurité de loyers garantis durant 9 ans, sans comporter la moindre réserve afférente aux risques, de sorte que les professionnels ont été condamnés au paiement du rendement auquel ils s’étaient engagés, qui n’est pas transposable à la présente espèce où est reprochée au professionnel un manque d’information concernant les risques.
54. Mme [X], sur laquelle pèse la charge de la preuve de son préjudice et de justifier de l’existence de la perte en capital qu’elle allègue, verse aux débats quatre décomptes vendeurs émanant de Maître [Y] pour des ventes aux enchères de 2017/2018, 2019, 2020 et 2021/2022 ( ses pièces 2-8) concernant le Manuscrit de [H] [B] ayant donné lieu à des répartitions dans le cadre desquelles, titulaire de 37 parts sur les 10000, elle a perçu un total de 5 300 euros, ne justifie cependant pas que ces ventes, qui ne comportent pas le détail du nombre de pièces vendues, aient porté sur l’ensemble de son investissement dans l’indivision ‘Le secret des Manuscrits’ et en conséquence que sa perte serait définitivement établie à la somme de 49 500 euros correspondant à la différence entre son investissement initial et le montant des ventes.
55. Il n’est en conséquence pas possible de déduire de ces éléments que les pièces constituant la collection ‘De [H] Corday à [H] [B]’ auraient perdu 90 % de leur valeur d’acquisition.
56. Mme [X], qui en l’état des informations produites, alors qu’elle s’est constituée partie civile au dossier d’instruction en cours, échoue à établir la preuve de la perte en capital qu’elle subit, qui seule aurait permis à la cour d’arrêter son préjudice en termes de perte de chance de ne pas conclure qui ne peut être appréciée qu’en pourcentage du montant de ses pertes, sera déboutée de ses demandes indemnitaires.
* 2-1 – sur la perte de chance de faire fructifier son capital :
57. Ce préjudice est nécessairement le pendant de la perte de chance de ne pas contracter de sorte qu’il ne peut être fixé que dans la proportion de la première dès lors qu’il s’agit de déterminer, si Mme [X] n’avait pas conclu ce placement dont elle n’avait pas bien mesuré les risques, la possibilité qu’elle aurait eu, nécessairement dans la même proportion, de souscrire un placement plus sécure et de valoriser en conséquence son capital.
58. Ainsi, dès lors que la cour n’est pas mise en mesure d’apprécier le montant de la chance perdue en proportion des pertes certaines, elle ne peut davantage calculer le bénéfice que Mme [X] aurait pu retirer de la part de son capital qu’elle aurait pu mieux placer.
59. Le jugement entrepris qui a alloué de ce chef à Mme [X] une somme de 5 490 euros est en conséquence infirmé, Mme [X] étant déboutée de toutes ses demandes indemnitaires à l’encontre de la société Compagnie financière [A] et partant, à l’encontre de son assureur, la Société CNA Insurance company Europe.
60. Succombant en leur recours, Mme [N] et Mme [X] supporteront les entiers dépens de première instance et d’appel, l’équité ne commandant pas qu’il soit fait application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
La Cour,
Ordonne la jonction des procédures instruites sous les numéros de RG 22/04615 et 22/04697, sous le premier numéro RG 22/04615.
Infirme le jugement entrepris sauf en ce qu’il a déclaré recevable l’action de Mme [I] [N] et de Mme [P] [X] épouse [U] au titre de la perte de chance de faire fructifier leur capital.
Statuant à nouveau des chefs réformés et y ajoutant :
Déclare recevable comme non prescrite l’action de Mme [I] [N] et de Mme [P] [X] épouse [U] au titre de la perte de chance de ne pas contracter.
Déboute Mme [I] [N] de toutes ses demandes dirigées contre la société Compagnie financière [A] et, en conséquence, à l’encontre de la société CNA Insurance company Europe, assureur de la société Compagnie financière [A].
Déboute Mme [P] [X] épouse [U] de toutes ses demandes indemnitaires.
Rejette les demande sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Condamne in solidum Mme [I] [N] et Mme [P] [X] épouse [U] aux entiers dépens de première instance et d’appel avec distraction pour ceux d’appel au profit de la SCP Viandier Lefebvre, avocats, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Le présent arrêt a été signé par Paule POIREL, présidente, et par Vincent BRUGERE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, La Présidente,
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