Responsabilité des assureurs face à la nullité contractuelle dans le secteur de la construction

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Responsabilité des assureurs face à la nullité contractuelle dans le secteur de la construction

L’Essentiel : Le 24 février 2007, Mme [L] confie à la société [Y] [U] [O] la construction de sa maison. Le chantier, débuté le 10 mai 2007, est interrompu le 25 janvier 2008 en raison de désordres. Après une expertise, Mme [L] assigne les parties en justice pour requalification du contrat. Le tribunal déboute Mme [L], mais la cour d’appel de Rouen infirme ce jugement en 2017, requalifiant le contrat et ordonnant le remboursement. Les sociétés [Y] [U] [O] et HE forment un pourvoi en cassation, entraînant un renvoi devant la cour d’appel de Caen, où Mme [L] se désiste de certaines demandes.

Contexte de l’affaire

Le 24 février 2007, Mme [W] [L] a confié à la société [Y] [U] [O] la construction d’une habitation individuelle. La société HE, dirigée par M. [Y] [U], a été chargée de plusieurs lots, notamment les menuiseries et les revêtements. Les autres lots ont été attribués à divers entrepreneurs, dont un architecte et des entreprises pour le terrassement, la maçonnerie, et l’électricité. Le chantier a débuté le 10 mai 2007 et a été interrompu le 25 janvier 2008 en raison de désordres signalés par Mme [L].

Interruption et expertise

Après l’interruption du chantier, Mme [L] a demandé une expertise. En mars 2008, la société [Y] [U] [O] a abandonné le chantier, demandant la réception de l’ouvrage en l’état. Une expertise contradictoire a été réalisée, suivie d’une ordonnance du juge des référés ordonnant une expertise supplémentaire. En mars 2010, Mme [L] a assigné les parties devant le tribunal de grande instance de Rouen pour obtenir la requalification du contrat et des indemnités.

Jugement et appel

Le tribunal de grande instance a débouté Mme [L] de ses demandes par un jugement du 30 octobre 2015. Elle a interjeté appel, et la cour d’appel de Rouen a infirmé ce jugement le 25 janvier 2017, requalifiant le contrat en contrat de construction de maison individuelle et prononçant sa nullité. La cour a condamné la société [Y] [U] [O] à rembourser plusieurs sommes à Mme [L].

Pourvoi en cassation et renvoi

Les sociétés [Y] [U] [O] et HE ont formé un pourvoi en cassation. La Cour de cassation a cassé partiellement l’arrêt de la cour d’appel, renvoyant l’affaire devant la cour d’appel de Caen. En juin 2018, Mme [L] s’est désistée de ses demandes à l’égard de la société HE, et l’affaire a été mise en état.

Décisions ultérieures

Le 2 juillet 2019, la cour d’appel de Caen a fixé la créance de Mme [L] à la liquidation judiciaire de la société [Y] [U] [O]. En novembre 2021, le tribunal de Nanterre a rejeté toutes les demandes de Mme [L] contre les sociétés MMA, confirmant que la garantie responsabilité civile professionnelle n’était pas mobilisable en raison de la nullité du contrat de construction.

Appel et demandes de Mme [L]

Mme [L] a interjeté appel du jugement de novembre 2021, demandant des indemnités pour préjudice matériel et moral. Les sociétés MMA ont contesté la recevabilité de ses demandes et ont demandé à être déboutées.

Motifs de la décision

La cour a confirmé la recevabilité des demandes de Mme [L] en tant que tiers lésé, mais a rejeté ses demandes d’indemnisation, considérant que les dommages ne résultaient pas des travaux réalisés. La cour a également statué que la demande de préjudice moral n’était pas fondée. Enfin, Mme [L] a été condamnée aux dépens d’appel et à payer une indemnité aux sociétés MMA pour les frais de procédure.

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la nature du contrat entre Mme [L] et la société [Y] [U] [O] ?

Le contrat passé le 24 février 2007 entre Mme [L] et la société [Y] [U] [O] a été requalifié par la cour d’appel de Rouen en contrat de construction de maison individuelle.

Cette requalification est essentielle car elle détermine les obligations des parties et les garanties applicables. En effet, selon l’article L. 231-1 du Code de la construction et de l’habitation, un contrat de construction de maison individuelle est un contrat par lequel un constructeur s’engage à réaliser un ouvrage pour un maître d’ouvrage, en contrepartie d’un prix convenu.

La cour a prononcé la nullité de ce contrat, ce qui a des conséquences sur les obligations de l’assureur et sur les droits de Mme [L].

En conséquence, la nullité du contrat entraîne la restitution des sommes versées par Mme [L] au titre de ce contrat, ce qui a été ordonné par la cour d’appel.

Quelles sont les implications de la nullité du contrat sur les obligations des assureurs ?

La nullité du contrat de construction a des implications directes sur les obligations des assureurs, notamment en ce qui concerne la garantie responsabilité civile professionnelle.

Selon l’article L. 124-3 du Code des assurances, le tiers lésé dispose d’un droit d’action directe à l’encontre de l’assureur garantissant la responsabilité civile de la personne responsable.

Cependant, la garantie ne couvre que les dommages causés par les travaux réalisés dans le cadre du contrat. En l’espèce, les demandes de Mme [L] en restitution des sommes versées ne résultent pas de dommages imputables aux travaux, mais de la nullité du contrat.

Ainsi, la cour a jugé que la garantie responsabilité civile professionnelle de la société [Y] [U] [O] n’était pas mobilisable, car les conséquences de la nullité du contrat ne relèvent pas des dommages causés par les travaux.

Quels sont les critères de recevabilité des demandes de Mme [L] ?

La recevabilité des demandes de Mme [L] est fondée sur plusieurs critères, notamment le droit d’agir et l’intérêt à agir.

L’article 122 du Code de procédure civile stipule qu’une fin de non-recevoir peut être soulevée pour défaut de droit d’agir, tel que le défaut d’intérêt ou la prescription.

En l’espèce, Mme [L] a bien qualité et intérêt à agir contre les sociétés MMA, en tant qu’assureurs de la société [Y] [U] [O].

De plus, l’article L. 124-3 du Code des assurances lui confère un droit d’action directe contre l’assureur, ce qui renforce la recevabilité de ses demandes.

La cour a donc confirmé la recevabilité des demandes de Mme [L], en considérant qu’elle avait établi son droit à réparation.

Comment la cour a-t-elle évalué les préjudices de Mme [L] ?

La cour a évalué les préjudices de Mme [L] en se basant sur les sommes fixées par l’arrêt de la cour d’appel de Rouen du 25 janvier 2017.

Ces préjudices incluent des frais inhérents à l’exécution du contrat, des préjudices liés aux loyers supportés, ainsi qu’un préjudice moral.

Cependant, la cour a également noté que les demandes augmentées de Mme [L] ne pouvaient être reçues, car les montants avaient été fixés définitivement par la cour d’appel.

Ainsi, la cour a confirmé que les sociétés MMA n’étaient pas tenues de garantir ces préjudices, car ils ne résultaient pas de dommages imputables aux travaux réalisés, mais de la nullité du contrat.

Quelles sont les conséquences de la décision sur les dépens et les frais de procédure ?

La décision de la cour a des conséquences sur les dépens et les frais de procédure, conformément à l’article 696 du Code de procédure civile.

Mme [L], ayant succombé dans ses demandes, a été condamnée aux dépens de première instance et d’appel.

De plus, selon l’article 700 du même code, le juge peut condamner la partie perdante à payer à l’autre partie une somme pour couvrir les frais exposés et non compris dans les dépens.

En l’espèce, la cour a condamné Mme [L] à payer aux sociétés MMA une indemnité de 3 000 euros au titre des frais exclus des dépens exposés en cause d’appel, ce qui souligne l’importance de la décision sur les frais de procédure.

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 54A

Ch civ. 1-4 construction

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 25 NOVEMBRE 2024

N° RG 21/07131

N° Portalis DBV3-V-B7F-U3TX

AFFAIRE :

[W] [T] [L]

C/

S.A. MMA IARD,

Mutuelle MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES.

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 18 Novembre 2021 par le Tribunal de Commerce de Nanterre

N° RG : 19/08902

Expéditions exécutoires, Copies certifiées conforme délivrées le :

à :

Me Carine LERENARD

Me Virginie FRENKIAN

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT CINQ NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d’appel de Versailles, a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

APPELANTE

Madame [W] [T] [L]

née le 20 décembre 1959 à [Localité 6]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentant : Me Carine LERENARD, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 548

Plaidant : Me Yannick ENAULT de la SELARL YANNICK ENAULT-GREGOIRE LECLERC, avocat au barreau de ROUEN, vestiaire : 105

****************

INTIMÉES

S.A. MMA IARD

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentant : Me Virginie FRENKIAN SAMPIC de la SELEURL FRENKIAN AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A0693

MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES.

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentant : Me Virginie FRENKIAN SAMPIC de la SELEURL FRENKIAN AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A0693

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 16 Septembre 2024 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Fabienne TROUILLER, Présidente et Madame Séverine ROMI, Conseillère chargée du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Fabienne TROUILLER, Présidente,

Madame Séverine ROMI, Conseillère,

Madame Marie-Cécile MOULIN-ZYS, Conseillère,

Greffière, lors des débats : Madame Jeannette BELROSE,

FAITS ET PROCÉDURE

Le 24 février 2007, Mme [W] [L] a confié à la société [Y] [U] [O] la construction d’une habitation individuelle située à [Adresse 5].

La société HE, gérée par M. [Y] [U], s’est vu attribuer les lots :

– menuiseries extérieures, fermetures,

– menuiseries intérieures, plâtrerie, isolation,

– revêtements sols et carrelage,

– volets roulants,

– finitions menuiseries.

La société [Y] [U] [O] et la société HE sont toutes les deux assurées au titre de la responsabilité civile décennale auprès des sociétés MMA Iard et MMA Iard assurances mutuelles (ci-après MMA).

Les lots restants ont été confiés aux entreprises suivantes :

– M. [I], architecte : la réalisation des plans de la maison,

– la société Jamelin : le terrassement et les raccordements,

– M. [K] : la maçonnerie,

– M. [H] : la charpente,

– M. [D] : la couverture,

– M. [S] : la plâtrerie sèche,

– la société H2e : le lot électricité,

– M. [P] : la plomberie et les sanitaires,

– la société Martins : revêtement extérieur des murs.

Le chantier, débuté le10 mai 2007, a été interrompu le 25 janvier 2008, Mme [L] alléguant de nombreux désordres, a demandé une expertise.

Le 1er mars 2018, la société [Y] [U] [O] a abandonné le chantier sollicitant la réception de l’ouvrage en l’état.

Le 5 mars 2008, une expertise contradictoire amiable a été organisée par la société MAIF, assureur de Mme [L].

Par ordonnance du 12 juin 2008, le juge des référés a ordonné une expertise confiée à M. [B], lequel a déposé son rapport le 17 juin 2009.

Suivant exploit du 23 mars 2010, Mme [L] a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Rouen les différentes parties afin, notamment, d’obtenir1a requalification du contrat de maîtrise d »uvre en contrat de construction de maison individuelle, de voir prononcer la résolution judiciaire des contrats pour inexécution contractuelle et à condamner les parties défenderesses à l’indemniser au titre de la résolution du contrat et de l’abandon de chantier.

Par jugement du 30 octobre 2015, le tribunal de grande instance de Rouen a débouté pour l’essentiel de ses demandes Mme [L], laquelle a interjeté appel de cette décision, le 30 novembre 2015.

Par exploit du 10 novembre 2016, Mme [L] a fait assigner devant le tribunal judiciaire de Nanterre la société AXA Iard assurances mutuelles en qualité d’assureur de M. [K], la société MMA Iard assurances mutuelles prise en qualité d’assureur responsabilité civile et décennale de la société HE et en qualité d’assureurs de la société [Y] [U] [O].

La cour d’appel de Rouen, dans son arrêt du 25 janvier 2017, a :

– infirmé le jugement du 30 octobre 2015 en toutes ses dispositions,

– requalifié le contrat passé le 24 février 2007 entre Mme [L] et la société [Y] [U] [O] en contrat de construction de maison individuelle,

– prononcé la nullité du contrat ainsi requalifié,

– débouté Mme [L] de sa demande de remise en état de son terrain et de démolition de la construction litigieuse,

– débouté Mme [L] de ses demandes à l’encontre de la société HE, de MM. [U] et [K],

– condamné la société [Y] [U] [O] à payer à Mme [L] les sommes de :

– 113 502,96 euros en remboursement des sommes versées au titre du contrat annulé,

– 9 445,23 euros au titre des frais inhérents à l’exécution du contrat,

– 32 358,44 euros au titre des préjudices liés aux loyers supportés,

– 10 000 euros au titre de son préjudice moral,

– 20 000 euros au titre des frais irrépétibles ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel, comprenant les frais d’expertise.

Les sociétés [Y] [U] [O] et HE et Me [A] mandataire judiciaire de la société [Y] [U] [O] se sont pourvus en cassation.

Par arrêt du 3 mai 2018, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a cassé l’arrêt, mais seulement en ce qu’il a condamné la société [Y] [U] [O] à payer à Mme [L] la somme de l13 502,96 euros en remboursement des sommes versées en application du contrat annulé, l’arrêt rendu par la cour d’appel de Rouen le 27 janvier 2017 et a remis sur ce point, la cause et les parties dans l’état ou elles se trouvaient avant ledit arrêt et les a renvoyées devant la cour d’appel de Caen.

Le 7 juin 2018 a été rendue par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Nanterre une ordonnance de clôture qui a fait 1’objet d’un rabat le 19 juin 2018 dans l’attente de l’arrêt de la cour de cassation.

Par une ordonnance du 6 septembre 2018, le conseiller de la mise en état de la cour d’appel de Caen a constaté le désistement de Mme [L] à l’égard de la société HE.

Par ordonnance rendue le 25 octobre 2018, le juge de la mise en état du tribunal de Nanterre a sursis à statuer sur les demandes présentées par Mme [L] dans le cadre de l’instance initiée suivant exploit du 10 novembre 2016 dans l’attente de l’arrêt de la cour d’appel de Caen et a renvoyé l’affaire à la mise en état pour retrait du rôle.

Par une ordonnance en date du 20 décembre 2018, le juge de la mise en état a ordonné le retrait du rôle de la procédure.

Le 2 juillet 2019, la cour d’appel de Caen, après avoir relevé que la remise en état des parties dans la situation antérieure au contrat annulé était de nature à justifier le paiement au constructeur des sommes exposées lors de la construction de l’immeuble conservées par le maître de l’ouvrage, a constaté que les intimés (la société [Y] [U] [O] et Me [A] son mandataire judiciaire) n’avaient formulé aucune demande en ce sens et n’avaient produit aucune pièce de nature à permettre d’évaluer leur créance.

La cour a en conséquence fait droit à la demande de Mme [L] et a :

– fixé sa créance à la liquidation judiciaire de la société [Y] [U] [O] à titre chirographaire à :

– la somme de 113 502, 96 euros au titre de restitution des sommes versées en exécution du contrat de construction de maison individuelle, passé le 24 février 2007 avec la société [Y] [U] [O], annulé, (sic)

– la somme complémentaire de 1 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés devant la cour de renvoi,

– dit Mme [L] irrecevable pour le surplus de ses demandes financières tranchées par l’arrêt de la cour d’appel de Rouen du 25 janvier 2017,

– condamné la société [Y] [U] [O] représentée par Me [A], aux dépens de l’instance.

Par conclusions remises le 5 septembre 2019, Mme [L] a sollicité le rétablissement de l’affaire devant le juge de la mise en état du tribunal de Nanterre, tout en se désistant partiellement de ses demandes.

Le juge de la mise en état, par ordonnance du 18 juin 2020, a :

– donné acte à Mme [L] de son désistement d’instance à l’égard de la société Axa assurances Iard mutuelle, prise en qualité d’assureur de M. [K] et de la société MMA Iard assurances mutuelles, exclusivement prise en qualité d’assureur de la société HE,

– constaté l’extinction de 1’instance entre ces parties et le dessaisissement du tribunal,

– dit que l’instance se poursuit entre Mme [L] et les sociétés MMA Iard SA et MMA Iard assurances mutuelles en qualité d’assureur de la société [Y] [U] [O],

– dit que l’appe1 en garantie formé par les sociétés MMA Iard SA et MMA Iard assurances mutuelles en qualité d’assureurs de la société [Y] [U] [O] à l’encontre de la société Axa France Iard aux droits de la société Axa assurances Iard mutuelle, prise en qualité d’assureur de M. [K], se poursuit.

Par un jugement contradictoire du tribunal de Nanterre du 18 novembre 2021, le juge, a :

– rejeté la fin de non-recevoir soulevée par les sociétés MMA,

– dit recevable l’action de Mme [L],

– débouté Mme [L] de toutes ses demandes,

– dit sans objet l’appel en garantie de la société AXA France Iard par les sociétés MMA,

– débouté la société AXA France Iard de sa demande de dommages et intérêts,

– condamné Mme [L] à payer aux sociétés MMA la somme de 4 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné les sociétés MMA à payer à la société AXA France Iard la somme de 2 000 euros en application de1’article 700 du code de procédure civile,

– condamné Mme [L] aux dépens de l’instance, avec faculté de recouvrement direct.

Le juge a déclaré recevables les demandes de Mme [L] contre les sociétés MMA, mais a rejeté sa demande de garantie décennale en raison de la nullité du contrat de construction. Il a également jugé que la garantie responsabilité civile professionnelle ne pouvait être mobilisée, car les dommages invoqués n’étaient pas imputables aux travaux réalisés.

Par déclaration du 30 novembre 2021, Mme [L] a interjeté appel de ce jugement.

Aux termes de ses dernières conclusions, remises au greffe le 28 février 2023, Mme [L] demande à la cour de :

– condamner solidairement les sociétés MMA, prises en qualité d’assureur responsabilité civile professionnelle (contrat de la société [Y] [U] [O]) à lui verser, la somme de 155 306,63 euros au titre de la réparation de son préjudice matériel outre intérêts au taux légal depuis l’assignation avec capitalisation des intérêts,

– à défaut, condamner solidairement les sociétés MMA, prises en qualité d’assureur responsabilité civile professionnelle à lui verser la somme de 71 803,67 euros, correspondant au préjudice ci-après, retenu par la cour d’appel de Rouen dans son arrêt du 25 janvier 2017, outre les intérêts au taux légal capitalisé depuis l’assignation détaillée comme suit:

– 9 445,23 euros au titre des frais inhérents à l’exécution du contrat

– 32 358,44 euros au titre des préjudices liés aux loyers supportés

– 10 000 euros au titre du préjudice moral

– 20 000 euros au titre des frais irrépétibles ainsi qu’aux entiers dépens

– en tout état de cause, condamner solidairement les sociétés MMA, prises en qualité d’assureur responsabilité civile professionnelle à lui verser, la somme de 30 000 euros au titre de son préjudice moral,

– débouter les sociétés MMA de toutes leurs demandes,

– les condamner à lui payer la somme de 35 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– ainsi qu’à supporter les entiers dépens, outre les frais d’expertise exposés dans le cadre du contentieux à l’encontre de la société [U] [Y] [O] assuré auprès des sociétés MMA.

Aux termes de ses dernières, remises au greffe le 16 janvier 2023, les sociétés MMA Iard et MMA Iard assurances mutuelles demandent à la cour de :

– les recevoir en leurs écritures les disant bien fondées,

– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a déclaré recevable Mme [L] en son action, et la juger irrecevable en son action,

– confirmer le jugement en ce qu’il a débouté Mme [L] de l’ensemble de ses demandes à son encontre et l’a condamnée à leur payer la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens,

– débouter Mme [L] de ses demandes,

– à titre subsidiaire, dans l’hypothèse où la cour viendrait à considérer que ses garanties sont mobilisables, juger que Mme [L] ne démontre pas la réalité et le quantum des préjudices au titre desquels elle sollicite sa garantie,

– rejeter les demandes formulées,

– à tout le moins, limiter le montant des sommes réclamées,

– en tout état de cause, juger qu’elle est recevable et bien fondée à opposer les termes et limites des polices délivrées et notamment s’agissant de la franchise contractuelle opposable aux tiers,

– condamner Mme [L] et la société AXA France Iard à leur verser la somme de 8 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens de l’instance.

Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux écritures de celles-ci conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 7 mai 2024, l’affaire a été fixée à l’audience de plaidoirie du 16 septembre 2024 et elle a été mise en délibéré au 25 novembre 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire, il faut remarquer qu’il est présenté par les sociétés MMA des demandes à l’encontre de la société AXA France Iard qui n’est pas dans la cause.

Sur la recevabilité des demandes de Mme [L]

En application de l’article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

Selon l’article L.124-3 du code des assurances, le tiers lésé dispose d’un droit d’action directe à l’encontre de l’assureur garantissant la responsabilité civile de la personne responsable.

L’assureur ne peut payer à un autre que le tiers lésé tout ou partie de la somme due par lui, tant que ce tiers n’a pas été désintéressé, jusqu’à concurrence de ladite somme, des conséquences pécuniaires du fait dommageable ayant entraîné la responsabilité de l’assuré.

L’action directe de la victime permet à cette dernière de mettre en ‘uvre un droit propre sur l’indemnité d’assurance, qui ne peut s’exercer que dans les limites du contrat d’assurance mais trouve son fondement dans le droit à réparation du préjudice causé par le dommage dont l’assuré est responsable. Il appartient donc à la victime d’établir non seulement la dette de responsabilité de l’assuré, mais aussi l’existence d’un contrat d’assurance.

En l’espèce, Mme [L] sollicite la condamnation des sociétés MMA, en qualité d’assureur responsabilité civile de la société [Y] [U] [O], qui ne dénie pas cette qualité.

Mme [L], qui recherche la garantie directe de cet assureur en application de l’article précité, a bien qualité et intérêt à agir.

Les demandes de Mme [L] donc recevables. Le jugement est confirmé.

Sur le bien-fondé des demandes de Mme [L]

Mme [L] n’a pas repris sa demande fondée sur l’engagement de l’assurance responsabilité décennale de la société [Y] [U] [O]. Elle ne demande plus en appel que la mise en jeu de l’assurance responsabilité civile professionnelle de la société [Y] [U] [O] pour réclamer son indemnisation.

En effet, la société [Y] [U] [O] avait également souscrit une police d’assurance responsabilité civile autre que décennale des maîtres d »uvre auprès des sociétés MMA avec effet au 1er janvier 2002.

Le contrat dans son article 9 Titre Il définit la garantie souscrite comme celle couvrant « l’assuré contre les conséquences pécuniaires de la responsabilité civile qui peut lui incomber en raison des dommages corporels, matériels et immatériels consécutifs à des dommages corporels et matériels garantis causés à autrui par les ouvrages ou travaux ayant été réalisés dans le cadre de son activité professionnelle, postérieurement à leur achèvement, qu’ils aient été ou non réceptionnés. »

Comme l’ont relevé les premiers juges, sont donc exclues de la garantie les conséquences pécuniaires des dommages causés à autrui qui ne seraient pas imputables aux travaux ayant été réalisés par le maître d »uvre.

Or, la demande pécuniaire de Mme [L] en restitution des sommes versées par elle suite à l’annulation du contrat ne résultent pas des dommages imputables aux travaux ayant été réalisés par le maître d »uvre mais des conséquences de la nullité du contrat la liant au maître d »uvre.

En effet, la cour d’appel de Rouen, dans son arrêt du 25 janvier 2017, a, après avoir requalifié le contrat passé le 24 février 2007 entre Mme [L] et la société [Y] [U] [O] en contrat de construction de maison individuelle, prononcé la nullité du contrat ainsi requalifié et condamné la société [Y] [U] [O] à payer à Mme [L] la somme de 113 502,96 euros en remboursement des sommes versées au titre du contrat annulé. C’est cette somme qu’elle voudrait voir prise en charge par l’assureur au titre du contrat précité.

Or, le contrat d’assurance ne concerne que les travaux et leurs conséquences dommageables.

Ainsi, la garantie responsabilité civile professionnelle n’est pas ici mobilisable.

Le jugement est confirmé.

Mme [L], à défaut, demande la condamnation de l’assureur de la société [Y] [U] [O] à lui payer les sommes mises à sa charge par la cour d’appel de Rouen, dans son arrêt du 25 janvier 2017, soit les sommes de :

– 9 445,23 euros au titre des frais inhérents à l’exécution du contrat

– 32 358,44 euros au titre des préjudices lies aux loyers supportés

– 10 000 euros au titre de son préjudice moral

– Et celle au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Précision faite qu’elle demande, à titre principal, l’augmentation de ces sommes dont le montant a été fixé définitivement par la cour d’appel de Rouen, cette demande augmentée ne peut être reçue de ce fait.

En effet, par arrêt aujourd’hui définitif puisque que la Cour de cassation n’a pas remis en cause l’arrêt sur ces dispositions, la société [Y] [U] [O] a été condamnée à lui payer ces sommes.

Les sociétés MMA soutiennent que seuls sont garantis les travaux afférents au secteur d’activité professionnelle déclaré par le constructeur.

Il est admis que l’assureur ne garantit que les activités déclarées par l’assuré, à défaut, la sanction applicable est la non-assurance, opposable au maître d’ouvrage et aux tiers.

En l’espèce, il a été définitivement procédé à la requalification du contrat de louage d’ouvrage en contrat de construction de maison individuelle, or cette activité n’a pas été déclarée à l’assurance par l’assuré.

Les activités ainsi déclarées aux conditions particulières sont celles de missions de maîtrise d »uvre, soit selon les termes du contrat conclu :

« Ce sont des missions complètes ou partielles de maîtrise d »uvre comprenant :

La conception (établissement de tous les documents, pièces écrites et plans)

La réalisation (direction, contrôle général des travaux, réception des travaux)

La coordination du chantier »

L’activité de constructeur de maisons individuelles qui doit faire l’objet d’une assurance idoine n’est pas visée.

Le fait que l’architecte ait commis une faute personnelle en ne souscrivant pas une telle assurance ne permet en rien de faire rentrer la réparation réclamée dans les garanties susvisées.

En conséquence, les garanties des sociétés MMA ne sont pas mobilisables. Le jugement est confirmé.

Sur la demande de Mme [L] au titre de son préjudice moral

Cette demande doit être fondée sur une faute de l’assureur, qui n’est en rien prouvée puisqu’il ne fait qu’opposer les clauses de son contrat pour assurer sa défense.

En conséquence, la demande est rejetée.

Sur les dépens et les autres frais de procédure

Mme [L], qui succombe, a été à juste titre condamnée aux dépens de première instance. Elle sera également condamnée aux dépens d’appel, conformément à l’article 696 du code de procédure civile.

Selon l’article 700 1° de ce code, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée.

Le premier juge a fait une application équitable de ces dispositions, les circonstances de l’espèce justifient de condamner Mme [L] à payer aux sociétés MMA une indemnité de 3 000 euros au titre des frais exclus des dépens exposés en cause d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant après débats en audience publique, par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement en intégralité ;

Y ajoutant,

Déboute Mme [W] [L] de sa demande de dommages-intérêts ;

Condamne Mme [W] [L] aux dépens d’appel ainsi qu’à payer aux sociétés MMA Iard et MMA Iard assurances mutuelles une indemnité de 3 000 euros, par application de l’article 700 du code de procédure civile, et la déboute de sa demande à ce titre.

Prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Fabienne TROUILLER, Présidente et par Madame Jeannette BELROSE, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,


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