La démission d’un salarié est un acte unilatéral par lequel il manifeste sa volonté de mettre fin à son contrat de travail. Toutefois, lorsque le salarié remet en cause cette démission en raison de manquements imputables à l’employeur, le juge doit examiner si ces manquements sont suffisamment graves pour justifier une requalification de la démission en prise d’acte de la rupture. Selon l’article L.1235-1 du Code du travail, la prise d’acte produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués par le salarié la justifient. En l’espèce, la salariée a allégué des manquements de l’employeur concernant la dégradation de ses conditions de travail, la surcharge de travail, et l’absence de prise en compte de son mal-être, ce qui a été reconnu par le conseil de prud’hommes. La jurisprudence, notamment l’arrêt de la Cour de cassation du 25 septembre 2019 (n° 18-20.198), précise que la prise d’acte doit être analysée en fonction des circonstances antérieures ou contemporaines à la démission, et que c’est au salarié de prouver les faits allégués. En l’occurrence, la cour a jugé que les manquements de l’employeur étaient suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail, entraînant ainsi la requalification de la démission en licenciement sans cause réelle et sérieuse.
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L’Essentiel : La démission d’un salarié est un acte unilatéral mettant fin à son contrat de travail. Si le salarié conteste cette démission en raison de manquements de l’employeur, le juge doit évaluer la gravité de ces manquements pour requalifier la démission en prise d’acte. La salariée a évoqué des manquements liés à ses conditions de travail, reconnus par le conseil de prud’hommes. La jurisprudence stipule que la prise d’acte doit être analysée selon les circonstances, et le salarié doit prouver les faits allégués.
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Résumé de l’affaire :
Engagement et évolution professionnelleLa technicienne qualité a été engagée par la société Clinique en qualité de technicienne qualité au bloc opératoire par contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel à compter du 29 octobre 2013. Par avenant du 11 janvier 2018, elle a été nommée assistante qualité à temps partiel, puis la durée de travail a été portée à temps plein le 22 septembre 2020. Elle a été placée en arrêt de travail le 24 août 2021. Procédure judiciaire initialeLe conseil de prud’hommes de Rouen a été saisi le 29 septembre 2021 concernant l’exécution du contrat de travail, et a rendu un jugement le 22 décembre 2022, faisant partiellement droit aux demandes de la salariée. Le 13 janvier 2022, la salariée a démissionné en invoquant des griefs à l’encontre de l’employeur. Le 11 janvier 2023, elle a demandé la requalification de sa démission en prise d’acte de la rupture du contrat de travail. Jugement du conseil de prud’hommesLe 1er février 2024, le conseil de prud’hommes a jugé que la prise d’acte produisait les effets d’une démission, a débouté la salariée de ses demandes, et l’a condamnée à reverser une indemnité de préavis non exécuté à la société Clinique. La société a également été déboutée de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile. Appel de la salariéeLe 28 février 2024, la salariée a interjeté appel du jugement. Dans ses conclusions du 21 mai 2024, elle a demandé à la cour d’infirmer le jugement et de requalifier sa démission en prise d’acte de la rupture aux torts de l’employeur, ainsi que d’ordonner le versement de diverses indemnités. Arguments des partiesLa salariée a reproché à l’employeur de ne pas avoir pris en compte ses alertes concernant la dégradation de ses conditions de travail, tandis que l’employeur a soutenu que les manquements invoqués étaient anciens et n’avaient pas empêché la poursuite du contrat de travail. La salariée a également évoqué une dégradation de son état de santé reconnue par la CPAM. Décision de la cour d’appelLa cour a infirmé le jugement initial, considérant que la prise d’acte de la rupture produisait les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Elle a condamné la société Clinique à verser à la salariée diverses indemnités, y compris une indemnité légale de licenciement et des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Conséquences financières et administrativesLa cour a ordonné le remboursement par l’employeur des indemnités chômage versées à la salariée et a exigé la remise de documents administratifs conformes à la décision. La société Clinique a été condamnée aux dépens et à verser une somme pour les frais générés par l’instance. |
Q/R juridiques soulevées :
Quel est le cadre juridique de la requalification d’une démission en prise d’acte de rupture ?La démission est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail. Selon l’article L.1231-1 du Code du travail, « le contrat de travail peut être rompu à l’initiative de l’une ou l’autre des parties ». Lorsque le salarié remet en cause sa démission en raison de faits ou manquements imputables à son employeur, le juge doit analyser si, à la date de la démission, celle-ci était équivoque. Si tel est le cas, la démission peut être requalifiée en prise d’acte de rupture, produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, conformément à l’article L.1235-1 du Code du travail. Il incombe au salarié d’établir les faits allégués à l’encontre de l’employeur, qu’ils soient mentionnés dans l’écrit ou invoqués au soutien de ses prétentions. Dans cette affaire, la salariée a évoqué des alertes sur la dégradation de ses conditions de travail, ce qui a conduit à la requalification de sa démission en prise d’acte. Quel est l’impact des manquements de l’employeur sur la santé du salarié ?L’employeur a une obligation de sécurité envers ses salariés, stipulée à l’article L.4121-1 du Code du travail, qui impose de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Dans le cas présent, la salariée a subi une dégradation de ses conditions de travail, ce qui a eu un impact direct sur sa santé, reconnu par la CPAM comme maladie professionnelle. Les manquements de l’employeur, tels que la surcharge de travail et l’absence de prise en compte des alertes de la salariée, ont été jugés suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail. Ainsi, la cour a considéré que ces manquements étaient de nature à justifier la requalification de la démission en prise d’acte de rupture, entraînant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Quel est le montant des indemnités dues au salarié en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse ?En cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, l’article L.1235-3 du Code du travail prévoit que le salarié a droit à une indemnité compensatrice de préavis, ainsi qu’à une indemnité de licenciement. Dans cette affaire, la salariée a droit à une indemnité légale de licenciement calculée sur la base de son ancienneté et de son salaire. Le montant de l’indemnité de licenciement a été fixé à 5 526,25 euros, tandis que l’indemnité compensatrice de préavis s’élève à 5 305,18 euros. De plus, la salariée a également droit à des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, qui ont été fixés à 8 500 euros, en tenant compte de son ancienneté et des circonstances de la rupture. Quel est le régime des intérêts sur les sommes dues au salarié ?Les intérêts sur les sommes dues au salarié sont régis par l’article 1343-2 du Code civil, qui stipule que « les intérêts échus produisent eux-mêmes des intérêts à compter de leur échéance, lorsqu’ils sont dus au moins pour une année entière ». Dans cette affaire, les sommes allouées à caractère salarial porteront intérêts au taux légal à compter de la convocation de l’employeur en conciliation, tandis que celles à caractère indemnitaire porteront intérêts à compter du présent arrêt. Cela signifie que la salariée a droit à des intérêts sur les indemnités qui lui sont dues, ce qui augmente le montant total qu’elle recevra en raison de la rupture de son contrat de travail. La cour a donc ordonné que les intérêts échus produisent eux-mêmes des intérêts, conformément aux dispositions légales en vigueur. Quel est le rôle de l’article 700 du Code de procédure civile dans cette affaire ?L’article 700 du Code de procédure civile permet au juge de condamner la partie perdante à payer à l’autre partie une somme au titre des frais irrépétibles exposés dans le cadre de la procédure. Dans cette affaire, la cour a condamné la société Clinique [8] à verser à la salariée la somme de 3 000 euros en application de cet article, en raison des frais générés par l’instance. La société Clinique [8] a également été déboutée de sa demande fondée sur l’article 700, ce qui signifie qu’elle n’a pas pu obtenir le remboursement de ses propres frais. Cette disposition vise à garantir un accès à la justice équitable et à compenser les frais engagés par la partie qui a obtenu gain de cause. |
COUR D’APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 27 FEVRIER 2025
DÉCISION DÉFÉRÉE :
Jugement du CONSEIL DE PRUD’HOMMES DE ROUEN du 01 Février 2024
APPELANTE :
Madame [X] [V]
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Stéphane PASQUIER de la SELARL PASQUIER, avocat au barreau de ROUEN
INTIMÉE :
S.A.S. CLINIQUE [8]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Sophie REY de la SAS ACTANCE, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 14 Janvier 2025 sans opposition des parties devant Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente, magistrat chargé du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente
Madame BACHELET, Conseillère
Monsieur LABADIE, Conseiller
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Madame WERNER, Greffière
DEBATS :
A l’audience publique du 14 janvier 2025, où l’affaire a été mise en délibéré au 27 février 2025
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 27 Février 2025, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Madame DUBUC, Greffière.
Mme [X] [V] a été engagée par la société Clinique [8] en qualité de technicienne qualité au bloc opératoire par contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel à compter du 29 octobre 2013.
Par avenant du 11 janvier 2018, Mme [V] a été nommée assistante qualité à effet au 1er janvier 2018 à temps partiel.
Le 22 septembre 2020, la durée du travail a été portée à temps plein.
Le 24 août 2021, Mme [V] a été placée en arrêt de travail.
Saisi le 29 septembre 2021 en demandes au titre de l’exécution du contrat de travail, le conseil de prud’hommes de Rouen a rendu le 22 décembre 2022 un jugement faisant partiellement droit aux demandes de la salariée.
Le 13 janvier 2022, Mme [V] a adressé à la Clinique [8] un courrier de démission faisant état de griefs à l’encontre de l’employeur.
Par requête du 11 janvier 2023, Mme [V] a saisi le conseil de prud’hommes de Rouend’une nouvelle requête en requalification de sa démission en prise d’acte de la rupture du contrat de travail.
Par jugement du 01 février 2024, le conseil de prud’hommes a :
– dit que la prise d’acte de Mme [V] produit les effets d’une démission
– débouté Mme [V] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions
– condamner Mme [V] à reverser à la société Clinique [8] la somme brute de 5 305,18 euros à titre d’indemnité de préavis non exécuté
– débouté la société Clinique [8] de sa demande formulée au titre de l’article 700 du code de procédure civile
– condamné Mme [V] aux entiers dépens de l’instance.
Le 28 février 2024, Mme [V] a interjeté appel de ce jugement.
Par conclusions remises le 21 mai 2024, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens, Mme [V] demande à la cour de :
– la recevoir en son appel et l’en déclarer bien fondée
en conséquence,
– infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions
– requalifier sa démission en prise d’acte de la rupture du contrat de travail, aux torts et griefs de la société Clinique [8]
– ordonner que cette prise d’acte s’analyse en un licenciement sans cause réelle ni sérieuse
en conséquence,
– condamner la clinique [8] à lui verser, avec intérêts légaux et capitalisation des intérêts, les sommes suivantes :
dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse : 21 220, 72 euros
indemnité de licenciement : 5 747,30 euros
indemnité de préavis : 5 305,18 euros
congés payés afférents : 530,52 euros
– ordonner la rectification des documents sociaux, sous astreinte de 500 euros par jour et par document, la cour se réservant le droit de la liquider
– condamner la société Clinique [8] à lui payer la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions remises le 05 août 2024, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé détaillé des moyens, la société Clinique [8] demande à la cour de confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions
statuant à nouveau,
à titre principal,
– débouter Mme [V] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions
– condamner Mme [V] à lui verser les sommes de 5 305,18 euros correspondant au préavis qu’elle n’a pas exécuté et 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens
à titre subsidiaire,
– réduire le montant de l’indemnité légale de licenciement à la somme de 5 412,72 euros
– réduire le montant de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à 8 119,08 euros.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 09 janvier 2025.
I Sur la requalification de la démission en prise d’acte
La salariée reproche à son employeur de n’avoir pas pris en compte ses alertes quant à la dégradation de ses conditions de travail, d’avoir eu une charge de travail inadaptée, la contraignant à réaliser des heures complémentaires et à travailler à temps plein, la privant de ses pauses obligatoires de 20 minutes, comme devant régulièrement participer à des réunions sur le temps de pause déjeuner, ce qui a contribué à la dégradation de son état de santé, accomplissant des tâches à la demande de l’employeur qui ne lui a jamais demandé de ne pas travailler si tard en télétravail et ne lui a communiqué aucune information sur son droit à la déconnexion ; elle ajoute qu’elle est passée de technicienne qualité pour le bloc à technicienne qualité pour l’ensemble de la clinique sans révision de ses missions, que l’effectif du service qualité s’est fortement réduit pour finir seule en avril 2020 suite à l’arrêt de travail de son responsable, M. [H] [E], pour burn out, alors que par ailleurs, depuis le rachat du groupe et la période Covid, des nouvelles missions se sont ajoutées en ce qu’il a fallu rédiger de nouvelles procédures spécifiques ayant été aussi impacté sa charge de travail, le renfort n’intervenant que courant 2020 pour prendre en charge une partie spécifique en qualité et non la gestion du service dans sa globalité ; elle fait valoir que la situation dégradée perdurant, son état de santé s’est également dégradé et d’ailleurs la CPAM a reconnu le caractère professionnel de sa maladie déclarée le 24 août 2021 ; c’est dans ces conditions qu’elle a sollicité une rupture conventionnelle d’abord refusée par la Direction, laquelle n’a finalement pas abouti compte tenu de ce qu’à son retour de congés, l’employeur lui a proposé une indemnité de 4 500 euros accompagnée d’une transaction pour aboutir à un montant de 10 000 euros qui ne lui avait pas été préalablement soumis.
Aussi, elle considère que sa démission s’analyse en une prise d’acte aux torts de l’employeur.
L’employeur, relevant le caractère purement opportuniste de l’action initiée par la salariée, fait valoir que les manquements invoqués sont anciens et n’ont pas empêché la poursuite du contrat de travail, la prise d’acte datant du 13 janvier 2022 alors que ses alertes résultent des mails des 7 décembre 2017, 9 janvier 2018 et 28 avril 2020, que la salariée ne produit aucun élément à l’appui de ses allégations selon lesquelles l’effectif du service qualité a été diminué ni qu’une telle diminution aurait eu un impact sur sa charge de travail, puisqu’au contraire, il justifie que durant l’arrêt maladie de M. [E] à compter du 18 avril 2020, il a recruté un salarié à temps partiel à compter du 5 novembre 2020, mis à disposition M. [G] [D] à 50% de son temps jusqu’au 30 novembre 2021, ainsi que Mme [O] [R]. Ainsi, il réfute tout manquement.
La démission est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail .
Lorsque le salarié, sans invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l’annulation de la démission, remet en cause celle-ci en raison de faits ou manquements imputables à son employeur, le juge doit, s’il résulte des circonstances antérieures ou contemporaines de la démission qu’à la date à laquelle elle a été donnée, celle-ci était équivoque, l’analyser en une prise d’acte de la rupture qui produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient ou dans le cas contraire d’une démission.
La prise d’acte est un mode de rupture du contrat par lequel le salarié met un terme à son contrat en se fondant sur des manquements qu’il impute à l’employeur.
Il convient d’apprécier les griefs reprochés par le salarié et de s’assurer qu’ils sont suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail et ainsi, qualifier la rupture de licenciement sans cause réelle et sérieuse.
A défaut , la prise d’acte s’analyse en une démission.
C’est au salarié qu’il incombe d’établir les faits allégués à l’encontre de l’employeur qu’ils soient mentionnés dans l’écrit ou invoqués au soutien de ses prétentions.
En l’espèce, Mme [X] [V] a adressé le 13 janvier 2022 une lettre de démission, dans laquelle elle évoque les nombreuses alertes adressées sur la dégradation de ses conditions de travail depuis plusieurs années, lesquelles sont restées sans réponse, et l’absence de prise en compte de son mal être au travail.Ainsi, sa démission est équivoque.
Il résulte des éléments du débat que la salariée a été engagée en qualité de technicien qualité au bloc opératoire à compter du 1er novembre 2013 à temps partiel à raison de 121h33 mensuels. Elle a été nommée assistante qualité à compter du 1er janvier 2018 à temps partiel à hauteur de 80%, porté à 100 % par avenant du 22 septembre 2020 à effet au 15 septembre 2020, le mercredi étant télétravaillé jusqu’au 15 mars 2021, modalité maintenue jusqu’au 31 mai 2021.
En décembre 2017, la salariée a sollicité auprès de son responsable un entretien pour faire un point sur sa fonction, ses missions et son salaire et il se déduit du mail du 9 janvier 2018 non seulement qu’il s’est tenu le 8 décembre 2017, mais aussi que si les problèmes tenant à l’organisation, sa charge de travail et la considération qu’elle rencontre depuis plusieurs mois ont été abordés, elle n’avait toujours aucun retour des solutions proposées.
Néanmoins, il convient d’observer que s’en est suivi l’avenant du 11 janvier 2018 la nommant assistante Qualité au coefficient 290 avec un complément de salaire de 100 euros, ce qui se traduit par une augmentation de sa rémunération et donc une reconnaissance de son travail.
Ensuite, il est produit le mail qu’elle a adressé le 28 avril 2020 à Mme [C] [P], DRH, M. [M], directeur, étant mis en copie, dans lequel elle explique craquer, que la gestion de la qualité de l’établissement est en souffrance depuis plusieurs années, situation devenue insupportable, disant être seule depuis 3 ans pour se sortir de cette situation sans que jamais un signal positif ne lui soit envoyé, ni aucune reconnaissance, alors qu’elle a toujours été exemplaire, auquel il lui a été répondu en lui proposant un entretien le 30 avril en présence de M. [M].
Parallèlement, Mme [A] [U], médecin du travail, a eu un échange avec la salariée à sa demande le 5 mai 2020 et elle atteste que, dans le cadre de la consultation à distance, la salariée a exprimé une souffrance morale dans son activité professionnelle en raison d’une charge de travail très importante en lien avec la certification HAS prévue en juin et l’arrêt maladie de son responsable ; elle évoquait aussi un manque de reconnaissance et une absence de prise de conscience de sa hiérarchie ; c’est dans ces conditions qu’elle lui a proposé un soutien psychologique. Si la salariée avait précisé avoir eu de bons échanges avec la Direction Qualité du groupe actuel, et avoir bénéficié notamment de l’aide de deux responsables qualité qui ont été détachés, cela n’a pas suffit.
Il est produit le compte rendu de l’intervention du psychologue du travail qui a échangé avec la salariée en visioconférence le 18 mai 2020 à la demande du médecin du travail, laquelle lui a expliqué avoir vu sa charge de travail modifiée depuis 3 ans à la suite de la refonte du service, avec un périmètre d’intervention étendu à l’ensemble de l’établissement, l’exigence des certifications avec mise à jour des procédures, et réduction concomitante de l’effectif, regrettant un manque de clarté de ses missions et un défaut de méthodologie de son N+1, sans remise en question de sa part ; elle disait avoir le sentiment que la direction méconnaissait son métier. Elle soulignait que depuis le rachat, le service Qualité du groupe lui apportait du soutien technique et relationnel, permettant l’arrivée à venir du responsable qualité de [Localité 6], sans qu’elle n’en connaisse la date.
En effet, l’employeur justifie avoir :
– recruté en contrat de travail à durée déterminée Mme [J] comme assistante qualité remplaçante du 5 novembre 2020 au 30 juin 2021 à mi-temps, puis du 1er juillet 2021 au 31 décembre 2021 à raison de 60,67 heures par mois,
– mise à disposition temporaire à compter du 2 novembre 2020 au 30 juin 2021, renouvelée jusqu’au 30 novembre 2021, M. [G] [D] compte tenu de l’absence de M. [E] pour les mêmes fonctions, son temps étant partagé par moitié avec son lieu d’affectation d’origine.
En revanche, alors que l’employeur allègue aussi avoir mis à disposition Mme [O] [R], il n’en est pas justifié.
Le 12 mai 2021, la salariée a adressé à son employeur une demande de rupture conventionnelle pour se consacrer à de nouveaux projets.
Le18 juin 2021, la salariée a adressé une lettre à l’employeur dans lequel elle a fait part de son désarroi face au refus qui lui a été opposé d’accéder à sa demande de rupture conventionnelle, expliquant vouloir quitter la clinique puisqu’elle est épuisée psychologiquement, invoquant trop de travail, de pressions et de reproches, la baisse de l’effectif du service, le remplacement sans aucune aide pendant plusieurs semaines de son responsable, sans que ses alertes ne soient prises au sérieux et particulièrement celle exprimée par mail le 28 avril 2020 et les heures complémentaires accomplies dans des conditions non régulières.
Finalement des discussions ont repris, mais n’ont pas abouti.
La salariée a été placée en arrêt de travail à compter du 24 août 2021, après un entretien avec la DRH le 23 août 2021.
L’assurance maladie a reconnu le caractère professionnel de la maladie ‘ hors tableau’ déclarée le 24 août 2021.
Mme [X] [V] communique également les attestations de :
M. [B] [N], retraité, qui a travaillé à la clinique [8] jusqu’en septembre 2018, avant qu’il ne soit transféré vers la clinique [5] à [Localité 7] jusqu’en décembre 2020. Il décrit la désorganisation du service Qualité, la réduction de l’effectif initial de 4, la répartition des missions de M. [E] devenu responsable du service, entre lui et Mme [V], l’approche de M. [M] devenu directeur du groupe après le rachat consistant à faire tout avec rien, ce qui installait un climat de défiance. Il ajoute avoir eu régulièrement Mme [V] au téléphone, laquelle devait assurer seule la certification dans l’établissement, après que M. [E] se soit effondré en pleurs au cours d’une réunion et soit en arrêt depuis avril 2020 ;
M. [E], attaché de direction, qui a travaillé avec la salariée jusqu’à ce qu’il soit arrêté le 28 avril 2020. Il décrit la grande implication de la salariée qui n’hésitait pas à accomplir des heures complémentaires quand nécessaire. Il explique qu’en 2016, avec l’arrivée d’un nouveau directeur, la Qualité a été regroupée en un seul service qu’il dirigeait et comptait quatre personnes, avant d’être réduit à trois, la répartition des domaines d’intervention se faisant en fonction des compétences, goûts et parcours de chacun.
Il évoque les discours négatifs et dénigrements du travail accompli par le directeur à l’égard de leur travail, ainsi que de la directrice des soins infirmiers. Lors de l’informatisation totale de la clinique fin 2017, début 2018, il a dû libérer Mme [X] [V] pour y participer, ce qui a augmenté sa charge de travail au dépend du fonctionnement du service qualité.
En septembre 2018, leur effectif est passé à deux sans perspective d’amélioration, ce qui a conduit à se partager les missions entre eux ; lors d’un entretien la concernant avec la DRH, compte tenu de ses qualités et implication, il a demandé à ce qu’elle soit augmentée ; en 2019, pendant son arrêt maladie, elle a initié seule le démarrage de la certification HAS de l’établissement ; entre juin et décembre 2019, leur travail impliquait de multiples réunions et heures supplémentaires pour rendre un document ‘ Compte Qualité’.
A la suite du rachat de la clinique en février 2020, l’audit du service Qualité des 4 et 5 mars 2020 ne s’est pas bien passé. En mars et avril 2020, la période a été compliquée en raison des travaux rectificatifs demandés par Vivalto, les pressions de l’encadrement et le début de la crise Covid avec le télétravail.
Outre que par jugement définitif du 22 décembre 2022, le conseil de prud’hommes de Rouen, saisi d’une première requête de la salariée, a retenu que l’employeur avait manqué à son obligation de sécurité en ne prenant pas la mesure de la charge mentale décuplée de la salariée malgré ses alertes, ce qui est à l’origine de la dégradation de ses conditions de travail, il convient d’observer que la surcharge de travail ainsi admise a perduré quand bien même l’employeur a apporté des moyens à la salariée. En effet, s’il a recruté en contrat de travail à durée déterminée Mme [J] comme assistante qualité remplaçante du 5 novembre 2020 au 30 juin 2021 à mi-temps, puis du 1er juillet 2021 au 31 décembre 2021 à raison de 60,67 heures par mois et mis à disposition temporaire à compter du 2 novembre 2020 au 30 juin 2021, renouvelée jusqu’au 30 novembre 2021, M. [G] [D] pour assurer les mêmes fonctions que M. [E], absent depuis avril 2020, néanmoins, cette mise à disposition n’était que pour la moitié de son temps puisqu’il restait affecter sur son lieu d’origine pour l’autre moitié et l’embauche de l’assistante qualité n’était qu’à temps partiel.
Aussi, alors que l’employeur n’apporte aucune explication sur la réduction significative d’effectifs depuis plusieurs années, que les alertes de la salariée n’ont donné lieu à aucune solution suffisante pour pallier à la surcharge de travail et la pression en résultant, que M. [E] n’a été que partiellement remplacé dans ses fonctions de responsable, ce qui impliquait nécessairement que Mme [V] continue d’assumer des missions en relevant, à la date de sa démission, soit le 13 janvier 2022, les manquements de l’employeur persistaient en ce qu’il n’avait pas apporté de solutions pérennes et suffisantes pour permettre à la salariée de travailler dans des conditions satisfaisantes et protectrices de sa santé à la suite de l’arrêt de M. [E], aucune perspective d’amélioration n’apparaissant lors de son éventuelle reprise à l’issue de son arrêt.
Dès lors que ces manquements impactent la santé de la salariée, à laquelle il a été reconnue qu’elle présentait une maladie professionnelle hors tableaux à la suite de son arrêt de travail du 24 août 2021, leur gravité est telle qu’ils empêchent la poursuite du contrat de travail auprès de la société Clinique [8], quand bien même elle a trouvé un autre emploi dès février 2022.
Aussi, par arrêt infirmatif, la cour dit que la prise d’acte de la rupture produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
II Sur les conséquences de la rupture du contrat de travail
Les parties s’accordent sur un salaire moyen mensuel d’un montant de 2 652,59 euros et une ancienneté de 8 ans et 2 mois, laquelle est de 8 ans et 4 mois, préavis inclus pour le calcul de l’indemnité légale de licenciement.
Aussi, cette indemnité s’élève à la somme de 5 526,25 euros, après application de la formule suivante : ( 2 652,59 euros x1/4×8) + (2 652,59 euros x1/4 x 4/12).
La salariée est fondée aussi à obtenir l’indemnité de préavis d’un montant de 5 305,18 euros et les congés payés afférents.
En considération de son ancienneté de 8 ans dans une entreprise de plus de onze salariés, lui ouvrant droit à une indemnité comprise entre 3 et 8 mois de salaire, de son recrutement dès février 2022 comme assistante administrative, la cour accorde à Mme [X] [V] la somme de 8 500 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Les sommes allouées à caractère salarial porteront intérêts au taux légal à compter de la convocation de l’employeur en conciliation et celles à caractère indemnitaire à compter du présent arrêt pour les dispositions prononcées.
Les intérêts échus produiront intérêts, dés lors qu’ils seront dus au moins pour une année entière à compter de l’arrêt, conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil.
Les conditions de l’article L.1235-4 du code du travail étant réunies, il convient d’ordonner le remboursement par l’employeur fautif aux organismes intéressés des indemnités chômage versées à la salariée licenciée dans la limite de six mois d’indemnités de chômage, du jour de la rupture au jour de la présente décision.
Compte tenu de l’issue du litige, il convient d’ordonner la remise par l’employeur d’un bulletin de salaire récapitulatif des sommes dues, d’un certificat de travail et de l’attestation France travail conformes au présent arrêt sans que les circonstances exigent d’y adjoindre une astreinte.
III Sur les dépens et frais irrépétibles
En qualité de partie principalement succombante, la société Clinique [8] est condamnée aux entiers dépens y compris de première instance, déboutée de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure et condamnée à payer à Mme [X] [V] la somme de 3 000 euros pour les frais générés par l’instance et non compris dans les dépens.
La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
Infirme le jugement entrepris ;
Statuant à nouveau,
Dit que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Condamne la société Clinique [8] à payer à Mme [X] [V] les sommes suivantes :
– indemnité légale de licenciement : 5 526,25 euros
– indemnité compensatrice de préavis : 5 305,18 euros
– congés payés afférents : 530,51 euros
– dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 8 500 euros
Dit que les sommes allouées à caractère salarial porteront intérêts au taux légal à compter de la convocation de l’employeur en conciliation et celles à caractère indemnitaire à compter du présent arrêt ;
Dit que les intérêts échus produiront intérêts, dés lors qu’ils seront dus au moins pour une année entière à compter de l’arrêt, conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil ;
Ordonne le remboursement par la société Clinique [8] aux organismes intéressés des indemnités chômage versées à Mme [X] [V] dans la limite de six mois d’indemnités de chômage, du jour de la rupture au jour de la présente décision ;
Ordonne la remise par la société Clinique [8] à Mme [X] [V] d’un bulletin de salaire récapitulatif des sommes dues, d’un certificat de travail et de l’attestation France travail conformes au présent arrêt ;
Dit n’y avoir lieu au prononcé d’une astreinte ;
Condamne la société Clinique [8] aux entiers dépens de première instance et d’appel ;
Condamne la société Clinique [8] à payer à Mme [X] [V] la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Déboute la société Clinique [8] de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile en appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE
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