La responsabilité des défenseurs syndicaux dans l’exercice de leur mandat est régie par les dispositions de l’article 1992 du Code civil, qui stipule que « le mandataire répond non seulement du dol, mais encore des fautes qu’il commet dans sa gestion ». Toutefois, cette responsabilité est atténuée lorsque le mandat est gratuit, ce qui est le cas des défenseurs syndicaux. En conséquence, la faute commise par un défenseur syndical dans l’exécution de son mandat doit être appréciée avec une certaine souplesse, mais cela ne dispense pas le mandataire de l’obligation de respecter les délais de procédure fixés, sous peine de péremption de l’instance.
L’article 564 du Code de procédure civile précise que « à peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions » sauf dans des cas spécifiques. En l’espèce, la cour a jugé que les demandes formulées par Mme [X] en appel, bien que fondées sur un nouveau fondement juridique, ne constituaient pas des demandes nouvelles au sens de cet article, car elles visaient les mêmes fins que celles soumises au premier juge. La responsabilité du syndicat, en tant que commettant des défenseurs syndicaux, peut également être engagée en vertu des principes de la responsabilité délictuelle, notamment lorsque les fautes commises par les défenseurs syndicaux dans l’exercice de leur mandat sont établies. Les statuts du syndicat et les documents internes indiquent que le syndicat a un rôle actif dans le suivi des procédures et la gestion des dossiers, ce qui renforce l’idée que le syndicat peut être tenu responsable des carences de ses représentants. Enfin, la notion de perte de chance est également pertinente dans ce contexte. La jurisprudence reconnaît que la perte de chance peut constituer un préjudice indemnisable, notamment lorsque la faute d’un mandataire a conduit à une situation où le mandant a perdu une opportunité de succès dans une procédure judiciaire. Dans ce cas, la cour a évalué le préjudice subi par Mme [X] en raison des fautes des défenseurs syndicaux et a déterminé que ce préjudice était quantifiable à 70 % du montant réclamé, soit 16.531,48 euros. Ces principes juridiques, combinés à l’analyse des faits de l’affaire, ont conduit à la décision de la cour d’infirmer le jugement de première instance et de condamner le syndicat et le défenseur syndical à indemniser Mme [X]. |
L’Essentiel : La responsabilité des défenseurs syndicaux dans l’exercice de leur mandat est régie par l’article 1992 du Code civil, qui stipule que le mandataire répond des fautes commises dans sa gestion. Cette responsabilité est atténuée lorsque le mandat est gratuit. La cour a jugé que les demandes de Mme [X] en appel, bien que fondées sur un nouveau fondement juridique, ne constituaient pas des demandes nouvelles. La responsabilité du syndicat peut être engagée en raison des fautes des défenseurs syndicaux, et la perte de chance peut constituer un préjudice indemnisable.
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Résumé de l’affaire :
Exposé du LitigeDans le cadre d’un litige prud’homal, Mme [L] [K] épouse [X] (Mme [X]), salariée de la société Gifi, a été représentée par un délégué syndical de la CGT devant le conseil de prud’hommes de Lyon. Un jugement du 26 mars 2018 a déclaré ses demandes irrecevables pour péremption d’instance. Par la suite, Mme [X] a assigné la CGT du Rhône et la CGT de Rillieux la Pape en indemnisation de ses préjudices, suivie d’assignations des défenseurs syndicaux en intervention forcée. La jonction des procédures a été ordonnée. Jugement du Tribunal JudiciaireLe 27 octobre 2022, le tribunal judiciaire de Lyon a déclaré recevables les interventions forcées des défenseurs syndicaux, rejeté les prétentions de Mme [X], et l’a condamnée à verser 250 euros à chaque CGT en application de l’article 700 du code de procédure civile. Mme [X] a interjeté appel le 8 décembre 2022. Demandes de Mme [X] en AppelDans ses conclusions du 2 mars 2023, Mme [X] a demandé à la cour de reconnaître la recevabilité de son appel, de prendre acte de son désistement à l’égard de la CGT du Rhône, et de réformer le jugement du 27 octobre 2022. Elle a également soutenu que les défenseurs syndicaux avaient commis une faute dans sa défense, demandant réparation de son préjudice à hauteur de 23.616,40 euros. Réponses des Défenseurs Syndicaux et de la CGTDans leurs conclusions du 27 juillet 2023, les défenseurs syndicaux et la CGT ont demandé à la cour de constater le désistement de Mme [X] à l’égard de la CGT du Rhône, de rejeter toutes ses demandes, et de confirmer le jugement du 27 octobre 2022. Ils ont également soutenu que la responsabilité de la CGT de [Localité 11] ne pouvait être engagée et que les demandes contre les défenseurs syndicaux étaient irrecevables. Désistement d’AppelLa cour a constaté le désistement de Mme [X] à l’encontre de la CGT du Rhône, invoquant une erreur de saisie lors de la déclaration d’appel. Les intimés ont sollicité ce constat, qui a été accordé. Irrecevabilité des Demandes NouvellesLes défenseurs syndicaux ont fait valoir que la demande en responsabilité personnelle constituait une demande nouvelle. Cependant, la cour a rejeté cette demande d’irrecevabilité, considérant que les prétentions en appel tendaient aux mêmes fins que celles soumises au premier juge. Sur les ResponsabilitésMme [X] a soutenu que les défenseurs syndicaux avaient manqué à leur mandat, entraînant la péremption de son instance. Les défenseurs ont répliqué que leur responsabilité ne pouvait être engagée, arguant qu’ils n’avaient pas commis de faute. La cour a examiné les fautes alléguées et a conclu que M. [I] avait effectivement failli à son mandat en ne respectant pas les délais de procédure. Responsabilité du SyndicatLa cour a également examiné la responsabilité de la CGT de [Localité 11], concluant que le syndicat était personnellement fautif en raison des carences retenues à l’encontre du défenseur syndical. Préjudice de Mme [X]Mme [X] a affirmé avoir subi un préjudice en raison d’une perte de chance de gagner son procès contre son ancien employeur. La cour a reconnu l’existence d’une perte de chance significative, évaluée à 70 % du montant réclamé, soit 16.531,48 euros. Dépens et Article 700 du Code de Procédure CivileLes dépens de première instance et d’appel ont été mis à la charge in solidum des parties qui succombent, et M. [I] ainsi que l’Union locale CGT de [Localité 11] ont été condamnés à verser 3.000 euros à Mme [X] au titre de l’article 700 du code de procédure civile. |
Q/R juridiques soulevées :
Le désistement d’appel à l’encontre du syndicat Union départementale CGT du RhôneLe désistement d’appel de la salariée à l’encontre du syndicat Union départementale CGT du Rhône a été constaté par la cour. Conformément à l’article 386 du code de procédure civile, « l’appelant peut se désister de son appel ». La cour a pris acte de ce désistement, ce qui entraîne l’irrecevabilité des prétentions dirigées contre ce syndicat. L’irrecevabilité des demandes nouvellesLes défenseurs syndicaux et le syndicat de Rillieux la Pape soutiennent que la demande en responsabilité personnelle des délégués syndicaux constitue une demande nouvelle, irrecevable selon l’article 564 du code de procédure civile. Cet article stipule qu’ »à peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions ». Cependant, la cour a jugé que les prétentions formées en appel, bien que fondées sur un autre fondement juridique, visaient les mêmes fins que celles soumises au premier juge, conformément à l’article 565 du même code. Ainsi, la demande d’irrecevabilité a été rejetée. Les responsabilitésLa salariée fait valoir que les défenseurs syndicaux ont commis des fautes dans l’exercice de leur mandat, entraînant un préjudice. Selon l’article 1992 du code civil, « le mandataire répond non seulement du dol, mais encore des fautes qu’il commet dans sa gestion ». Il a été établi que le défenseur syndical n’a pas respecté les délais de procédure, ce qui a conduit à la péremption de l’instance. La cour a donc infirmé le jugement en ce qu’il a rejeté la demande de la salariée à l’encontre du défenseur syndical, dont la faute a été établie. La responsabilité du syndicatLa responsabilité du syndicat a également été examinée. Les statuts de l’Union locale précisent que celle-ci est responsable des actes de ses membres dans le cadre de leur mission. Il a été constaté que le syndicat a un rôle actif dans le suivi des procédures, ce qui engage sa responsabilité en cas de faute de ses défenseurs syndicaux. La cour a donc infirmé le jugement en ce qu’il a rejeté toute faute du syndicat. Le préjudiceLa salariée soutient avoir subi un préjudice en raison d’une perte de chance de gagner son procès contre son ancien employeur. Il appartient à l’employeur de prouver qu’il a respecté son obligation de reclassement, comme le stipule l’article L. 1233-4 du code du travail. La cour a reconnu une perte de chance de 70 % du montant réclamé, soit 16.531,48 euros, en raison des fautes commises par le défenseur syndical et le syndicat. Les dépens et l’article 700 du code de procédure civileLes dépens de première instance et d’appel sont à la charge in solidum des parties qui succombent au principal, conformément à l’article 696 du code de procédure civile. De plus, la cour a condamné le syndicat et le défenseur syndical à verser à la salariée la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, qui prévoit que « la partie perdante peut être condamnée à payer à l’autre partie une somme au titre des frais exposés ». |
Décision du
Tribunal Judiciaire de LYON
Au fond
du 27 octobre 2022
RG : 19/06777
ch n°1 cab 01 B
[K] ÉPOUSE [X]
C/
[V]
[I]
[D]
Syndicat UNION DEPARTEMENTALE CGT DU RHONE
Syndicat UNION LOCALE CGT DE [Localité 11]
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE LYON
1ère chambre civile B
ARRET DU 29 Octobre 2024
APPELANTE :
Mme [L] [K] épouse [X]
née le [Date naissance 1] 1977 à [Localité 8] (ALGERIE)
[Adresse 4]
[Localité 6]
Représentée par Me Jean-baudoin kakela SHIBABA, avocat au barreau de LYON, toque : 1145
INTIMES :
M. [S] [V], défenseur syndical
[Adresse 13]
[Localité 11]
M. [R] [I], défenseur syndical
[Adresse 13]
[Localité 11]
M. [P] [D], défenseur syndical
[Adresse 13]
[Localité 11]
Le syndicat UNION DEPARTEMENTALE CGT DU RHONE
[Adresse 2]
[Localité 5]
Le syndicat UNION LOCALE CGT DE [Localité 11]
[Adresse 3]
[Localité 11]
tous représentés par Me Sandrine PIERI de la SELARL DUMOULIN-PIERI, avocat au barreau de LYON, toque : 2516
ayant pour avocat plaidant Me Paul MAILLARD de la SCP MONTAIGNE AVOCATS, avocat au barreau de DEUX-SEVRES
* * * * * *
Date de clôture de l’instruction : 21 Septembre 2023
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 10 Septembre 2024
Date de mise à disposition : 29 Octobre 2024
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :
– Patricia GONZALEZ, président
– Stéphanie LEMOINE, conseiller
– Bénédicte LECHARNY, conseiller
assistés pendant les débats de Elsa SANCHEZ, greffier
A l’audience, un des membres de la cour a fait le rapport, conformément à l’article 804 du code de procédure civile.
Arrêt contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Patricia GONZALEZ, président, et par Elsa SANCHEZ, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
Dans le cadre d’un litige prud’homal, Mme [L] [K] épouse [X] (Mme [X]) salariée de la société Gifi, a été représentée devant le conseil de prud’hommes de Lyon par un délégué syndical de la CGT.
Un jugement du conseil de prud’hommes du 26 mars 2018 a déclaré les demandes de la requérante irrecevables pour péremption d`instance.
Par actes d’huissier des 18 et 20 juin 2019, Mme [X] a respectivement fait assigner le syndicat union départementale CGT du Rhône (ci-après la CGT du Rhône) et le syndicat union locale CGT de Rillieux la Pape (ci-après la CGT de Rillieux la Pape) devant le tribunal judiciaire de Lyon en indemnisation de ses préjudices.
Par actes d’huissier du 26 janvier 2021 et du 2 juin 2021, Mme [X] a respectivement fait assigner M. [R] [I], M. [P] [D] et M. [S] [V] (ci-après les défenseurs syndicaux) en intervention forcée.
La jonction des procédures susvisées a été ordonnée.
Par jugement contradictoire du 27 octobre 2022, le tribunal judiciaire de Lyon a :
– déclaré recevables les interventions forcées de défenseurs syndicaux
– rejeté l’ensemble des prétentions de Mme [X],
– rejeté le surplus des prétentions des parties,
– condamné Mme [X] à verser à la CGT du Rhône et la CGT de [Localité 11] la somme de 250 euros chacune en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné Mme [X] aux entiers dépens de l’instance avec application des dispositions relatives à l’aide juridictionnelle s’il y a lieu,
– ordonné l’exécution provisoire de la présente décision.
Par déclaration du 8 décembre 2022, Mme [X] a interjeté appel.
* * *
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 2 mars 2023, Mme [X] demande à la cour de :
– dire et juger qu’elle est fondée et recevable en son appel,
– prendre acte de son désistement à l’égard de la CGT du Rhône,
– réformer en conséquence le jugement du 27 octobre 2022,
– dire et juger que les défenseurs syndicaux, ont commis la faute dans sa défense dans la procédure devant le conseil de prud’hommes de Lyon ayant conduit à au jugement de péremption du 26 mars 2018,
– dire et juger que les défenseurs syndicaux, étaient des préposés de la CGT de [Localité 11]
– dire et juger que la CGT de [Localité 11] est solidairement responsable avec les défenseurs syndicaux de fautes commises par ces derniers, dans la gestion de son dossier et de son préjudice,
– fixer à 23.616,40 euros le montant de son préjudice,
– condamner en conséquence, in solidum, la CGT de [Localité 11] ([Localité 10], [Localité 7], [Localité 12]), les défenseurs syndicaux, à lui verser la somme de 23.616,40 euros en réparation de son préjudice,
Subsidiairement, et pour le cas où la responsabilité de l’union locale serait écartée,
– condamner, in solidum, les défenseurs syndicaux à lui verser, la somme de 23.616,40 euros,
– les condamner in solidum à la somme de 5.000 euros au titre des articles 700 du code de procédure civile
– les condamner aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Jean-Baudoin Kakela Shibaba.
*
Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées le 27 juillet 2023, les défenseurs syndicaux, la CGT Rhône, la CGT [Localité 11] demandent à la cour de :
A titre principal :
– constater le désistement d’appel de Mme [X] à l’encontre la CGT du Rhône,
– rejeter toutes les demandes, fins et prétentions de Mme [X] et en conséquence, confirmer le jugement rendu le 27 octobre 2022 en toutes ses dispositions,
A titre subsidiaire :
– dire que la responsabilité la CGT de [Localité 11] ne saurait être engagée sur le fondement de la responsabilité contractuelle, les fautes dont Mme [X] se prévaut étant liées à l’exécution du mandat ad litem confié aux défenseurs syndicaux.
– dire que la responsabilité de la CGT de [Localité 11] ne saurait être engagée sur le fondement de la responsabilité délictuelle, le syndicat n’ayant pas la qualité de commettant des défenseurs syndicaux.
– dire que les demandes dirigées contre les défenseurs syndicaux, formées pour la première fois en cause d’appel, sont irrecevables sur le fondement de l’article 564 du code de procédure civile,
A titre encore plus subsidiaire :
– dire que la responsabilité des défenseurs syndicaux dans l’exécution du mandat ad litem d’assistance et de représentation doit s’apprécier plus souplement en application de l’article 1992 alinéa 2 du code civil, et qu’aucune faute ne peut être caractérisée à leur encontre dès lors que Mme [X] ne justifie pas avoir repris attache avec ses défenseurs à réception du jugement du 26 mars 2018 prononçant à tort la caducité,
– dire que Mme [X] ne caractérise pas non plus l’existence d’un préjudice consistant à démontrer ses chances d’obtenir gain de cause devant la cour d’appel de Lyon,
A titre infiniment subsidiaire :
– dire que le préjudice de Mme [X] s’analyse en une perte de chance de voir le conseil de prud’hommes examiner ses demandes, et réduire ses prétentions en tenant compte de l’aléa pesant sur toute procédure judiciaire,
En tout état de cause :
– condamner Mme [X] à verser à la CGT de [Localité 11], aux défenseurs syndicaux la somme globale de 2.000 euros supplémentaire au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de première instance et d’appel.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 21 septembre 2023.
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.
Sur le désistement d’appel à l’encontre du syndicat Union départementale CGT du Rhône
Mme [X] indique se désister de son appel à l’encontre de la CGT du Rhône en invoquant une erreur de saisie lors de la déclaration d’appel.
Les intimés sollicitent le constat de ce désistement.
La cour constate en conséquence le désistement de Mme [X] envers le syndicat Union départementale CGT du Rhône.
Sur l’irrecevabilité des demandes nouvelles
Les défenseurs syndicaux et la CGT de Rillieux la Pape font valoir que la demande en responsabilité personnelle des délégués syndicaux constitue une demande nouvelle au titre de l’article 564 du code de procédure civile en ce que, pour la première fois en cause d’appel, l’appelante sollicite de la cour qu’elle retienne la faute des défenseurs syndicaux ayant participé à sa défense devant le conseil de prud’hommes de Lyon et les condamne in solidum avec le syndicat, ou subsidiairement, dans le cas où la responsabilité du syndicat ne serait pas retenue, in solidum entre eux alors qu’en première instance, elle sollicitait seulement que la responsabilité des syndicats soit retenue en leur qualité de commettants des défenseurs syndicaux, et ne demandait la condamnation in solidum de ces derniers que comme la conséquence de la responsabilité des syndicats.
Sur ce,
Aux termes de l’article 564 du code de procédure civile, ‘A peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait’.
Selon l’article 565 du même code, ‘les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu’elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent’.
En première instance, Mme [X] sollicitait déjà condamnation à l’encontre des défenseurs syndicaux. Le changement de fondement relevé par les intimés ne caractérise donc pas, au vu des dispositions susvisées, des demandes nouvelles, les prétentions formées en appel à l’encontre de ces défenseurs syndicaux sur un fondement différent tendant aux mêmes fins que celles soumises au premier juge. Il ne s’agit donc pas de nouvelles prétentions en appel de sorte que la demande d’irrecevabilité est rejetée.
Sur les responsabilités
Mme [X] fait valoir que :
– une erreur de procédure ou une négligence peuvent entraîner la poursuite en dommages intérêts du défenseur,
– il n’est pas contesté que les trois défenseurs syndicaux avaient présenté au conseil de prud’hommes un pouvoir et un mandat pour la représenter puisque sans mandat, cette représentation ou assistance n’aurait pu être admise,
– la décision de péremption révèle que les délais de procédure n’ont pas été respecté par le défenseur syndical de sorte que le conseil de prud’hommes a retenu l’absence de diligences par la partie demanderesse,
– il existe un lien de préposition et de subordination de fait entre les défenseurs syndicaux qui l’ont assistée et la CGT de [Localité 11] qui leur a délivré un mandat ad hoc pour plaider devant le conseil des prud’hommes,
-le jugement de péremption du 26 mars 2018 résulte exclusivement du fait qu’ils n’ont pas accompli les diligences que leur mandat leur imposait dans le délai imparti par le calendrier de procédure, faisant perdre à la concluante sa chance de poursuivre la procédure, d’autant qu’elle avait de bonnes chances de voir ses demandes aboutir,
– la date de départ du délai de péremption était le 16 décembre 2013 (calendrier de procédure) mais elle n’a déposé des conclusions que le 29 avril 2016 sans respect de la date prévue du 5 mai 2014,
– ils se sont par ailleurs abstenu d’interjeter appel alors qu’un défenseur syndical peut désormais représenter ou assister une partie devant la cour d’appel, et ce, alors qu’aucun des défenseurs syndicaux ne pouvait ignorer les diligences à accomplir en tant qu’ancien conseiller prud’homal.
Subsidiairement, dans le cas où la cour écarterait la responsabilité de la CGT de [Localité 11], elle demande la condamnation des délégués syndicaux uniquement.
Les défenseurs syndicaux et la CGT de [Localité 11] font valoir en réplique que :
– la faute dont l’appelante se prévaut, résulte d’un manquement au mandat de représentation et d’assistance devant le conseil prud’hommes or, cette mission relève exclusivement de la compétence des défenseurs syndicaux, la responsabilité contractuelle du syndicat ne peut pas être recherchée,
– le défenseur syndical n’est soumis à aucun lien hiérarchique avec le syndicat dans le cadre de son mandat conclu intuitu personae avec le salarié, le syndicat ne saurait être considéré comme son commettant,
– le mandat consenti aux défenseurs syndicaux doit être assimilé à un mandat gratuit, leur responsabilité sera apprécié moins strictement, d’autant qu’ils n’ont commis aucune faute dans l’exécution de leur mandat leur pouvoir étant spécial, il appartenait à l’appelante, expressément informée des formes et délais de recours à l’encontre du jugement, de les mandater pour interjeter appel, mais cette dernière ne les a jamais recontacté,
– Mme [X] ne démontre pas en quoi son action avait des chances d’aboutir si la péremption n’avait pas été retenue, la réalité de son préjudice n’est pas justifiée,
– subsidiairement, si leur responsabilité était engagée, la somme réclamée ne correspond pas au préjudice de perte de chance qu’elle invoque, elle ne saurait obtenir l’intégralité des sommes demandées devant le conseil des prud’hommes.
Sur ce,
Il est nécessaire en premier lieu d’examiner si l’un ou tous les défenseurs syndicaux ont commis des fautes dans l’exercice de leurs fonctions dans le cadre de la procédure prud’homale.
S’agissant des fautes commises par les défenseurs syndicaux, il est rappelé qu’aux termes de l’article 1992 du code civil, ‘Le mandataire répond non seulement du dol, mais encore des fautes qu’il commet dans sa gestion. Néanmoins, la responsabilité relative aux fautes est appliquée moins rigoureusement à celui dont le mandat est gratuit qu’à celui qui reçoit un salaire’.
Il résulte des pièces de la procédure prud’homale que M. [I] a assisté la salariée devant le bureau de conciliation, le 16 décembre 2013, date à laquelle un calendrier de procédure a été fixé, Mme [X] devant communiquer ses pièces avant le 5 mai 2014.
Le jugement de radiation du 2 mai 2016 indique que M. [D] représentait la salariée. Il apparaît toutefois que M. [D] n’a agi ponctuellement, ce que confirment les courriers de la salariée au syndicat, qu’en raison de problèmes de santé de M. [I]. Ce dernier a d’ailleurs dès le 12 mai 2016 demandé au greffe de la section commerce du conseil de prud’hommes de réinscrire l’affaire au rôle à la suite de la radiation du 2 mai 2016, motif pris de la transmission de pièces et conclusions le 27 avril 2016.
Par ailleurs, les conclusions prises pour le compte de la salariée mentionnent que M. [I] l’assiste.
Enfin, le jugement constatant la péremption d’instance mentionne que M. [I] assistait Mme [X] lors de l’audience.
Il découle de ces constatations que M. [V] n’apparaît pas dans les pièces de la procédure prud’homale en qualité de défenseur syndical, que M. [D] n’est manifestement intervenu que pour un remplacement ponctuel de M. [I], que ce dernier est par contre intervenu à tous les stades de la procédure prud’homale, le mandat donné par la salariée ne souffrant aucune contestation.
Le jugement est en conséquence confirmé en ce qu’il a rejeté les demandes de Mme [X] à l’encontre de MM [V] et [D] dont la faute n’est pas établie par les pièces de la procédure.
Il résulte de la décision de péremption d’instance que les pièces n’ont pas été déposées pour le compte de l’appelante dans le délai fixé par le calendrier de procédure même si l’article 1992 du code civil retient une responsabilité atténuée du mandataire agissant à titre gratuit, il appartenait a minima au défenseur syndical d’assurer le respect des délais fixés sous peine de péremption. Or, M. [I] ne donne aucune explication sur cette carence malgré le délai important qui était laissé pour y procéder et il ne justifie pas non plus ne pas avoir été en possession des pièces en temps utile, ne produisant par ailleurs aucun courrier de rappel adressé à la salariée et la mettant en garde sur ce point. Il apparaît donc que M. [I] a failli à son mandat en ce qu’il n’a pas respecté les délais de procédure et sa responsabilité ne peut être atténuée sur ce point essentiel en raison de la gratuité du mandat.
Enfin, il ne peut être tiré de l’absence d’appel de la décision de radiation que l’échec de la procédure prud’homale incomberait en tout état de cause à la salariée en ce que celle-ci n’a pas chargé son défenseur de faire appel. A supposer que la péremption ait été prononcée sur une erreur de droit au regard du point de départ du délai de péremption, le défenseur syndical, qui seul connaissait la procédure et les règles de la péremption, n’a en effet à aucun moment alerté la mandante sur une telle erreur impliquant des chances très sérieuses de réformation en appel.
Le jugement est en conséquence infirmé en ce qu’il a rejeté la demande de Mme [X] à l’encontre de M. [I] dont la faute dans l’exécution du mandat est établie.
S’agissant de la responsabilité du syndicat, il résulte des productions que :
– Mme [X] a payé ses cotisations à l’Union locale en 2013 et 2014 et les conclusions déposées par M. [I] comportent en entête ‘Union locale CGT de [Localité 10]’ et l’adresse du syndicat,
– les statuts de l’Union locale précisent que celle-ci perçoit notamment les sommes dues au titre de l’article 700 du code de procédure civile attribuées par les tribunaux dans le cadre des procédures engagées avec l’aide d’un défenseur syndical membre de l’Union locale,
– la brochure syndicale de la CGT dénommée ‘accueil syndical et défense des salariés’ et indiquant ‘brochure à l’usage des militants’ indique en substance, notamment au chapitre ‘la défense des salariés devant les tribunaux’ que :
– une erreur de procédure ou une négligence peuvent entraîner la poursuite en dommages intérêts du défenseur ainsi que de l’organisation qui lui a donné pouvoir que dans le cadre de la défense des intérêts des salariés au regard de leur contrat de travail, les organisations de la CGT et les militants qui exercent cette mission s’exposent à mettre en jeu leur responsabilité à l’égard des personnes défendues de sorte qu’une réponse d’assurance a été élaborée pour sécuriser cette activité, soit le contrat Macif ‘responsabilité civile syndicats – défenseurs juridiques,’
– le défenseur militant est porteur d’une stratégie syndicale,
– le suivi est toujours collectif, l’activité de défense doit faire l’objet d’un suivi collectif associant les différents intervenants, sous la responsabilité des instances de direction, et notamment l’examen régulier des procédures en cours, le bilan (y compris financier) et la valorisation des résultats,
– le syndicat dispose du choix de confier la défense à un avocat plutôt qu’à un défenseur, les pratiques départementales ou locales étant sur ce point très diversifiées le choix du recours à un avocat ne signifie pas l’abandon du suivi syndical, notamment dans le cas de convention ou de collaboration étroite avec un avocat où le syndicat doit pouvoir intervenir dans les choix de stratégie juridique,
– beaucoup de problèmes ou dérives rencontrés sont généralement la conséquence de l’isolement d’un défenseur gérant ses dossiers tout seul.
Il se déduit de ces documents que le syndicat lui-même, malgré ses protestations de principe et son affirmation de l’autonomie du défenseur syndical, ne conteste nullement pouvoir voir sa propre responsabilité engagée par un adhérent mécontent de sa défense syndicale qu’il revendique au contraire avec détermination le suivi et la gérance des procédures prises en charge par un défenseur syndical auquel il a donné pouvoir, l’encadrement de ce même défenseur qui ne doit pas ‘rester seul’, l’éventuelle orientation du dossier vers un avocat plutôt que vers un délégué syndical en raison de la complexité du dossier et, plus généralement, la stratégie défensive à adopter dans chaque dossier et ce tout au long de la procédure.
Ces constatations sont en totale opposition avec l’autonomie revendiquée du défenseur syndical, l’action du syndicat ne se cantonnant nullement à une formation théorique du défenseur syndical pour l’exercice de ses fonctions mais révélant au contraire un suivi collectif (défenseur et syndicat) des dossiers contentieux devant le conseil de prud’hommes et la prééminence et le rôle de direction du syndicat sur la stratégie à suivre.
Il en résulte que le syndicat est lui-même personnellement fautif en raison des carences retenues à l’encontre du défenseur syndical. Le jugement est en conséquence infirmé en ce qu’il a rejeté toute faute du syndicat.
Sur le préjudice
Mme [X] soutient avoir subi un préjudice né d’une perte de chance en ce qu’elle a été licenciée après une grossesse pour inaptitude et sans respect des préconisations du médecin du travail, selon elle, qu’elle a ainsi perdu une chance de gagner son procès contre son ancien employeur.
Il est rappelé qu’il appartient à l’employeur de rapporter la preuve de ce qu’il a satisfait à son obligation de reclassement.
Il résulte des pièces de Mme [X] que le médecin du travail avait conclu à l’inaptitude de la salariée au poste de vendeuse caissière sur le site de [Localité 9] mais que cette dernière était apte à un tel poste dans un magasin proche de son domicile, avec une contre-indication pour des trajets domicile-lieu de travail supérieur à 10 km soit 20 km aller-retour.
Considération étant prise de la présence de deux magasins Gifi dans un rayon de 10 km du domicile de la salariée, ce qui est mis en relief dans les conclusions, il existe une perte de chance importante pour Mme [X] d’avoir pu gagner son procès contre son employeur dans le cadre de l’instance prud’homale en raison notamment de la charge de la preuve rappelée supra et les intimés ne peuvent sérieusement nier cette chance importante qui résulte de la rédaction même des conclusions.
Cette perte de chance qui découle des fautes commises par le défenseur syndical et le syndicat local existe indubitablement et doit être évaluée à 70 % du montant réclamé de 23.616,40 euros (usuel en la matière) soit un montant de 16.531,48 euros qui sera payé in solidum par le syndicat et M. [I] à Mme [X].
Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile
Les dépens de première instance et d’appel sont à la charge in solidum des parties qui succombent au principal, M. [I] et l’Union locale CGT de [Localité 11].
Ces derniers verseront également à Mme [X] la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Constate le désistement d’appel de Mme [L] [K] épouse [X] à l’encontre du syndicat Union départementale CGT du Rhône.
Rejette l’exception d’irrecevabilité de demandes nouvelles.
Infirme le jugement querellé sauf en ce qu’il a rejeté les prétentions de Mme [L] [K] épouse [X] à l’encontre de MM [S] [V] et [P] [D].
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Condamne in solidum le syndicat union locale CGT de [Localité 11] et M. [R] [I] à payer à Mme [L] [K] épouse [X] la somme de 16.531,48 euros.
Condamne in solidum le syndicat union locale CGT de [Localité 11] et M. [R] [I] aux dépens d’appel avec droit de recouvrement et à payer à Mme [L] [K] épouse [X] la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
La greffière, La Présidente,
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