Les notions de service intermédiaire et de destinataire actif d’une plateforme en ligne

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Les notions de service intermédiaire et de destinataire actif d’une plateforme en ligne

Une plateforme en ligne telle que visée à l’article 6 de la LCEN renvoyant au i) de l’article 3 du règlement (UE) 2022/2065 du Parlement européen et du Conseil du 19 octobre 2022 (dit “Règlement sur les services numériques”) exploite « un service d’hébergement qui, à la demande d’un destinataire du service, stocke et diffuse au public des informations (…) ». Il s’agit par exemple des plateformes de publication d’avis en ligne ou celles proposant l’accès à des données sans contributions rédactionnelles de type éditorial.

Le “destinataire actif d’une plateforme en ligne” est au sens du point p) du même article 3, un « destinataire du service qui a été en contact avec une plateforme en ligne, soit en demandant à la plateforme en ligne d’héberger des informations, soit en étant exposé aux informations hébergées par la plateforme en ligne et diffusées via son interface en ligne (cela peut donc être une société dont les informations sont publiées en ligne).

La plateforme en ligne est considérée comme un “service intermédiaire” tel que défini au sein du même paragraphe g du Règlement précité, à savoir “un des services de la société d’information, c’est-à-dire “tout service presté normalement contre rémunération, à distance, par voie électronique et à la demande individuelle d’un destinataire de services” aux termes de l’article 1er , paragraphe 1, b de la Directive (UE) 2015/1535, et susceptible de contribuer à la mise en œuvre des mesures visées par l’article 6-3 de la LCEN.

L’Essentiel : La société SCRIBEO a assigné GOWORK.ES SP ZO.O. pour la publication de faux avis nuisant à sa réputation. Dans sa demande, SCRIBEO a exigé la suppression de la page litigieuse, une astreinte de 1 000 euros par jour, ainsi que des dommages-intérêts pour préjudice moral. GOWORK a refusé, affirmant que les avis étaient conformes à la loi et que certains avaient déjà été supprimés. SCRIBEO a soutenu que GOWORK ne respectait pas ses obligations légales, notamment en matière de modération des avis. Le tribunal a finalement jugé que SCRIBEO n’avait pas prouvé l’illicéité des avis contestés.
Résumé de l’affaire :

Contexte de l’affaire

La société SCRIBEO, spécialisée dans le marketing digital, a assigné la société polonaise GOWORK.ES SP ZO.O. en raison de la publication de faux avis sur sa fiche entreprise sur la plateforme GOWORK. SCRIBEO a constaté que ces avis nuisaient à sa réputation depuis septembre 2023 et a demandé la suppression de la page dédiée à son entreprise sur le site de GOWORK.

Demandes de la société SCRIBEO

Dans son assignation du 23 mai 2024, SCRIBEO a demandé plusieurs mesures, notamment la suppression de la page litigieuse, une astreinte de 1 000 euros par jour de retard, la publication du jugement sur le site de GOWORK, ainsi que des dommages-intérêts de 100 000 euros pour préjudice moral et 7 000 euros pour frais irrépétibles.

Réponse de GOWORK.ES SP ZO.O.

GOWORK a refusé de supprimer la page, arguant que les avis publiés étaient conformes à la loi et que la société SCRIBEO avait la possibilité de signaler les avis douteux. GOWORK a également affirmé avoir supprimé certains avis après la réclamation de SCRIBEO, mais a maintenu que d’autres n’étaient pas illicites.

Arguments de SCRIBEO

SCRIBEO a soutenu que GOWORK ne respectait pas les obligations légales en matière de publication d’avis, notamment en ne fournissant pas de raisons pour le rejet d’avis et en ne signalant pas les contreparties pour les avis. Elle a également affirmé que les avis en question étaient homophobes et antisémites, ce qui justifiait leur suppression.

Arguments de GOWORK

GOWORK a défendu son fonctionnement en précisant qu’elle ne vérifiait pas les avis a priori, mais modérait les contenus a posteriori. Elle a insisté sur le fait que son site respectait les exigences légales et que les avis jugés non illicites n’avaient pas été supprimés.

Décision du tribunal

Le tribunal a conclu que SCRIBEO n’avait pas suffisamment prouvé l’illicéité des avis contest

Q/R juridiques soulevées : Une plateforme en ligne telle que visée à l’article 6 de la LCEN renvoyant au i) de l’article 3 du règlement (UE) 2022/2065 du Parlement européen et du Conseil du 19 octobre 2022 (dit “Règlement sur les services numériques”) exploite « un service d’hébergement qui, à la demande d’un destinataire du service, stocke et diffuse au public des informations (…) ». Il s’agit par exemple des plateformes de publication d’avis en ligne ou celles proposant l’accès à des données sans contributions rédactionnelles de type éditorial.

Le “destinataire actif d’une plateforme en ligne” est au sens du point p) du même article 3, un « destinataire du service qui a été en contact avec une plateforme en ligne, soit en demandant à la plateforme en ligne d’héberger des informations, soit en étant exposé aux informations hébergées par la plateforme en ligne et diffusées via son interface en ligne (cela peut donc être une société dont les informations sont publiées en ligne).

La plateforme en ligne est considérée comme un “service intermédiaire” tel que défini au sein du même paragraphe g du Règlement précité, à savoir “un des services de la société d’information, c’est-à-dire “tout service presté normalement contre rémunération, à distance, par voie électronique et à la demande individuelle d’un destinataire de services” aux termes de l’article 1er , paragraphe 1, b de la Directive (UE) 2015/1535, et susceptible de contribuer à la mise en œuvre des mesures visées par l’article 6-3 de la LCEN.

Lorsque l’action engagée devant le tribunal en application des dispositions de l’article 6-3 de la LCEN (retrait de contenus illicites comme des avis négatifs qualifiables de dénigrement ou de diffamation), oppose non pas la personne qui s’estime lésée ou diffamée à la personne qui l’aurait lésée ou diffamée mais la première au service d’hébergement du contenu critiqué, aucun débat contradictoire n’est rendu possible pour évaluer la réalité de l’atteinte.

Dans ces conditions, seul un abus caractérisé peut justifier que le juge prenne des mesures telles qu’un retrait de contenu, même partiel, ou la fermeture d’un support de diffusion de propos, celles-ci devant être adaptées et proportionnées au dommage dont la réalisation ou l’imminence est reconnue.

Pour rappel, aux termes de l’article 6. I. 8 de la LCEN, devenu 6-3 aux termes de la loi n° 2024-449 du 21 mai 2024, le président du tribunal judiciaire, statuant selon la procédure accélérée au fond, peut prescrire à toute personne susceptible d’y contribuer toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne.

Il convient néanmoins de rappeler qu’une mesure ne peut être ordonnée à ce titre que si elle est justifiée par le dommage, qu’elle est légalement admissible, et qu’elle ne cause pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de l’auteur des propos, à son droit à la protection de ses données personnelles, garantis par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme, ainsi qu’à son droit à la liberté d’expression, garanti par l’article 10 de la même Convention.

S’agissant de droits fondamentaux, il revient au juge d’apprécier l’illicéité et la gravité du dommage visé à l’article 6-3 afin de déterminer si les mesures sollicitées de suppression de compte, de suppression de contenus et d’identification de leur auteur, par nature attentatoires au droit à la liberté d’expression et au droit à la vie privée de ce dernier, sont nécessaires et proportionnées au but légitime poursuivi.

Par ailleurs, les avis négatifs doivent être impérativement reproduits dans les conclusions et l’assignation. En la cause, ni l’assignation de la société SCRIBEO ni ses conclusions ne citent ni ne précisent le contenu des commentaires considérés comme litigieux, la société demanderesse renvoyant à l’examen d’un constat d’huissier établi le 23 novembre 2023 comportant 152 pages, sans préciser, par la mention de leur date, de leur auteur et de la page du constat concerné, quels sont les commentaires ainsi évoqués.

Ce constat, dont la plupart des pages contenant les captures d’écran sont illisibles en raison de la taille des caractères, contient « des captures d’écran agrandies », en page 41 et suivantes, dont la lecture est rendue difficile en raison de la mauvaise qualité de la reproduction, puis à nouveau en page 82 et suivantes, seuls les commentaires en captures agrandies figurant aux pages 117 et suivantes s’avérant parfaitement lisibles.

Aucune explication n’est donnée quant aux choix de reproduction des messages, tour à tour laudateurs ou critiques sur les méthodes de l’entreprise, dans un recensement qui ne semble obéir à aucun ordre chronologique.

Plus encore, il apparaît à la lecture du constat du 23 novembre 2023, sur lequel reposerait la demande, que de nombreux avis ont été modérés, puisque certains ont été supprimés (mention « commentaire supprimé par l’administrateur pour non-respect des règles du forum ») tandis que, dans certains autres, des termes ont été supprimés (terme remplacé par la mention « supprimé par l’administrateur »), de sorte que le tribunal ignore quels sont les propos originels qui avaient motivé la mise en demeure adressée le 3 octobre 2023 à la société GoWork.ES de retirer la page de l’entreprise SCRIBEO et quels sont ceux dont le caractère illicite subsisteaux yeux du demandeur.

La société demanderesse est ainsi mal fondée à invoquer l’existence d’un dommage qui résulterait de la teneur de messages dont aucun n’est reproduit dans ses demandes, dont aucun n’est individualisé ni précisé dans son contenu, et qui ont été modifiés consécutivement aux mesures de modération prises par l’hébergeur.

Ce faisant, outre qu’elle laisse parfaitement indéterminés les commentaires qu’elle considère illicite, la société demanderesse ne caractérise pas non plus le dommage qui justifierait l’intervention judiciaire sollicitée.

Sauf à faire valoir, en des termes particulièrement généraux, une « atteinte à sa e-réputation », la demanderesse ne se propose pas de préciser les modalités et le contenu de cette atteinte, dès lors qu’elle ne se propose pas d’expliciter en quoi des commentaires lui prêteraient des agissements pénalement répréhensibles ou à tout le moins civilement sanctionnables.

En définitive, en ne se proposant ni d’identifier les propos litigieux, ni leur caractère illicite, ni encore le dommage qu’ils occasionnent, la société SCRIBEO ne fonde pas sa demande au regard des exigences de l’article 6-3 de la LCEN et en sera par conséquent déboutée.

Pour ces mêmes motifs, qui établissent l’absence de fait générateur de responsabilité imputable à la société GOWORK.ES, la société SCRIBEO a été déboutée de sa demande de dommages et intérêts.

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

N° RG 24/53939 – N° Portalis 352J-W-B7I-C43WW

N° : 1/MM

Assignation du :
23 mai 2024

[1]

[1] 2 Copies exécutoires
délivrées le:

JUGEMENT RENDU SELON LA PROCEDURE ACCELEREE AU FOND
le 27 novembre 2024

par Jean-François ASTRUC, Vice-président au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal,

Assisté de Minas MAKRIS, Faisant fonction de Greffier.
DEMANDERESSE

S.A.S. SCRIBEO
[Adresse 2]
[Localité 3]

représentée par Maître José-louis DESFILIS de l’AARPI DESFILIS, avocats au barreau de PARIS – #P0367

DEFENDERESSE

Société GoWork. ES Sp. z o.o.
[Adresse 4],
[Localité 1] / POLOGNE

représentée par Me Anne DAUMAS, avocat au barreau de PARIS – #E0532 et Me Marta Bledniak, Avocate au Barreau de Strasbourg,

DÉBATS

A l’audience du 02 Octobre 2024, tenue publiquement, présidée par Jean-François ASTRUC, Vice-président, assisté de Minas MAKRIS, Faisant fonction de Greffier,

Nous, Président,

Après avoir entendu les conseils des parties,

Vu l’assignation délivrée sous la forme de la procédure accélérée au fond le 23 mai 2024 à la société GOWORK.ES SP ZO.O. à la requête de la société SCRIBEO, laquelle demande, au visa des articles 6-I-8, 6-I-2 et 6 III de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (ci-après, la “LCEN”), 213-2 du code de l’organisation judiciaire, L. 111-7-2, L. 11-8, D. 111-16 et D. 111-18 du code de la consommation, et 1240 du code civil :

– de condamner la société GOWORK.ES SP ZO.O., à supprimer de sa plateforme https://gowork.fr, la page accessible à l’adresse URL : https://gowork.fr/scribeo-paris;

– d’assortir cette condamnation d’une astreinte de 1 000 euros par jour de retard, à compter de la date de signification du jugement pendant une durée de deux mois à l’issue de laquelle il pourra de nouveau être fait droit ;

– d’ordonner la publication de l’intégralité du jugement sur le site internet https://gowork.fr/ en police 12, libellé en caractères majuscules, indiquant les mesures qui ont été prononcées par ce jugement, et ce dans un délai de huit jours à compter de la signification du jugement à intervenir, pour une durée d’un mois sous astreinte de 500 euros par jours de retard ;

– se réserver la liquidation des astreintes ;

– de condamner la société GOWORK.ES SP ZO.O., à payer à la société SCRIBEO la somme de 100.000 euros de dommages intérêts en réparation de son préjudice moral ;

– de condamner la société GOWORK.ES SP ZO.O., à verser à la société SCRIBEO la somme de 7.000 euros au titre des frais irrépétibles, sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens ;

Vu le renvoi ordonné le 19 juin 2024 à la demande des parties ;

Vu les conclusions de la société SCRIBEO oralement soutenues à l’audience du 2 octobre 2024, par lesquelles elle sollicite le bénéfice de ses demandes introductives d’instance;

Vu les conclusions de lasociété défenderesse, déposées et développées à l’audience du 2 octobre 2024, laquelle demande, au visa des articles 1240 du Code civil, L 111-7 et suivants du Code de la Consommation et 6-3 et suivants de la loi LCEN, de débouter la société SCRIBEO de l’ensemble de ses demandes et prétentions formulées à l’encontre de la société GOWORK.ES SP ZO.O. et de la condamner à lui payer la somme de 4 000 € au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

*

La société SCRIBEO se présente comme une société française ayant pour activité des missions de marketing digital.
La société GOWORK.ES SP ZO.O. se présente, quant à elle, comme une société polonaise crée 2021 ayant pour activité l’exploitation d’une plateforme d’avis en ligne (« GOWORK ») dans différents pays d’Europe, dont la France, qui permet aux utilisateurs de consulter et de laisser des avis anonymes concernant leurs expériences sur le marché de l’emploi, sur la fiche employeur de l’entreprise créée sur le site internet.
La société SCRIBEO expose que depuis le mois de septembre 2023, elle est victime de nombreux faux avis publiés sur la fiche entreprise qui lui est dédiée sur le site GOWORK, qui ternissent sa réputation et son image.
Par courrier recommandé du 3 octobre 2023, la société SCRIBEO, par la voie de son conseil, a mis en demeure la société GOWORK.ES SP ZO.O. de retirer sa pagede son site dans un délai de 24 heures, au motif du non-respect de ses obligations d’hébergeur d’un site d’avis telles que prévues par les dispositions du code de la consommation et par l’article 6, I de la LCEN.
En réponse, par mail du 18 octobre 2023, la société GOWORK.ES SP ZO.O. lui notifiait son refus de supprimer le fil de discussion et la fiche descriptive de cette entreprise, contenant des données non confidentielles et publiquement accessibles, dont la diffusion sur son site était conforme à la loi, au motif que les dispositions du RGPD transposées en droit français par l’ordonnance n°2018-1125 du 12 décembre 2018, et notamment à son article 4, n’ont pas vocation à protéger les données des personnes morales mais uniquement celle des « personnes physiques identifiables ». Elle rappelait à la société SCRIBEO qu’une fonctionnalité gratuite était mise à disposition de l’entreprise objet de la fiche pour signaler un doute sur l’authenticité des avis, et renvoyait cette entreprise à l’usage du formulaire de signalement, à ses conditions générales d’utilisation et à son rapport de transparence.

C’est dans ces conditions que, par assignation en date du 23 mai 2024,la société SCRIBEO a attrait la société GOWORK.ES SP ZO.O., sous la forme de la procédure accélérée au fond.

La société SCRIBEO revendique l’application de la compétence du juge français sur le fondement des articles 4 et 7.2 du règlement n°1215/2012, dit Bruxelles I bis, dont il résulterait « une règle de compétence générale des tribunaux de l’Etat membre dans lequel le défendeur est domicilié, ainsi qu’une règle de compétence spéciale, en matière délictuelle, des juridictions du lieu où le fait dommageable s’est produit ».
Est également revendiquée l’application de la loi française en application de l’article 4-1 du règlement Rome II.

Au fond, elle expose, au soutien de sa demande de suppression de sa fiche entreprise de la plateforme :
– que la société GOWORK.ES SP ZO.O. ne respecte pas les obligations posées par les articles L.111-7 du Code de la consommation, en ce qu’elle n’indique pas aux consommateurs dont l’avis en ligne n’a pas été publié les raisons qui justifient son rejet (points 3.1.1) et qu’elle ne contient pas de fonctionnalité permettant aux responsables des produits ou services faisant l’objet d’un avis en ligne de lui signaler un doute sur l’authenticité d’un avis (3.1.2)
– que la société GOWORK.ES SP ZO.O. ne respecte pas les obligations posées par les articles D.111-8 du Code de la consommation en ce que la plateforme n’indique pas de manière claire et visible dans une rubrique spécifique facilement accessible l’existence ou non de contrepartie fournie en échange du dépôt d’avis (points 3.1.3) et n’indique pas de manière claire et visible dans une rubrique spécifique facilement accessible le délai maximal de publication et de conservation d’un avis (3.1.4)
– qu’au mépris des articles 6-III et I-2 de la LCEN, la dénomination ou la raison sociale et l’adresse et le numéro de téléphone de l’éditeur ne sont pas indiqués
S’agissant du dommage, elle avance qu’en indiquant avoir procédé à la suppression de 60 avis sur 100, la société GOWORK.ES SP ZO.O. admet que les propos visant la société SCRIBEO, ses services et ses dirigeants, relevés dans le procès-verbal de constat versé aux débats (cf. pièce Scribeo n°3) sont manifestement illicites, contraires à la loi et dénigrants ; qu’elle ne les a pourtant pas supprimés immédiatement, en dépit des nombreuses réclamations de la société SCRIBEO, contraignant celle-ci à assigner pour que cessent ces attaques malveillantes ; que la société GOWORK.ES SP ZO.O. n’a pas agi promptement pour procéder à la suppression des avis manifestement illicites et engage en conséquence sa responsabilité en application de la LCEN, justifiant la somme de 100.000 euros demandée à titre de réparation.

En défense, la société GOWORK.ES SP ZO.O. fait valoir qu’à la suite de la réclamation portée par la société SCRIBEO, elle a supprimé une partie des avis, en a modéré d’autres mais n’a pas modifié les avis qu’elle n’a pas jugés illicites.
Elle soutient que sa plateforme respecte l’ensemble des exigences légales et réglementaires du code de la consommation ; que s’agissant particulièrement de la vérification des avis, elle indique très clairement ne pas procéder à une vérification a priori tout en se réservant la faculté de rejeter les avis pour des motifs énumérés à ses conditions générales d’utilisation, mais effectue une modération a posteriori et met à disposition de tout utilisateur un formulaire de signalement d’avis.
Elle en conclut que son fonctionnement « ne remplit pas la caractéristique du trouble manifestement illicite invoqué par la société SCRIBEO qui serait la source du dommage ».

*

Sur ce, la compétence du juge français en application du règlement n°1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale n’est pas discutée, ni l’application de la loi française.

Aux termes de l’article 6. I. 8 de la LCEN, devenu 6-3 aux termes de la loi n° 2024-449 du 21 mai 2024, le président du tribunal judiciaire, statuant selon la procédure accélérée au fond, peut prescrire à toute personne susceptible d’y contribuer toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne.
Il convient néanmoins de rappeler qu’une mesure ne peut être ordonnée à ce titre que si elle est justifiée par le dommage, qu’elle est légalement admissible, et qu’elle ne cause pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de l’auteur des propos, à son droit à la protection de ses données personnelles, garantis par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme, ainsi qu’à son droit à la liberté d’expression, garanti par l’article 10 de la même Convention.

S’agissant de droits fondamentaux, il revient au juge d’apprécier l’illicéité et la gravité du dommage visé à l’article 6-3 afin de déterminer si les mesures sollicitées de suppression de compte, de suppression de contenus et d’identification de leur auteur, par nature attentatoires au droit à la liberté d’expression et au droit à la vie privée de ce dernier, sont nécessaires et proportionnées au but légitime poursuivi.

Lorsque l’action engagée devant le tribunal en application des dispositions de l’article 6-3, oppose non pas la personne qui s’estime lésée ou diffamée à la personne qui l’aurait lésée ou diffamée mais la première au service d’hébergement du contenu critiqué, aucun débat contradictoire n’est rendu possible pour évaluer la réalité de l’atteinte.

Dans ces conditions, seul un abus caractérisé peut justifier que le juge prenne des mesures telles qu’un retrait de contenu, même partiel, ou la fermeture d’un support de diffusion de propos, celles-ci devant être adaptées et proportionnées au dommage dont la réalisation ou l’imminence est reconnue.

C’est au regard de ces principes qu’il convient d’apprécier si, en l’espèce, le dommage invoqué en demande est de nature à justifier la suppression de la page dédiée par la société GOWORK.ES SP ZO.O. à la société SCRIBEO et, par voie de conséquence, la suppression de l’ensemble des contenus qu’elle abrite.
Il convient également d’examiner la demande d’indemnisation au regard des mêmes principes et circonstances de la cause.

*
En l’espèce, la société GOWORK.ES SP ZO.O. est une « plateforme en ligne » telle que visée à l’article 6 de la LCEN renvoyant au i) de l’article 3 du règlement (UE) 2022/2065 du Parlement européen et du Conseil du 19 octobre 2022 (dit “Règlement sur les services numériques”), où elle est définie comme « un service d’hébergement qui, à la demande d’un destinataire du service, stocke et diffuse au public des informations (…) ».

La société SCRIBEO est pour sa part, un “destinataire actif d’une plateforme en ligne”, au sens du point p) du même article 3, celui-ci étant défini comme un « destinataire du service qui a été en contact avec une plateforme en ligne, soit en demandant à la plateforme en ligne d’héberger des informations, soit en étant exposé aux informations hébergées par la plateforme en ligne et diffusées via son interface en ligne ».

En cette qualité de plateforme en ligne, la société GOWORK.ES SP ZO.O. doit être considérée comme un “service intermédiaire” tel que défini au sein du même paragraphe g du Règlement précité, à savoir “un des services de la société d’information, c’est-à-dire “tout service presté normalement contre rémunération, à distance, par voie électronique et à la demande individuelle d’un destinataire de services” aux termes de l’article 1er , paragraphe 1, b de la Directive (UE) 2015/1535, et susceptible de contribuer à la mise en œuvre des mesures visées par l’article 6-3 précité.

Au titre du dommage invoqué, la société SCRIBEO avance que « de nombreux avis négatifs publiés ne seraient pas fondés sur une réelle expérience d’un consommateur sur les services de l’entreprise SCRIBEO mais seraient à caractère homophobe et antisémite », ces faits étant de nature à « porter atteinte à sa e-réputation » et justifiant la suppression de la page qui lui est dédiée sur la plateforme GOWORK.

Cela étant, en application des dispositions des articles 6 et 9 du Code de procédure civile, il appartient aux parties d’alléguer et de justifier des faits nécessaires au succès de leurs prétentions.

Ni l’assignation de la société SCRIBEO ni ses conclusions ne citent ni ne précisent le contenu des commentaires considérés comme litigieux, la société demanderesse renvoyant à l’examen d’un constat d’huissier établi le 23 novembre 2023 (pièce n°3) comportant 152 pages, sans préciser, par la mention de leur date, de leur auteur et de la page du constat concerné, quels sont les commentaires ainsi évoqués.

Ce constat, dont la plupart des pages contenant les captures d’écran sont illisibles en raison de la taille des caractères, contient « des captures d’écran agrandies », en page 41 et suivantes, dont la lecture est rendue difficile en raison de la mauvaise qualité de la reproduction, puis à nouveau en page 82 et suivantes, seuls les commentaires en captures agrandies figurant aux pages 117 et suivantes s’avérant parfaitement lisibles.

Aucune explication n’est donnée quant aux choix de reproduction des messages, tour à tour laudateurs ou critiques sur les méthodes de l’entreprise, dans un recensement qui ne semble obéir à aucun ordre chronologique.

A aucun moment la société SCRIBEO ne se propose de préciser quels sont les messages contenus au constat qu’elle vise, et pour quels motifs.

Plus encore, il apparaît à la lecture du constat du 23 novembre 2023, sur lequel reposerait la demande, que de nombreux avis ont été modérés, puisque certains ont été supprimés (mention « commentaire supprimé par l’administrateur pour non-respect des règles du forum ») tandis que, dans certains autres, des termes ont été supprimés (terme remplacé par la mention « supprimé par l’administrateur »), de sorte que le tribunal ignore quels sont les propos originels qui avaient motivé la mise en demeure adressée le 3 octobre 2023 à la société GoWork.ES de retirer la page de l’entreprise SCRIBEO et quels sont ceux dont le caractère illicite subsisteaux yeux du demandeur.

La société demanderesse est ainsi mal fondée à invoquer l’existence d’un dommage qui résulterait de la teneur de messages dont aucun n’est reproduit dans ses demandes, dont aucun n’est individualisé ni précisé dans son contenu, et qui ont été modifiés consécutivement aux mesures de modération prises par l’hébergeur.

Ce faisant, outre qu’elle laisse parfaitement indéterminés les commentaires qu’elle considère illicite, la société demanderesse ne caractérise pas non plus le dommage qui justifierait l’intervention judiciaire sollicitée.

Sauf à faire valoir, en des termes particulièrement généraux, une « atteinte à sa e-réputation », la demanderesse ne se propose pas de préciser les modalités et le contenu de cette atteinte, dès lors qu’elle ne se propose pas d’expliciter en quoi des commentaires lui prêteraient des agissements pénalement répréhensibles ou à tout le moins civilement sanctionnables.

En définitive, en ne se proposant ni d’identifier les propos litigieux, ni leur caractère illicite, ni encore le dommage qu’ils occasionnent, la société SCRIBEO ne fonde pas sa demande au regard des exigences de l’article 6-3 de la LCEN et en sera par conséquent déboutée.

Pour ces mêmes motifs, qui établissent l’absence de fait générateur de responsabilité imputable à la société GOWORK.ES SP ZO.O., la société SCRIBEO sera nécessairement déboutée de sa demande de dommages et intérêts.

Ni l’équité ni la situation économique des parties ne justifient d’écarter l’application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et la société SCRIBEO sera condamnée à payer à la société GOWORK.ES SP ZO.O. la somme de 1.500 euros à ce titre.

La société SCRIBEO, qui succombe, supportera les dépens de l’instance.

Il sera rappelé enfin que le présent jugement est exécutoire de droit à titre provisoire, en application de l’article 481-1, 6°, du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort,

Déboute la société SCRIBEO de l’ensemble de ses demandes,

Condamne la société SCRIBEO à verser à la société GOWORK.ES SP ZO.O. la somme de 1.500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société SCRIBEO aux dépens,

Rappelle que le présent jugement est exécutoire de droit par provision.

Fait à Paris le 27 novembre 2024

Le Greffier, Le Président,

Minas MAKRIS Jean-François ASTRUC


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