Le licenciement d’un salarié doit être fondé sur une cause réelle et sérieuse, conformément à l’article L. 1232-1 du Code du travail. L’employeur est tenu d’énoncer les motifs de licenciement dans la lettre de licenciement, comme le stipule l’article L. 1232-6 du même code. La faute grave, qui justifie un licenciement sans préavis ni indemnité, est définie par l’article L. 1331-1 du Code du travail comme un fait ou un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise. En cas de licenciement pour un motif lié à l’exercice non abusif de la liberté d’expression, le licenciement est nul, selon l’article L. 1121-1 du Code du travail et l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme. De plus, l’article L. 1152-2 du Code du travail protège les salariés contre les sanctions pour avoir témoigné de faits de harcèlement moral. En cas de pluralité de motifs de licenciement, l’atteinte à une liberté fondamentale causée par l’un des griefs entraîne la nullité de la rupture.
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L’Essentiel : Le licenciement d’un salarié doit être fondé sur une cause réelle et sérieuse. L’employeur doit énoncer les motifs dans la lettre de licenciement. La faute grave justifie un licenciement sans préavis ni indemnité, constituant une violation des obligations contractuelles. Un licenciement lié à l’exercice non abusif de la liberté d’expression est nul. De plus, les salariés sont protégés contre les sanctions pour avoir témoigné de faits de harcèlement moral. L’atteinte à une liberté fondamentale entraîne la nullité de la rupture.
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Résumé de l’affaire :
Embauche et évolution professionnelleMme [U] [Z] a été employée par la SAS Eurodif en tant que vendeuse-retoucheuse du 3 octobre 2001 au 31 août 2002, puis en contrat à durée indéterminée comme caissière-vendeuse à partir du 1er septembre 2002. Altercation et conséquencesLe 29 décembre 2014, une altercation a eu lieu entre une salariée et une collègue, entraînant un arrêt de travail pour Mme [Z] et une déclaration d’accident du travail par l’employeur. La collègue a été licenciée pour faute grave. Sanctions disciplinairesLe 20 janvier 2015, l’employeur a convoqué Mme [Z] à un entretien préalable à une sanction disciplinaire. Un avertissement a été notifié le 16 février 2015, que Mme [Z] a contesté sans succès. Plainte pour harcèlement moralLe 30 septembre 2015, Mme [Z] et d’autres salariées ont saisi la Direccte pour signaler des faits de harcèlement moral. Le 23 novembre 2015, une plainte pénale a été déposée contre la directrice du magasin pour harcèlement moral. Arrêts de travail et licenciementMme [Z] a été en arrêt de travail à plusieurs reprises, et le 4 novembre 2019, elle a été convoquée à un entretien préalable au licenciement, qui a été effectif le 9 décembre 2019 pour faute grave. Contestation du licenciementLe 11 juin 2020, Mme [Z] a saisi le conseil de prud’hommes pour contester son licenciement et demander des indemnités. Le jugement du 12 octobre 2022 a déclaré le licenciement nul et a condamné la SAS Eurodif à verser des indemnités. Appels et décisions judiciairesLes deux parties ont interjeté appel. La SAS Eurodif a demandé l’infirmation du jugement, tandis que Mme [Z] a demandé la confirmation de la nullité de son licenciement et le versement d’indemnités supplémentaires. Conclusions de la cour d’appelLa cour d’appel a confirmé la nullité du licenciement de Mme [Z] et a condamné la SAS Eurodif à verser des indemnités pour licenciement nul et d’autres sommes, tout en déboutant la société de ses demandes. |
Q/R juridiques soulevées :
Quel est le fondement juridique du licenciement pour faute grave ?Le licenciement pour faute grave doit être fondé sur une cause réelle et sérieuse, conformément à l’article L. 1232-6 du code du travail, qui stipule que l’employeur doit énoncer dans la lettre de licenciement le ou les motifs de celui-ci. La faute grave est définie comme un fait ou un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail, d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise. La charge de la preuve de la faute grave incombe à l’employeur, et en cas de doute, celui-ci doit profiter au salarié. Ainsi, la lettre de licenciement doit clairement établir les motifs justifiant la rupture du contrat de travail, ce qui est essentiel pour la validité de la décision de l’employeur. Quel est le rôle de la liberté d’expression dans le cadre du licenciement ?La liberté d’expression est protégée par l’article L. 1121-1 du code du travail et l’article 10 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Ces textes stipulent que le salarié jouit de sa liberté d’expression, tant dans l’entreprise qu’en dehors, sauf abus. Un licenciement prononcé pour un motif lié à l’exercice non abusif de cette liberté est nul. En cas de pluralité de motifs de licenciement, si l’un des griefs porte atteinte à une liberté fondamentale, cela entraîne la nullité de la rupture. La mauvaise foi du salarié ne peut être présumée que si celui-ci a connaissance de la fausseté des faits qu’il dénonce. Ainsi, dans le cas où un salarié dénonce des faits de harcèlement moral, il ne peut être sanctionné pour cela, à moins que la dénonciation ne soit manifestement infondée. Quel est le cadre légal concernant l’obligation de sécurité de l’employeur ?L’employeur a une obligation de sécurité envers ses salariés, comme le stipulent les articles L. 4121-1 et suivants du code du travail. Ces articles imposent à l’employeur de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. L’employeur ne méconnaît pas cette obligation s’il peut justifier avoir pris toutes les mesures prévues par la loi. Dans le cas où un salarié se plaint d’un environnement de travail hostile ou de harcèlement, il appartient à l’employeur de démontrer qu’il a mis en œuvre des actions pour remédier à cette situation. Si l’employeur prouve qu’il a respecté son obligation de sécurité, il ne pourra pas être tenu responsable des conséquences sur la santé du salarié. Quel est le régime des créances salariales en cas de licenciement ?Les créances salariales bénéficient de l’exécution provisoire de droit, comme le précise l’article R. 1454-28 du code du travail. Cela signifie que, même en cas de contestation du licenciement, les sommes dues au salarié doivent être versées sans attendre la décision définitive sur la validité du licenciement. Ainsi, en cas de licenciement jugé nul, le salarié a droit à des indemnités compensatrices, des dommages et intérêts, et d’autres sommes dues, qui doivent être réglées immédiatement par l’employeur. Cette disposition vise à protéger les droits des salariés en leur garantissant un accès rapide à leurs créances, même en cas de litige. Quel est le rôle du tribunal correctionnel dans les affaires de harcèlement moral ?Le tribunal correctionnel a pour mission d’examiner les plaintes pénales pour harcèlement moral. Dans le cas présent, le tribunal a relaxé la directrice du magasin, considérant que les allégations de harcèlement moral n’étaient pas fondées. Cette décision est définitive et n’a pas autorité de chose jugée à l’égard du salarié qui a témoigné. Cela signifie que le jugement pénal ne peut pas être utilisé pour établir la culpabilité ou l’innocence dans le cadre d’une procédure civile. Le tribunal doit se baser sur des éléments de preuve tangibles pour établir la réalité des faits de harcèlement, et il doit évaluer si les comportements dénoncés par le salarié constituent effectivement un harcèlement moral au sens de la loi. En l’absence de preuves suffisantes, le tribunal peut conclure à la relaxe de la personne accusée. |
ARRÊT N°2025/58
N° RG 22/03895 – N° Portalis DBVI-V-B7G-PCPW
MD/CD
Décision déférée du 12 Octobre 2022 – Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire d’ALBI
( 20/00058)
G. ROQUES
Section Commerce
[U] [Z]
S.A.S. EURODIF
C/
[U] [Z]
S.A.S. EURODIF
INFIRMATION PARTIELLE
Grosse délivrée
le
à
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D’APPEL DE TOULOUSE
4eme Chambre Section 1
***
ARRÊT DU VINGT HUIT FEVRIER DEUX MILLE VINGT CINQ
***
APPELANTE
Madame [U] [Z]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Glareh SHIRKHANLOO, avocat au barreau de TOULOUSE
S.A.S. EURODIF
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représentée par Me Ophélie BENOIT-DAIEF de la SELARL LX PAU-TOULOUSE, avocat au barreau de TOULOUSE
Représentée par Me Jocelyn ROBIN de la SELARL CHEVALLIER ET ASSOCIES, avocat au barreau de BREST
INTIM »E
Madame [U] [Z]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Glareh SHIRKHANLOO, avocat au barreau de TOULOUSE
S.A.S. EURODIF
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représentée par Me Ophélie BENOIT-DAIEF de la SELARL LX PAU-TOULOUSE, avocat au barreau de TOULOUSE
Représentée par Me Jocelyn ROBIN de la SELARL CHEVALLIER ET ASSOCIES, avocat au barreau de BREST
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 03 Décembre 2024, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. DARIES, conseillère, chargée du rapport et N.BERGOUNIOU, magistrate honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles chargées du rapport. Ces magistrates ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
C.GILLOIS-GHERA, présidente
M. DARIES, conseillère
N.BERGOUNIOU, magistrate honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
Greffière, lors des débats : C. DELVER
ARRET :
– CONTRADICTOIRE
– prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties
– signé par C.GILLOIS-GHERA, présidente, et par C. DELVER, greffière de chambre
Mme [U] [Z] a été embauchée du 3 octobre 2001 au 31 août 2002 par la SAS Eurodif exerçant à l’enseigne Bouchara dans le cadre d’un contrat de qualification en qualité de vendeuse-retoucheuse régi par la convention collective nationale des maisons à succursales de vente au détail d’habillement.
Mme [Z] a été embauchée selon contrat à durée indéterminée le 1er septembre 2002 au poste de caissière-vendeuse.
Le 1er mars 2006, la direction du magasin d'[Localité 4] dans lequel travaillait Mme [Z] a été confiée à Mme [C] [F].
Le 29 décembre 2014, une altercation a opposé Mme [Z] à Mme [C] [G] au sein du magasin d'[Localité 4], à la suite de laquelle elle a été placée en arrêt de travail du 5 au 10 janvier 2015 et une déclaration d’accident du travail a été faite par l’employeur le 08 janvier 2025.
Le 23 janvier 2015, Mme [G] a fait l’objet d’une rupture anticipée de son contrat de travail pour faute grave.
Le 20 janvier 2015, la SAS Eurodif a convoqué Mme [Z] à un entretien préalable à sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement fixé au 29 janvier 2015.
Le 16 février 2015, la société a notifié un avertissement que Mme [Z] a contesté le 20 février 2015 mais la société a maintenu cette sanction.
Le 30 septembre 2015, Mme [Z] a saisi avec quatre autres salariées la Direccte Midi-Pyrénées, sollicitant l’ouverture d’une enquête pour harcèlement moral et discrimination notamment.
Le 23 novembre 2015, quatre salariées de la SAS Eurodif ont déposé une plainte pénale à l’encontre de Mme [C] [F], directrice du magasin, pour des faits de harcèlement moral.
Mme [Z] a été en arrêt de travail du 04-04 au 18-04-2017.
Le tribunal correctionnel d’Albi, selon jugement du 12 septembre 2019, a prononcé la relaxe de Mme [F]. Aucun appel n’a été interjeté.
Mme [Z] a été placée en arrêt de travail pour accident du travail du 30 juillet au 5 août 2018, puis à compter du 24 septembre 2018 pour maladie simple et n’a pas repris son poste.
Par courrier du 4 novembre 2019, la SAS Eurodif a convoqué Mme [Z] à un entretien préalable au licenciement fixé le 15 novembre 2019, et reporté au 3 décembre 2019.
Elle a été licenciée pour faute grave le 9 décembre 2019.
Mme [Z] a saisi le conseil de prud’hommes d’Albi le 11 juin 2020 pour contester son licenciement, demander la condamnation de la SAS Eurodif au titre d’une violation de la liberté fondamentale d’expression ainsi que le versement de diverses sommes.
Le conseil de prud’hommes d’Albi, section commerce, par jugement du 12 octobre 2022, a :
– dit que le licenciement de Mme [Z] est nul,
– condamné la SAS Eurodif à payer à Mme [Z] les sommes suivantes :
10 825,44 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,
3 087,98 euros bruts au titre d’indemnité compensatrice de préavis,
308,79 euros bruts au titre d’indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,
9 418,13 euros au titre de l’indemnité de licenciement,
1 400 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– rappelé que les créances salariales bénéficient de l’exécution provisoire de droit prévue à l’article R. 1 454-28 du code du travail,
– débouté les parties du surplus de leurs demandes,
– condamné la SAS Eurodif aux entiers dépens.
Par déclarations respectives des 07 et 9 novembre 2022, la SAS Eurodif et Mme [U] [Z] ont interjeté appel de ce jugement.
Par ses dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique le 3 mai 2023, la SAS Eurodif demande à la cour de :
– infirmer le jugement en ce qu’il :
* a dit que le licenciement de Mme [Z] est nul,
* l’a condamnée à payer à Mme [Z] les sommes suivantes :
10 825,44 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,
3 087,98 euros bruts au titre d’indemnité compensatrice de préavis,
308,79 euros bruts au titre d’indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,
9 418,13 euros au titre de l’indemnité de licenciement,
1 400 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
* a rappelé que les créances salariales bénéficient de l’exécution provisoire de droit prévue à l’article R. 1454-28 du code du travail,
* l’a condamnée aux entiers dépens.
Statuant suite à cette décision de première instance et sur l’appel interjeté par Mme [Z] :
– dire et juger que le licenciement de Mme [Z] est justifié par une faute grave et est donc légitime,
– débouter Mme [Z] de sa demande tendant à voir reconnaître la nullité de son licenciement et donc de sa demande au terme de ses conclusions du 3 février 2023 tendant à voir infirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes d’Albi en ce qu’il a condamné la société Eurodif à régler à Mme [Z] la somme de 10 825,44 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul et en ce qu’il est sollicité la fixation de la moyenne mensuelle du salaire de Mme [Z] à hauteur de la somme de 1 824,24 et en ce qu’il est sollicité la condamnation de la société Eurodif à lui payer une demande de dommages et intérêts revalorisée en appel de la somme de 10 825,44 euros à la somme sollicitée de 43 301,76 euros.
En toute hypothèse,
– débouter Mme [Z] de sa demande tendant à voir infirmer le jugement du conseil de prud’hommes d’Albi la déboutant de sa demande de dommages et intérêts à hauteur de la somme de 10 825,44 euros et en sollicitant, au terme de sa déclaration d’appel et dans les conclusions qu’elle a notifiées le 3 février 2023, la condamnation de la société Eurodif à lui payer la somme de « 10 825,44 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de l’obligation de sécurité de résultat » et dire que l’obligation de sécurité de l’employeur n’est pas de résultat,
– constater que la demande de dommages et intérêts pour un manquement à l’obligation de sécurité présentée dans les conclusions du 7 avril 2023 est présentée en cause d’appel pour la première fois à la date précitée et qu’elle est irrecevable et non avenue et en débouter Mme [Z].
A titre très subsidiaire et pour l’hypothèse où la Cour examinerait la demande indemnitaire de Mme [Z] telle que ressortant des conclusions du 7 avril 2023:
– dire que la société Eurodif a respecté son obligation de sécurité à l’égard de Mme [Z].
A titre infiniment subsidiaire,
– constater que Mme [Z] n’apporte aucun justificatif de ses préjudices et la débouter de sa demande indemnitaire à hauteur de la somme de 10 825,44 euros et donc pour l’hypothèse où la Cour estimerait constitué un manquement de ce chef de la société Eurodif.
– débouter globalement Mme [Z] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions à l’encontre de la société Eurodif
– condamner Mme [Z] à verser la société Eurodif la somme de 7 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– la condamner aux entiers dépens de première instance et d’appel.
Par ses dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique le 7 avril 2023, Mme [U] [Z] demande à la cour de :
– accueillir son appel,
– la déclarer recevable et bien fondée,
– confirmer le jugement rendu en ce qu’il a :
* dit que son licenciement est nul,
* condamné la SAS Eurodif à lui payer les sommes suivantes :
3 087,98 euros bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,
308,79 euros bruts au titre d’indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,
9 418,13 euros au titre de l’indemnité de licenciement,
1 400 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
– infirmer le jugement en ce qu’il :
* a condamné la SAS Eurodif à lui régler la somme de 10 825,44 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,
* l’a déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour violation à l’obligation de sécurité à hauteur de 10 825,44 euros.
Par conséquent et statuant à nouveau, la Cour d’Appel devra :
– fixer la moyenne mensuelle de son salaire à hauteur de 1 804,24 euros,
– juger que son licenciement est nul,
– condamner la SAS Eurodif à lui payer les sommes suivantes :
3 087,98 euros bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,
308,79 euros bruts au titre d’indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,
9 418,13 euros au titre de l’indemnité de licenciement,
1 400 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
43 301,76 euros à titre de dommages et intérêts en raison d’un licenciement nul,
10 825,44 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de l’obligation de sécurité,
– condamner la SAS Eurodif au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile au titre de la présente procédure.
La clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance en date du 22 novembre 2024.
Il est fait renvoi aux écritures pour un plus ample exposé des éléments de la cause, des moyens et prétentions des parties, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
Sur la procédure
Il est de l’intérêt d’une bonne administration de la justice de prononcer la jonction des procédures RG 22-3895 et RG 22-3920.
Sur le licenciement
Tout licenciement doit être fondé sur une cause à la fois réelle et sérieuse.
Aux termes de l’article L. 1232-6 du code du travail, l’employeur est tenu d’énoncer dans la lettre de licenciement, le ou les motifs du licenciement. La lettre de licenciement fixe les limites du litige.
La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise. La charge de la preuve de la faute grave incombe à l’employeur. En cas de doute, celui-ci profite au salarié.
La lettre de licenciement est ainsi libellée:
« Par courrier en date du 4 novembre 2019 nous vous avons convoquée à un entretien préalable pouvant aller jusqu’au licenciement prévu le 15 novembre 2019 à 11h30 à [Localité 5].
Par courrier recommandé réceptionné le 13 novembre 2019, vous nous avez fait part de votre impossibilité de vous présenter à cet entretien à [Localité 5] pour des raisons médicales.
Nous vous avons donc convoquée à un nouvel entretien le 3 décembre 2019 à 12h30 sur la ville d'[Localité 4] ; entretien auquel vous ne vous êtes finalement pas présentée.
Employée par la société Bouchara depuis 2001 au sein du magasin d'[Localité 4] dont Madame [F] est directrice depuis 2006, aucun incident n’avait émaillé ni l’exécution de votre contrat de travail ni la relation que vous entreteniez avec Madame [F] jusqu’à une altercation qui vous a opposé à l’une de vos collègues en décembre 2014.
Suite à cette altercation, vous avez été destinataire d’un avertissement, votre collègue ayant été, elle, licenciée pour faute grave.
Dans le prolongement de ce qui précède, nous avons eu la surprise d’apprendre que vous aviez décidé de vous rendre aux services de police judiciaire le 19 mai 2017 pour témoigner de faits de harcèlement moral que vous auriez subi de la part de votre Directrice, Madame [F].
A cette occasion, vous êtes notamment revenue sur les faits qui avaient donné lieu à un avertissement, en niant les propos graves que vous aviez tenu vis-à-vis de votre collègue, lesquels avaient justifiés la sanction disciplinaire qui vous a été notifiée.
Vous avez également affirmé, dans le prolongement de ce qui précède, avoir fait l’objet de mesures de rétorsion de la part de vos collègues, lesquels seraient instrumentalisés par votre Directrice, en invoquant notamment le fait que cette dernière s’entourait exclusivement de personnes de son réseau amical ou familial au sein du magasin.
Enfin, vous avez affirmé devant les officiers de police judiciaire qui ont recueilli vos témoignages que le comportement de Madame [F] à votre encontre avait eu des conséquences graves sur votre état de santé et était à l’origine de votre arrêt de travail de septembre 2015.
Le jugement correctionnel rendu par le Tribunal Correctionnel d’Albi du 12 septembre 2019, aujourd’hui définitif, qui a relaxé Madame [F], a considéré que vos allégations n’étaient pas fondées et, par conséquent, que le harcèlement moral n’était pas caractérisé.
Les propos injurieux et diffamatoires émis envers votre supérieur hiérarchique n’entrent pas dans l’exercice normal de la liberté d’expression.
Par ailleurs, il résulte de ce qui précède que les instructions, consignes et mises en garde de votre hiérarchie sont contestées systématiquement par vous car vous considérez d’office qu’ils sont infondés et relèvent d’une attitude discriminatoire.
Ces propos et ce comportement diffamatoires vis-à-vis de votre Directrice caractérisent une insubordination grave, dans la mesure où vous contestez les décisions de gestion qu’elle a prises, en invoquant une motivation soi-disant discriminatoire, totalement inexistante.
Cette insubordination systématique a d’ailleurs été relevée par Madame [F], notamment dans le cadre de vos entretiens annuels s’y actant dès 2015 : « une opposition systématique au plan d’action que l’on vous propose ».
Les tensions générées par ce comportement étant encore tellement prégnantes, qu’elles ont également été relevées en conclusion de l’entretien annuel de 2017.
Ce comportement réfractaire, agressif et vindicatif envers votre supérieur hiérarchique caractérise une insubordination, rendant impossible la poursuite de votre contrat de travail.
Par conséquent, nous vous notifions par la présente votre licenciement pour faute grave. Votre licenciement prend effet immédiatement à la date d’envoi de ce courrier, et votre solde de tout compte sera arrêté à cette date, sans indemnité de préavis ni de licenciement (…)’.
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Sur le contexte
Mme [F] est directrice du magasin Bouchara à [Localité 4] depuis mars 2006, sans incident notable. Le CHSCT a indiqué lors de la visite du magasin du 06-11-2014 qu’il n’existait pas de problème particulier avec la hiérarchie.
Le 29-12-2014 a eu lieu une altercation entre Mme [Z], vendeuse depuis 13 ans, et une employée engagée en contrat à durée déterminée Mme [G], laquelle a proféré à son encontre une insulte à connotation raciste. Mme [Z] répondait en menaçant l’employée : ‘je vais de crever’.
Elle a fait l’objet d’un avertissement et le contrat à durée déterminée de Mme [G] a été rompu de façon anticipée pour faute grave.
A la suite de cet incident a été mis en place en février 2015 une réunion extraordinaire du CHSCT concernant ‘une situation de soufrance au travail suite aux propos de discrimination raciale envers une salariée’.
Le 22 septembre 2015, le magasin a connu un incident grave en ce que le fils d’une salariée Mme [A], licenciée pour avoir faussement déclaré avoir été agressée par des collègues, a pénétré dans le magasin et proféré des insultes et menaces à l’égard des employés.
Du fait d’une dégradation des relations de travail et d’une alerte pour danger grave et imminent, une enquête a été mise en place en lien avec le CHSCT le 10-09-2015. Si les salariés entendus ne qualifient pas les relations de travail de harcèlement moral, ils font part d’une ambiance délétère, liée à l’existence de ‘clans’ et une communication qui pour certains n’est pas satisfaisante avec la direction.
Bien que l’employeur déclare que Mme [Z] a été entendue, le document versé comportant plusieurs auditions ne permet pas d’identifier celle la concernant.
Le 30-09-2015, 5 salariées, Mesdames [P], [E], [A], [Y] [K] et [Z]. ont saisi la Dirrecte d’une ‘suspicion de harcèlement moral’.
Le 23-11-2015, les mêmes employées à l’exception de Mme [Z] ont déposé une plainte pénale auprès du Procureur de la République près le Tribunal de Grande Instance d’Albi pour être victimes notamment de harcèlement moral, insultes racistes, pression de la hiérarchie, mise à l’écart, ce que la société indique n’avoir appris que tardivement en mai 2017.
Le 25-04-2017, l’intéressée refusait de signer le compte-rendu de l’entretien annuel de développement relevant qu’elle devait accepter les remarques de la hiérarchie sans être dans une contestation permanente, que la relation entretenue avec les collègues n’était pas saine et elle n’avait pas à les surveiller, des membres de son entourage venaient sur le lieu de travail pour provoquer du regard ses collègues avec lesquelles elle avait eu des altercations.
Mme [Z] a été entendue le 19-05-2017 et Mme [F] le 23-05-2017 dans le cadre de l’enquête pénale.
Le 21-05-2017, la salariée adressait des courriers à l’employeur et à la médecine du travail, aux termes desquels elle s’inscrivait en faux contre les ‘accusations mensongères et infondées’ portées lors de l’entretien d’évaluation.
Mme [F] renvoyée devant le tribunal correctionnel pour harcèlement moral à l’encontre de Mesdames [P] (née [M]), [E], [A], [S] [K] et [W], a été relaxée par jugement du tribunal correctionnel d’Albi le 06-06-2019.
Le tribunal correctionnel a conclu qu’il n’est pas établi que Mme [F], salariée sous l’autorité hiérarchique du directeur régional, ait excédé ses pouvoirs de direction, ses décisions étant enfermées dans des processus imposés par la direction centrale de l’entreprise; qu’il ne peut être fait abstraction pour apprécier les faits de harcèlement moral, du comportement de certains employés sujets à incidents auxquels Mme [F] était étrangère mais qu’elle devait tenter de régler; que le comportement de certaines victimes, critiqué par d’autres employés, a été relevé par l’inspection du travail, comme impactant de manière négative l’ambiance générale des conditions de travail et a dû être géré au moyen d’appréciations, d’entretiens et d’avertissements, dans un souci de paix sociale par la direction du magasin et de l’entreprise.
Le tribunal a constaté en outre que la configuration du magasin, espace ouvert de circulation, où les rayons se touchent et où employés et clients circulent, se côtoient et communiquent, ne permet pas de caractériser des conditions d’isolement.
Sur les griefs
La société reproche à Mme [Z] des dénonciations diffamatoires et injurieuses envers Mme [F], directrice du magasin qui dépassent l’exercice normal de la liberté d’expression en dénonçant de façon mensongère des faits de harcèlement moral à l’encontre de la directrice qui a été relaxée par le tribunal correctionnel. Le jugement est définitif.
Elle considère que Mme [Z] a fait le choix de participer à ‘une cabale’ orchestrée contre la directrice (laquelle avait confiance en elle tel qu’il ressort des entretiens d’évaluation de 2013 et 2014) et contre l’employeur par d’autres salariées et ainsi de s’être présentée aux services de police pour être entendue, dans un contexte de ressentiment éprouvé à la suite de l’entretien annuel d’avril 2017.
Elle lui fait également grief d’adopter un comportement de contestation systématique des instructions et consignes et donc une insubordination.
Mme [Z] sollicite que le licenciement soit déclaré nul pour violation de sa liberté d’expression et oppose que les faits dénoncés étaient déjà connus de l’employeur.
Elle expose qu’à la suite de l’incident de décembre 2014, une partie des employés ayant témoigné en sa faveur se plaignait d’un management hostile de Mme [F] et l’autre partie était sous la protection de celle-ci; que du fait du contexte professionnel dégradé, une partie du personnel dont elle-même avait saisi le 30-09-2015 l’inspection du travail aux fins d’enquête pour harcèlement moral; qu’elle a fait l’objet de dénigrement et mise à l’écart par Mme [F] et de sabotage du travail qu’elle effectuait; qu’elle a dénoncé lors de l’entretien annuel de 2017 être la cible d’accusations mensongères.
Elle fait valoir qu’elle a été en juillet 2018 victime d’un malaise vagal, déclaré et reconnu comme accident du travail et elle a été arrêtée à compter du 24-09-2018 pour trouble anxio-dépressif.
Sur les dénonciations de Mme [Z]
L’article L 1152-2 du code du travail (dans sa rédaction à la date du litige) dispose qu’aucun salarié, aucune personne en formation ou en stage ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.
En application de l’article L. 1121-1 du code du travail et de l’article 10 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, sauf abus, le salarié jouit, dans l’entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d’expression, à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées. Le licenciement prononcé pour un motif lié à l’exercice non abusif par le salarié de sa liberté d’expression est nul.
En cas de pluralité de motifs de licenciement, l’atteinte à une liberté fondamentale causée par l’un des griefs emporte la nullité de la rupture.
La mauvaise foi du salarié ne peut résulter que de sa connaissance de la fausseté des faits qu’il dénonce et non de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis.
– Sur le témoignage de Mme [Z] auprès des services de police dans le cadre de son audition du 19 mai 2017
La salariée dément s’être présentée de son propre chef auprès des services de police pour témoigner, objectant avoir été contactée dans le cadre de l’enquête préliminaire ouverte pour être entendue. Elle réfute tout abus de sa liberté d’expression et d’avoir tenu des propos diffamatoires et injurieux à l’encontre de Mme [F].
. Elle a fait part de son ancienneté de vendeuse polyvalente au magasin, de ce que Mme [F], directrice arrivée en 2006, lui avait proposé un stage de management qu’elle a accepté et de l’absence de difficultés jusqu’à la fin de l’année 2014 où elle a été victime d’une altercation à caractère raciste de la part d’une nouvelle collègue; Mme [F] a été prévenue, elle a déposé plainte et une autre employée Mme [P] a témoigné et a subi de la part de Mme [F], un harcèlement moral; elle a été en arrêt de travail suite à cette altercation, Mme [G] a été licenciée et elle-même a été sanctionnée pour avoir proféré des menaces de mort à l’encontre de sa collègue, ce qu’elle conteste avoir dit.
. Elle dénonçait que les choses avaient changé à la suite de l’incident et qu’elle était isolée, elle déclarait:
‘Mme [F] m’avait dit que je pouvais évoluer et m’avait fait faire le stage de management mais maintenant c’est fini (..) Plus personne ne m’a parlé pendant un an. Ma réserve a été saccagée à plusieurs reprises (..). J’en ai fait part à la direction. (..) En septembre 2015, j’ai fait l’objet d’arrêt maladie pour anxiété vu les conditions de travail. Je précise que je n’avais jamais eu d’arrêt de travail auparavant.
Les appréciations notées sur mes entretiens annuels se sont dégradées (..) J’ai dû m’arrêter pendant 15 jours du 04-04-2017 au 18-04-2017 pour un état d’anxiété.
Je subis que des reproches infondés de la part de Mme [F]. Par exemple, je suis convoquée par Mme [F] qui me dit que je suis pas en mesure de faire des remarques sur les heures d’arrivées de mes collègues, en présence de [D] [B] qui s’était plaint de cela.
En fait elle est arrivée 5 minutes en retard. En arrivant elle me dit: ‘je me dépêche je suis en retard’. J’ai regardé ma montre (..) [D] est allée dire que je lui avais fait des reproches pour son retard alors que c’était pas le cas. [D] [B] peut faire ce qu’elle veut dans le magasin. Elle est très amie avec Mme [F] et elle l’aide pour faire craquer les employés qu’elle ne veut pas garder.(..)
Il y a pas mal d’employés qu’on a fait partir ou qui ont été licenciés: [R] [E], [L] [P], [N] [S], [H] [A], [J] [W].
C’est depuis l’arrivée de Mme [F] qu’il y a ce genre de harcèlement. La plupart des personnes qui sont embauchées après un départ sont proches d’elle ou des amis d’amis (..) Il y a beaucoup de copinage dans ce magasin. Mme [F] cotoie beaucoup de membres du personnel en dehors du travail. (..)
Je m’occupe du rayon lingerie. J’ai toujours été contente de faire ce travail. (..) J’aimerai pouvoir continuer à travailler mais dans de bonnes conditions sans être harcelée à longueur de journée par des reproches permanents injustifiés et dont je suis la seule à subir actuellement. Je ne souhaite pas déposer de plainte par peur des représailles. Je ne souhaite pas que Mme [F] sache que je suis venue sinon ça va être pire. Je tenais à témoigner pour toutes celles qui ont subi le harcèlement, qui ont souffert et qui ont du partir.’.
Sur ce
– Comme le réplique la salariée, il ne peut lui être fait grief d’avoir été entendue par les services de police, ce qui est un droit, comme témoin dans le cadre de la procédure pénale, que ce soit ou non à son initiative.
Par ailleurs il sera rappelé que Mme [Z] n’étant pas partie au procès pénal, le jugement du tribunal correctionnel n’a pas autorité de chose jugée à son égard.
-La chronologie des évènements montre que le climat social du magasin s’est fortement dégradé à compter de l’altercation intervenue en décembre 2014 avec Mme [G], en présence de M. [O], chef de groupe qui a séparé les 2 protagonistes et à la suite de laquelle Mme [Z] a fait l’objet d’un avertissement pour des menaces qu’elle nie avoir prononcées mais que M. [O] a confirmées par attestation du 30-01-2015.
L’intéressée a contesté le 20-02-2015, sans effet, la sanction prise par l’employeur, considérant être injustement sanctionnée pour des menaces qu’elle niait avoir prononcées.
Dans le cadre de son audition devant les services de police, Mme [Z] déclarait que Mme [P] avait témoigné pour elle à la suite de sa plainte contre Mme [G] malgré la pression subie pour ne pas le faire.
Cette pression était alléguée par Mme [P] qui a déposé plainte pour harcèlement moral à l’encontre de Mme [F] et dénonçait avoir subi une intimidation de la part de Mme [F] pour témoigner à l’encontre de Mme [Z] (affaire [G]) et un refus de sa période de congé habituelle.
Le tribunal correctionnel concluait que les accusations formulées à l’encontre de Mme [F] n’étaient pas étayées par des témoignages, confrontations ou éléments objectifs qu’il s’agisse d’intimidation ou de la période de congé refusée.
En tout état de cause, la cour constate l’absence de collusion entre Mme [P] et Mme [Z].
– Il n’est pas démontré par l’intimée qu’à la suite de cet incident, elle a fait l’objet d’un isolement ce d’autant que le magasin est un espace ouvert (constatation faite par le tribunal correctionnel), ni que la formation sur le management a été interrompue unilatéralement par l’employeur, alors que la société verse l’entretien annuel d’évaluation et de développement du 4 juin 2013 mentionnant que l’arrêt de la formation de chef de groupe était déjà acté mais que la salariée restait positionnée en n°3 de l’équipe.
Les allégations de la salariée révèlent un fort ressenti dans un contexte dégradé à l’issue de l’incident de fin 2014, ressenti qui a perduré et a été exprimé de nouveau par courrier du 21-05-2017 aux termes duquel Mme [Z] s’inscrivait en faux contre les remarques faites lors de l’évaluation d’avril 2017, pour lesquelles il n’est pas démontré un dénigrement de ses collègues à son encontre, l’intéressée ayant effectivement fait part d’un retard de Mme [B] dans son audition devant les services de police.
Il est à relever que les rapports entre ces 2 employées étaient difficiles tel qu’il s’évince d’un mail du 02-07-2017 signalant des échanges tendus quant à un travail aux cabines à l’initiative de l’intimée.
La contestation de Mme [Z] était immédiatement connue de l’employeur qui a souligné ultérieurement lors de l’évaluation du 11-06-2016 des efforts dans la capacité à les accepter et quelles que soient les évaluations, sa compétence dans les tâches de son poste.
De même, le contexte des relations de travail réactivé par la procédure pénale en cours, a généré des interprétations quant aux raisons des départs ou ruptures de contrats de certaines salariées et l’arrivée de remplaçantes qui pouvaient être connues de la direction, sans qu’il ait été démontré l’existence de pressions.
Il ressort des pièces médicales versées que l’intimée a bénéficié à diverses reprises depuis l’incident de décembre 2014 d’un suivi psychologique pour troubles anxieux.
S’il n’est pas établi de lien direct avec un comportement fautif de Mme [F], il ne peut être fait grief à Mme [Z] d’un ressenti face à une situation de travail difficile qu’elle associait de fait à la directrice malgré les interventions de Mme [F] aux fins d’un retour à la paix sociale, tel que l’a relevé le tribunal correctionnel.
Dés lors, la cour considère, au regard du contexte particulier de travail, que Mme [Z] n’a pas outre-passé sa liberté d’expression.
Pas plus il ne peut être retenu une insubordination systématique, puisque:
. lors de l’entretien professionnel du 20-11-2017, la salariée a fait part de l’absence de difficultés et aucun commentaire du manager n’est noté,
. lors de l’entretien annuel d’évaluation et de développement du 04-03-2018, il est fait mention d’un fort investissement de l’intéressée dans son poste, une bonne entente avec les collègues et une année de transition réussie.
Aussi le licenciement sera déclaré nul par confirmation du jugement déféré.
Sur l’indemnisation
Mme [Z] sollicite le versement de:
. 3.087,98 € (2 mois) au titre de l’indemnité compensatrice de préavis outre 308,79 € de congés payés afférents,
. sur la base d’une ancienneté de 18,6 ans et d’un salaire brut de 1.804,24 € (moyenne des trois derniers mois):
. 9.418,13 € au titre de l’indemnité légale de licenciement,
. 43.301,76 € (24 mois) au titre de dommages et intérêts pour licenciement nul en application de l’article L 1235-3-1 du code du travail (l’indemnité ne pouvant être inférieure à 6 mois de salaire brut).
Elle allègue un préjudice tant financier que moral important.
Elle a bénéficié de l’allocation retour à l’emploi, étant demandeur d’emploi depuis le licenciement du 9 décembre 2019 jusqu’à fin 2020 (attestation Pôle Emploi) puis d’une formation financée par Pôle Emploi du 19 novembre 2020 au 14 décembre 2020 (confer notification d’inscription à un stage du 27-11-2020) puis d’une convention tripartie de mise en situation en milieu professionnel et a été placée au sein d’une entreprise en qualité de vendeuse au mois de février 2021 ( pièce 28).
Elle travaille depuis le 19 septembre 2021 comme vendeuse au sein de la société Neuftex suivant un contrat à durée indéterminée (pièce 29) pour un salaire mensuel brut de 1556 euros.
Elle se rèfère en outre aux éléments médicaux pour corroborer qu’elle a souffert de la situation vécue et persistante, ayant été en arrêt de travail pendant un an.
La société s’oppose aux prétentions. Elle fait valoir que la moyenne des salaires sur 12 mois étant de 1791.09 € et l’ancienneté, déduction faite des périodes d’absences non payées, étant de 17 ans 2 mois et 15 jours avec une sortie d’effectif au 10-12-2019, l’indemnité de licenciement doit être évaluée à 8780,96 euros.
En outre elle oppose que la salariée ne démontre pas avoir subi un préjudice à hauteur de celui auquel elle prétend.
Sur ce
S’agissant de l’indemnité compensatrice de préavis, l’employeur ne formule pas d’observation sur le quantum, qui sera confirmé.
La période à prendre en compte pour le calcul du salaire moyen est celle antérieure au dernier arrêt maladie.
Dès lors, il convient de fixer le salaire moyen sur 3 mois (mai à juillet 2018) à 1804,24 euros .
L’ancienneté à prendre en compte pour le calcul de l’indemnité de licenciement s’apprécie à l’expiration normale du préavis. Déduction faite des périodes d’arrêt maladie simple, elle est de 17 ans 4 mois et 15 jours.
L’indemnité de licenciement est donc fixée à 9021,19 euros.
Au regard de la situation de Mme [Z], l’employeur est condamné à verser une somme de 11000 euros ( soit un peu plus de 10 mois de salaire brut) d’indemnité pour licenciement nul .
Sur l’obligation de sécurité et la visite médicale d’information et de prévention
En vertu des articles L. 4121-1 et suivants du code du travail, l’employeur, tenu d’une obligation de sécurité envers les salariés, doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Il ne méconnaît pas cette obligation légale s’il justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail.
Mme [Z] argue qu’elle a fait l’objet d’une politique de dénigrement et de mise à l’écart de la part de la Direction et d’une partie du personnel, sans qu’aucune mesure n’ait été prise, de telle sorte qu’elle évoluait dans un environnement hostile, que des plaintes ont été déposées pour harcèlement moral à l’encontre de la Directrice du magasin qui sera relaxée par le tribunal correctionnel et qu’ainsi elle a été en arrêt de travail.
L’employeur conclut au débouté.
Sur ce
Comme précédemment développé, si le contexte de travail était effectivement difficile, il sera rappelé qu’il n’a pas été démontré une mise à l’écart de l’intimée, ni un dénigrement systématique à son encontre, ce d’autant comme l’a relevé le tribunal correctionnel dans l’analyse des relations entre les salariées, Mme [F] était étrangère aux incidents et est intervenue au moyen d’appréciations, entretiens et avertissements dans un souci de paix sociale.
L’avertissement du 16-02-2015 ne s’analyse pas en une intimidation de l’employeur mais est venu sanctionner un comportement de menace de mort disproportionné et corroboré par le chef de groupe, en réponse à une insulte à caractère raciste. La salariée n’a pas sollicité l’annulation de cette sanction en justice après le refus de l’employeur de la rétracter.
Pas plus ne peut être retenue une ‘méthode de déstabilisation’ pour lui avoir demandé le 09-03-2015, comme à une autre salariée, de justifier de sa carte de séjour alors qu’elle est de nationalité française depuis 2004, cette demande procédant d’une erreur liée à l’installation d’un nouveau logiciel et dont elle ne s’était pas plainte à l’époque.
De même il n’a pas été établi que les remarques de l’employeur sur les relations avec les salariées étaient illégitimes, ce d’autant que début juillet 2017, il était signalé des échanges tendus avec une autre salariée à l’initiative de l’intimée.
Si le climat de travail dégradé a été fortement ressenti par Mme [Z], ce d’autant qu’elle n’a pas accepté la notification d’un avertissement alors qu’elle était victime d’une agression de la part d’une autre salariée, la société a mis en oeuvre à la suite de l’incident intervenu une enquête par le CHSCT puis a pris des mesures individuelles, comme rappelé par le tribunal correctionnel, pour essayer de mettre fin aux relations dégradées entre divers employés.
Il n’est pas démontré de lien direct entre le malaise vagal intervenu en juillet 2018 sur le lieu de travail et un manquement de l’employeur, le certificat médical mentionnant également ‘asthénie persistante’ et la salariée soulignait elle-même lors de l’évaluation du 04-03-2018 qu’elle a signée, une bonne entente avec ses collègues.
Aussi la cour considère que l’employeur n’a pas manqué à son obligation de sécurité et de manière superfétatoire, que la salariée ne démontre pas un préjudice à hauteur de celui qu’elle réclame. Le jugement déféré sera confirmé sur ce chef.
Sur les demandes annexes:
La SAS Eurodif, partie principale perdante, sera condamnée aux dépens d’appel.
Le jugement du conseil de prud’hommes sera confirmé en ce qu’il a condamné la société aux dépens et au titre des frais irrépétibles.
Mme [Z] est en droit de réclamer l’indemnisation des frais non compris dans les dépens exposés à l’occasion de cette procédure.
La SAS Eurodif sera condamnée à lui verser une somme de 2500,00 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. La SAS Eurodif sera déboutée de sa demande à ce titre.
La cour statuant publiquement, par arrêt contradictoire ,
Prononce la jonction des procédures RG 22-03895 et 22-03920,
Confirme le jugement déféré en ce qu’il a jugé le licenciement nul et a condamné la SAS Eurodif au paiement de 3087,98 euros d’indemnité compensatrice de préavis et 308,79 euros de congés payés afférents, aux dépens et aux frais irrépétibles,
Le réforme sur le surplus des demandes,
Statuant sur les chefs réformés et y ajoutant,
Condame la SAS Eurodif à payer à Mme [U] [Z] les sommes de:
. 9021,19 euros au titre de l’indemnité de licenciement,
. 11000 euros d’indemnité pour licenciement nul
Condamne la SAS Eurodif aux dépens d’appel,
Condamne la SAS Eurodif à payer à Mme [Z] la somme de 2500,00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Déboute la SAS Eurodif de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile .
Le présent arrêt a été signé par C. GILLOIS-GHERA, présidente, et C. DELVER, greffière.
LA GREFFI’RE LA PR »SIDENTE
C. DELVER C.GILLOIS-GHERA
.
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