Diffamation d’un député du RN sur Twitter : l’auteur identifiable

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Diffamation d’un député du RN sur Twitter : l’auteur identifiable

Dès lors que le titulaire d’un compte Twitter est identifiable sans difficulté (même si la personne a usé d’un pseudonyme), il n’est nullement utile de faire injonction à Twitter de communiquer des données relatives à l’identité du titulaire de ce compte.

Par ailleurs, engager une action pénale des chefs d’infraction suivants peut justifier la communication des données de connexion d’un compte Twitter :

– diffamation publique (envers un parlementaire),
– injure publique
– provocation à la haine envers une personne en raison de son orientation sexuelle,
– outrage envers une personne chargée d’une mission de service public autant d’actions dont il avance qu’elles ne sont pas manifestement vouées à l’échec, ni du fait du sens des propos contenus dans le message en cause ni de l’acquisition de la prescription.

Pour rappel, une demande de mesure d’instruction, sur le fondement des dispositions de l’article 145 du code de procédure civile, ne peut légitimement porter que sur des faits déterminés d’une part, pertinents d’autre part.

Le juge doit ainsi caractériser le motif légitime d’ordonner une mesure d’instruction, non pas au regard de la loi susceptible d’être appliquée à l’action au fond qui sera éventuellement engagée, mais en considération de l’utilité de la mesure pour réunir des éléments susceptibles de commander la solution d’un litige potentiel.

Sont légalement admissibles, au sens de ce même texte, des mesures d’instruction circonscrites dans le temps et dans leur objet et proportionnées à l’objectif poursuivi. Il incombe, dès lors, au juge saisi d’une contestation à cet égard, de vérifier si la mesure ordonnée est nécessaire à l’exercice du droit à la preuve du requérant et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence.

Ainsi, si le demandeur à la mesure d’instruction n’a pas à démontrer l’existence des faits qu’il invoque puisque cette mesure in futurum est justement destinée à les établir, il doit néanmoins justifier d’éléments rendant crédibles ses suppositions et démontrer que le litige potentiel n’est pas manifestement voué à l’échec, la mesure devant être de nature à améliorer la situation probatoire du demandeur.

L’article 6.II de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 dite LCEN, modifié par la loi n°2021-1109 du 24 août 2021, puis la loi n°2022-299 du 2 mars 2022, applicable au présent litige engagée avant l’entrée en vigueur de la loi n° 2024-449 du 21 mai 2024, prévoit que, dans les conditions fixées aux II bis, III et III bis de l’article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques, les personnes mentionnées aux 1 et 2 du I du présent article détiennent et conservent les données de nature à permettre l’identification de quiconque a contribué à la création du contenu ou de l’un des contenus des services dont elles sont prestataires.

Elles fournissent aux personnes qui éditent un service de communication au public en ligne des moyens techniques permettant à celles-ci de satisfaire aux conditions d’identification prévues au III.

L’article L.34-1 précité prévoit que les opérateurs de communications électroniques sont tenus de conserver :

“1° Pour les besoins des procédures pénales, de la prévention des menaces contre la sécurité publique et de la sauvegarde de la sécurité nationale, les informations relatives à l’identité civile de l’utilisateur, jusqu’à l’expiration d’un délai de cinq ans à compter de la fin de validité de son contrat ;

2° Pour les mêmes finalités que celles énoncées au 1° du présent II bis, les autres informations fournies par l’utilisateur lors de la souscription d’un contrat ou de la création d’un compte ainsi que les informations relatives au paiement, jusqu’à l’expiration d’un délai d’un an à compter de la fin de validité de son contrat ou de la clôture de son compte ;

3° Pour les besoins de la lutte contre la criminalité et la délinquance grave, de la prévention des menaces graves contre la sécurité publique et de la sauvegarde de la sécurité nationale, les données techniques permettant d’identifier la source de la connexion ou celles relatives aux équipements terminaux utilisés, jusqu’à l’expiration d’un délai d’un an à compter de la connexion ou de l’utilisation des équipements terminaux.”

La nature des données mentionnées ci-avant, comme la durée et les modalités de leur conservation, sont précisées par le décret n°2021-1362 du 20 octobre 2021 relatif à la conservation des données permettant d’identifier toute personne ayant contribué à la création d’un contenu en ligne, pris en application de l’article 6-II sus mentionné.

Ce texte précise en particulier, dans ses articles 2 à 5, les données mentionnées dans l’article L.34-1 du code des postes et des communications électroniques, évoqué ci-dessus :

– les informations prévues au 1° sont les suivantes : les nom et prénom, la date et le lieu de naissance ou la raison sociale, ainsi que les nom et prénom, date et lieu de naissance de la personne agissant en son nom lorsque le compte est ouvert au nom d’une personne morale ; la ou les adresses postales associées ; la ou les adresses de courrier électronique de l’utilisateur et du ou des comptes associés le cas échéant ; le ou les numéros de téléphone.

– les informations prévues au 2° sont les suivantes : l’identifiant utilisé ; le ou les pseudonymes utilisés ; les données destinées à permettre à l’utilisateur de vérifier son mot de passe ou de le modifier, le cas échéant par l’intermédiaire d’un double système d’identification de l’utilisateur, dans leur dernière version mise à jour, outre le type de paiement utilisé ; la référence du paiement ; le montant ; la date, l’heure et le lieu en cas de transaction physique.

– les informations prévues au 3° sont les suivantes, pour les hébergeurs : l’identifiant de la connexion à l’origine de la communication ; et les types de protocoles utilisés pour la connexion au service et pour le transfert des contenus.

L’Essentiel : Le 15 mai 2024, TWITTER INTERNATIONAL UNLIMITED COMPANY (TIUC) a été assignée en référé par [B] [N] pour obtenir des données d’un utilisateur du compte X @[04]. [B] [N] a exigé la communication de l’adresse email, du numéro de téléphone et d’autres informations, sous astreinte de 1.000 euros par jour. TIUC a contesté cette demande, la jugeant disproportionnée et illégale pour certaines données. Le 2 septembre, [B] [N] a réitéré ses demandes, augmentant le montant réclamé à 10.000 euros. Le tribunal, après audience, a rejeté les demandes de [B] [N] et l’a condamné à verser 2.000 euros à TIUC.
Résumé de l’affaire : Le 15 mai 2024, la société TWITTER INTERNATIONAL UNLIMITED COMPANY (TIUC) a été assignée en référé par [B] [N] pour obtenir des données d’identification d’un utilisateur du compte X @[04]. [B] [N] a demandé la communication de l’adresse email, du numéro de téléphone, des adresses IP et du nom associé aux paiements de l’abonnement premium, sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard, ainsi que le remboursement de 5.000 euros pour les frais irrépétibles.

En réponse, TIUC a demandé le rejet de la demande de [B] [N], arguant que les actions envisagées par celui-ci étaient vouées à l’échec et que la demande de communication de données était disproportionnée et non nécessaire. TIUC a également contesté la légalité de certaines demandes, notamment celles concernant les adresses IP et les informations bancaires, et a proposé que seules l’adresse email et le numéro de téléphone soient communiqués, tout en limitant l’usage de ces données à des poursuites pénales.

Le 2 septembre 2024, [B] [N] a réitéré ses demandes et a augmenté le montant réclamé pour les frais irrépétibles à 10.000 euros. Après avoir entendu les parties lors de l’audience du 4 septembre 2024, le tribunal a rendu sa décision le 15 octobre 2024, écartant une pièce produite par [B] [N], rejetant ses demandes, le condamnant aux dépens et lui ordonnant de verser 2.000 euros à TIUC pour les frais irrépétibles.

Q/R juridiques soulevées :

Quelles sont les conditions de la demande de communication de données d’identification selon l’article 145 du code de procédure civile ?

La demande de communication de données d’identification, fondée sur l’article 145 du code de procédure civile, doit répondre à plusieurs conditions précises. Cet article stipule que « le juge peut, même en référé, ordonner toutes mesures d’instruction qui paraissent utiles à la manifestation de la vérité ».

Pour qu’une telle mesure soit ordonnée, le demandeur doit justifier d’un motif légitime, c’est-à-dire démontrer que la mesure sollicitée est nécessaire pour établir des faits pertinents dans le cadre d’un litige potentiel.

Il est également requis que la demande soit circonscrite dans le temps et proportionnée à l’objectif poursuivi. Le juge doit donc vérifier si la mesure d’instruction est nécessaire à l’exercice du droit à la preuve du requérant et proportionnée aux intérêts en présence.

En résumé, le demandeur doit prouver que la mesure d’instruction est utile pour réunir des éléments de preuve et que le litige potentiel n’est pas manifestement voué à l’échec.

Quels sont les droits à la protection des données personnelles en vertu de la législation applicable ?

La protection des données personnelles est régie par le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) et la loi Informatique et Libertés. Selon l’article 1er du RGPD, « le présent règlement protège les droits et libertés fondamentaux des personnes physiques, notamment leur droit à la protection des données à caractère personnel ».

L’article 5 du RGPD énonce les principes relatifs au traitement des données personnelles, notamment la licéité, la loyauté et la transparence, la limitation des finalités, la minimisation des données, l’exactitude, la limitation de la conservation et l’intégrité et la confidentialité des données.

En ce qui concerne la communication des données d’identification, l’article 6 du RGPD précise que le traitement des données est licite seulement si au moins une des conditions énoncées est remplie, notamment lorsque le consentement de la personne concernée est donné ou lorsque le traitement est nécessaire à l’exécution d’un contrat.

Ainsi, la demande de communication de données d’identification doit être équilibrée avec le droit à la vie privée et à la protection des données personnelles de l’utilisateur concerné.

Quelles sont les implications de la clause de confidentialité dans le cadre de la communication de données ?

La clause de confidentialité, comme celle mentionnée dans le protocole d’accord transactionnel, impose des restrictions sur la divulgation d’informations sensibles. En vertu de l’article 5 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 (LCEN), la communication de données devant une juridiction doit être justifiée par la nécessité de la preuve.

Dans le cas présent, la société TIUC a demandé l’écartement de la pièce n°8, qui contenait des informations soumises à une clause de confidentialité. La violation de cette clause, sans justification légitime, peut entraîner des conséquences juridiques, notamment l’écartement de la preuve des débats.

Le juge doit donc évaluer si la communication des données est indispensable pour soutenir les prétentions du demandeur. Si la clause de confidentialité n’est pas respectée, cela peut justifier le rejet de la demande de communication de données, car la nécessité de la preuve ne peut pas primer sur le respect des engagements contractuels.

Comment le tribunal évalue-t-il la légitimité d’une demande de communication de données ?

Le tribunal évalue la légitimité d’une demande de communication de données en examinant plusieurs critères. Tout d’abord, il doit s’assurer que le demandeur justifie d’un motif légitime, c’est-à-dire qu’il doit démontrer que la communication des données est nécessaire pour établir des faits pertinents dans le cadre d’un litige potentiel.

Ensuite, le tribunal doit vérifier si la mesure sollicitée est proportionnée aux intérêts en présence. Cela implique d’évaluer si la communication des données ne porte pas atteinte de manière excessive aux droits de la personne concernée, notamment en matière de protection des données personnelles.

Enfin, le tribunal doit s’assurer que le litige potentiel n’est pas manifestement voué à l’échec. Cela signifie que le demandeur doit fournir des éléments crédibles qui rendent ses suppositions plausibles et démontrer que la mesure d’instruction améliorera sa situation probatoire.

En somme, le tribunal doit équilibrer le droit à la preuve du demandeur avec les droits fondamentaux de la personne dont les données sont demandées, en veillant à ce que la mesure soit justifiée et proportionnée.

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

N° RG 24/55327 – N° Portalis 352J-W-B7I-C4ZSP

N° : 2/MM

Assignation du :
15 mai 2024

[1]

[1] 2 Copies exécutoires
délivrées le:

ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
rendue le 15 octobre 2024

par Delphine CHAUCHIS, Première vice-présidente adjointe au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal,

Assistée de Minas MAKRIS, Faisant fonction de Greffier.
DEMANDEUR

Monsieur [B] [N]
[Adresse 1]
[Adresse 1]

représenté par Me Philippe PRIGENT, avocat au barreau de PARIS – #C2582

DEFENDERESSE

Société TWITTER INTERNATIONAL UNLIMITED COMPANY,(ci-après « TIUC »),
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Adresse 3] – IRLANDE

représentée par Maître Karim BEYLOUNI de la SELARL KARIM BEYLOUNI AVOCAT, avocats au barreau de PARIS – #J0098

DÉBATS

A l’audience du 03 Septembre 2024, tenue publiquement, présidée par Delphine CHAUCHIS, Première vice-présidente adjointe, assistée de Minas MAKRIS, Faisant fonction de Greffier,

Nous, Président,

Après avoir entendu les conseils des parties,

Vu l’assignation en référé délivrée le 15 mai 2024 à la société TWITTER INTERNATIONAL UNLIMITED COMPANY (TIUC) sur le fondement des articles 11 et 145 du code de procédure civile et de l’article 10 du code civil, sollicitant du Président du Tribunal judiciaire de Paris, statuant en référé, qu’il enjoigne à celle-ci de communiquer à [B] [N], dans un délai de 8 jours à compter de la signification de la décision à intervenir, sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard, les données d’identification suivantes relatives à l’utilisateur du compte X @[04] :
– l’adresse de messagerie électronique associée ;
– le numéro de téléphone associé ;
– l’adresse IP correspondant à son utilisation ou la ou les adresses IP qui s’y sont connectées ;
– le nom figurant sur la ou les cartes bancaires utilisées pour payer l’abonnement premium ou à défaut le nom du titulaire du ou des comptes bancaires qui ont payé l’abonnement premium de ce compte, réclamant, en outre, la condamnation de la société défenderesse aux entiers dépens et à lui payer la somme de 5.000 euros au titre des frais irrépétibles.

Vu les dernières conclusions en réponse de la société TIUC, notifiées le 2 septembre 2024 et déposées à l’audience, qui nous demande :

A titre principal,
– de débouter [B] [N] de sa demande de communication de données d’identification du compte X @[04] en ce que les actions au fond en diffamation ou sur le fondement de l’injure, de la provocation à la haine ou à la violence à raison de l’orientation sexuelle, ou encore toute autre action au fond sur le fondement de l’outrage, envisagées par [B] [N] sont toutes manifestement vouées à l’échec ; la mesure sollicitée par [B] [N] est inutile ; [B] [N] ne justifie donc pas d’un motif légitime au sens de l’article 145 du code de procédure civile ;
– en conséquence, de rejeter l’ensemble de ses demandes,

A titre subsidiaire,
– de juger disproportionnée la communication des données d’identification relatives au compte X @[04], en ce qu’elle causerait une atteinte disproportionnée et non nécessaire aux droits à la protection des données personnelles et à la vie privée de l’utilisateur concerné,
– de débouter en conséquence [B] [N] de sa demande de communication de données d’identification relative au compte X @[04] en ce qu’elle est disproportionnée et non nécessaire,
– de rejeter en conséquence car devenue sans objet la demande d’astreinte assortissant cette mesure,

A titre plus subsidiaire,
– de débouter [B] [N] de sa demande de communication de « l’adresse IP» de l’utilisateur du compte X @[04], ou des adresses IP qui s’y sont connectées, cette mesure n’étant pas légalement admissible,
– de débouter [B] [N] de sa demande de communication du nom figurant sur la ou les cartes bancaires utilisées pour payer l’abonnement premium ou à défaut le nom du titulaire du ou des comptes bancaires qui ont payé l’abonnement premium du compte X @[04], une telle mesure n’étant pas légalement admissible,
– d’ordonner que les données qui seront communiquées le cas échéant à [B] [N] par la société TIUC seront limitées aux informations sur l’identité civile de l’utilisateur visées à l’article 2 du décret n°2021-1362 du 20 octobre 2021 et L. 34-1 II bis 1° du code des postes et des communications électroniques, à savoir « l’adresse de messagerie électronique ; le numéro de téléphone » – seules données demandées – dans la limite de celles en la possession de TIUC,
– d’ordonner à [B] [N] de réserver l’usage des données ainsi obtenues à des poursuites pénales, à l’exclusion de toute poursuite civile,

En tout état de cause,
– de débouter le demandeur de sa demande d’astreinte,
– d’écarter des débats la pièce adverse n°8, intitulée « transaction [N] et a. avec Twitter du 24 mai 2019 », produite par [B] [N], versée en violation de la clause de confidentialité qu’elle contient et de façon déloyale,
– de débouter le demandeur de sa demande tendant au paiement de l’article 700 du code de procédure civile à hauteur de 10.000 euros,
– de débouter le demandeur de sa demande tendant au paiement des frais de constat d’huissier qu’il a engagés,
– de condamner le demandeur au paiement de la somme 10.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
– de condamner le demandeur aux entiers dépens.

Vu les conclusions récapitulatives de [B] [N] notifiées le 2 septembre 2024 et déposées à l’audience, qui réitère ses demandes initiales et élève ses prétentions à la somme de 10.000 euros au titre des frais irrépétibles.

Les conseils des parties ont été entendus en leurs observations à l’audience du 04 septembre 2024.
À l’issue de l’audience, il leur a été indiqué que la présente décision serait rendue le 15 octobre 2024, par mise à disposition au greffe.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande tendant à voir écarter des débats la pièce n°8 versée par le demandeur :

Aux fins de soutenir la demande de communication de données sous astreinte, le demandeur communique aux débats une pièce consistant en un protocole d’accord transactionnel signé entre lui-même et d’autres parties d’une part, et les sociétés TIUC et TWITTER France d’autre part (sa pièce n°8).
Celui-ci contient, en son article 5, une clause de confidentialité.

La violation de cette clause, par la communication ainsi faite devant notre juridiction, ne s’expliquant nullement par le caractère indispensable de sa production au soutien des prétentions du demandeur, il y a lieu, purement et simplement, de l’écarter des débats.

Sur les faits :

La société TIUC est une société de droit irlandais, dont le siège est situé à Dublin, en Irlande.
Elle est en charge de l’hébergement, de l’exploitation et du contrôle de la plateforme X (anciennement dénommée Twitter) au Royaume-Uni, dans les Etats de l’AELE et dans l’Union européenne (cf pièce n°1 de la défenderesse).

[B] [N], député Rassemblement National de la 4ème circonscription de la Somme entre 2022 et 2024 et réélu au terme des élections législatives de juin dernier (cf pièce n°2 de la défenderesse), déplore la publication, le 12 janvier 2024, d’un message sur le réseau social X, depuis un compte premium intitulé “[K] [V]” (@[04]) dont il démontre la matérialité au moyen d’un procès-verbal de constat d’huissier (sa pièce n°3).
Souhaitant agir en justice contre l’auteur de ce message, il sollicite de la société TIUC la communication des données en sa possession afin de lever l’anonymat de celui-ci.
C’est dans ces conditions qu’a été engagée la présente instance.

Sur la demande de communication des informations susceptibles de permettre l’identification du titulaire du compte X @[04] :

L’article 6.II de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 dite LCEN, modifié par la loi n°2021-1109 du 24 août 2021, puis la loi n°2022-299 du 2 mars 2022, applicable au présent litige engagée avant l’entrée en vigueur de la loi n° 2024-449 du 21 mai 2024, prévoit que, dans les conditions fixées aux II bis, III et III bis de l’article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques, les personnes mentionnées aux 1 et 2 du I du présent article détiennent et conservent les données de nature à permettre l’identification de quiconque a contribué à la création du contenu ou de l’un des contenus des services dont elles sont prestataires.
Elles fournissent aux personnes qui éditent un service de communication au public en ligne des moyens techniques permettant à celles-ci de satisfaire aux conditions d’identification prévues au III.
L’article L.34-1 précité prévoit que les opérateurs de communications électroniques sont tenus de conserver :
“1° Pour les besoins des procédures pénales, de la prévention des menaces contre la sécurité publique et de la sauvegarde de la sécurité nationale, les informations relatives à l’identité civile de l’utilisateur, jusqu’à l’expiration d’un délai de cinq ans à compter de la fin de validité de son contrat ;
2° Pour les mêmes finalités que celles énoncées au 1° du présent II bis, les autres informations fournies par l’utilisateur lors de la souscription d’un contrat ou de la création d’un compte ainsi que les informations relatives au paiement, jusqu’à l’expiration d’un délai d’un an à compter de la fin de validité de son contrat ou de la clôture de son compte ;
3° Pour les besoins de la lutte contre la criminalité et la délinquance grave, de la prévention des menaces graves contre la sécurité publique et de la sauvegarde de la sécurité nationale, les données techniques permettant d’identifier la source de la connexion ou celles relatives aux équipements terminaux utilisés, jusqu’à l’expiration d’un délai d’un an à compter de la connexion ou de l’utilisation des équipements terminaux.”

La nature des données mentionnées ci-avant, comme la durée et les modalités de leur conservation, sont précisées par le décret n°2021-1362 du 20 octobre 2021 relatif à la conservation des données permettant d’identifier toute personne ayant contribué à la création d’un contenu en ligne, pris en application de l’article 6-II sus mentionné. Ce texte précise en particulier, dans ses articles 2 à 5, les données mentionnées dans l’article L.34-1 du code des postes et des communications électroniques, évoqué ci-dessus :
– les informations prévues au 1° sont les suivantes : les nom et prénom, la date et le lieu de naissance ou la raison sociale, ainsi que les nom et prénom, date et lieu de naissance de la personne agissant en son nom lorsque le compte est ouvert au nom d’une personne morale ; la ou les adresses postales associées ; la ou les adresses de courrier électronique de l’utilisateur et du ou des comptes associés le cas échéant ; le ou les numéros de téléphone.
– les informations prévues au 2° sont les suivantes : l’identifiant utilisé ; le ou les pseudonymes utilisés ; les données destinées à permettre à l’utilisateur de vérifier son mot de passe ou de le modifier, le cas échéant par l’intermédiaire d’un double système d’identification de l’utilisateur, dans leur dernière version mise à jour, outre le type de paiement utilisé ; la référence du paiement ; le montant ; la date, l’heure et le lieu en cas de transaction physique.
– les informations prévues au 3° sont les suivantes, pour les hébergeurs : l’identifiant de la connexion à l’origine de la communication ; et les types de protocoles utilisés pour la connexion au service et pour le transfert des contenus.

*

En l’espèce, [B] [N] sollicite de la société TIUC, société ayant le statut d’hébergeur, tel que définit à l’article 6. I. 2 de la LCEN, la communication des informations liées au compte X émetteur des messages en cause aux fins de lever l’anonymat de leur auteur.

Il convient de rappeler qu’une demande de mesure d’instruction, sur le fondement des dispositions de l’article 145 du code de procédure civile, ne peut légitimement porter que sur des faits déterminés d’une part, pertinents d’autre part. Le juge doit ainsi caractériser le motif légitime d’ordonner une mesure d’instruction, non pas au regard de la loi susceptible d’être appliquée à l’action au fond qui sera éventuellement engagée, mais en considération de l’utilité de la mesure pour réunir des éléments susceptibles de commander la solution d’un litige potentiel.
Sont légalement admissibles, au sens de ce même texte, des mesures d’instruction circonscrites dans le temps et dans leur objet et proportionnées à l’objectif poursuivi. Il incombe, dès lors, au juge saisi d’une contestation à cet égard, de vérifier si la mesure ordonnée est nécessaire à l’exercice du droit à la preuve du requérant et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence.

Ainsi, si le demandeur à la mesure d’instruction n’a pas à démontrer l’existence des faits qu’il invoque puisque cette mesure in futurum est justement destinée à les établir, il doit néanmoins justifier d’éléments rendant crédibles ses suppositions et démontrer que le litige potentiel n’est pas manifestement voué à l’échec, la mesure devant être de nature à améliorer la situation probatoire du demandeur.

*

Pour justifier du motif légitime, il est ici avancé par [B] [N] que la communication des informations relatives au détenteur du compte X duquel a été émis le message dénoncé est de nature à lui permettre de connaître l’auteur dissimulé derrière le pseudonyme “[K][V]” et d’engager une action pénale des chefs d’infraction suivants :

– de diffamation publique (envers un parlementaire),
– d’injure publique
– de provocation à la haine envers une personne en raison de son orientation sexuelle,
– d’outrage envers une personne chargée d’une mission de service public autant d’actions dont il avance qu’elles ne sont pas manifestement vouées à l’échec, ni du fait du sens des propos contenus dans le message en cause ni de l’acquisition de la prescription.

En défense, la société TIUC allègue, à titre principal, que la présente demande de communication de données est dépourvue de tout motif légitime dans la mesure où les actions en diffamation et injure publique envisagées par le demandeur seraient vouée à l’échec par l’acquisition de la prescription et celles nouvellement envisagée, au terme des dernières écritures du demandeur, du chef de provocation à la haine et d’outrage subiraient le même sort en l’absence de caractérisation possible de ces délits. Elle conteste, par ailleurs, l’utilité de la mesure de communication sollicitée, celle-ci ne pouvant livrer au demandeur aucune information dont il ne disposerait pas déjà quant au titulaire du compte X @[04].

*

Afin de déterminer si la mesure sollicitée en l’espèce est nécessaire à l’exercice du droit à la preuve du demandeur et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence, il convient de tenir compte des informations d’ores et déjà disponibles quant à l’identité du titulaire du compte X @[04] dans la mesure où l’enjeu de la demande ici présentée réside précisément dans la levée de l’anonymat de ce dernier.
Il est établi par la défenderesse que le titulaire dudit compte X est connu comme étant [L] [Z], du fait des publications parues dans la presse à cet égard et des propres déclarations de cet internaute revendiquant une action militante au moyen de ce réseau social.

Ainsi, un article publié sur le site francetvinfo.fr, le 18 mai 2024, indique que derrière le compte de [K] [V], “se cache [L] [Z], un publicitaire”, qui ferait l’objet de plusieurs plaintes en lien avec ses publications (cf pièce n°3 de la défenderesse).
Un article plus ancien, daté du 14 avril 2022, diffusé sur le site strategies.fr, révèle également l’identité de l’individu, soit [L] [Z], se dissimulant derrière le “phénomène [K] [V]”, que le journaliste indique avoir interviewé (cf sa pièce n°4).
Précédemment, avait déjà été mentionnée dans la presse en ligne, sur le site parismatch.com, l’identité de celui qui publiait sur les réseaux sociaux sous le pseudonyme de [K] [V] (cf pièce n°5 de la défenderesse), les termes de l’article étant illustrés par deux photographies en pied de l’intéressé : “[K] [V] est un homme. [L] [Z], 37 ans, un écorché vif, graphomane, formé dans la pub, admirateur de [S] [E]. Durant trois ans, il a joué sur les réseaux sociaux avant de s’y noyer”. L’hebdomadaire fait part des explications et des sentiments de ce dernier, recueillis en interview, en premier lieu par téléphone puis en se déplaçant sur son lieu de résidence à [Localité 2].

Au vu de la précision des informations concordantes ainsi rendues publiques, rien ne permet de remettre en cause leur fiabilité.

Il est établi, enfin, que le compte évoqué ici dans la presse est le même que celui pour lequel [B] [N] réclame une mesure d’instruction civile (cf reproduction de la présentation du compte en pièce 3 de la défenderesse et dans le constat d’huissier versé aux débats par le demandeur).

Dans ces conditions, dès lors qu’est identifiable sans difficulté la personne ayant usé du pseudonyme de [K] [V] pour publier au moyen du compte X @[04] le message litigieux, il n’est nullement utile de faire injonction à la société défenderesse de communiquer des données relatives à l’identité du titulaire de ce compte.

Au regard de l’ensemble de ces éléments, il convient donc de considérer qu’il n’est démontré aucun motif légitime de nature à justifier d’ordonner la communication des données relatives au compte X en cause.

Il ne saurait donc être fait droit aux demandes de [B] [N].

Sur les dépens :

[B] [N], qui succombe, devra supporter les dépens de la présente instance.
Il sera, par ailleurs, tenu d’indemniser la société défenderesse des frais irrépétibles engagés, à hauteur de la somme de 2.000 euros.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par ordonnance contradictoire et en premier ressort ,

Ecartons des débats la pièce n°8 versée par [B] [N],

Rejetons les demandes formées par [B] [N],

Condamnons [B] [N] aux dépens de la présente instance

Condamnons [B] [N] à payer à la société TWITTER INTERNATIONAL UNLIMITED COMPANY la somme de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles

Fait à Paris le 15 octobre 2024

Le Greffier, Le Président,
Minas MAKRIS Delphine CHAUCHIS


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