Créance salariale et contestation de licenciement : enjeux de preuve et interprétation des faits.

·

·

Créance salariale et contestation de licenciement : enjeux de preuve et interprétation des faits.

Les décisions définitives des juridictions pénales statuant au fond sur l’action publique ont, au civil, autorité absolue en ce qui concerne ce qui a été nécessairement jugé quant à l’existence du fait incriminé, sa qualification et la culpabilité ou l’innocence de ceux auxquels le fait est imputé, conformément à l’article 1351 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et à l’article 480 du code de procédure civile. L’autorité de la chose jugée au pénal s’étend aux motifs qui sont le soutien nécessaire du chef de dispositif prononçant la décision.

L’Essentiel : Les décisions définitives des juridictions pénales statuant au fond sur l’action publique ont, au civil, autorité absolue concernant l’existence du fait incriminé, sa qualification et la culpabilité ou l’innocence des personnes concernées. L’autorité de la chose jugée au pénal s’étend également aux motifs qui soutiennent le chef de dispositif prononçant la décision.
Résumé de l’affaire :

Engagement et licenciement

Selon l’arrêt attaqué, une assistante de production a été engagée par une société de production le 15 octobre 1996, et a occupé en dernier lieu le poste de productrice déléguée. Elle a été licenciée pour faute grave par lettre du 17 juillet 2015 et a contesté la rupture de son contrat de travail devant la juridiction prud’homale.

Liquidation judiciaire

Le 6 mars 2019, un tribunal de commerce a prononcé la liquidation judiciaire de la société, désignant un liquidateur judiciaire pour gérer la procédure.

Contestation de la créance

Le liquidateur judiciaire a contesté la décision de la cour d’appel qui a fixé la créance de l’ancienne salariée au passif de la liquidation judiciaire, incluant des sommes pour rappel de salaire, indemnité compensatrice de préavis, indemnité de licenciement et dommages-intérêts pour rupture abusive.

Arguments du liquidateur

Le liquidateur a soutenu que la cour d’appel avait mal interprété les faits ayant conduit au licenciement, en se basant sur une relaxe pénale de l’ancienne salariée sans vérifier les éléments de la plainte pénale qui l’accusait d’abus de confiance et d’escroquerie.

Réponse de la Cour

La Cour a rappelé que les décisions pénales ont autorité sur les faits jugés au civil. Elle a constaté que les motifs du licenciement étaient identiques à ceux de la plainte pénale et que l’ancienne salariée avait été relaxée, concluant que le licenciement était sans cause réelle et sérieuse.

Conclusion

Le moyen du liquidateur n’a donc pas été fondé, et la décision de la cour d’appel a été confirmée.

Q/R juridiques soulevées :

Quel est l’impact de la chose jugée au pénal sur le juge civil ?

Il résulte des articles 1351 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et 480 du code de procédure civile, que les décisions définitives des juridictions pénales statuant au fond sur l’action publique ont, au civil, autorité absolue en ce qui concerne ce qui a été nécessairement jugé quant à l’existence du fait incriminé, sa qualification et la culpabilité ou l’innocence de ceux auxquels le fait est imputé.

L’autorité de la chose jugée au pénal s’étend aux motifs qui sont le soutien nécessaire du chef de dispositif prononçant la décision.

La cour d’appel, qui a procédé à la recherche prétendument omise, a constaté, hors toute dénaturation, que les faits ayant motivé le licenciement de la salariée étaient identiques à ceux visés dans la plainte pénale déposée à son encontre par l’employeur et qu’elle avait été relaxée des chefs de la poursuite par un jugement définitif.

Quel est le rôle du juge dans l’interprétation des écrits soumis ?

Il n’est pas permis au juge de dénaturer l’écrit qui lui est soumis. La plainte pénale déposée par la société dénonçait des faits d’ « abus de confiance », résultant de ce que la salariée, en sa qualité de productrice déléguée de la société, s’est vue remettre une carte bancaire au nom de la société P6 productions afin de régler les dépenses afférentes à l’activité de la société.

Cependant, la salariée avait fait un usage de la carte bancaire de la société autre que celui prévu initialement, en détournant les fonds de la société à son bénéfice personnel.

En considérant que les faits ayant motivé le licenciement auraient été ceux qui étaient visés dans la plainte pénale, après avoir constaté que la lettre de licenciement était motivée, notamment, par des faits distincts tenant à ce que la salariée ne transmettait pas ses notes de frais à la comptable de la société, la cour d’appel a dénaturé la plainte de la société P6 productions, en violation de l’obligation pour le juge de ne pas dénaturer l’écrit qui lui est soumis.

SOC.

CZ

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 26 février 2025

Rejet

Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 168 F-D

Pourvoi n° E 23-11.596

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 26 FÉVRIER 2025

La société MJA, société d’exercice libéral à forme anonyme, dont le siège est [Adresse 1], représentée par Mme [X] [T], agissant en qualité de liquidatrice judiciaire de la société P6 productions, a formé le pourvoi n° E 23-11.596 contre l’arrêt rendu le 10 novembre 2022 par la cour d’appel de Paris (pôle 6, chambre 5), dans le litige l’opposant :

1°/ à Mme [V] [N], domiciliée [Adresse 3],

2°/ à l’AGS CGEA Ile-de-France Ouest, dont le siège est [Adresse 2],

défenderesses à la cassation.

Mme [N] a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.

La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l’appui de son recours, un moyen de cassation.
La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l’appui de son recours, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Seguy, conseiller, les observations de la SAS Boucard, Capron, Maman, avocat de la société MJA, de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de Mme [N], après débats en l’audience publique du 21 janvier 2025 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Seguy, conseiller rapporteur, Mme Panetta, conseiller et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 10 novembre 2022), Mme [N] a été engagée en qualité d’assistante de production, le 15 octobre 1996, par la société P6 productions (la société). En dernier lieu, elle occupait les fonctions de productrice déléguée.

2. Licenciée pour faute grave par lettre du 17 juillet 2015, elle a saisi la juridiction prud’homale d’une contestation de la rupture de son contrat de travail.

3. Le 6 mars 2019, un tribunal de commerce a prononcé la liquidation judiciaire de la société et a désigné en qualité de liquidateur la société MJA, prise en la personne de Mme [T].

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi principal de l’employeur

Enoncé du moyen

4. Le liquidateur judiciaire de la société fait grief à l’arrêt de fixer la créance de la salariée au passif de la liquidation judiciaire à diverses sommes à titre de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire, outre les congés payés afférents, d’indemnité compensatrice de préavis, outre les congés payés afférents, d’indemnité conventionnelle de licenciement et de dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat de travail, alors :

« 1°/ que la chose jugée au pénal ne s’impose au juge civil que relativement aux faits qui constituent le soutien nécessaire de la décision pénale ; qu’en se bornant à retenir, pour considérer que le licenciement serait sans cause réelle et sérieuse, que la salariée, qui avait été poursuivie devant le tribunal correctionnel de Paris des chefs d’abus de confiance, abus de biens sociaux et escroquerie, avait été relaxée par un jugement définitif, après avoir relevé les termes de la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige et selon laquelle il était reproché à la salariée, notamment, de ne pas avoir transmis ses notes de frais à la comptable de la société et d’avoir exposé des frais exorbitants, sans vérifier que le juge pénal avait été saisi et avait statué sur les faits de non-transmission de notes de frais et de frais exorbitants, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1351 du code civil, dans sa version antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016, ensemble le principe de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil ;

2°/ qu’il n’est pas permis au juge de dénaturer l’écrit qui lui est soumis ; que la plainte pénale déposée par la société le 26 octobre 2015 dénonçait des faits d’  »abus de confiance », résultant de ce que  »[la salariée], en sa qualité de productrice déléguée de la société, s’est vue remettre une carte bancaire au nom de la société P6 productions afin de régler les dépenses afférentes à l’activité de la société » mais avait  »fait un usage de la carte bancaire de la société autre que celui prévu initialement, en détournant les fonds de la société à son bénéfice personnel : en payant ses dépenses personnelles avec la carte bancaire de la société »,  »en s’octroyant en septembre 2013 de manière unilatérale, une augmentation de salaire de 1 032 euros », en  »imputant à la société des notes de frais correspondant en réalité à des dépenses personnelles et en procédant au virement des sommes correspondantes du compte de la société vers son compte personnel », d’  »abus de biens sociaux »,  »dans la mesure où [la salariée] a obtenu le paiement par la société P6 productions, à son profit personnel, de dépenses injustifiées, personnelles » et par  »plusieurs actes contraires à la société : elle a payé, avec la carte bancaire de la société des dépenses personnelles (…) a également sollicité à plusieurs reprises le remboursement de notes de frais payés non avec la carte bancaire de la société mais avec ses moyens de paiement personnels (…) » et  »s’est également augmentée en septembre 2013 (…) », enfin d’  »escroquerie » car  »[la salariée] a utilisé des manœuvres frauduleuses pour faire croire à la conformité de ses dépenses avec l’objet social en produisant auprès de la comptable des tickets de caisse coupés (…) »  »afin de conduire la société à prendre en charge ses dépenses personnelles » ; qu’en considérant que les faits ayant motivé le licenciement auraient été ceux qui étaient visés dans la plainte pénale, après avoir constaté que la lettre de licenciement était motivée, notamment, par des faits distincts tenant à ce que la salariée ne transmettait pas ses notes de frais à la comptable de la société, ce qui empêchait leur lisibilité comptable, et qu’elle avait exposé des frais exorbitants, la cour d’appel a dénaturé la plainte de la société P6 productions, en violation de l’obligation pour le juge de ne pas dénaturer l’écrit qui lui est soumis. »

Réponse de la Cour

5. Il résulte des articles 1351 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et 480 du code de procédure civile, que les décisions définitives des juridictions pénales statuant au fond sur l’action publique ont, au civil, autorité absolue en ce qui concerne ce qui a été nécessairement jugé quant à l’existence du fait incriminé, sa qualification et la culpabilité ou l’innocence de ceux auxquels le fait est imputé. L’autorité de la chose jugée au pénal s’étend aux motifs qui sont le soutien nécessaire du chef de dispositif prononçant la décision.

6. La cour d’appel, qui a procédé à la recherche prétendument omise, a constaté, hors toute dénaturation, que les faits ayant motivé le licenciement de la salariée étaient identiques à ceux visés dans la plainte pénale déposée à son encontre par l’employeur et qu’elle avait été relaxée des chefs de la poursuite par un jugement définitif.

7. Elle en a exactement déduit que la chose jugée au pénal s’imposait au juge civil, de sorte que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse.

8. Le moyen n’est donc pas fondé.


Votre avis sur ce point juridique ? Une actualité ? Une recommandation ?

Merci pour votre retour ! Partagez votre point de vue, une info ou une ressource utile.

Chat Icon