Cour de cassation, 3 avril 2025, N° Pourvoi 23-21.080
Cour de cassation, 3 avril 2025, N° Pourvoi 23-21.080

Type de juridiction : Cour de cassation

Juridiction : Cour de cassation

Thématique : Responsabilité et obligations dans un projet de construction : enjeux de l’assistance à la maîtrise d’ouvrage.

Résumé

M. et Mme, en tant que propriétaires d’un château, ont confié à la société Sèle, assurée par la SMABTP, la réfection des façades de leur propriété, sous la supervision d’un maître d’œuvre. D’autres intervenants ont également participé au projet, notamment une personne chargée de l’établissement du dossier de permis de construire et un assistant à la maîtrise d’ouvrage. Suite à des désordres constatés, les propriétaires ont assigné tous les intervenants ainsi que leurs assureurs pour obtenir la résolution des contrats de travaux et une indemnisation.

Dans le cadre de la procédure, un des intervenants, l’assistant à la maîtrise d’ouvrage, a contesté sa condamnation à verser des sommes aux propriétaires, arguant que la cour d’appel avait statué sur des conclusions antérieures à ses dernières soumissions, ce qui constituerait une violation des règles de procédure. Cependant, la cour a constaté que ces dernières conclusions n’avaient pas été notifiées, rendant le moyen non fondé.

L’assistant a également soutenu que son rôle se limitait à une mission de conseil et qu’il n’était pas responsable des désordres, car il n’avait pas la qualité de maître d’œuvre. Il a fait valoir que la cour avait dénaturé son contrat en l’incluant dans la responsabilité de la maîtrise d’œuvre. De plus, il a critiqué le jugement pour son manque de motivation, affirmant que la cour n’avait pas suffisamment justifié sa décision en se basant uniquement sur son expérience sans référence aux stipulations contractuelles.

Enfin, l’assistant a contesté la conclusion de la cour selon laquelle il aurait manqué à son obligation de conseil en ce qui concerne la composition des enduits, arguant que le devis ne précisait pas l’utilisation de chaux, et que la responsabilité ne pouvait donc pas lui être imputée. La cour, en maintenant sa décision, a été accusée de dénaturer les documents contractuels.

Cour de cassation, 3 avril 2025, N° Pourvoi 23-21.080

CIV. 3

CC

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 3 avril 2025

Rejet

Mme TEILLER, président

Arrêt n° 188 F-D

Pourvoi n° P 23-21.080

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 3 AVRIL 2025

M. [B] [S], domicilié [Adresse 7], a formé le pourvoi n° P 23-21.080 contre l’arrêt rendu le 1er juillet 2022 par la cour d’appel de Paris (pôle 4, chambre 6), dans le litige l’opposant :

1°/ à M. [K] [F],

2°/ à Mme [J] [M], épouse [F],

tous deux domiciliés [Adresse 5],

3°/ à M. [C] [V], domicilié [Adresse 2],

4°/ à la Société mutuelle d’assurance du bâtiment et des travaux publiques, (SMABTP), dont le siège est [Adresse 8],

5°/ à Mme [Z] [L], domiciliée [Adresse 3],

6°/ à la société [A], société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 4],

7°/ à la société Sèle, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 6],

8°/ à la société Aurige, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], anciennement M. [A],

défendeurs à la cassation.

Le demandeur invoque, à l’appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Bironneau, conseiller référendaire, les observations de la SARL Delvolvé et Trichet, avocat de M. [S], de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de M. [V] et de Mme [L], de la SCP Françoise Fabiani – François Pinatel, avocat de M. et Mme [F], de la SCP L. Poulet-Odent, avocat de la Société mutuelle d’assurance du bâtiment et des travaux publiques et des sociétés Sèle et Aurige, après débats en l’audience publique du 4 mars 2025 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Bironneau, conseiller référendaire rapporteur, M. Boyer, conseiller doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 1er juillet 2022), M. et Mme [F] ont confié à la société Sèle, assurée auprès de la SMABTP, la réalisation de travaux de réfection des façades de leur château, sous la maîtrise d’oeuvre d’exécution de M. [V].

2. Ont également participé à cette opération de construction Mme [L], en charge de l’établissement du dossier de permis de construire, du contrôle architectural du projet et de l’assistance aux opérations de réception, et M. [S], chargé d’une mission d’assistance à la maîtrise d’ouvrage.

3. Se plaignant de désordres, M. et Mme [F] ont, après expertise, assigné les intervenants à l’opération de construction et leurs assureurs en résolution des marchés de travaux et indemnisation de leurs préjudices.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. M. [S] fait grief à l’arrêt de le condamner à payer à M. et Mme [F], certaines sommes, in solidum, d’une part avec la société Sèle, la SMABTP et M. [V], d’autre part avec la société Sèle et la SMABTP, alors « que le juge ne peut statuer que sur les dernières conclusions déposées et doit viser celles-ci avec l’indication de leur date ; qu’en l’espèce, la cour d’appel s’est prononcée au visa de conclusions déposées par M. [S] le 15 octobre 2019 ; que cependant celui-ci avait déposé ses dernières conclusions d’appel le 17 février 2022 ; que la cour d’appel, qui s’est ainsi prononcée au visa de conclusions antérieures aux dernières conclusions de M. [S], a donc violé les articles 455, alinéa 1er, et 954, alinéa 2, du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

5. Il ne ressort pas des productions que les conclusions de M. [S] datées du 17 février 2022 ont été notifiées via le réseau privé virtuel avocats (RPVA).

6. Le moyen n’est donc pas fondé.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

7. M. [S] fait grief à l’arrêt de le condamner à payer à M. et Mme [F] certaines sommes, in solidum, d’une part avec la société Sèle, la SMABTP et M. [V], d’autre part avec la société Sèle et la SMABTP, alors :

« 1°/ que le contrat du 14 novembre 2008 signé avec M. [F] était un contrat d’assistance du maître de l’ouvrage qui avait confié à M. [S] une mission d’assistance du maître d’ouvrage lors de la mise au point et de l’exécution du marché pour toutes les questions techniques notamment en ce qui concerne les préconisations du fabricant, des entreprises et du maître d’œuvre d’exécution, ce qui ne correspond en aucun cas à une mission de maîtrise d’œuvre et de prescription ; qu’en exécution de ce contrat, M. [S] devait s’assurer avec la maîtrise d’œuvre que les travaux et les produits prescrits dans le cadre de l’expertise judiciaire étaient bien conformes et mis en œuvre conformément au marché, étant sous-entendu que cette mission ne pouvait être assurée que sur documents

puisque le conseil technique n’était pas sur place et n’avait pas de budget de déplacement ; que la mission de M. [S] restait donc une mission de conseil du maître d’ouvrage et que M. [S] n’avait pas été intégré à la maîtrise d’œuvre d’exécution ; que cependant, pour apprécier la responsabilité de M. [S] dans la survenance des désordres, la cour d’appel a inclus celui-ci dans la maîtrise d’œuvre en considérant, « Sur la responsabilité de la maîtrise d’œuvre », que « l’architecte est responsable contractuellement envers le maître de l’ouvrage de ses fautes dans la conception de l’ouvrage, dans l’exécution de sa mission de contrôle des travaux, dans l’exécution de sa mission de direction, de suivi et de coordination des travaux et de ses manquements au devoir de conseil lui incombant »; qu’ainsi qu’il résulte du contrat du 14 novembre 2008 signé le 2 avril 2009, M. [S] n’avait cependant pas la qualité d’architecte et n’est pas intervenu en qualité de maître d’œuvre ; qu’en appréciant ainsi la responsabilité de M. [S] dans le cadre général de celle de la maitrise d’œuvre, la cour d’appel a dénaturé le contrat d’assistance du 14 novembre 2008, en violation de l’article 1134 du code civil en sa version applicable antérieure au 1er octobre 2016, d’entrée en vigueur de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des obligations, et du principe selon lequel le juge ne doit pas dénaturer les documents qui lui sont soumis, ensemble l’article 1147 du code civil, dans sa version antérieure à ladite ordonnance ;

2°/ que tout jugement doit être motivé ; que les juges du fond ne doivent pas procéder par voie de simples affirmations ; que, pour retenir la responsabilité de M. [S], la cour d’appel s’est bornée à retenir la compétence et l’expérience de celui-ci sans se référer à la moindre stipulation du contrat d’assistance le liant au maître de l’ouvrage, a seulement mentionné sa qualité d’ingénieur conseil sans faire référence à aucune pièce ou élément du dossier d’où elle déduisait sa compétence et son expérience, n’a pas précisé les pièces ou éléments du dossier desquels elle déduisait que son attention avait été appelée sur la difficulté du chantier, circonstance qui en outre était impropre à caractériser une défaillance dans l’accomplissement de sa mission, et n’a pas précisé les circonstances ou les pièces desquelles elle déduisait que le choix de la technique de finition s’agissant des glacis et des soubassements devait être imputé à M. [S] ; qu’en statuant ainsi par voie de simples affirmations sans autre précision, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 code civil en sa version applicable antérieure au 1er octobre 2016, d’entrée en vigueur de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des obligations, et 1147 du code civil, dans sa version antérieure à ladite ordonnance, ensemble l’article 455 du code de procédure civile ;

3°/ que le juge ne doit pas dénaturer les documents qui lui sont soumis ; que, pour retenir la responsabilité de M. [S], la cour d’appel, après avoir retenu qu’il résultait des pièces du marché que le devis initial du 3 mars 2009 prévoyait expressément l’application, tant sur les glacis que sur les parements verticaux, d’enduits à la chaux, et que le CCTP, en page 11, stipulait un « enduit au mortier de chaux des parements verticaux », a considéré que M. [S] avait manqué à son obligation de conseil en ne vérifiant pas la composition des enduits à appliquer qui se sont révélés dépourvus de chaux, « alors que les pièces du marché, ses propres observations préalables au démarrage des travaux et les recommandations du fabricant prescrivaient l’utilisation d’enduit de mortier traditionnel à base de chaux comme nécessaire à la respiration des murs et à éviter l’apparition de fissurations » et qu’il « n’ignorait donc pas l’importance de la présence de chaux dans la composition du mortier à appliquer »; que cependant ledit devis de la société Sèle du 3 mars 2009, qui prévoyait l’application sur les glacis d’un enduit d’imperméabilisation sans préciser s’il devait être ou non à la chaux, n’imposait pas la chaux dans la composition des enduits, et qu’il en résultait que la nature de l’enduit à appliquer sur les glacis n’était pas précisée et devait être déterminée lors des essais de convenance avec l’aide du fabricant ; qu’il s’en déduisait que l’absence de préconisation de la chaux dans ladite composition ne pouvait être rattachée à un manquement de M. [S] à son obligation de conseil ; que, par suite, la cour d’appel, en retenant néanmoins la responsabilité de M. [S], a donc dénaturé ce devis en violation du principe énoncé ci-dessus. »


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