Type de juridiction : Cour de cassation
Juridiction : Cour de cassation
Thématique : Réglement Local sur la Publicité Extérieure : pas de diffamation entre professionnels
→ RésuméContexte de l’affaireLe 27 janvier 2022, Mme [O] [I], directrice du service de la publicité extérieure de la ville de [Localité 4], a intenté une action en diffamation contre Mme [P] [J], salariée d’une société de régie publicitaire. Cette action fait suite à des propos tenus par Mme [J] dans un document daté du 4 novembre 2021, qui critiquaient la gestion du projet de règlement local de publicité intercommunal (RLPI) par Mme [I]. Propos incriminésLes propos de Mme [J] incluent des accusations d’incompétence et de manque de transparence concernant le service de Mme [I]. Elle a évoqué des réunions de concertation jugées fausses, des informations erronées fournies aux élus, ainsi que des allégations de favoritisme et de mensonge lors d’une réunion publique. Ces déclarations ont été publiées dans le rapport de synthèse de l’enquête publique sur le RLPI. Décision du tribunalLe tribunal correctionnel a rendu un jugement le 4 octobre 2022, relaxant Mme [J] et déboutant Mme [I] de ses demandes civiles. Mme [I] a ensuite interjeté appel de cette décision, contestant la qualification des propos comme non diffamatoires. Arguments de l’appelDans son appel, Mme [I] a soutenu que le tribunal n’avait pas correctement examiné si les propos de Mme [J] contenaient des faits précis portant atteinte à son honneur. Elle a également affirmé que le contexte politique et les allégations portées contre elle justifiaient une requalification des propos comme diffamatoires. Réponse de la Cour d’appelLa Cour d’appel a confirmé le jugement initial, considérant que les propos incriminés étaient des jugements de valeur sur le travail de Mme [I] et ne constituaient pas des accusations précises de nature diffamatoire. Elle a également retenu que certains propos étaient fondés sur une base factuelle suffisante, justifiant ainsi la bonne foi de Mme [J]. Analyse de la Cour de cassationLa Cour de cassation a examiné les arguments de l’appel et a conclu que les propos litigieux ne contenaient pas de faits précis susceptibles de caractériser une diffamation. Elle a noté que ces propos constituaient une critique libre des compétences professionnelles de Mme [I] et de son service, sans porter atteinte à son honneur ou à sa considération. ConclusionEn conséquence, la Cour de cassation a rejeté le moyen d’appel de Mme [I], confirmant ainsi la décision de la Cour d’appel et la régularité de l’arrêt en la forme. |
N° M 23-86.789 F-D
N° 00050
ODVS
21 JANVIER 2025
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 21 JANVIER 2025
Mme [O] [I], partie civile, a formé un pourvoi contre l’arrêt de la cour d’appel de Montpellier, chambre correctionnelle, en date du 20 novembre 2023, qui l’a déboutée de ses demandes après relaxe de Mme [P] [J] du chef de diffamation publique envers un fonctionnaire.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de M. Hill, conseiller, les observations de la SCP Spinosi, avocat de Mme [O] [I], les observations de la SAS Buk Lament-Robillot, avocat de Mme [P] [J] et la société [6], et les conclusions de M. Dureux, avocat général référendaire, après débats en l’audience publique du 10 décembre 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Hill, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 27 janvier 2022, Mme [O] [I], fonctionnaire territorial, directrice du service de la publicité extérieure de la ville de [Localité 4], responsable du projet de règlement local de publicité intercommunal (RLPI), a fait citer devant le tribunal correctionnel du chef de diffamation publique envers un fonctionnaire Mme [P] [J], salariée de la société [6], spécialisée dans la régie publicitaire de médias, en raison des propos suivants contenus dans un document du 4 novembre 2021 rédigé par cette dernière, et figurant dans le rapport de synthèse de l’enquête publique portant sur l’élaboration du RLPI, publié le 8 décembre 2021, sur le site internet de la communauté urbaine :
« Lors de la fausse réunion de concertation avec les professionnels de la publicité le 5 mars 2019, Mme [N] de la mairie de [Localité 4] nous avait annoncé que le RLPI devait être validé pour le mois de mars 2020 depuis nous n’avons plus aucune information malgré nos demandes au service réglementation. J’ai compris qu’il en est de même pour les associations économiques
C’est donc avec étonnement que nous avons appris par votre biais que la société [1] vous avait donné leurs observations dès le démarrage de l’enquête publique. Le responsable de cette entreprise a-t-il été prévenu ? Ou bien regarde-t-il le site internet de la [5] tous les jours depuis deux années ? » (propos n°1) ;
« Les services de la préfecture ne s’en préoccupent pas et sur la ville de [Localité 4], le service dédié se distingue régulièrement par sa vision altérée du RLP actuel selon les affinités qu’il a avec les uns et les autres
mais également par son manque de formation et ses lacunes juridiques. » (propos n°2) ;
« Le service de Mme [N] est d’une incompétence rare. A ce sujet, il faut savoir que la plus grosse société d’enseignes du département reconnue pour son sérieux et le respect de la réglementation ne souhaite plus travailler sur [Localité 4] à cause de ce service qui est totalement dépassé, cette entreprise travaille donc de plus en plus sur l’Hérault où les services réglementation l’accompagnent au lieu de l’empêcher de travailler » (propos n° 3) ;
« Lors de la réunion publique du 10 avril, Mme [N] nous a informé avoir rencontré les associations économiques et associations de commerçants nous lui avions alors demandé quelles associations avaient été conviées et à quelles dates les concertations avaient elles eu lieu. Après avoir relancé par courriel, nous avons eu une réponse le 25 avril nous expliquant qu’ils allaient provoquer une réunion de présentation (en urgence) le 26 avril 2019
Mme [N] a menti lors de la réunion publique » (propos n°4);
« Des concertations avec les associations économiques faites au dernier moment après que nous ayons nous-mêmes posé la question en réunion publique. Après deux ans de mise en suspens de ce projet, aucun professionnel ou association du monde économique n’a été averti du démarrage de l’enquête publique. Est-ce normal ? » (propos n°5) ;
« Quelle confiance accorder aujourd’hui à toutes ces personnes qui ont présenté des faux chiffres dans le rapport d’audit leur permettant de justifier la pollution visuelle à l’ensemble des élus mais également à tous les professionnels, associations, institutions, personnes qualifiées. Je pense que le tribunal administratif sera aussi étonné que nous le sommes depuis le début de cette mascarade » (propos n° 6) ;
« Le projet présenté aux élus de la communauté urbaine en 2019 a clairement été orienté, des informations erronées ont été présentées » (propos n° 7) ;
« Les approximations, maladresses, cachotteries, erreurs et bizarreries sont légion à tel point que nous nous posons la question sur la compétence réelle du prestataire [2] et du service de réglementation de la ville de [Localité 4] qui porte ce dossier ou tout simplement de la probité de l’ancienne majorité qui a donné les objectifs juste après le gain de la concession de mobilier urbain à [3] avec une redevance record de 940.000 euros. La pollution visuelle des panneaux publicitaires n’existe plus quand la mairie de [Localité 4] reçoit des redevances records » (propos n° 8).
3. Par jugement du 4 octobre 2022, le tribunal a relaxé Mme [J] et débouté Mme [I] de ses demandes civiles.
4. Mme [I] a relevé appel de cette décision.
Réponse de la Cour
6. Pour confirmer le jugement et exclure l’existence d’une faute civile à l’encontre de la prévenue, l’arrêt attaqué énonce que les propos reproduits aux passages n° 1, 2, 5, 6, 7 et 8 et la première partie du passage n° 3 faisant état de l’incompétence du service de Mme [I] sont essentiellement des jugements de valeur sur la qualité du travail, et, outre le fait pour certains qu’ils ne visent pas celle-ci nommément mais un service dans sa globalité, ne dénoncent pas de faits précis de nature à caractériser une diffamation.
7. Les juges précisent, s’agissant d’une partie du passage n° 3 concernant la référence à une société qui refuserait de travailler avec la ville de [Localité 4], en raison du service de Mme [I], et du passage n° 4 reprochant à celle-ci d’avoir menti lors d’une réunion publique du 10 avril 2019, que Mme [J], forte d’une base factuelle suffisante, doit bénéficier de l’exception de bonne foi.
8. Ils ajoutent, s’agissant du passage n° 6, que les propos ne sont pas diffamatoires et, qu’au regard de la base factuelle ressortant de plusieurs documents, la bonne foi de Mme [J] doit être retenue.
9. C’est à tort que les juges ont, s’agissant de la deuxième partie des propos reproduits au passage n° 3 et du passage n° 4, examiné les moyens de défense produits par la prévenue, sans avoir recherché au préalable si lesdits propos avaient un caractère diffamatoire.
10. C’est également à tort qu’ils ont, s’agissant du passage n° 6, retenu la bonne foi de la prévenue, alors qu’ils avaient au préalable exclu le caractère diffamatoire desdits propos.
11. Néanmoins, l’arrêt n’encourt pas la censure pour les motifs qui suivent.
12. En effet, la Cour de cassation, qui a le contrôle des pièces de la procédure, est en mesure de constater que l’ensemble des propos litigieux n’articulent aucun fait précis contraire à l’honneur ou à la considération susceptible d’un débat sur la preuve de sa vérité, mais constituent une libre critique, exprimée en des termes parfois vifs, des compétences professionnelles de la partie civile, ou, le plus souvent, du service qu’elle dirige.
13. Dès lors, le moyen, infondé en ses trois premières branches et, par conséquent, inopérant en ses deux dernières, doit être écarté.
14. Par ailleurs, l’arrêt est régulier en la forme.
Votre avis sur ce point juridique ? Une actualité ? Une recommandation ?