Type de juridiction : Cour de cassation
Juridiction : Cour de cassation
Thématique : Délai de détention provisoire : respect des procédures et droits de la défense.
→ RésuméUn individu, mis en examen pour des infractions graves telles que l’abus de faiblesse, l’escroquerie en bande organisée, le faux et usage de faux, ainsi que le blanchiment aggravé, a formé un pourvoi contre une décision de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Douai. Cette décision, rendue le 14 janvier 2025, a infirmé une ordonnance antérieure du juge des libertés qui avait refusé le placement en détention provisoire, plaçant plutôt l’individu sous contrôle judiciaire. Le procureur de la République a interjeté appel de cette ordonnance, entraînant une réévaluation de la situation.
La chambre de l’instruction a finalement ordonné le placement en détention provisoire, ce qui a conduit à un recours en cassation. L’individu a contesté cette décision, arguant que la chambre de l’instruction n’avait pas respecté les délais légaux pour se prononcer sur l’appel du procureur. En effet, la loi stipule que la chambre doit statuer dans un délai de dix jours pour les ordonnances de placement en détention, ce qui n’a pas été respecté dans ce cas. La Cour de cassation a examiné les arguments et a constaté que la chambre de l’instruction avait méconnu les délais prévus par le code de procédure pénale. En conséquence, elle a annulé l’arrêt de la cour d’appel et a ordonné la mise en liberté de l’individu, sauf s’il était détenu pour d’autres raisons. Toutefois, la Cour a également décidé de le placer sous contrôle judiciaire, en raison des indices graves de sa participation aux infractions. Ce contrôle judiciaire inclut des obligations strictes, telles que des restrictions de déplacement et des conditions de cautionnement, afin de prévenir le renouvellement des infractions et d’assurer sa présence devant la justice. |
Cour de cassation, 2 avril 2025, N° Pourvoi 25-80.802
Chambre criminelle
–
Formation restreinte hors RNSM/NA
N° V 25-80.802 F-B
N° 00607
GM
2 AVRIL 2025
CASSATION SANS RENVOI
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 2 AVRIL 2025
M. [C] [P] a formé un pourvoi contre l’arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Douai, en date du 14 janvier 2025, qui, dans l’information suivie contre lui, notamment, des chefs d’abus de faiblesse, escroquerie en bande organisée, faux et usage, fraude fiscale et blanchiment aggravé, a infirmé l’ordonnance du juge des libertés et de la détention le plaçant sous contrôle judiciaire et a ordonné son placement en détention provisoire.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Samuel, conseiller, les observations de Me Goldman, avocat de M. [C] [P], et les conclusions de Mme Bellone, avocat général référendaire, après débats en l’audience publique du 2 avril 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Samuel, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. M. [C] [P] a été mis en examen le 13 décembre 2024 notamment des chefs susvisés.
3. Ce même jour, le juge des libertés et de la détention a rendu une ordonnance de refus de placement en détention provisoire et placé M. [P] sous contrôle judiciaire.
4. Le procureur de la République a relevé appel de cette décision le 19 décembre 2024.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
5. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a ordonné son placement en détention provisoire, alors :
« 1°/ qu’en matière de détention provisoire, la chambre de l’instruction doit se prononcer dans les plus brefs délais et au plus tard dans les dix jours de l’appel lorsqu’il s’agit d’une ordonnance de placement en détention et dans les quinze jours dans les autres cas, ces délais étant allongés de cinq jours en cas de comparution de la personne concernée, faute de quoi cette dernière est mise d’office en liberté, sauf si des vérifications concernant sa demande ont été ordonnées ; que, statuant le 14 janvier 2025, après un renvoi ordonné le 30 décembre 2024, plus de vingt jours après l’appel formé le 19 décembre 2024 par le ministère public contre l’ordonnance de placement de M. [P] sous contrôle judiciaire, la chambre de l’instruction qui, bien qu’elle n’ait d’elle-même ordonné aucune vérification, ni fait droit à la demande d’expertise médicale de M. [P], dont il ne résulte pas de la procédure qu’il y aurait renoncé lors de l’audience du 30 décembre 2024, a ordonné le placement de ce dernier en détention provisoire, a méconnu les articles 194 et 199 du code de procédure pénale ;
2°/ qu’à supposer que M. [P] ait renoncé à sa demande d’expertise médicale et s’en soit tenu à une simple demande de renvoi afin de produire des pièces, le renvoi ainsi ordonné ne pouvait s’analyser en des vérifications permettant à la chambre de l’instruction d’ordonner le placement en détention provisoire au-delà du délai de vingt jours suivant l’appel du ministère public, de sorte qu’en le faisant pourtant, elle a méconnu les articles 194 et 199 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 194, dernier alinéa, et 199 du code de procédure pénale :
6. Selon le premier de ces textes, en matière de détention provisoire, la chambre de l’instruction doit se prononcer dans les plus brefs délais et au plus tard dans les dix jours de l’appel lorsqu’il s’agit d’une ordonnance de placement en détention et dans les quinze jours dans les autres cas, faute de quoi la personne concernée est mise d’office en liberté, sauf si des vérifications concernant sa demande ont été ordonnées ou si des circonstances imprévisibles et insurmontables mettent obstacle au jugement de l’affaire dans les délais ainsi prévus.
7. Aux termes du second, en cas de comparution personnelle de la personne concernée, le délai maximum prévu au dernier alinéa de l’article 194 est prolongé de cinq jours.
8. Pour écarter le moyen pris du non-respect des délais prévus par ces textes, l’arrêt attaqué énonce que l’affaire a été appelée à l’audience du 30 décembre 2024, au cours de laquelle M. [P], dont l’avocat avait déposé un mémoire demandant une expertise médicale pour évaluer la compatibilité de l’état de santé avec la détention, a simplement sollicité un renvoi afin de produire de nouvelles pièces médicales et d’être assisté d’un autre conseil.
9. Les juges ajoutent que, par arrêt du même jour, la chambre de l’instruction a fait droit à cette demande de renvoi, afin que le mis en cause puisse être assisté d’un conseil choisi et produire des pièces médicales.
10. Ils précisent que l’affaire a donc été appelée une première fois dans le délai de l’article 194, dernier alinéa, du code de procédure pénale pour examiner le refus de placement en détention et que le renvoi ainsi que le dépassement subséquent du délai légal fixé par cet article sont intervenus à la demande expresse du mis en cause et de son conseil, dans le seul intérêt des droits de la défense.
11. En statuant ainsi, la chambre de l’instruction a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.
12. En effet, d’une part, ne constitue pas des vérifications, au sens de l’article 194, dernier alinéa, précité, le renvoi ordonné aux fins de permettre à la personne mise en examen de produire les pièces relatives à la compatibilité de son état de santé avec la détention.
13. D’autre part, aucune circonstance imprévisible et insurmontable, extérieure au service de la justice, mettant obstacle au jugement de l’affaire dans les délais imposés par la loi, n’est en l’espèce caractérisée.
14. Enfin, le respect des droits de la défense n’autorise pas la chambre de l’instruction à dépasser les délais précités, qui sont d’ordre public.
15. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Portée et conséquences de la cassation
16. La cassation aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d’appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l’article L. 411-3 du code de l’organisation judiciaire.
17. Le délai de vingt jours fixé par les articles 194 et 199 du code de procédure pénale n’ayant pas été respecté, M. [P] doit être remis en liberté, sauf s’il est détenu pour autre cause.
18. Cependant, les dispositions de l’article 803-7, alinéa 1er, du code de procédure pénale permettent à la Cour de cassation de placer sous contrôle judiciaire la personne dont la détention provisoire est irrégulière en raison de la méconnaissance des formalités prévues par ce même code, dès lors qu’elle trouve dans les pièces de la procédure des éléments d’information pertinents et que la mesure apparaît indispensable pour assurer l’un des objectifs énumérés à l’article 144 du même code.
19. En l’espèce, il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable que M. [P] ait pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission des infractions dont le juge d’instruction est saisi.
20. La mesure de contrôle judiciaire est indispensable afin :
– d’éviter le renouvellement de l’infraction, en ce que, si son casier judiciaire est vierge, M. [P] est mis en examen pour deux faits d’escroquerie et d’abus de faiblesse sur des personnes âgées et vulnérables reposant sur des mécanismes astucieux, pour une période de prévention courant sur presque trois années complètes, correspondant pour partie à une période de placement sous un précédent contrôle judiciaire ;
– d’empêcher une pression sur les témoins ou les victimes, en ce que les écoutes téléphoniques permettent de penser que le mis en cause a déjà tenté de convaincre M. [Z], personne vulnérable qui le considère comme un ami, de retirer sa plainte, ce dernier ayant entamé des démarches en ce sens ;
– de garantir le maintien de la personne mise en examen à la disposition de la justice, en ce qu’il a des attaches ou des habitudes hors de France, ayant
créé des sociétés en Grande-Bretagne et ouvert des comptes en Belgique et en Suisse.
21. Afin d’assurer ces objectifs, M. [P] sera astreint à se soumettre aux obligations précisées au dispositif.
22. Le magistrat chargé de l’information est compétent pour l’application des articles 139 et suivants et 141-2 et suivants du code de procédure pénale.
23. Le parquet général de cette Cour fera procéder aux diligences prévues par l’article 138-1 du code de procédure pénale.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt susvisé de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Douai, en date du 14 janvier 2025 ;
DIT n’y avoir lieu à renvoi ;
CONSTATE que M. [P] est détenu sans titre depuis le 14 janvier 2025 dans la présente procédure ;
ORDONNE la mise en liberté de M. [P] s’il n’est détenu pour autre cause ;
ORDONNE le placement sous contrôle judiciaire de M. [P] ;
DIT qu’il est soumis aux obligations suivantes :
– ne pas sortir des limites territoriales suivantes : région Provence-Alpes-Côte d’Azur, sauf pour répondre aux convocations des autorités judiciaires et administratives ;
– répondre aux convocations et se soumettre aux mesures de contrôle portant sur ses activités professionnelles ou sur son assiduité à un enseignement ainsi qu’aux mesures socio-éducatives destinées à favoriser son insertion sociale et à prévenir le renouvellement de l’infraction, en l’espèce auprès de l’association [4] sise [Adresse 2] ;
– remettre, avant le 4 avril à 11 heures 00, en échange d’un récépissé valant justification de l’identité, au commissariat de police de [Localité 3], sis [Adresse 1] : son passeport et tous documents justificatifs d’identité ;
– s’abstenir de recevoir ou de rencontrer, ainsi que d’entrer en relation avec elles, de quelque façon que ce soit, les personnes suivantes : MM. [D] [Z] et [G] [F] ;
– fournir un cautionnement d’un montant de 100 000 euros pour garantir sa représentation en justice ainsi que le paiement de la réparation du dommage et des amendes : verser entre les mains de Madame la régisseuse des recettes près le tribunal judiciaire de Dunkerque par chèque de banque, en deux versements de 50 000 euros par mois, le 30 avril et le 31 mai, ce cautionnement garantissant :
a) à concurrence de 10 000 euros, sa représentation en justice ;
b) à concurrence de 90 000 euros, le paiement de la réparation des dommages causés par l’infraction et des amendes qui pourraient être prononcées ;
– ne pas se livrer à l’activité professionnelle ou sociale suivante : gestion d’entreprise et démarchage ;
– ne pas émettre de chèques autres que ceux qui permettent exclusivement le retrait de fonds par le tireur auprès du tiré ou ceux qui sont certifiés et remettre au greffe du tribunal judiciaire de Dunkerque les formules de chèques dont l’usage est ainsi prohibé ;
DÉSIGNE, pour veiller au respect des obligations prévues aux rubriques ci-dessus, chacun en ce qui les concerne, le commissaire de police de [Localité 3] et l’association [4] ;
DÉSIGNE le magistrat chargé de l’information aux fins d’assurer le contrôle de la présente mesure de sûreté ;
RAPPELLE qu’en application de l’article 141-2 du code de procédure pénale, toute violation de l’une quelconque des obligations ci-dessus expose la personne sous contrôle judiciaire à un placement en détention provisoire ;
DIT que le parquet général de cette Cour fera procéder aux diligences prévues par l’article 138-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Douai et sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du deux avril deux mille vingt-cinq.
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