Cour de cassation, 2 avril 2025, N° Pourvoi 24-81.383
Cour de cassation, 2 avril 2025, N° Pourvoi 24-81.383

Type de juridiction : Cour de cassation

Juridiction : Cour de cassation

Thématique : Confiscation proportionnée et responsabilité individuelle dans le cadre d’une escroquerie organisée

Résumé

Dans cette affaire, un dirigeant d’entreprise a été poursuivi pour escroquerie en bande organisée, tandis que son épouse a été accusée de recel de ce délit. Le tribunal correctionnel a déclaré les deux coupables, condamnant le dirigeant à cinq ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende, et son épouse à six mois d’emprisonnement et 10 000 euros d’amende. De plus, le tribunal a ordonné la mainlevée de la saisie pénale d’un bien immobilier appartenant aux époux.

Le dirigeant a interjeté appel de la décision, tandis que le ministère public a également fait appel, contesté la mainlevée de la saisie. La cour d’appel a infirmé le jugement de première instance concernant la saisie et a prononcé la confiscation en valeur de l’immeuble, évalué à 207 000 euros, en raison des profits tirés de l’infraction. Cette décision a été contestée par le dirigeant, qui a soutenu que la confiscation ne respectait pas les principes de personnalité des peines et de proportionnalité, arguant que la confiscation d’un bien commun à deux époux ne pouvait pas être totale sans tenir compte de la part de l’épouse.

La cour d’appel a justifié sa décision en affirmant que le produit de l’infraction, estimé à 380 000 euros, avait été largement utilisé par le dirigeant, qui avait joué un rôle central dans l’organisation frauduleuse. Les juges ont considéré que la confiscation de l’immeuble était proportionnée au regard de la gravité des faits et du préjudice subi par les victimes. En conclusion, la cour a estimé que la confiscation était justifiée, écartant ainsi les moyens soulevés par le dirigeant et confirmant la décision de confiscation.

Cour de cassation, 2 avril 2025, N° Pourvoi 24-81.383

Chambre criminelle

Formation restreinte hors RNSM/NA

N° F 24-81.383 F-D

N° 00444

SL2
2 AVRIL 2025

REJET

M. BONNAL président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 2 AVRIL 2025

M. [O] [I] et Mme [E] [T], épouse [I], ont formé des pourvois contre l’arrêt de la cour d’appel d’Orléans, chambre correctionnelle, en date du 27 novembre 2023, qui, sur renvoi après cassation (Crim., 30 mars 2022, pourvoi n° 21-82.217), pour escroquerie aggravée, a ordonné une confiscation.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

Un mémoire a été produit.

Sur le rapport de Mme Jaillon, conseiller, les observations de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de M. [O] [I] et de Mme [E] [T], épouse [I], et les conclusions de M. Crocq, avocat général, après débats en l’audience publique du 5 mars 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Jaillon, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. M. [O] [I] a été poursuivi devant le tribunal correctionnel du chef d’escroquerie en bande organisée. Son épouse, Mme [E] [T], a, quant à elle, été poursuivie pour recel de ce délit.

3. Par jugement du 28 septembre 2020, le tribunal a déclaré M. [I] et Mme [T] coupables des faits poursuivis. Il a condamné le premier à cinq ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende et la seconde à six mois d’emprisonnement et 10 000 euros d’amende

4. Le tribunal a par ailleurs ordonné la mainlevée de la saisie pénale d’un immeuble situé à [Localité 4] (60), propriété des époux [I]. Il a prononcé sur l’action civile.

5. M. [I] a interjeté appel des dispositions pénales et civiles du jugement. Le ministère public a interjeté appel incident sur les dispositions pénales et appel principal sur la mainlevée de la saisie pénale.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

6. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a infirmé le jugement de première instance en ce qu’il a prononcé la mainlevée de la saisie pénale du bien immobilier situé [Adresse 1] à [Localité 4] et, statuant à nouveau sur le chef infirmé, a prononcé à l’encontre de M. [I] à titre de peine complémentaire la confiscation en valeur de l’immeuble sis [Adresse 1] cadastré C[Cadastre 2] et C[Cadastre 3], acquis le 26 septembre 2018 par acte de M. [V], notaire à [Localité 4] et publié le 12 octobre 2018 au service de la publicité foncière de Senlis, bien ayant fait l’objet d’une saisie immobilière par le juge d’instruction par ordonnance du 26 juin 2019, alors :

« 1°/ d’une part qu’il incombe au juge qui décide de confisquer un bien en valeur notamment de préciser quel est le fondement du caractère confiscable du bien auquel le bien confisqué se substitue, et de s’assurer que la valeur de ce bien n’excède pas celle de l’instrument, de l’objet ou du produit de l’infraction et que lorsque plusieurs auteurs ou complices ont participé à un ensemble de faits, soit à la totalité, soit à une partie de ceux-ci, chacun d’eux encourt la confiscation du produit de la seule ou des seules infractions qui lui sont reprochées ; que la cour d’appel a constaté que M. [I] n’était pas le seul à avoir bénéficié du produit des manœuvres mises en place de concert avec M. [W] évalué à une somme de près de 380.000 euros déposée sur les comptes de M. [G] depuis ceux des époux [S] (victimes) ; qu’elle relève que M. [I] a personnellement profité du produit de l’infraction à hauteur de 69.300 euros, sans évaluer d’autres dépenses financées par le produit de l’infraction qu’elle relevait (arrêt, p. 5, antépénultième alinéa) ; qu’en prononçant dès lors à titre de peine complémentaire la confiscation en valeur de l’immeuble sis [Adresse 1] à [Localité 4], après avoir constaté que celui-ci était évalué en 2019 à la somme de 207 000 euros, la cour d’appel a violé les articles 131-21 du code pénal et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ d’autre part, et en toute hypothèse, que la contradiction de motifs équivaut à une absence de motifs ; qu’en estimant que « le produit de l’infraction à laquelle a participé M. [I] peut donc raisonnablement être estimé à cette somme de 380.000 euros » (arrêt, p. 5, pénultième alinéa), après avoir relevé qu’ « il n’est pas contesté qu’une somme de près de 380.000 euros est arrivée sur les comptes de M. [G] en septembre 2018 depuis ceux des époux [S] » et que « ces fonds sont bien le produit des manœuvres mises en place de concert de concert par M. [W] et M. [I] » et constaté que « M. [I] n’est pas le seul à avoir bénéficié de ce produit » (arrêt, p. 5, antépénultième alinéa), la cour d’appel s’est contredite en violation de l’article 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

7. Pour infirmer le jugement et prononcer la confiscation de l’immeuble, l’arrêt attaqué relève qu’il n’est pas contesté qu’une somme de 380 000 euros est arrivée sur les comptes d’un tiers chargé de redistribuer les fonds aux commanditaires des escroqueries, fonds qui sont le produit des manoeuvres mises en place de concert notamment par M. [I].

8. Les juges retiennent que le produit de l’infraction à laquelle ont participé M. [I] et ses coauteurs peut être estimé à la somme de 380 000 euros, et que s’il n’est pas le seul à en avoir bénéficié, il en a utilisé une large part pour divers achats, pour payer les transports de véhicules entre la France et le Cameroun et alimenter le compte courant du couple et celui de son frère, les juges n’en précisant pas le montant global.

9. Les juges mentionnent que le caractère proportionné de la confiscation, s’agissant de M. [I] à l’encontre de qui cette peine complémentaire est susceptible d’être prononcée doit s’apprécier au regard de la gravité des faits, de sa personnalité et de sa situation.

10. Les juges ajoutent qu’il a joué un rôle central dans l’organisation frauduleuse mise en place, qu’il a largement profité du produit de l’infraction, qu’il a déjà été condamné et que le préjudice des victimes est très important.

11. Ils en déduisent que la peine de confiscation pour une valeur de 207 000 euros équivalente à la valeur du bien immobilier est une peine tout à fait proportionnée.

12. En se déterminant ainsi, la cour d’appel a justifié sa décision.

13. En effet, elle a, dans le cadre de son pouvoir souverain d’appréciation, considéré que la valeur du bien confisqué évaluée à 207 000 euros par les services de France Domaine est inférieure au montant du produit procuré par l’infraction dont M. [I] a profité.

14. Dès lors, le moyen doit être écarté.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

Le moyen critique l’arrêt en ce qu’il a infirmé le jugement de première instance en ce qu’il a prononcé la mainlevée de la saisie pénale du bien immobilier situé [Adresse 1] à [Localité 4] et, statuant à nouveau sur le chef infirmé, a prononcé à l’encontre de M. [I] à titre de peine complémentaire la confiscation en valeur de l’immeuble sis [Adresse 1] à [Localité 4] cadastré C2484 et C2816, acquis le 26 septembre 2018 par acte de Me [V], notaire à [Localité 4] et publié le 12 octobre 2018 au service de la publicité foncière de [Localité 5], bien ayant fait l’objet d’une saisie immobilière par le juge d’instruction par ordonnance du 26 juin 2019, alors :

« 1°/ d’une part, que corolaire de la responsabilité du fait personnel, le principe de personnalité des peines implique que la sanction frappe l’auteur de l’infraction et lui seul ; que lorsqu’elle porte sur un bien commun à deux époux, la confiscation, qui ne peut donc pas porter sur la totalité du bien propriété commune des deux époux, doit être prononcée en valeur et ne peut porter que sur la part de profit illicite dont le condamné a bénéficié ; qu’en prononçant la confiscation en valeur de la totalité de l’immeuble commun à M. [I] et Mme [I], la cour d’appel, qui a ainsi infligé à Mme [I] une peine frappant son patrimoine sans qu’elle ait été prononcée à son encontre, a méconnu le principe sus-énoncé et les articles 121-2 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ d’autre part, qu’il résulte de l’article 131-21 du code pénal que, la confiscation étant une peine, elle ne peut être décidée qu’à l’encontre d’une personne déclarée coupable des faits reprochés ; qu’en ordonnant la confiscation du bien immeuble situé [Adresse 1] sur la commune de [Localité 4], propriété commune de M. [I] et de Mme [I], sans avoir déclaré Mme [I] coupable de l’infraction en répression de laquelle la peine de confiscation a été prononcée, infligeant ainsi à Mme [I] une peine frappant son patrimoine sans avoir préalablement statué sur le bien-fondé de la prévention retenue à son encontre, la cour d’appel a méconnu les articles 131-21 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

3°/ alors de dernière part, que si la confiscation rejoint l’intérêt général prévu à l’article 1 du Protocole n° 1 permettant de porter atteinte au droit de propriété, c’est à la condition que la sanction imposée ne soit pas disproportionnée au regard du manquement commis, les juges du fond devant évaluer et justifier les nécessité et proportionnalité de l’atteinte au droit de propriété causée par la confiscation d’un bien propriété indivise du condamné et d’un tiers contre lequel cette peine n’a pas été prononcée ; qu’en jugeant parfaitement proportionnée la confiscation du bien immeuble propriété commune de M. [I] et de Mme [I], sans jamais avoir pris en compte, au titre de l’examen de proportionnalité, l’atteinte portée au patrimoine de Mme [I], prévenue non appelante à l’encontre de laquelle la peine de confiscation n’a jamais été prononcée, la cour d’appel a méconnu les articles 1er du protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, 13121 et 132-1 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale. »


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