Cour de cassation, 2 avril 2025, N° Pourvoi 23-87.010
Cour de cassation, 2 avril 2025, N° Pourvoi 23-87.010

Type de juridiction : Cour de cassation

Juridiction : Cour de cassation

Thématique : Responsabilité civile et dissimulation de patrimoine : enjeux et conséquences.

Résumé

Dans cette affaire, une société, dont le gérant est un dirigeant d’entreprise, a contracté un prêt de 390 000 euros pour l’achat d’un fonds de commerce. Ce dirigeant s’est porté caution personnelle pour une somme de 350 350 euros. À partir de février 2013, la société a rencontré des difficultés financières et n’a pas pu rembourser le prêt, ce qui a conduit à une mise en demeure par la banque créancière. En août 2014, la société a été placée en redressement judiciaire, puis en liquidation judiciaire en octobre de la même année, avec une date de cessation des paiements fixée à mars 2013.

La banque a déclaré sa créance dans la procédure de redressement judiciaire et a obtenu un jugement condamnant le dirigeant au paiement de cette créance. Parallèlement, ce dernier a été soumis à une procédure de rétablissement professionnel, suivie d’une liquidation en mai 2019, avec un mandataire judiciaire désigné pour gérer sa situation.

En septembre 2016, la banque a déposé une plainte pour faux et usage, en raison du non-paiement des échéances du prêt et de la vente du fonds de commerce par le dirigeant. Ce dernier a été poursuivi pour banqueroute et dissimulation de biens, tandis qu’une complice, en l’occurrence une victime, a été poursuivie pour complicité et recel.

Le tribunal correctionnel a relaxé le dirigeant des faits de dissimulation, mais l’a déclaré coupable pour d’autres infractions, le condamnant à une peine d’emprisonnement avec sursis et à une amende. La complice a également été relaxée. Concernant l’action civile, la constitution de partie civile du mandataire judiciaire a été déclarée irrecevable, tandis que celle de la banque a été jugée recevable, mais déboutée en raison des relaxes. Le mandataire judiciaire a ensuite interjeté appel de cette décision.

Cour de cassation, 2 avril 2025, N° Pourvoi 23-87.010

Chambre criminelle

Formation restreinte hors RNSM/NA

N° B 23-87.010 F-D

N° 00443

SL2
2 AVRIL 2025

CASSATION PARTIELLE

M. BONNAL président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 2 AVRIL 2025

M. [N] [C], Mme [X] [V] et la société [3] agissant en qualité de liquidateur judiciaire de M. [C], partie civile, ont formé des pourvois contre l’arrêt de la cour d’appel de Bordeaux, chambre correctionnelle, en date du 2 juin 2023, qui, dans la procédure suivie contre les deux premiers des chefs de banqueroute, faux et dissimulation frauduleuse de biens par un débiteur, complicité et recel, a prononcé sur les intérêts civils.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires ont été produits.

Sur le rapport de Mme Jaillon, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge, Hazan et Féliers, avocat de Mme [X] [V] et de M. [N] [C], les observations de la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, avocat de la société [3], es qualité de liquidateur judiciaire de M. [N] [C], et les conclusions de M. Crocq, avocat général, après débats en l’audience publique du 5 mars 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Jaillon, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. La société [1], dont le gérant est M. [N] [C], a souscrit le 28 décembre 2011 un prêt de 390 000 euros auprès de la [2] pour procéder à l’achat d’un fonds de commerce. M. [C] s’en est porté caution personnelle et solidaire à hauteur de 350 350 euros.

3. A partir du mois de février 2013, la société n’a pu rembourser le prêt et le 9 octobre suivant, la [2] a mis en demeure M. [C] de payer au titre de son engagement de caution.

4. La société [1] a été placée en redressement judiciaire le 20 août 2014 puis en liquidation judiciaire le 1er octobre suivant. La date de cessation des paiements a été fixée par le jugement du tribunal correctionnel au mois de mars 2013.

5. La [2] a déclaré sa créance à la procédure de redressement judiciaire. En outre, elle a obtenu du tribunal de commerce le 1er mars 2018 un jugement condamnant M. [C] au paiement de sa créance.

6. Par ailleurs, M. [C] a fait l’objet d’une procédure de rétablissement professionnel puis de liquidation le 31 mai 2019 et la SCP [3] a été désignée comme mandataire judiciaire.

7. Le 28 septembre 2016, la [2] a déposé plainte pour faux et usage, à la suite du non-paiement des échéances du prêt et de la vente du fonds de commerce et de son patrimoine par M. [C].

8. A l’issue de l’enquête préliminaire, M. [C] a été poursuivi devant le tribunal correctionnel, en sa qualité de dirigeant de la société [1], des chefs de banqueroute, dissimulation de tout ou partie de ses biens personnels et faux et usage. Mme [V] a, quant à elle, été poursuivie des chefs de complicité du délit de dissimulation de biens personnels par dirigeant de personne morale faisant l’objet d’une procédure collective, commis par son concubin M. [C], et recel de dissimulation de biens personnels par dirigeant de personne morale faisant l’objet d’une procédure collective.

9. Par jugement du 18 février 2021, les juges du premier degré ont relaxé M. [C] des faits de dissimulation de biens par un dirigeant de personne morale faisant l’objet d’une procédure collective, l’ont déclaré coupable pour le surplus et l’ont condamné à six mois d’emprisonnement avec sursis, 7 000 euros d’amende dont 5 000 euros avec sursis et trois ans d’interdiction de gérer. Ils ont relaxé Mme [V] et ordonné la restitution des sommes saisies sur ses comptes.

10. Sur l’action civile, ils ont déclaré irrecevable la constitution de partie civile de la SCP [3] ès qualités de liquidateur judiciaire de M. [C], recevable la constitution de partie civile de la [2] et ont débouté cette dernière du fait des relaxes prononcées. Ils ont enfin constaté l’engagement de Mme [V] à ce que les sommes saisies sur son compte bancaire pour un total de 92 400,34 euros, dont la restitution a été ordonnée, soient intégralement affectées au remboursement de la dette de M. [C] auprès de la [2].

11. La SCP [3] ès qualités de liquidateur de M. [C] a relevé appel de la décision sur l’action civile.

Examen des moyens

Sur les premier et troisième moyens proposés pour M. [C] et Mme [V]

12. Ils ne sont pas de nature à permettre l’admission du pourvoi au sens de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Mais sur le second moyen proposé pour M. [C] et Mme [V]

Enoncé du moyen

13. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a dit que M. [C] et Mme [V], divorcée [O] ont commis une faute civile établie à partir et dans la limite des faits, objets des poursuites, des chefs de dissimulation frauduleuse de biens par un débiteur, complicité et recel, et les a condamnés solidairement à payer à la SCP [3], ès qualités de représentant des créanciers de la liquidation personnelle de M. [C], une somme de 15 955,58 euros en réparation de son préjudice, alors :

« 1°/ que, d’une part, M. [C] était poursuivi pour avoir, en contradiction avec les articles L 654-1 et L 654-14 dans leur rédaction applicable aux faits de l’espèce, en sa qualité de dirigeant d’une personne morale placée sous le coup d’une procédure collective, détourné une partie de ses biens en vue de soustraire tout ou partie de son patrimoine aux poursuites de la personne morale ayant fait l’objet de cette procédure ; qu’il résulte de ces textes que l’infraction, et par voie de conséquence la faute civile qui peut être retenue contre le prévenu relaxé, suppose nécessairement que le détournement allégué ait eu pour objet de soustraire tout ou partie du patrimoine aux poursuites de la personne morale placée en liquidation judiciaire ; en relevant expressément que l’opération de vente immobilière reprochée à M. [C] aurait eu pour objet d’éviter que la banque, qui était son créancier personnel en sa qualité de caution, puisse poursuivre ses biens immobiliers, la Cour d’appel n’a pas constaté la condition de l’article L 654-14 alinéa 1er, relative à l’intention de soustraire le patrimoine aux poursuites de la personne morale, et non pas du créancier de la personne physique ; en retenant une faute de ce chef, la Cour a violé lesdits textes, outre l’article 1240 du code civil ;

2°/ que l’interdiction résultant des articles L 654-1 et L 654-14 précités dans leur version applicable à l’espèce suppose nécessairement que la décision plaçant la personne morale en procédure collective soit antérieure à l’acte de détournement ou de dissimulation ; il résulte des faits de l’espèce que la personne morale a été placée en redressement judiciaire le 20 août 2014 et en liquidation judiciaire le 1er octobre 2014 ; les actes de disposition reprochés à M. [C], effectués le 25 juin 2013, puis le 31 octobre 2013, soit un an auparavant, ne pouvaient en aucun cas caractériser l’infraction réprimée par ces textes ; la Cour d’appel a encore violé lesdits textes, outre l’article 1240 du code civil ;

3°/ qu’en retenant expressément que le délit de dissimulation frauduleuse des biens était privé de son élément légal dès lors que la disposition du prix de cession des biens immobiliers était antérieure à l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire, tout en entrant en voie de condamnation prétendument dans les termes et limites de la poursuite, la Cour d’appel a excédé ses pouvoirs et violé l’article 1240 du code civil. »


Votre avis sur ce point juridique ? Une actualité ? Une recommandation ?

Merci pour votre retour ! Partagez votre point de vue, une info ou une ressource utile.

Chat Icon