Type de juridiction : Cour de cassation
Juridiction : Cour de cassation
Thématique : Clause de non-concurrence : conditions de validité et impact sur l’exercice professionnel.
→ RésuméUn salarié a formé un pourvoi contre un arrêt rendu par la cour d’appel de Douai, dans un litige l’opposant à deux sociétés, dont l’une a succédé à l’autre. Le salarié, engagé en tant que délégué régional, avait démissionné et contestait la légalité d’une clause de non-concurrence incluse dans son contrat de travail. Cette clause interdisait au salarié d’exercer des activités liées à son domaine d’expertise, ce qui, selon lui, portait atteinte à sa liberté de travail.
Dans son pourvoi, le salarié a soulevé plusieurs moyens de cassation, notamment en arguant que la clause de non-concurrence était illicite car elle ne respectait pas les conditions requises pour être considérée comme valide. Il a fait valoir que cette clause l’empêchait d’exercer une activité professionnelle conforme à sa formation et à son expérience, ayant travaillé dans le secteur de la clôture pendant près de trente ans. La cour d’appel a cependant jugé que la clause était licite, estimant qu’elle était limitée dans le temps et l’espace, et qu’elle ne portait pas atteinte de manière disproportionnée aux libertés du salarié. En outre, le salarié a également demandé une indemnité pour l’utilisation de son domicile à des fins professionnelles, arguant qu’aucun bureau n’était mis à sa disposition par l’employeur. La cour d’appel a rejeté cette demande, considérant que le salarié avait un matériel de communication adéquat et qu’aucun télétravail n’avait été convenu. La Cour de cassation a finalement constaté que la cour d’appel n’avait pas suffisamment examiné si la clause de non-concurrence empêchait réellement le salarié d’exercer une activité conforme à son expérience professionnelle, ce qui a conduit à une cassation partielle de l’arrêt. |
Cour de cassation, 2 avril 2025, N° Pourvoi 23-22.158
Chambre sociale
–
Formation restreinte hors RNSM/NA
SOC.
JL10
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 2 avril 2025
Cassation partielle
Mme CAPITAINE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 358 F-D
Pourvoi n° K 23-22.158
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 2 AVRIL 2025
M. [D] [W], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° K 23-22.158 contre l’arrêt rendu le 29 septembre 2023 par la cour d’appel de Douai (chambre sociale, prud’hommes), dans le litige l’opposant :
1°/ à la société Forlam clôture industrie, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 2], venant aux droits de la société Girardot industrie,
2°/ à la société Girardot industrie, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 3],
défenderesses à la cassation.
Le demandeur invoque, à l’appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Valéry, conseiller référendaire, les observations écrites de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de M. [W], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Forlam clôture industrie, après débats en l’audience publique du 4 mars 2025 où étaient présentes Mme Capitaine, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Valéry, conseiller référendaire rapporteur, Mme Degouys, conseiller, et Mme Aubac, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Désistement partiel
1. Il est donné acte à M. [W] du désistement de son pourvoi en ce qu’il est dirigé contre la société Girardot industrie et de son désistement partiel du pourvoi dirigé contre la société Forlam clôture industrie sur le premier moyen de cassation.
Faits et procédure
2. Selon l’arrêt attaqué (Douai, 29 septembre 2023), M. [W] a été engagé le 23 février 2011 en qualité de délégué régional par la société Girardot industrie, aux droits de laquelle vient la société Forlam clôture industrie.
3. Le contrat de travail prévoyait une clause de non-concurrence.
4. Le salarié a démissionné le 23 mars 2019 et a saisi la juridiction prud’homale.
Examen des moyens
Sur le deuxième moyen, pris en sa cinquième branche
Énoncé du moyen
5. Le salarié fait grief à l’arrêt de dire que la clause de non-concurrence est licite, de le débouter de l’intégralité de ses demandes et de le condamner à payer à l’employeur une somme au titre du remboursement de l’indemnité de non-concurrence versée à tort, alors « que la clause de non-concurrence, qui porte atteinte au principe fondamental de la liberté du travail, n’est licite que si elle est indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise, limitée dans le temps et dans l’espace, qu’elle tient compte des spécificités de l’emploi du salarié et comporte l’obligation pour l’employeur de verser au salarié une contrepartie financière, ces conditions étant cumulatives ; qu’est illicite une clause qui a pour conséquence d’interdire au salarié d’exercer une activité professionnelle conforme à sa formation et à son expérience professionnelle ; qu’en l’espèce, M. [W] faisait valoir que la clause lui interdisait toute activité liée à la fabrication et/ou le négoce de grillages, clôtures, portails et équipements de protection périphérique, alors même qu’il s’agissait de son activité exclusive depuis quasiment trente ans, M. [W] ayant commencé à travailler dès 1991 comme commercial, puis chargé d’affaire dans le secteur de la clôture, de sorte que l’application de la clause revenait à lui interdire de travailler et d’occuper un emploi conforme à son expérience et à sa formation ; qu’en jugeant que »la clause litigieuse, limitée dans le temps, ne s’appliquait qu’aux activités de fabrication et/ou négoce de grillages, clôtures, portails et équipements périphériques, ce qui permettait au concluant, âgé d’à peine 51 ans, de trouver un autre emploi dans l’ensemble des autres secteurs économiques, tant en France qu’à l’étranger. Il en résulte qu’en l’absence d’atteinte disproportionnée à ses libertés constitutionnellement protégées la clause, instituée pour la protection des intérêts légitimes de l’employeur confronté à une intense concurrence dans son secteur d’activité, ne peut être annulée », sans rechercher, comme il lui était demandé, si au regard de la formation et de l’expérience professionnelle de M. [W], qui avait exclusivement travaillé dans le secteur de la fabrication et négoces de grillages, clôtures, portails et équipements périphériques depuis plus de trente ans, le salarié ne se trouvait pas dans l’impossibilité d’exercer une activité conforme à sa formation, à ses connaissances et à son expérience professionnelle, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard du principe fondamental de libre exercice d’une activité professionnelle et de l’article L. 1221-1 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu le principe fondamental de libre exercice d’une activité professionnelle et l’article L. 1121-1 du code du travail :
6. Une clause de non-concurrence n’est licite que si elle est indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise, limitée dans le temps et dans l’espace, qu’elle tient compte des spécificités de l’emploi du salarié et comporte l’obligation pour l’employeur de verser au salarié une contrepartie financière, ces conditions étant cumulatives.
7. Pour dire la clause de non-concurrence licite et débouter le salarié de ses demandes, l’arrêt retient que la clause litigieuse, limitée dans le temps, ne s’appliquait qu’aux activités de fabrication et/ou le négoce de grillages, clôtures, portails et équipements périphériques ce qui permettait au concluant, âgé d’à peine 51 ans, de trouver un autre emploi dans l’ensemble des autres secteurs économiques, tant en France qu’à l’étranger, et qu’en l’absence d’atteinte disproportionnée à ses libertés constitutionnellement protégées, la clause, instituée pour la protection des intérêts légitimes de l’employeur confronté à une intense concurrence dans son secteur d’activité, ne peut être annulée.
8. En se déterminant ainsi, sans rechercher si, par l’effet de la clause, le salarié se trouvait dans l’impossibilité d’exercer une activité conforme à sa formation, à ses connaissances et à son expérience professionnelle, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision.
Et sur le troisième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
9. Le salarié fait grief à l’arrêt de le débouter de sa demande de condamnation de l’employeur à lui verser une somme au titre de l’utilisation de son domicile à titre professionnel, alors « que tout salarié peut prétendre à une indemnité au titre de l’occupation de son domicile à des fins professionnelles dès lors qu’un local professionnel n’est pas mis effectivement à sa disposition ; qu’en l’espèce, M. [W] sollicitait que l’employeur soit condamné à lui verser la somme de 3 300 euros au titre de l’utilisation de son domicile à titre professionnel correspondant à une indemnité de 150 euros mensuelle, en faisant valoir que le travail à domicile était inhérent aux conditions d’exercice de ses fonctions de salarié itinérant, que son contrat indiquait en effet qu’il devait traiter les appels d’offres, établir les devis, prendre les commandes et en suivre la réalisation, qu’aucun bureau n’était mis à sa disposition au sein de l’entreprise pour qu’il réalise ces tâches administratives, qu’il devait ainsi les exercer à son domicile où il utilisait une pièce de 10 mètres carrés comme bureau et où il devait recharger son ordinateur portable et avoir une connexion internet ; que pour débouter le salarié de sa demande, la cour d’appel a retenu par motifs propres, »que ses activités étaient par nature itinérantes, qu’aucun télétravail n’a été convenu entre les parties et qu’il était doté d’un matériel de communication et d’un véhicule de fonction fournis par l’employeur » et, par motifs éventuellement adoptés, que le salarié avait son adresse dans son secteur géographique, que l’article 10 de son contrat de travail prévoyait le remboursement des frais professionnels en cas de déplacement en France ou à l’étranger, que la société avait mis à sa disposition un véhicule de fonction et que le salarié n’avait aucune obligation d’utiliser son domicile à titre professionnel ; qu’en statuant par de tels motifs impropres à rejeter la demande d’indemnisation du salarié au titre de l’occupation de son domicile à des fins professionnelles dès lors qu’elle ne constatait pas qu’un local professionnel avait été mis à la disposition du salarié itinérant au sein de l’entreprise pour accomplir ses tâches administratives, la cour d’appel a violé l’article L. 1121-1 du code du travail et l’article 9 du code civil. »
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