Cour de cassation, 12 mars 2025, Pourvoi n° 23-15.225
Cour de cassation, 12 mars 2025, Pourvoi n° 23-15.225

Type de juridiction : Cour de cassation

Juridiction : Cour de cassation

Thématique : Prescription et responsabilité notariale : enjeux de la régularisation en zone inondable

Résumé

Acquisition de l’immeuble

Les faits de l’affaire commencent par l’acquisition d’un immeuble à usage d’habitation par des acquéreurs, réalisée par acte notarié en décembre 2013. Cet acte a été reçu par un notaire, qui a officié la transaction.

Notification de non-conformité

En septembre 2014, la ville de la localité concernée a informé les acquéreurs que certains logements de l’immeuble, aménagés en sous-sol et rez-de-chaussée, ne respectaient pas les normes du plan de prévention des risques d’inondation. La municipalité a également indiqué qu’elle consulterait les services de l’État pour déterminer les suites à donner aux travaux effectués sans autorisation dans une zone inondable.

Demande de réaménagement

En mars 2021, la ville a de nouveau contacté les acquéreurs pour leur demander de proposer rapidement un réaménagement de l’immeuble afin de se conformer aux règlements en vigueur. Cette demande a marqué une étape cruciale dans la régularisation de la situation.

Action en responsabilité contre le notaire

En juin 2021, les acquéreurs ont décidé d’assigner le notaire en responsabilité et en indemnisation, estimant que ce dernier avait engagé sa responsabilité dans cette affaire. Ils ont contesté la prescription de leur action, arguant que le délai ne devait commencer qu’à partir de la demande de réaménagement de mars 2021.

Arguments des acquéreurs

Les acquéreurs ont soutenu que la ville ne leur avait pas signifié de décision définitive avant mars 2021, et que c’est à partir de ce moment que le délai de prescription devait être calculé. Ils ont fait valoir que la lettre de septembre 2014 ne constituait pas une décision définitive, mais plutôt une simple notification de non-conformité.

Décision de la cour d’appel

La cour d’appel a cependant retenu que les acquéreurs avaient connaissance d’un préjudice dès la réception de la lettre de septembre 2014, ce qui a conduit à la déclaration de leur action comme prescrite. La cour a estimé que les acquéreurs savaient qu’ils allaient devoir faire face à une mise en conformité, ce qui engageait la responsabilité du notaire.

Violation du code civil

En statuant ainsi, la cour d’appel a été jugée en violation de l’article 2224 du code civil, qui stipule que le délai de prescription ne commence à courir qu’à partir du moment où la victime a connaissance du dommage et de son auteur. La décision de l’administration n’ayant pas acquis un caractère définitif, le dommage n’était pas encore manifeste pour les acquéreurs.

CIV. 1

MY1

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 12 mars 2025

Cassation

Mme CHAMPALAUNE, président

Arrêt n° 155 F-D

Pourvoi n° Z 23-15.225

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 12 MARS 2025

1°/ M. [Z] [R],

2°/ Mme [E] [G], épouse [R],

tous deux domiciliés [Adresse 2],

ont formé le pourvoi n° Z 23-15.225 contre l’arrêt rendu le 1er mars 2023 par la cour d’appel d’Orléans (de la chambre des urgences), dans le litige les opposant à M. [N] [J], domicilié [Adresse 1], défendeur à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l’appui de leur pourvoi, un moyen unique de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Bruyère, conseiller, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de M. [R], de Mme [G], de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [J], après débats en l’audience publique du 21 janvier 2025 où étaient présents Mme Champalaune, président, M. Bruyère, conseiller rapporteur, Mme Guihal, conseiller doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Rouen, 1er mars 2023), par acte reçu le 30 décembre 2013 par M. [J], notaire (le notaire), M. et Mme [R] (les acquéreurs) ont fait l’acquisition d’un immeuble à usage d’habitation.

2. Par lettre du 5 septembre 2014, la ville de [Localité 3] les a informés que les logements aménagés en sous-sol et rez-de-chaussée ne respectaient pas les dispositions du plan de prévention des risques naturels prévisibles d’inondation et qu’elle consultait les services de l’Etat pour statuer sur la suite à donner aux travaux effectués en zone inondable sans autorisation administrative.

3. Par lettre du 2 mars 2021, elle les a invités à proposer dans les plus brefs délais, le réaménagement de l’immeuble dans le respect des règlements en vigueur.

4. Par acte du 8 juin 2021, les acquéreurs ont assigné le notaire en responsabilité et indemnisation.

Réponse de la Cour

Vu l’article 2224 du code civil :

6. Aux termes de ce texte, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.

7. Il s’en déduit que le délai de prescription de l’action en responsabilité civile court à compter du jour où celui qui se prétend victime a connu ou aurait dû connaître le dommage, le fait générateur de responsabilité et son auteur ainsi que le lien de causalité entre le dommage et le fait générateur.

8. Lorsque l’action en responsabilité tend à l’indemnisation d’un préjudice né d’une décision de l’administration, la prescription ne court pas, en l’absence de recours, tant que cette décision n’a pas acquis un caractère définitif.

9.. Pour déclarer l’action irrecevable comme prescrite, l’arrêt retient qu’après réception de la lettre du 5 septembre 2014, les acquéreurs avaient connaissance d’un préjudice qui n’était pas seulement hypothétique, puisqu’il devait être évident pour eux qu’ils allaient devoir faire face à une demande de mise en conformité, qu’ils savaient qu’ils allaient à un différend avec l’administration, laquelle leur avait indiqué de la façon la plus claire que l’immeuble qu’ils avaient acquis se trouvait en infraction, et qu’ils avaient alors connaissance d’un fait susceptible d’engager la responsabilité du notaire instrumentaire.

10. En statuant ainsi, alors que le dommage subi par les acquéreurs ne s’était pas manifesté tant que la décision de l’administration n’avait pas acquis un caractère définitif, la cour d’appel a violé le texte susvisé.

 


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