Cour d’appel d’Orléans, 2 avril 2025, RG n° 25/01072
Cour d’appel d’Orléans, 2 avril 2025, RG n° 25/01072

Type de juridiction : Cour d’appel

Juridiction : Cour d’appel d’Orléans

Thématique : Rétention administrative : constatation d’une absence de perspective d’éloignement et manquement aux obligations de diligence.

Résumé

Dans cette affaire, un étranger, se présentant sous un nom d’emprunt, a été placé en rétention administrative au centre de rétention d’une localité française. Il a fait appel d’une ordonnance du tribunal judiciaire d’Orléans, qui avait prolongé sa rétention pour une durée de trente jours. L’audience s’est tenue par visioconférence, avec l’assistance d’un avocat et d’un interprète.

L’étranger a contesté la nécessité de son maintien en rétention, arguant que les autorités consulaires de son pays d’origine, la Syrie, ainsi que celles de la Libye, ne lui délivraient pas de laissez-passer, rendant ainsi impossible son éloignement. Il a également soutenu que l’administration n’avait pas pris les mesures nécessaires pour exécuter la décision d’éloignement. Selon le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), l’administration doit démontrer des diligences suffisantes pour procéder à l’éloignement d’un étranger en rétention.

Le tribunal a examiné si des perspectives raisonnables d’éloignement existaient. Il a été établi que les autorités syriennes avaient informé la préfecture qu’elles ne pouvaient pas délivrer de laissez-passer, tandis que les démarches auprès des autorités libyennes avaient été initiées avec un certain retard. Le tribunal a noté que l’administration n’avait pas respecté son obligation de diligence, ce qui a conduit à une prolongation injustifiée de la rétention de l’étranger.

En conséquence, le tribunal a infirmé l’ordonnance initiale, constatant l’irrégularité de la procédure et ordonnant la remise en liberté immédiate de l’étranger, tout en lui rappelant son obligation de quitter le territoire. Les dépens ont été laissés à la charge du Trésor.

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL D’ORLÉANS

Rétention Administrative

des Ressortissants Étrangers

ORDONNANCE du 02 AVRIL 2025

Minute N°308/2025

N° RG 25/01072 – N° Portalis DBVN-V-B7J-HGD5

(1 pages)

Décision déférée : ordonnance du tribunal judiciaire d’Orléans en date du 31 mars 2025 à 11h05

Nous, Cécile DUGENET, juge placée auprès de la première présidente de la cour d’appel d’Orléans, déléguée à la cour d’appel d’Orléans pour y exercer les fonctions de conseillère affectée à la chambre des urgences par ordonnance n° 439/2024 de Madame la première présidente de la cour d’appel d’Orléans en date du 18 décembre 2024, agissant par délégation de la première présidente de cette cour, assistée de Sophie LUCIEN, greffier placé, aux débats et au prononcé de l’ordonnance,

APPELANT :

M. X se disant [R] [M]

né le 11 avril 2006 à syrie, de nationalité syrienne,

actuellement en rétention administrative au centre de rétention administrative d'[Localité 1] dans des locaux ne dépendant pas de l’administration pénitentiaire,

comparant par visioconférence assisté de Me Laure MASSIERA, avocat au barreau d’Orléans,

assisté de M. [U] [S], interprète en langue arabe, expert près la cour d’appel d’Orléans, qui a prêté son concours lors de l’audience et du prononcé ;

INTIMÉ :

Mme la préfète du Rhône

non comparant, non représenté ;

MINISTÈRE PUBLIC : avisé de la date et de l’heure de l’audience ;

À notre audience publique tenue en visioconférence au Palais de Justice d’Orléans le 02 avril 2025 à 14h00, conformément à l’article L. 743-7 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), aucune salle d’audience attribuée au ministère de la justice spécialement aménagée à proximité immédiate du lieu de rétention n’étant disponible pour l’audience de ce jour ;

Statuant en application des articles L. 743-21 à L. 743-23 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), et des articles R. 743-10 à R. 743-20 du même code ;

Vu l’ordonnance rendue le 31 mars 2025 à 11h05 par le tribunal judiciaire d’Orléans ordonnant la prolongation du maintien de M. X se disant [R] [M] dans les locaux non pénitentiaires pour un délai maximum de trente jours ;

Vu l’appel de ladite ordonnance interjeté le 01 avril 2025 à 10h03 par M. X se disant [R] [M] ;

Après avoir entendu :

– Me Laure MASSIERA, en sa plaidoirie,

– M. X se disant [R] [M], en ses observations, ayant eu la parole en dernier ;

AVONS RENDU ce jour l’ordonnance publique et réputée contradictoire suivante :

Sur l’absence de nécessité du placement en rétention et l’insuffisance de diligences :

M. X se disant [R] [M] soulève l’impossibilité de son éloignement durant le délai légal de sa rétention, puisque les autorités consulaires de son pays, la Syrie, ne délivrent pas de laissez-passer, et qu’il en est de même pour la Libye. Il soutient également que l’administration n’a pas effectué des diligences suffisantes pour mettre à exécution la décision d’éloignement.

Aux termes de l’article L. 741-3 du CESEDA, doivent être contrôlées d’une part les diligences de l’administration aux fins de procéder à l’éloignement effectif de l’étranger placé en rétention, celle-ci étant tenue à une obligation de moyens et non de résultat, et d’autre part l’existence de perspectives raisonnables d’éloignement.

Ces dispositions trouvent leur traduction en droit de l’Union au sein de l’article 15 de la directive 2008/115/CE du parlement européen et du conseil du 16 décembre 2008, dites directive retour :

Selon l’article 15.1, quatrième alinéa : « Toute rétention est aussi brève que possible et n’est maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise ».

Aux termes de l’article 15.4 : « Lorsqu’il apparait qu’il n’existe plus de perspective raisonnable d’éloignement pour des considérations d’ordre juridique ou autres ou que les conditions énoncées au paragraphe 1 ne sont plus réunies, la rétention ne se justifie plus et la personne concernée est immédiatement remise en liberté ».

Ainsi, dans le cadre des règles fixées par le CESEDA et le droit de l’Union, l’objectif manifeste du législateur est d’empêcher le maintien d’un étranger en rétention si celui-ci n’est plus justifié par la mise en ‘uvre de son éloignement.

Le juge est tenu, même d’office (CJUE, 8 novembre 2022, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid), de vérifier les bonnes diligences de l’administration et l’existence d’une réelle perspective que l’éloignement puisse être mené à bien, eu égard aux délais légaux de la rétention administrative.

La perspective raisonnable d’éloignement n’existe pas lorsqu’il paraît peu probable que l’intéressé soit accueilli dans un pays tiers avant l’expiration de ce délai (CJUE, grande chambre, 30 novembre 2009, affaire n° C-357/09), lequel peut, en droit français, être porté à quatre-vingt-dix jours.

En l’espèce, M. X se disant [R] [M] soutient que la Syrie et la Libye ne délivreront pas de laissez-passer pour lui permettre d’être éloigné, mais ne justifie d’aucun document propre à établir son identité et sa nationalité.

Ainsi, les autorités syriennes, saisies par la préfecture du Rhône le 1er mars 2025, ont fait savoir qu’elles n’étaient pas en mesure de délivrer un laissez-passer ou de vérifier son identité, par un courriel du 4 mars 2025.

Les autorités libyennes ont été saisies le 19 mars 2025, puisque M. X se disant [R] [M] est également connu de l’administration sous l’identité de X se disant [K] [I] né le 4 octobre 2008 à [Localité 2] (Libye), de nationalité libyenne.

Au regard de ces éléments, en l’absence de certitude sur la nationalité de l’intéressé, il n’est pas établi qu’il ne puisse être reconnu par les autorités libyennes ou, à défaut, par un autre pays, avant le terme du délai légal de 90 jours. L’intéressé ne saurait, par ailleurs, se prévaloir de sa propre turpitude en soulevant l’absence de perspective d’éloignement, alors qu’il fait obstacle à son identification par l’usage d’alias.

Toutefois, l’attitude de M. X se disant [R] [M] n’exonère pas l’administration de son obligation de diligences.

À ce titre, il n’est pas sérieusement contestable qu’un délai peut être accordé à l’administration, à la suite d’une réponse négative d’un consulat, pour rechercher les autres pays susceptibles de délivrer un document de voyage.

Mais en l’espèce, force est de constater que la préfecture du Rhône a été informée du retour négatif des autorités syriennes par courriel du 4 mars 2025 et qu’elle a engagé des démarches auprès de la Libye le 19 mars 2025, soit au terme d’un délai de quinze jours.

Or, la seule vérification des différentes identités de M. X se disant [R] [M], qui ressortent du rapport d’identification dactyloscopique du FAED du 27 juin 2024, communiqué lors des saisines aux fins de première et de seconde prolongation, ne nécessitait pas un tel délai.

En l’absence de toute autre circonstance pouvant justifier de différer la saisine du consulat libyen, l’administration n’a pas respecté son obligation de moyens, et a méconnu les dispositions de l’article L. 741-3 du CESEDA et de l’article 15 de la directive retour.

Cette circonstance, qui a retardé l’éloignement du retenu et, par conséquent, a prolongé injustement sa rétention, constitue une atteinte substantielle à ses droits.

Il y a donc lieu d’infirmer l’ordonnance attaquée et de statuer comme suit au dispositif.

 


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