Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel d’Orléans
Thématique : Rétention administrative : conditions de légalité et perspectives d’éloignement.
→ RésuméContexte de l’AffaireL’affaire concerne un étranger, désigné ici comme un retenu, qui a été placé en rétention administrative par les autorités françaises. Le préfet de la Loire-Atlantique a interjeté appel d’une ordonnance du tribunal judiciaire d’Orléans qui avait constaté l’irrégularité de la procédure ayant conduit à cette rétention. Ordonnance Initiale et AppelLe tribunal judiciaire d’Orléans a rendu une ordonnance le 10 mars 2025, déclarant que la rétention administrative du retenu était irrégulière et n’avait pas lieu d’être prolongée. En réponse, le préfet a interjeté appel, soutenant que le contrôle de police ayant conduit à la rétention était valide, car effectué dans le cadre des réquisitions du procureur de la République. Arguments du PréfetLe préfet a fait valoir que le lieu du contrôle était inclus dans les réquisitions, et a demandé l’infirmation de la décision du tribunal. Il a également présenté d’autres moyens pour justifier la prolongation de la rétention, arguant que les conditions légales étaient remplies. Réponse de la CourLa cour a examiné les arguments du préfet et a constaté que le contrôle de l’identité du retenu avait été effectué dans le cadre des réquisitions du procureur, ce qui a conduit à l’infirmation de l’ordonnance initiale. La cour a également souligné que le juge doit s’assurer que l’étranger est informé de ses droits lors de la rétention. Sur la Prolongation de la RétentionConcernant la demande de prolongation de la rétention, la cour a noté que le retenu ne disposait pas de documents d’identité, rendant sa nationalité indéterminée. Cependant, la préfecture avait engagé des démarches pour obtenir un laissez-passer auprès des autorités libyennes et d’autres pays, ce qui a été jugé suffisant pour justifier la prolongation. Décision FinaleLa cour a finalement déclaré recevable l’appel du préfet, a infirmé l’ordonnance du tribunal judiciaire d’Orléans, et a ordonné la prolongation de la rétention du retenu pour une durée de vingt-six jours. Les exceptions de nullité et la demande d’assignation à résidence ont été rejetées, et les dépens ont été laissés à la charge du Trésor. |
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL D’ORLÉANS
Rétention Administrative
des Ressortissants Étrangers
ORDONNANCE du 12 MARS 2025
Minute N°250/2025
N° RG 25/00798 – N° Portalis DBVN-V-B7J-HFUD
(1 pages)
Décision déférée : ordonnance du tribunal judiciaire d’Orléans en date du 10 mars 2025 à 14h39
Nous, Hélène GRATADOUR, présidente de chambre à la cour d’appel d’Orléans, agissant par délégation de lap remière présidente de cette cour, assistée de Sophie LUCIEN, greffier placé, aux débats et au prononcé de l’ordonnance,
APPELANT :
M. LE PRÉFET DE LA LOIRE-ATLANTIQUE
non comparant, non représenté ;
INTIMÉ :
M. [V] [G]
né le 24 août 2002 à [Localité 6], de nationalité libyenne
ayant pour alias [V] [L]
libre, demeurant sans adresse connue
convoqué au centre de rétention d'[Localité 5], dernière adresse connue en France
non comparant, représenté par Me Laure MASSIERA, avocat au barreau d’ORLEANS ;
MINISTÈRE PUBLIC : avisé de la date et de l’heure de l’audience ;
À notre audience publique tenue au Palais de Justice d’Orléans, le 12 mars 2025 à 14 H 00 ;
Statuant en application des articles L. 743-21 à L. 743-23 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), et des articles R. 743-10 à R. 743-20 du même code ;
Vu l’ordonnance rendue le 10 mars 2025 à 14h39 par le tribunal judiciaire d’Orléans ordonnant la jonction des procédures de demande de prolongation par la préfecture et de recours contre l’arrêté de placement en rétention administrative par le retenu, constatant l’irrégularité de la procédure antérieure au placement en rétention et disant n’y avoir lieu à prolongation de la rétention administrative de M. [V] [G] alias [V] [L];
Vu l’appel de ladite ordonnance interjeté le 10 mars 2025 à 22h02 par M. LE PRÉFET DE LA LOIRE-ATLANTIQUE ;
Après avoir entendu Me Laure MASSIERA, en sa plaidoirie ;
AVONS RENDU ce jour l’ordonnance publique et réputée contradictoire suivante :
Il résulte de l’article 66 de la Constitution et de l’article L. 743-9 du CESEDA que le juge doit s’assurer que l’étranger est pleinement informé de ses droits et placé en état de les faire valoir lorsqu’il se trouve placé en rétention administrative.
Aux termes de l’article L. 743-12 du CESEDA, en cas de violation des formes prescrites par la loi à peine de nullité ou d’inobservation des formalités substantielles, le magistrat du siège du tribunal judiciaire saisi d’une demande sur ce motif ou qui relève d’office une telle irrégularité ne peut prononcer la mainlevée du placement ou du maintien en rétention que lorsque celle-ci a eu pour effet de porter substantiellement atteinte aux droits de l’étranger dont l’effectivité n’a pu être rétablie par une régularisation intervenue avant la clôture des débats.
Selon l’article L. 741-3 du CESEDA, « Un étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ. L’administration exerce toute diligence à cet effet ».
1. Sur l’exception de nullité retenue par le premier juge
Moyens :
Le magistrat du siège du tribunal judiciaire d’Orléans a, par ordonnance du 10 mars 2025 rendue en audience publique à 14h39, pris le moyen tiré de l’irrégularité du contrôle de police et mis fin à la rétention administrative de M. [C] se disant [V] [G] en constatant que ce dernier avait été contrôlé sur le fondement des réquisitions du procureur de la République près le tribunal judiciaire de Nantes face au [Adresse 1] à [Localité 4], alors que ce lieu n’était pas inclus dans le périmètre desdites réquisitions.
Le préfet de la Loire-Atlantique a, par courriel transmis au greffe de la cour d’appel d’Orléans le 10 mars 2025 à 22h02, interjeté appel de cette décision. Son recours suit le raisonnement inverse de celui adopté par le premier juge, en faisant observer que l'[Adresse 2] figurait parmi les rues listées par l’annexe accompagnant les réquisitions du procureur de la République. Le préfet en déduit que le contrôle était régulier, sollicite l’infirmation de la décision entreprise, et s’en réfère aux termes de sa requête en prolongation pour les autres moyens.
Réponse de la cour :
Il ressort des dispositions des articles 78-2, alinéa 7 et 78-2-2 du code de procédure pénale que les officiers de police judiciaire et, sur l’ordre et sous la responsabilité de ceux-ci, les agents de police judiciaire et agents de police judiciaire adjoints mentionnés aux 1°, 1° bis et 1° ter de l’article 21 du même code peuvent, sur réquisitions écrites du procureur de la République, dans les lieux et pour une période de temps déterminés par ce magistrat, qui ne peut excéder vingt-quatre heures, renouvelables sur décision expresse et motivée selon la même procédure, contrôler l’identité de toute personne aux fins de recherche et de poursuite des infractions suivantes :
1° Actes de terrorisme mentionnés aux articles 421-1 à 421-6 du code pénal ;
2° Infractions en matière de prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs mentionnées aux 1° et 2° du I de l’article L. 1333-9, à l’article L. 1333-11, au II des articles L. 1333-13-3 et L. 1333-13-4 et aux articles L. 1333-13-5, L. 2339-14, L. 2339-15, L. 2341-1, L. 2341-2, L. 2341-4, L. 2342-59 et L. 2342-60 du code de la défense ;
3° Infractions en matière d’armes mentionnées à l’article 222-54 du code pénal et à l’article L. 317-8 du code de la sécurité intérieure ;
4° Infractions en matière d’explosifs mentionnés à l’article 322-11-1 du code pénal et à l’article L. 2353-4 du code de la défense ;
5° Infractions de vol mentionnées aux articles 311-3 à 311-11 du code pénal ;
6° Infractions de recel mentionnées aux articles 321-1 et 321-2 du même code ;
7° Faits de trafic de stupéfiants mentionnés aux articles 222-34 à 222-38 dudit code.
Sur ce fondement, toute personne, quel que soit son comportement, peut être régulièrement contrôlée dès lors que les policiers interviennent dans les circonstances de temps et de lieu des réquisitions du procureur de la République (1ère Civ., 23 novembre 2016, pourvoi n° 15-27.812 ; 1ère Civ., 2 septembre 2020, pourvoi n° 19-50.013).
Le conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2016-606 QPC du 24 janvier 2017 a validé la conformité de ces dispositions avec la Constitution, notamment en ce qui concerne la liberté d’aller et venir, sous réserve d’établir le lien entre les lieux et périodes retenus par le procureur de la République et la recherche des infractions visées par ses réquisitions. Par ailleurs, il ne peut être permis, par un cumul de réquisitions portant sur des lieux ou des périodes différents, la pratique de contrôles d’identité généralisés dans le temps ou dans l’espace.
En l’espèce, il résulte des procès-verbaux de saisine-mise à disposition et d’interpellation (procédure police p. 2 à 4) que M. [C] se disant [V] [G] a été contrôlé dans le cadre des réquisitions n° 724/2025 du procureur de la République près le tribunal judiciaire de Nantes.
Les réquisitions du procureur de la République de Nantes en date du 25 février 2025 (p. 6 et 7 de la procédure police), motivées par l’évolution de la délinquance sur le secteur du centre-ville de [Localité 4] durant la période du 1er au 31 janvier 2025, se traduisant par la constatation de 51 faits de vol aggravé, d’un fait de recel, de 12 infractions à la législation sur les stupéfiants et d’un fait de port d’arme, visaient notamment la poursuite de ces infractions, citées à l’article 78-2-2 susmentionné, entre le mardi 4 mars 2025 à 4h30 à et le mercredi 5 mars 2025 à 2h, ce qui n’excédait pas le délai légal de vingt-quatre heures.
Le contrôle de M. [C] se disant [V] [G] a eu lieu dans cette période, et dans un lieu compris dans le périmètre établi par les voies et places citées par les réquisitions du procureur de la République, en l’espèce le 4 mars 2025 à 15h45, face au [Adresse 1] à [Localité 4].
Les vérifications menées par la cour ont permis de s’assurer que l’adresse susmentionnée était bien située dans le périmètre visé par les réquisitions du procureur de la République, en tenant compte notamment de la délimitation effectuée par le [Adresse 3], qui est à proximité. L’ordonnance entreprise devra donc être infirmée sur ce point.
2. Sur les moyens repris en cause d’appel
2.1 Sur la recevabilité de la requête en prolongation
Le conseil de M. [C] se disant [V] [G] soutient que le registre produit par la préfecture mentionne une audience de l’intéressé en date du 9 mars 2025, alors que la réalité de cet événement n’est pas établie.
Vu les articles R. 743-2 et L. 744-2 du CESEDA, et l’annexe n° 2 de l’arrêté du 6 mars 2018 portant autorisation du registre de rétention ;
Il résulte de la combinaison des deux premiers textes susvisés qu’à peine d’irrecevabilité, la requête en prolongation de l’autorité administrative doit être accompagnée de toutes pièces justificatives utiles, notamment d’une copie du registre mentionnant l’état civil de la personne retenue, ainsi que les conditions de son placement ou de son maintien en rétention.
S’agissant de l’annexe n° 2 de l’arrêté du 6 mars 2018, celle-ci précise, en son III, 1° et 2°, que doivent notamment figurer au registre la date et l’heure de l’audience devant le juge administratif, ainsi que la date de présentation devant le magistrat du siège du tribunal judiciaire et devant la cour d’appel.
En l’espèce, contrairement à ce qui a été soutenu par le conseil de l’intéressé, le registre joint à la requête sollicitant la prolongation de la rétention administrative de M. [C] se disant [V] [G] ne comprend aucune mention sur une prétendue audience le 9 mars 2025.
En tout état de cause, il n’est pas établi que ce document souffre d’un défaut d’actualisation, au regard des textes susvisés, et en tenant compte des informations résultant des pièces du dossier soumis à la cour. Le moyen est rejeté.
2.2 Sur la requête en prolongation
Sur l’absence de nécessité du placement en rétention, le conseil de M. [C] se disant [V] [G] soulève l’impossibilité de son éloignement durant le délai légal de sa rétention.
Aux termes de l’article L. 741-3 du CESEDA doivent être contrôlées d’une part les diligences de l’administration aux fins de procéder à l’éloignement effectif de l’étranger placé en rétention, celle-ci étant tenue à une obligation de moyens et non de résultat, et d’autre part l’existence de perspectives raisonnables d’éloignement.
Ces dispositions trouvent leur traduction en droit de l’Union au sein de l’article 15 de la directive 2008/115/CE du parlement européen et du conseil du 16 décembre 2008, dites directive retour :
Selon l’article 15.1, quatrième alinéa : « Toute rétention est aussi brève que possible et n’est maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise ».
Aux termes de l’article 15.4 : « Lorsqu’il apparait qu’il n’existe plus de perspective raisonnable d’éloignement pour des considérations d’ordre juridique ou autres ou que les conditions énoncées au paragraphe 1 ne sont plus réunies, la rétention ne se justifie plus et la personne concernée est immédiatement remise en liberté ».
Ainsi, dans le cadre des règles fixées par le CESEDA et le droit de l’Union, l’objectif manifeste du législateur est d’empêcher le maintien d’un étranger en rétention si celui-ci n’est plus justifié par la mise en ‘uvre de son éloignement.
Le juge est donc tenu d’apprécier in concreto l’existence de perspectives raisonnables d’éloignement, ces dernières devant se distinguer des perspectives d’éloignement à bref délai, qui ne concernent que la situation prévue à l’article L. 742-5 3° du CESEDA.
Par ailleurs, il est constant que les perspectives raisonnables d’éloignement doivent être appréciées en fonction de la durée totale de la rétention, cette dernière pouvant être portée à quatre-vingt-dix jours sous réserve de l’appréciation retenue par le juge judiciaire lors de l’examen des conditions relatives aux différentes prolongations.
En l’espèce, la cour constate au préalable que si M. [C] se disant [V] [G] se prétend libyen, il n’en est pas moins dépourvu de document d’identité, de sorte que sa nationalité est aujourd’hui indéterminée.
En outre, la préfecture a saisi les autorités libyennes, algériennes, tunisiennes et marocaines d’une demande de laissez-passer le 5 mars 2025, soit le jour du placement en rétention administrative de l’intéressé. Elle a donc accompli les diligences s’imposant à elles et il ne saurait lui être fait grief du temps de réponse des autorités consulaires.
À ce stade de la procédure administrative de rétention, s’agissant d’une première demande de prolongation, il apparaitrait prématuré de conclure à l’absence de perspectives raisonnables d’éloignement, alors que le dossier de M. [C] se disant [V] [G] est en cours d’instruction, depuis moins d’une semaine, auprès de quatre pays différents. Le moyen est donc rejeté.
Sur la demande d’assignation à résidence judiciaire, le moyen est inopérant en l’absence de remise préalable d’un passeport, étant observé au demeurant que M. [C] se disant [V] [G] s’est soustrait aux obligations de pointage relatives à l’assignation à résidence lui ayant été notifiée le 3 février 2025, ce qui a été constaté par un procès-verbal de carence en date du 10 février 2025. Il ne répond donc pas aux conditions obligatoires de l’article L. 743-13 du CESEDA et sa demande ne peut qu’être rejetée.
PAR CES MOTIFS,
DÉCLARONS recevable l’appel du préfet de la Loire-Atlantique ;
INFIRMONS l’ordonnance du tribunal judiciaire d’Orléans du 10 mars 2025 ayant constaté l’irrégularité de la procédure antérieure au placement en rétention et dit n’y avoir lieu à prolongation de la rétention administrative de M. [C] se disant [V] [G] ;
Statuant à nouveau :
REJETONS les exceptions de nullité soulevées ;
REJETONS la demande d’assignation à résidence judiciaire ;
ORDONNONS la prolongation du maintien de M. [C] se disant [V] [G] dans les locaux ne relevant pas de l’administration pénitentiaire pour une durée de vingt-six jours à compter du 9 mars 2025 ;
LAISSONS les dépens à la charge du Trésor ;
ORDONNONS la remise immédiate d’une expédition de la présente ordonnance à M. LE PRÉFET DE LA LOIRE-ATLANTIQUE, à M. [V] [G] et son conseil, et à M. le procureur général près la cour d’appel d’Orléans ;
Et la présente ordonnance a été signée par Hélène GRATADOUR, présidente de chambre, et Sophie LUCIEN, greffier placé présent lors du prononcé.
Fait à Orléans le DOUZE MARS DEUX MILLE VINGT CINQ, à 14 heures 30
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
Sophie LUCIEN Hélène GRATADOUR
Pour information : l’ordonnance n’est pas susceptible d’opposition.
Le pourvoi en cassation est ouvert à l’étranger, à l’autorité administrative qui a prononcé le maintien la rétention et au ministère public. Le délai de pourvoi en cassation est de deux mois à compter de la notification. Le pourvoi est formé par déclaration écrite remise au secrétariat greffe de la Cour de cassation par l’avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation constitué par le demandeur.
NOTIFICATIONS, le 12 mars 2025 :
M. LE PRÉFET DE LA LOIRE-ATLANTIQUE, par courriel
M. [V] [G] , par transmission au greffe du CRA d'[Localité 5], dernière adresse connue
Me Laure MASSIERA, avocat au barreau d’ORLEANS, par PLEX
M. le procureur général près la cour d’appel d’Orléans, par courriel
Votre avis sur ce point juridique ? Une actualité ? Une recommandation ?