Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Versailles
Thématique : Responsabilité professionnelle d’un avocat en matière de conseil et de rédaction d’actes juridiques
→ RésuméContexte de l’affaireLa société A, dirigée par un gérant, exerçait en 2011 une activité de réparation et vente de véhicules automobiles. Parallèlement, la société B, également dirigée par un gérant, menait une activité similaire de négoce automobile. Au début de l’année 2011, les deux gérants ont envisagé une cession d’activité de la société B à une nouvelle société, la société C, qui devait être dirigée par le gérant de la société A. Bail précaire et cession d’activitésEn attendant l’immatriculation de la société C, la société B a accordé à la société A un bail précaire pour ses locaux commerciaux. En mai 2012, une déclaration commune a été signée entre le gérant de la société B, la société C, et le gérant de la société A, prévoyant la cession des parts de la société B à la société C, la conclusion d’un bail commercial, et la vente de plusieurs appartements par le gérant de la société B au gérant de la société A. Litiges et décisions judiciairesEn septembre 2012, la société B a donné congé à la société A concernant le bail précaire. En février 2015, un tribunal a ordonné l’expulsion des sociétés A et C des locaux et a condamné les deux sociétés à payer une indemnité à la société B. Cette décision a été confirmée par la cour d’appel en 2016. En 2016, un juge a statué qu’aucune indemnité d’éviction ne serait due aux sociétés A et C en cas de confirmation du jugement d’expulsion. Assignation et responsabilité civileLa société C, le gérant de la société A, et une SCI ont assigné le gérant de la société B pour obtenir l’annulation de la vente d’immeuble et d’autres actes. En janvier 2017, le tribunal s’est déclaré incompétent pour statuer sur ces demandes. En 2017, la société C a assigné son avocat pour voir reconnaître sa responsabilité civile professionnelle. En mai 2019, le tribunal a débouté la société C de ses demandes. Appel et décisions ultérieuresLa société C a interjeté appel de la décision de mai 2019. En janvier 2022, la cour d’appel a infirmé le jugement et a déclaré l’avocat responsable de fautes professionnelles, le condamnant à indemniser la société C. L’avocat a formé un pourvoi en cassation, qui a été accueilli en juin 2023, annulant l’arrêt de la cour d’appel et renvoyant l’affaire devant la cour d’appel de Versailles. Procédures en cours et conclusionsEn août 2023, la société C a saisi la cour d’appel de Versailles pour obtenir la réformation du jugement de mai 2019. Les conclusions notifiées en octobre 2023 invitent la cour à juger que l’avocat a engagé sa responsabilité civile professionnelle. En décembre 2023, l’avocat a demandé la confirmation du jugement de mai 2019 et a sollicité des dépens. Décision finale de la courLa cour a confirmé le jugement de mai 2019, a reconnu que l’avocat avait un mandat pour représenter la société C, et a condamné la société C aux dépens de la procédure. La cour a également ordonné le paiement d’une somme à l’avocat sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, rejetant toute autre demande. |
COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Chambre civile 1-1
ARRÊT N°
CONTRADICTOIRE
Code nac : 63B
DU 11 MARS 2025
N° RG 23/06010
N° Portalis DBV3-V-B7H-WBS2
AFFAIRE :
S.A.S. [13]
C/
[B] [Z]
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 15 Mai 2019 par le Tribunal de Grande Instance de PARIS.
N° Chambre :
N° Section :
N° RG : 18/00692
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
– Me Chantal DE CARFORT de la SCP BUQUET-ROUSSEL-DE CARFORT,
-la SELARL LYVEAS AVOCATS
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE ONZE MARS DEUX MILLE VINGT CINQ,
La cour d’appel de VERSAILLES, a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
DEMANDERESSE devant la cour d’appel de Versailles saisie comme cour de renvoi, en exécution d’un arrêt de la Cour de cassation (CIV.1) du 14.06.2023 cassant et annulant l’arrêt rendu par la cour d’appel de PARIS Pôle 4 Chambre 13 le 18.01.2022
S.A.S. [13]
agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité au siège social
N° SIRET : [N° SIREN/SIRET 4]
[Adresse 5]
[Localité 8]
représentée par Me Chantal DE CARFORT de la SCP BUQUET-ROUSSEL-DE CARFORT, avocat postulant – barreau de VERSAILLES, vestiaire : 462 – N° du dossier 17123
Me David GILBERT-DESVALLONS de la SELARL GILBERT-DESVALLONS SOCIETE D’AVOCATS, avocat – barreau de PARIS, vestiaire : L0012
****************
DÉFENDEUR DEVANT LA COUR DE RENVOI
Monsieur [B] [Z]
né le [Date naissance 1] 1966 à [Localité 16] (ALGÉRIE)
de nationalité Française
[Adresse 3]
[Localité 7]
représenté par Me Antoine DE LA FERTE de la SELARL LYVEAS AVOCATS, avocat – barreau de VERSAILLES, vestiaire : 283
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 13 Janvier 2025 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Anna MANES, Présidente et Madame Pascale CARIOU, Conseillère chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Anna MANES, Présidente,
Madame Pascale CARIOU, Conseillère,
Madame Sixtine DU CREST, Conseillère,
Greffier, lors des débats : Madame Natacha BOURGUEIL,
FAITS ET PROCÉDURE
La société [10], ayant pour gérant M. [P], exerçait en 2011 une activité de réparation et vente de véhicules automobiles sous l’enseigne [11] à [Localité 9].
La société [12] (ci-après ‘[14]’), ayant pour gérant M. [T], exerçait à la même époque une activité similaire de négoce automobile sur le territoire de la commune de [Localité 8] (95).
Au début de l’année 2011, les deux gérants se sont rapprochés dans la perspective d’une cession d’activité de la société [14] au profit d’une société en cours de création, la société [13], devant être dirigée par M. [P].
Dans l’attente de l’immatriculation de cette société, qui interviendra au mois d’août 2011, la société [14] a consenti à la société [10] sur ses locaux commerciaux situés [Adresse 15] à [Localité 8] un bail précaire courant jusqu’au 31 décembre 2012.
Par acte du 3 mai 2012, M. [T] agissant au nom de la société [14] et en qualité de propriétaire de 9 appartements situés sur le territoire de la commune de [Localité 8], la société [13] et M. [P] ont signé une ‘déclaration commune’ par laquelle ils envisageaient la conclusion des trois opérations indivisibles suivantes :
– cession des parts sociales de la société [14] au profit de la société [13],
– conclusion d’un bail commercial à effet du 1er juillet 2011 par la société [14] sur les locaux sis à [Localité 8] au bénéfice de la société [13],
– vente de neuf appartements par M. [T] à M. [P].
Le même jour, une promesse de cession de parts sociales et une promesse d’achat de parts sociales ont été régularisées entre les associés de la société [14] et la société [13].
Le 26 septembre 2012, la société [14] a donné congé pour le 31 décembre 2012 à la société [10] au titre du bail précaire.
La vente des appartements de M. [T] à la SCI [17] gérée par M. [P] est intervenue le 7 décembre 2012 moyennant la somme de 1 500 000 euros.
Par jugement du 9 février 2015, le tribunal de grande instance de Pontoise a ordonné l’expulsion des sociétés [10] et [13] des locaux sis [Adresse 6] et [Adresse 2] à [Localité 8] et les a condamnées in solidum à payer une indemnité mensuelle d’occupation à la société [14]. Cette décision a été confirmée par la cour d’appel de Versailles suivant arrêt du 6 septembre 2016.
Par jugement du 24 février 2016, le juge de l’expropriation du tribunal de grande instance de Pontoise, statuant sur l’expropriation par la SADEV du fonds de commerce appartenant aux sociétés [10] et [13], a dit qu’aucune indemnité d’éviction au titre de l’expropriation du fonds de commerce ne serait due aux sociétés expropriées en cas de confirmation du jugement du 9 février 2015. Dans l’hypothèse d’une infirmation, l’indemnité d’expropriation était fixée à la somme de 874 660 euros.
Parallèlement, la société [13], M. [P] et la SCI [17] ont fait assigner M. [T] et la société [14] pour voir ordonner la résolution de la vente d’immeuble, l’annulation de la cession des parts de la société [14] au profit de la société [13], l’annulation de l’ensemble des actes du 3 mai 2012 et le remboursement des loyers, dépenses de travaux et frais payés par la société [13].
Par jugement du 30 janvier 2017, le tribunal de grande instance de Pontoise s’est déclaré incompétent pour statuer sur les demandes d’annulation des promesses d’achat et de cession d’actions du 3 mai 2012 et a débouté les demandeurs de leurs autres demandes.
Par acte du 26 décembre 2017, la société [13] a fait assigner M. [Z], son avocat, devant le tribunal de grande instance de Paris aux fins de voir reconnaître sa responsabilité civile professionnelle.
Par jugement du 15 mai 2019, le tribunal de grande instance de Paris a :
– débouté la société [13] de ses demandes,
– condamné la société [13] aux dépens,
– rejeté les demandes formées sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– dit n’y avoir lieu à exécution par provision du jugement,
– débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Par une déclaration du 8 juillet 2019, la société [13] a interjeté appel de cette décision.
Par un arrêt rendu le 18 janvier 2022, la cour d’appel de Paris a :
– Infirmé le jugement en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
– Déclaré M. [Z] responsable de ses fautes professionnelles à l’égard de la Sas [13],
– Condamné M. [Z] à payer à la Sas [13] :
* la somme de 874 660 euros au titre de l’indemnité d’éviction perdue,
* la somme de 14 300 euros au titre des honoraires inutilement réglés,
– Débouté la Sas [13] de sa demande en paiement des frais de procédures,
– Condamné M. [Z] aux dépens,
– Condamné M. [Z] à payer à la Sas [13] la somme de 7 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
M. [Z] a formé un pourvoi en cassation à l’encontre de cet arrêt.
Par un arrêt rendu le 14 juin 2023, la Cour de cassation a :
– Cassé et annulé, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 18 janvier 2022, entre les parties, par la cour d’appel de Paris,
– Remis l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d’appel de Versailles,
– Condamné la société [13] aux dépens,
– En application de l’article 700 du code de procédure civile, condamné la société [13] à payer à M. [Z] la somme de 3 000 euros.
Le 11 août 2023, la société [13] a saisi la cour d’appel de Versailles aux fins d’obtenir la réformation du jugement rendu le 15 mai 2019 par le tribunal de grande instance de Paris.
Par uniques conclusions notifiées le 10 octobre 2023, la société [13] invite la cour, au visa de l’arrêt de la Cour de cassation remettant les parties en l’état antérieur de la Cour de Paris, du jugement déféré, des articles 1134, 1147 du code civil dans leur version applicable avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance 2016-131 du 10 février 2016, des articles 1103, 1104, 1217 et 1231-1 nouveaux du code civil, de la jurisprudence visée et des pièces versées aux débats, à :
– Réformer le jugement entrepris et statuant à nouveau :
* juger qu’elle est recevable et bien fondée en ses demandes, fins et conclusions portées contre Me [Z],
* débouter Me [Z] de toutes ses demandes, fins et conclusions, contraires,
Sur le mandat ad litem confié par la société [13] :
– juger que M. [Z] ès qualités d’avocat a bénéficié d’un mandat ad litem depuis (sic) la société [13],
Sur les manquements en matière de conseils :
– juger que M. [Z] a engagé sa responsabilité civile professionnelle à son égard en matière de conseil et de rédacteur d’actes et précisément,
– juger que M. [Z] a commis des manquements lors de la phase précontractuelle des pourparlers pour défaut de consultation juridique et son rôle passif de conseil,
– juger que M. [Z] n’a pas assuré la validité et la sécurité juridique des actes qu’il avait pour mission de rédiger,
– juger que M. [Z] n’a pas assuré la sécurité juridique de la déclaration commune du 3 mai 2012,
Sur les manquements en matière contentieuse :
– juger que M. [Z] ès qualités d’avocat a engagé sa responsabilité civile professionnelle à son égard en matière contentieuse,
– juger que M. [Z] a manqué à son devoir de conseil, de diligence et d’assistance dans le cadre de la première procédure judiciaire devant le tribunal de grande instance de Pontoise,
– juger que M. [Z] a manqué à son devoir de conseil, de diligence et d’assistance dans le cadre de la deuxième procédure judiciaire devant la cour d’appel de Versailles,
– juger que M. [Z] a manqué à son devoir de conseil, de diligence et d’assistance dans le cadre de la troisième procédure judiciaire devant le tribunal de grande instance de Pontoise,
En conséquence,
– condamner M. [Z] à lui payer les sommes suivantes à titre d’indemnisation de ses préjudices :
* 5 056,57 euros correspondant aux sommes réclamées par [14] au titre de frais de procédure au paiement duquel les défendeurs ont été condamnés par le fait de M. [Z],
* 4 340 384,08 à titre d’indemnité d’éviction non perçue à défaut de pouvoir justifier d’un titre d’occupation incontestable,
* 17 584 euros au titre des honoraires facturés par M. [Z],
– assortir l’intégralité des condamnations prononcées des intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir,
– condamner M. [Z] à lui payer la somme de 7 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner M. [Z] au paiement des entiers dépens.
Par uniques conclusions notifiées le 1er décembre 2023, M. [Z] invite la cour à :
– confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 15 mai 2019 par le tribunal de grande instance de Paris sous le RG n°18/00692,
Et, y ajoutant,
– condamner la société [13] aux entiers dépens de l’appel,
– la condamner à lui payer la somme de 10 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant par arrêt contradictoire, dans les limites de la saisine, par mise à disposition,
Vu le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Paris le 15 mai 2019, RG 18/692,
Vu l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 18 janvier 2022, RG 119/16185,
Vu l’arrêt de la Cour de cassation du 16 juin 2023, RG 22-13.411,
CONFIRME le jugement entrepris,
Y ajoutant,
DIT que M. [Z] disposait d’un mandat ad litem pour représenter en justice la société [13],
CONDAMNE la société [13] aux dépens de la présente procédure et à ceux de la procédure cassée,
CONDAMNE la société [13] à payer à M. [Z] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
REJETTE toute autre demande.
– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,
– signé par Madame Anna MANES, présidente, et par Madame Natacha BOURGUEIL, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, La Présidente,
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