Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Toulouse
Thématique : Responsabilité bancaire et fraude : enjeux de vigilance et d’indemnisation.
→ RésuméUne titulaire de compte à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel a effectué un virement de 10 500 euros à des vendeurs sur le site Leboncoin dans le cadre d’un projet d’acquisition de véhicule. Après avoir découvert que la transaction était frauduleuse, elle a demandé à sa banque d’initier une procédure de recall et a déposé plainte pour escroquerie. Malgré ses démarches, la procédure de recall n’a pas abouti, et elle a assigné en justice la banque destinataire des fonds et sa propre banque pour obtenir réparation de son préjudice.
Le tribunal judiciaire de Toulouse a rendu un jugement en mars 2023, déboutant la titulaire de ses demandes et la condamnant aux dépens. En avril 2023, elle a interjeté appel, demandant l’infirmation du jugement et la reconnaissance de la responsabilité des banques. Elle a soutenu que la banque destinataire avait manqué à son obligation de vigilance en ne vérifiant pas l’identité du bénéficiaire du virement, et que sa propre banque avait failli à son obligation de loyauté en ne justifiant pas l’échec de la procédure de recall. Les banques ont contesté leur responsabilité, arguant que la titulaire avait commis des négligences graves en autorisant le virement sans s’assurer de la réalité de la transaction. Elles ont également soutenu que le virement était autorisé, car il avait été exécuté conformément à l’identifiant unique fourni. La cour a examiné les manquements allégués et a conclu que la banque destinataire n’avait pas engagé sa responsabilité, car le virement avait été effectué selon les instructions données. En revanche, elle a reconnu que la titulaire n’avait pas consenti au bénéficiaire, considérant le virement comme non autorisé. La Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel a été condamnée à rembourser la somme de 10 500 euros, tandis que les demandes d’indemnisation pour frais irrépétibles ont été rejetées. |
01/04/2025
ARRÊT N°134
N° RG 23/01533 – N° Portalis DBVI-V-B7H-PNAM
SM AC
Décision déférée du 06 Mars 2023
TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de TOULOUSE
( 20/05008)
M GUINCHARD
[P] [O] épouse [R]
C/
S.A. MA FRENCH BANK
Société CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL [Localité 8] 31
Confirmation
Grosse délivrée
le
à
Me Laurie DELAS
Me Philippe DUPUY
Me Jérôme MARFAING-DIDIER
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D’APPEL DE TOULOUSE
2ème chambre
***
ARRÊT DU PREMIER AVRIL DEUX MILLE VINGT CINQ
***
APPELANTE
Madame [P] [O] épouse [R]
[Adresse 5]
[Localité 4]
Représentée par Me Laurie DELAS, avocat au barreau de TOULOUSE
INTIMEES
S.A. MA FRENCH BANK Prise en la personne de ses dirigeants sociaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 7]
Représentée par Me Philippe DUPUY de la SELARL DUPUY-PEENE, avocat postulant au barreau de TOULOUSE et par Me Jean-philippe GOSSET de la SELEURL CABINET GOSSET, avocat plaidant au barreau de PARIS
Société CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL [Localité 8] 31 Prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège.
[Adresse 6]
[Localité 3]
Représentée par Me Jérôme MARFAING-DIDIER de la SELARL DECKER, avocat au barreau de TOULOUSE
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 805 et 907 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 15 Janvier 2025, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant S. MOULAYES, Conseillère, chargé du rapport. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
V. SALMERON, présidente
S. MOULAYES, conseillère
M. NORGUET, conseillère
Greffier, lors des débats : N.DIABY
ARRET :
– contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties
– signé par V. SALMERON, présidente, et par A. CAVAN, greffier de chambre
Faits et procédure
Madame [P] [O] épouse [R] est titulaire dans les livres de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel [Localité 8] 31 d’un compte chèques n°[XXXXXXXXXX02].
Dans le cadre d’un projet d’acquisition de véhicule, après un contact pris avec les vendeurs sur le site internet Leboncoin, Madame [R] a versé un premier acompte de 10 500 ‘.
Elle a adressé à sa banque le Crédit Agricole, un ordre de virement par mail, qui a été réalisé le 16 décembre 2019 au bénéfice de Monsieur et Madame [T], sur leur compte domicilié dans les livres de Ma French Bank.
Le 18 décembre 2019, Madame [R] a pris contact avec sa banque pour une procédure de « recall » après avoir découvert le caractère frauduleux de la transaction.
Le même jour, elle a déposé plainte pour des faits d’escroquerie.
Le 6 janvier 2020, il était indiqué à Madame [R] que la procédure de recall n’avait pas abouti ; en dépit de demandes écrites le 30 janvier 2020 et le 4 juin 2020 au Crédit Agricole, et le 30 janvier 2020 à Ma French Bank, elle ne parvenait pas à obtenir de justificatif de cet échec de procédure.
Par actes des 3 et 4 décembre 2020 Madame [P] [O] épouse [R] a fait délivrer assignation devant le tribunal judiciaire de Toulouse à Ma French Bank et à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Toulouse 31, afin de voir engager leurs responsabilités et d’obtenir l’indemnisation de son préjudice.
Par jugement du 6 mars 2023, le tribunal judiciaire de Toulouse a :
– débouté Madame [R] de ses demandes ;
– l’a condamné aux dépens dont distraction au profit de Maître Gosset pour ce qui le concerne ;
– dit n’y avoir à faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– rejeté le surplus des demandes.
Par déclaration en date du 26 avril 2023, Madame [P] [O] épouse [R] a relevé appel du jugement, à l’exception du chef relatif aux frais irrépétibles.
La clôture est intervenue le 9 décembre 2024, et l’affaire a été appelée à l’audience du 15 janvier 2025.
Prétentions et moyens
Vu les conclusions d’appelant n°2 notifiées le 4 décembre 2024 auxquelles il est fait expressément référence pour l’énoncé du détail de l’argumentation, de Madame [P] [O] épouse [R] demandant, aux visas des articles 1104 et 1240 du Code Civil, et des articles L133-18 et l’article L133-21 du Code Monétaire et Financier, de :
– juger Madame [P] [R] recevable et bien fondée en son appel,
– infirmer le Jugement rendu le 6 mars 2023 par le Tribunal Judiciaire de Toulouse en ce qu’il a :
– débouté Madame [R] de ses demandes,
– condamné Madame [R] aux dépens dont distraction au profit de Maître Gosset pour ce qui le concerne,
– rejeté le surplus des demandes.
Statuant à nouveau :
– dire et Juger que Ma French Bank a commis une faute de nature à engager sa responsabilité délictuelle à l’égard de Madame [P] [R],
– condamner en conséquence Ma French Bank à payer à Madame [P] [R] la somme de 10 500 ‘ à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice financier,
– condamner Ma French Bank à payer à Madame [P] [R] la somme de 6 000 ‘ du fait de sa résistance abusive,
– condamner la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel [Localité 8] 31 à payer à Madame [P] [R] la somme de 10 500 ‘ en restitution du montant de l’opération non-autorisée et subsidiairement à titre de dommages et intérêts,
– condamner solidairement Ma French Bank et la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel [Localité 8] 31 à payer à Madame [P] [R] la somme de 2 500 ‘ sur le fondement des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile,
– condamner solidairement Ma French Bank et la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel [Localité 8] 31 au paiement des entiers dépens.
Elle engage la responsabilité extra-contractuelle de Ma French Bank, en raison d’un manquement à son devoir de vigilance alors qu’elle ne s’est pas assurée que le destinataire du virement était bien le titulaire du compte, mais également du fait de sa négligence dans le traitement de la demande de recall, et lors de l’ouverture du compte litigieux.
En réponse aux moyens adverses, elle conteste toute négligence grave dans l’ordre de virement passé, et toute imprudence lors de l’opération d’achat qu’elle entendait faire d’un véhicule.
Elle engage également la responsabilité de sa propre banque, le virement réalisé s’analysant en une opération non-autorisée qui doit être indemnisée.
A titre subsidiaire, elle affirme que le Crédit Agricole a manqué à son obligation de loyauté, en refusant de justifier des diligences quant au traitement de sa demande de recall.
Vu les conclusions d’intimé notifiées le 30 octobre 2023 auxquelles il est fait expressément référence pour l’énoncé du détail de l’argumentation, de la Sa Ma French Bank demandant, aux visas des articles L.133-1 et suivants du Code monétaire et financier, et 1202 du Code civil, de :
– recevoir Ma French Bank en ses conclusions, l’y déclarant bien fondée,
– juger que Ma French Bank n’a pas engagé sa responsabilité à l’égard de Madame [R] à quelque titre que ce soit,
– juger que Madame [R] a en tout état de cause commis des négligences graves à l’origine exclusive de son préjudice et que le virement litigieux du 16 décembre 2019 est en outre un virement autorisé irrévocable non remboursable par les établissements bancaires,
– juger en outre que Ma French Bank et le Crédit Agricole de [Localité 8] n’entretiennent aucun lien de solidarité,
– juger enfin qu’en présence d’une procédure pénale en cours Madame [R] risquerait d’obtenir une double indemnisation en cas d’extraordinaire condamnations des défenderesses,
– débouter en conséquence Madame [R] de l’intégralité de ses demandes, fins et prétentions,
– confirmer ainsi le Jugement rendu en date du 6 mars 2023 par le tribunal judiciaire de Toulouse en toutes ses dispositions,
– condamner en outre Madame [R] à verser à Ma French Bank la somme de 2 000 ‘ au titre des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile,
– condamner Madame [R] aux entiers dépens dont distraction au Profit de Me Jean-Philippe Gosset, Avocat aux offres de droit en application de l’article 699 du Code de Procédure Civile.
Elle rappelle avoir fait diligence dans un délai court, dans le cadre de la procédure de recall, qui n’a échoué que du fait du transfert complet et rapide des fonds reçus de Madame [R] sur le compte, et de l’absence de provision.
Elle conteste avoir commis une faute en exécutant un ordre de virement sur le fondement de l’Iban, sans se référer au nom du destinataire.
Elle ajoute que Madame [R] est défaillante à démontrer l’existence d’une faute lors de l’ouverture du compte bénéficiaire en ses livres.
Elle reproche à Madame [R] d’avoir fait preuve d’une négligence grave à l’origine de son préjudice, en autorisant le virement litigieux alors qu’elle n’avait pas vu le véhicule objet de la transaction et qu’elle ne pouvait pas identifier les vendeurs avec les informations fournies par internet, la privant ainsi de toute indemnisation.
Vu les conclusions d’intimé n°1 notifiées le 16 octobre 2023 auxquelles il est fait expressément référence pour l’énoncé du détail de l’argumentation, de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel [Localité 8] 31 demandant, aux visas des articles 1104 du Code civil, et des articles L.133-8 I et R.312-2 du Code monétaire et financier, de :
– confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Toulouse en date du 6 mars 2023 en ce qu’il a :
– débouté Madame [R] de ses demandes ;
– l’a condamnée aux dépens ;
– rejeté le surplus de ses demandes ;
Y ajoutant,
– débouter Madame [P] [R] de l’intégralité de ses demandes, fins et prétentions ;
– condamner in solidum Madame [P] [R] et Ma French Bank à verser au Crédit Agricole la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ;
– condamner in solidum Madame [P] [R] et Ma French Bank aux entiers dépens.
Elle conteste toute faute ou tout défaut de diligence dans le cadre de la procédure de recall, qu’elle a initié le jour même de l’alerte donnée par sa cliente ; elle ajoute avoir informé Madame [R] de l’échec de la procédure par téléphone dès le 20 décembre 2019.
Elle affirme que la non-confirmation par courrier de l’échec de la procédure de recall ne constitue pas, en tout état de cause, le fait générateur de son préjudice.
A titre subsidiaire, elle invoque également la responsabilité de Madame [R] dans la survenance de son préjudice, qui a accepté de procéder à un paiement en dehors du service de paiement sécurisé mis en place par le site Leboncoin, à un destinataire inconnu.
PAR CES MOTIFS
La Cour statuant dans les limites de sa saisine, en dernier ressort, de manière contradictoire, par mise à disposition au greffe,
Confirme le jugement déféré, sauf en ce qu’il a débouté Madame [P] [O] épouse [R] de sa demande en paiement dirigée contre la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel [Localité 8] 31, et qu’il l’a condamnée aux dépens de première instance ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Condamne la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel [Localité 8] 31 à payer à Madame [P] [O] épouse [R] la somme de 10 500 euros en remboursement de l’opération de paiement non-autorisée ;
Déboute Madame [P] [O] épouse [R], la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel [Localité 8] 31, et la Sa Ma French Bank de leurs demandes formées en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles d’appel ;
Condamne la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel [Localité 8] 31 aux entiers dépens de première instance et d’appel, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile ;
La Greffière La Présidente
.
Votre avis sur ce point juridique ? Une actualité ? Une recommandation ?