Cour d’appel de Rouen, 26 mars 2025, RG n° 24/02635
Cour d’appel de Rouen, 26 mars 2025, RG n° 24/02635

Type de juridiction : Cour d’appel

Juridiction : Cour d’appel de Rouen

Thématique : Responsabilité du maître d’ouvrage en matière de sous-traitance et provision pour créance impayée

Résumé

Dans cette affaire, la société de construction, désignée comme l’entrepreneur principal, a sous-traité des travaux d’implantation de pieux à une société sous-traitante, désignée comme le sous-traitant, pour le compte d’une société immobilière, désignée comme le maître d’ouvrage. Suite à des difficultés financières, l’entrepreneur principal a été placé en redressement judiciaire, puis en liquidation judiciaire.

Le sous-traitant a alors assigné le maître d’ouvrage devant le juge des référés, réclamant le paiement d’un solde de marché de 37 725 euros. Par ordonnance, le juge a condamné le maître d’ouvrage à verser cette somme au sous-traitant, ainsi que des intérêts et des frais de justice. Le maître d’ouvrage a ensuite interjeté appel de cette décision.

Dans ses conclusions, le maître d’ouvrage a contesté la décision du juge des référés, arguant que la créance du sous-traitant n’était pas sérieusement contestable. Il a également soutenu qu’il avait réglé l’intégralité de son marché à l’entrepreneur principal avant la mise en redressement judiciaire de celui-ci. De plus, il a affirmé que le sous-traitant avait renoncé à exiger une caution, ce qui aurait dû être fait selon la réglementation sur la sous-traitance.

Le sous-traitant, quant à lui, a soutenu que le maître d’ouvrage avait manqué à ses obligations en matière de sous-traitance, ce qui engageait sa responsabilité. Il a demandé la confirmation de l’ordonnance initiale, arguant qu’il n’était pas tenu de prouver que sa créance avait été admise au passif de l’entrepreneur principal.

La cour a finalement confirmé l’ordonnance du juge des référés, considérant que l’obligation du maître d’ouvrage n’était pas sérieusement contestable et qu’il devait donc payer le montant dû au sous-traitant, ainsi que des frais supplémentaires pour la procédure d’appel.

N° RG 24/02635 – N° Portalis DBV2-V-B7I-JW65

COUR D’APPEL DE ROUEN

1ERE CHAMBRE CIVILE

ARRET DU 26 MARS 2025

DÉCISION DÉFÉRÉE :

23/00930

Ordonnance du juge des référés du tribunal judiciaire de Rouen du 18 juin 2024

APPELANTE :

SCI NISEBE

RCS de Rouen 327 460 044

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée et assistée par Me Franck LANGLOIS, avocat au barreau de Rouen

INTIMEE :

SAS PIEUX OUEST

RCS de Tours 314 763 327

[Adresse 4]

[Localité 2]

représentée par Me Julie LEMAIRE ETIENNE, avocat au barreau de Rouen et assistée de Me François VACCARO, avocat au barreau de Paris plaidant par Me Margaux TOLLERON

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 20 janvier 2025 sans opposition des avocats devant Mme DEGUETTE, conseillère, rapporteur,

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de :

Mme Edwige WITTRANT, présidente de chambre

Mme Véronique BERTHIAU-JEZEQUEL, présidente de chambre

Mme Magali DEGUETTE, conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme Catherine CHEVALIER

DEBATS :

A l’audience publique du 20 janvier 2025, où l’affaire a été mise en délibéré au 26 mars 2025

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 26 mars 2025 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

signé par Mme WITTRANT, présidente de chambre et par Mme CHEVALIER, greffier présent lors de la mise à disposition.

*

* *

EXPOS » DES FAITS ET DE LA PROC »DURE

Selon offre du 30 juin 2022 et devis de travaux supplémentaires n°1 du 9 décembre 2022, la Sarl Lefort Btp a sous-traité à la Sas Pieux Ouest des travaux d’implantation de pieux au profit de la Sci Nisebe, maître d’ouvrage.

La Sarl Lefort Btp a été placée en redressement judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Rouen du 6 juin 2023. Cette procédure a été convertie en liquidation judiciaire le 3 octobre 2023.

Par acte de commissaire de justice du 30 novembre 2023, la Sas Pieux Ouest a fait assigner la Sci Nisebe devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Rouen en paiement du solde de son marché de travaux égal à 37 725 euros.

Par ordonnance du 18 juin 2024, le juge des référés a :

– au principal, renvoyé les parties à se pourvoir ainsi qu’elles aviseront,

mais, à titre provisoire,

– condamné la Sci Nisebe à payer à la Sas Pieux Ouest la somme de 37 725 euros, à titre de provisions,

– dit que cette somme portera intérêts à taux légal à compter de l’assignation, soit le 30 novembre 2023,

– condamné la Sci Nisebe à payer à la Sas Pieux Ouest la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné la Sci Nisebe aux entiers dépens.

Par déclaration du 19 juillet 2024, la Sci Nisebe a formé appel contre cette ordonnance.

Un calendrier de procédure a été notifié aux parties le 2 septembre 2024 en application des anciens articles 905 et suivants du code de procédure civile.

EXPOS » DES PR »TENTIONS ET DES MOYENS DES PARTIES

Par conclusions notifiées le 2 octobre 2024, la Sci Nisebe demande de voir en application des articles 835 alinéa 2 du code de procédure civile, 1103 et 1104 du code civil :

– infirmer/réformer l’ordonnance de référé rendue le 18 juin 2024 par le président du tribunal judiciaire de Rouen en ce qu’elle a :

. condamné la Sci Nisebe à payer à la Sas Pieux Ouest la somme de 37 725 euros à titre de provisions,

. dit que cette somme portera intérêts au taux légal à compter de l’assignation, soit le 30 novembre 2023,

. condamné la Sci Nisebe à payer à la Sas Pieux Ouest la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

. condamné la Sci Nisebe aux entiers dépens,

. débouté la Sci Nisebe de toutes ses demandes, fins et conclusions,

statuant à nouveau,

– débouter la Sas Pieux Ouest de l’intégralité de ses demandes à son encontre,

– condamner la Sas Pieux Ouest à lui payer une indemnité de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de première instance et d’appel.

Elle fait valoir que les moyens qu’elle soulève sont de nature à rendre l’obligation de la Sas Pieux Ouest sérieusement contestable.

Elle avance qu’il n’est pas établi que la créance que la Sas Pieux Ouest a déclarée entre les mains du mandataire judiciaire de la Sarl Lefort Btp aurait été admise au passif de cette dernière et qu’elle serait irrecouvrable à son encontre ; que dès lors l’intimée ne justifie pas de la recevabilité de son action et du bien-fondé de sa créance ; qu’en réponse à la motivation du premier juge, seule la vérification par le mandataire judiciaire de la créance déclarée par la Sas Pieux Ouest est de nature à établir le bien-fondé de cette créance dans son principe et son montant dès lors qu’elle-même n’a pas été partie au contrat de sous-traitance ; que le simple retard dans le paiement de cette créance ne peut autoriser la Sas Pieux Ouest à solliciter la condamnation du maître de l’ouvrage et qu’il ne pourrait se résoudre qu’en intérêts de retard.

Elle précise ensuite avoir réglé à la Sarl Lefort Btp l’intégralité de son marché, incluant les travaux réalisés par la Sas Pieux Ouest, avant que la Sarl Lefort Btp ne soit placée en redressement judiciaire.

Elle indique enfin que la Sas Pieux Ouest, qui connaît parfaitement la règlementation sur la sous-traitance, a expressément renoncé au bénéfice de la délégation de paiement qui lui était proposé aux termes de la demande d’acceptation d’un sous-traitant et d’agrément de ses conditions de paiement qu’elle a rédigée et signée avec la Sarl Lefort Btp ; que la Sas Pieux Ouest n’a pas exigé concomitamment, ni avant la réalisation et la facturation de ses travaux, la fourniture d’une caution qu’elle n’a réclamée qu’après le dépôt de bilan de la Sarl Lefort Btp ; qu’en conséquence, la Sas Pieux Ouest, qui a accepté d’exécuter les travaux sans garantie de paiement, ne peut lui reprocher de ne pas avoir exigé de la Sarl Lefort Btp la fourniture d’une caution et de lui en imputer la responsabilité sur le terrain délictuel.

Par conclusions notifiées le 16 octobre 2024, la Sas Pieux Ouest sollicite de voir en vertu des articles 14-1 de la loi du 31 décembre 1975, 835 du code de procédure civile, 1240 et 1241 du code civil :

– confirmer l’ordonnance rendue par le tribunal judiciaire de Rouen le 18 juin 2024 en ce qu’elle a :

. condamné la Sci Nisebe à payer à la Sas Pieux Ouest la somme de 37 725 euros HT à titre de provisions,

. dit que cette somme portera intérêts au taux légal à compter de l’assignation, soit le 30 novembre 2023,

. condamné la Sci Nisebe à payer à la Sas Pieux Ouest la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

. condamné la Sci Nisebe aux entiers dépens,

statuant à nouveau,

– condamner la Sci Nisebe à lui verser la somme de 37 725 euros HT, avec intérêts au taux légal à compter de la lettre de mise en demeure du 17 juillet 2023,

– débouter la Sci Nisebe de ses demandes,

– condamner la Sci Nisebe à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, en plus des entiers dépens de première instance et d’appel, dont distraction est requise au profit de Me Julie Lemaire, avocat aux offres de droit.

Elle fait valoir qu’il n’existe aucune contestation sérieuse à sa demande de condamnation provisionnelle ; que la Sci Nisebe, qui l’a agréée expressément en qualité de sous-traitant et a agréé ses conditions de paiement le 14 décembre 2022, n’a pas, en violation de l’article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975, exigé une caution auprès de la Sarl Lefort Btp, alors que la Sas Pieux Ouest ne bénéficiait pas d’une délégation de paiement ; que cette faute engage la responsabilité de la Sci Nisebe ; que la tentative d’inversion de la charge de la vérification de l’existence d’une caution initiée par cette dernière est vaine.

Elle répond à la Sci Nisebe qu’il importe peu qu’un courrier du mandataire judiciaire inscrivant sa créance au passif de la Sarl Lefort Btp soit versé aux débats, la déclaration de créance à la procédure collective de l’entreprise principale n’étant pas une condition de recevabilité de l’action délictuelle en responsabilité du maître de l’ouvrage engagée sur le fondement de l’article 14-1 précité ; qu’aucune renonciation expresse ou tacite de sa part à la protection de ses droits ne peut être utilement invoquée en matière de responsabilité délictuelle ; que l’appelante confond les articles 14 et 14-1 de la loi du 31 décembre 1975 ; qu’enfin, le règlement du marché de la Sarl Lefort Btp par la Sci Nisebe est sans incidence sur les manquements de cette dernière à ses obligations.

Pour un plus ample exposé des faits et des moyens, il est renvoyé aux écritures des parties ci-dessus.

La clôture de l’instruction a été ordonnée le 20 janvier 2025.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe,

Confirme l’ordonnance entreprise,

Y ajoutant,

Condamne la Sci Nisebe à payer à la Sas Pieux Ouest la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d’appel,

Déboute les parties du surplus des demandes,

Condamne la Sci Nisebe aux dépens d’appel, avec bénéfice de distraction au profit de Me Julie Lemaire, avocate, en application de l’article 699 du code de procédure civile.

Le greffier, La présidente de chambre,

 


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