Cour d’appel de Rouen, 26 mars 2025, RG n° 23/03473
Cour d’appel de Rouen, 26 mars 2025, RG n° 23/03473

Type de juridiction : Cour d’appel

Juridiction : Cour d’appel de Rouen

Thématique : Responsabilité décennale et garanties d’assurance en construction

Résumé

Le 26 octobre 2009, un acheteur et son épouse ont signé un contrat de construction d’une maison individuelle avec la société Constructions Traditionnelles du Val de Loire (Ctvl). Le 21 mai 2010, ils ont acquis un terrain à bâtir auprès d’une société foncière, et les travaux ont été réceptionnés sans réserve le 15 décembre 2011. Cependant, le 27 mai 2015, des problèmes sont apparus, notamment la présence d’eau dans le vide sanitaire et des désordres d’altimétrie. Les propriétaires ont alors déclaré un sinistre à leur assureur dommages-ouvrage, la Smabtp, qui a refusé de garantir les travaux en raison de l’absence de responsabilité décennale des constructeurs.

Suite à une ordonnance du juge des référés, une expertise a été ordonnée, et la société Ctvl a été placée en liquidation judiciaire le 19 mai 2016. Les propriétaires ont assigné la Smabtp et un autre assureur devant le tribunal de grande instance de Rouen pour obtenir réparation de leurs préjudices. Le 17 juillet 2023, le tribunal a reconnu la responsabilité de la Smabtp pour les désordres et a condamné cette dernière à indemniser les propriétaires, tout en rejetant certaines de leurs demandes, notamment celle de démolition et reconstruction de la maison.

Les propriétaires ont interjeté appel, demandant la confirmation de la garantie décennale et l’indemnisation de l’ensemble de leurs préjudices. La Smabtp a également appelé en garantie la société Infra Services, responsable de la conception du lotissement. Les parties ont présenté des arguments contradictoires concernant la nature des désordres, la responsabilité des assureurs et le montant des indemnités. La Smabtp a soutenu que les désordres ne compromettaient pas la solidité de l’ouvrage, tandis que les propriétaires ont insisté sur la nécessité de démolition et reconstruction en raison de l’ampleur des désordres.

N° RG 23/03473 – N° Portalis DBV2-V-B7H-JPPD

COUR D’APPEL DE ROUEN

1ERE CHAMBRE CIVILE

ARRET DU 26 MARS 2025

DÉCISION DÉFÉRÉE :

20/03810

Tribunal judiciaire de Rouen du 17 juillet 2023

APPELANTS :

Madame [L] [P] épouse [U]

née le 30 juillet 1976 à [Localité 12] (Algérie)

[Adresse 2]

[Localité 10]

comparante, représentée et assistée par Me Florence DELAPORTE, avocat au barreau de Rouen

Monsieur [F] [U]

né le 1er avril 1975 à [Localité 9] (Algérie)

[Adresse 2]

[Localité 10]

représenté et asssté par Me Florence DELAPORTE, avocat au barreau de Rouen

INTIMEES :

SAS INFRA SERVICES

RCS de Rouen 439 034 851

[Adresse 3]

[Localité 6]

représentée et assistée par Me Nasser MERABET de la SELARL CCBS, avocat au barreau de Rouen

Samcv SMABTP

RCS de Paris 775 684 764

[Adresse 7]

[Localité 5]

représentée par Me Caroline SCOLAN de la SELARL GRAY SCOLAN, avocat au barreau de Rouen et assistée de Me Laure VALLET, avocat au barreau de Rouen

SA ABEILLE IARD ET SANTE

RCS de Nanterre 306 522 665

[Adresse 1]

[Localité 8]

représentée et assistée par Me Joël CISTERNE de la SCP CISTERNE AVOCATS, avocat au barreau de Rouen

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 20 janvier 2025 sans opposition des avocats devant Mme DEGUETTE, conseillère, rapporteur,

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de :

Mme Edwige WITTRANT, présidente de chambre

Mme Véronique BERTHIAU-JEZEQUEL, présidente de chambre

Mme Magali DEGUETTE, conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme Catherine CHEVALIER

DEBATS :

A l’audience publique du 20 janvier 2025, où l’affaire a été mise en délibéré au 26 mars 2025

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 26 mars 2025 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

signé par Mme WITTRANT, présidente de chambre et par Mme CHEVALIER, greffier présent lors de la mise à disposition.

*

* *

EXPOS » DES FAITS ET DE LA PROC »DURE

Le 26 octobre 2009, M. [F] [U] et Mme [L] [P] son épouse ont conclu avec la société Constructions Traditionnelles du Val de Loire (Ctvl) un contrat de construction d’une maison individuelle avec fourniture de plan.

Le 21 mai 2010, M. et Mme [U] ont acquis une parcelle de terrain à bâtir auprès de la Snc Foncier Conseil exerçant sous l’enseigne Nexity, située [Adresse 14] et constituant le lot 27 du lotissement [Adresse 13], lequel a été conçu par la Sas Infra Services.

Les travaux ont été réceptionnés sans réserve selon procès-verbal du 15 décembre 2011.

Le 27 mai 2015, M. et Mme [U], se plaignant notamment de la présence permanente d’eau dans le vide sanitaire qui débordait sur leur terrain, de l’encaissement de leur maison par rapport aux parcelles voisines et d’un problème d’altimétrie, ainsi que de la présence de regards concernant les propriétaires voisins sur leur terrain, ont adressé par le biais de leur avocat une déclaration de sinistre à la Smabtp, assureur dommages-ouvrage.

Après expertise amiable, celle-ci leur a notifié sa position de non-garantie le

24 juillet 2015 pour absence d’engagement de la responsabilité décennale des constructeurs.

Par ordonnance du 10 décembre 2015, le juge des référés du tribunal de grande instance de Rouen a fait droit à la demande d’expertise présentée par M. et Mme [U] au contradictoire des sociétés Ctvl, Foncier Conseil, et des assureurs Smabtp, assureur dommages-ouvrage et assureur de la société Ctvl, et Aviva Assurances, assureur de la société Ctvl. Il a désigné M. [C] [W] pour y procéder. Cette mesure a été étendue à la Sas Infra Services par ordonnance du

13 octobre 2016.

Le 19 mai 2016, la société Ctvl a été placée en liquidation judiciaire.

Par actes d’huissier de justice des 22 et 23 décembre 2016, M. et Mme [U] ont fait assigner la Smabtp, assureur dommages-ouvrage et assureur de la société Ctvl, et la société Aviva Assurances, assureur de la société Ctvl, devant le tribunal de grande instance de Rouen en indemnisation de leurs préjudices.

Suivant exploit du 24 septembre 2020, la Smabtp a appelé en garantie la Sas Infra Services.

L’expert judiciaire a établi son rapport d’expertise le 24 novembre 2020.

Par jugement du 17 juillet 2023, le tribunal judiciaire de Rouen a :

– dit que la Smabtp est tenue à garantir M. et Mme [U] du fait des désordres de nature décennale affectant l’immeuble situé à [Adresse 11],

– rejeté les demandes à l’encontre de la société Abeille Iard et Santé,

– rejeté la demande tendant à voir ordonner la démolition et la reconstruction de la maison de M. et Mme [U], située [Adresse 2] à [Localité 10],

– condamné la Smabtp à payer à M. et Mme [U] la somme de 40 365 euros TTC au titre de la reprise des désordres,

– condamné la Smabtp à payer à M. et Mme [U] la somme de 2 018,25 euros TTC au titre de l’assurance dommages-ouvrage,

– condamné la Smabtp à payer à M. et Mme [U] les sommes de :

. 30 000 euros au titre du préjudice de jouissance,

. 1 000 euros au titre du préjudice de jouissance pendant la durée des travaux,

dans les limites du plafond de garanties figurant à la police d’assurance, dont il appartiendra à la Smabtp de démontrer le montant au jour de la présente décision,

– rejeté la demande au titre du préjudice moral,

– condamné la Sas Infra Services à garantir et relever indemne la Smabtp à hauteur de 10 % des sommes mises à sa charge en exécution de la présente décision,

– dit que les intérêts dus pour plus d’une année se capitaliseront,

– ordonné l’exécution provisoire,

– condamné in solidum la Smabtp et Infra Services aux entiers dépens, en ce compris le coût de l’expertise judiciaire et les dépens de la procédure de référé-expertises,

– autorisé Me Florence Delaporte, avocat, à recouvrer directement contre la Smabtp et Infra Services ceux des dépens dont elle a fait l’avance sans avoir reçu provisions,

– condamné in solidum la Smabtp et Infra Services à payer à M. et Mme [U] la somme de 8 915,64 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné M. et Mme [U] à payer à la société Abeille Iard et Santé la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration du 19 octobre 2023, M. et Mme [U] ont formé un appel contre ce jugement uniquement à l’encontre de la Smabtp, ès qualités et de la société Abeille Iard et Santé, nouvelle dénomination de la société Aviva Assurances, assureur de la société Ctvl.

Par exploit du 10 avril 2024, la Smabtp a fait assigner la Sas Infra Services en appel provoqué.

EXPOS » DES PR »TENTIONS ET DES MOYENS DES PARTIES

Par conclusions notifiées le 17 décembre 2024, M. [F] [U] et Mme [L] [P], son épouse, demandent de voir en application des articles 1792 et suivants, 1604, et 1147 ancien du code civil, L.124-3, L.242-1, et A.243-1 du code des assurances :

– confirmer le jugement rendu le 17 juillet 2023 par le tribunal judiciaire de Rouen en ce qu’il a :

. retenu l’application de la garantie décennale et la qualification de désordres de nature décennale affectant l’immeuble de M. et Mme [U],

. condamné la Smabtp à garantir M. et Mme [U] du fait de ces désordres,

. dit que les intérêts dus pour plus d’une année se capitaliseront,

– infirmer le jugement pour le surplus,

statuant à nouveau,

– condamner in solidum la Smabtp, ès qualités d’assureur dommages-ouvrage et d’assureur de garantie décennale de la société Ctvl, et la société Abeille Iard et Santé, ès qualités d’assureur de la société Ctvl, à les indemniser de l’ensemble des préjudices matériels et immatériels qu’ils ont subis en réparation des désordres affectant leur immeuble,

– ordonner la démolition et la reconstruction de leur maison litigieuse avec toutes suites et conséquences de droit,

– condamner in solidum la Smabtp, ès qualités d’assureur dommages-ouvrage et d’assureur de garantie décennale de la société Ctvl, et la société Abeille Iard et Santé, ès qualités d’assureur de la société Ctvl, à leur régler la somme de

300 000 euros, avec indexation sur l’indice BT01 à compter de la date du dépôt du rapport d’expertise judiciaire de M. [W], en réparation de leurs préjudices matériels et de la démolition et de la reconstruction de leur maison, sur le fondement des articles L.124-3 du code des assurances, 1792 et suivants du code civil pour la Smabtp et la société Abeille Iard et Santé, toutes deux ès qualités d’assureurs de la société Ctvl, et des articles L.242-1, A.243-1, et L.124-3 du code des assurances pour la Smabtp, ès qualités d’assureur dommages-ouvrage de l’opération,

– condamner la Smabtp, ès qualités d’assureur dommages-ouvrage et d’assureur de la société Ctvl, et la société Abeille Iard et Santé, ès qualités d’assureur de la société Ctvl, à leur régler la somme de 45 000 euros (soit 15 % du montant des travaux) au titre du coût de la maîtrise d »uvre des travaux de démolition et reconstruction de la maison,

à titre subsidiaire et si la cour d’appel ne devait pas retenir la qualification de désordres de nature décennale,

– juger que la société Ctvl est responsable sur le fondement de l’article 1604 du code civil et, subsidiairement, de l’article 1147 ancien du même code civil, de l’ensemble des désordres qu’ils ont subis sur leur maison,

– condamner in solidum la Smabtp et la société Abeille Iard et Santé, toutes deux ès qualités d’assureur de la société Ctvl, à les indemniser de l’ensemble de leurs préjudices matériels et immatériels,

– condamner in solidum la Smabtp, ès qualités d’assureur de garantie décennale de la société Ctvl, et la société Abeille Iard et Santé, ès qualités d’assureur de la société Ctvl, à leur régler la somme de 300 000 euros, avec indexation sur l’indice BT01 à compter de la date du dépôt du rapport d’expertise de M. [W] au titre de la réparation du préjudice matériel,

– condamner la Smabtp, ès qualités d’assureur dommages-ouvrage et d’assureur de la société Ctvl, et la société Abeille Iard et Santé, ès qualités d’assureur de la société Ctvl, à leur régler la somme de 45 000 euros (soit 15 % du montant des travaux) au titre du coût de la maîtrise d »uvre des travaux de démolition et reconstruction de la maison,

en tout état de cause,

– condamner in solidum la Smabtp, ès qualités d’assureur dommages-ouvrage, et la société Abeille Iard et Santé, ès qualités d’assureur de la société Ctvl, à leur régler la somme de 6 000 euros au titre de l’assurance dommages-ouvrage à l’occasion des travaux de démolition et de reconstruction de l’immeuble,

– condamner in solidum la Smabtp, ès qualités d’assureur dommages-ouvrage et d’assureur de la société Ctvl, et la société Abeille Iard et Santé, ès qualités d’assureur de la société Ctvl, à leur régler les sommes suivantes :

¿ 234 750 euros au titre du préjudice de jouissance subi depuis l’entrée dans les lieux, sauf à parfaire pour la période postérieure au 31 décembre 2024,

¿ 1 500 euros par mois au titre du préjudice de jouissance postérieurement au

31 décembre 2024 et jusqu’à ce qu’ils puissent bénéficier d’un logement pour leur famille, exempt de désordres, après exécution des travaux,

¿ 60 000 euros au titre des frais de relogement,

– condamner in solidum la Smabtp, ès qualités d’assureur dommages-ouvrage et d’assureur de la société Ctvl, et la société Abeille Iard et Santé, ès qualités d’assureur de la société Ctvl, à les indemniser de l’intégralité de leurs préjudices immatériels, sans possibilité d’opposer un plafond de garantie ou une franchise et à leur régler la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du temps consacré aux réunions d’expertise,

– condamner la Smabtp à leur régler la somme de 60 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice moral,

– condamner in solidum la Smabtp, ès qualités d’assureur dommages-ouvrage et d’assureur de la société Ctvl, et la société Abeille Iard et Santé, ès qualités d’assureur de la société Ctvl, à leur régler la somme de 3 515,64 euros au titre du coût des frais d’assistance technique de Mme [X] [T], architecte Dplg,

– débouter la Smabtp, ès qualités d’assureur dommages-ouvrage et d’assureur de la société Ctvl, et la société Abeille Iard et Santé, ès qualités d’assureur de la société Ctvl, de toutes leurs demandes,

– infirmer le jugement en ce qu’il les a condamnés in solidum à payer à la société Abeille Iard et Santé la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner in solidum la Smabtp, ès qualités d’assureur dommages-ouvrage et d’assureur de garantie décennale de la société Ctvl, et la société Abeille Iard et Santé, ès qualités d’assureur de la société Ctvl, à leur régler la somme de

40 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner in solidum la Smabtp, ès qualités d’assureur dommages-ouvrage et d’assureur de la société Ctvl, et la société Abeille Iard et Santé, ès qualités d’assureur de la société Ctvl, aux dépens de première instance, y compris les dépens de la procédure de référé-expertise, les frais d’expertise judiciaire de

M. [W], et aux dépens d’appel, dont distraction est requise au bénéfice de

Me Florence Delaporte Janna, avocat au barreau de Rouen.

Ils soulignent que, si le tribunal a retenu la garantie de la Smabtp, assureur dommages-ouvrage, il est resté taisant sur la garantie de la Smabtp, assureur de la société Ctvl, malgré leurs demandes en ce sens.

Ils font valoir que leur action en garantie décennale des constructeurs est fondée ; que la notion d’ouvrage ne peut être mise en cause s’agissant en l’espèce d’un dispositif de construction, d’assainissement de la construction, et de gestion des eaux pluviales inclus dans l’assiette du constructeur Ctvl et de l’assureur dommages-ouvrage ; que les erreurs d’implantation constituent un désordre de nature décennale comme l’affirme la Cour de cassation ; qu’en réponse à la Smabtp qui le dénie, l’engorgement général du terrain ne permet pas un usage normal de l’habitation, le vide sanitaire, également gorgé d’eau, déborde sur le terrain en permanence, les fondations de la maison baignent dans l’eau, et les regards enterrés sont totalement engorgés notamment les regards techniques (eau, téléphone,…) ; que ces désordres rendent les ouvrages impropres à leur destination et portent atteinte à leur solidité et qu’ils sont imputables à la société Ctvl, chargée d’un contrat complet de construction de maison individuelle.

Ils en déduisent que la Smabtp, assureur dommages-ouvrage et assureur de responsabilité décennale de la société Ctvl, engage sa garantie ; que celle de la Sa Abeille Iard et Santé, assureur de responsabilité décennale de la société Ctvl, l’est aussi, une double couverture d’assurance existant à la date de la déclaration d’ouverture de chantier ; que la Sa Abeille Iard et Santé n’a jamais produit la liste de l’ensemble des déclarations de chantier de la société Ctvl pour 2011 ; que la Smabtp, assureur dommages-ouvrage, qui doit collationner toutes les attestations d’assurance des intervenants à l’acte de construire pour compléter son dossier en sa qualité d’assureur de préfinancement, n’a jamais contredit le fait que la Sa Abeille Iard et Santé était aussi l’assureur de la société Ctvl.

Ils fondent leurs demandes à titre très subsidiaire sur la responsabilité contractuelle de la société Ctvl à titre principal pour les manquements à son obligation de délivrance conforme, les ouvrages construits n’étant pas conformes aux normes d’urbanisme, et, subsidiairement, pour les fautes commises au stade du dépôt du dossier de permis de construire de la conception et au stade de l’exécution des travaux.

Ils exposent qu’aucune solution technique pérenne n’est en mesure de remédier à l’absence de respect des prescriptions d’urbanisme et d’implantation de la maison qui constituent un désordre de nature décennale ; que la sanction d’une démolition/reconstruction n’apparaît pas disproportionnée au regard de la nature des désordres et du non-respect des prescriptions d’urbanisme, le simple risque de nature décennale étant retenu par la Cour de cassation qui opère un contrôle de proportionnalité au regard de la nature et de l’importance des désordres et non-conformités ; que le tribunal a considéré que la solution technique proposée par l’expert judiciaire avait reçu l’aval des autorités administratives pour la retenir au jour où il statuait, alors qu’elle est incertaine, ne permet pas la mise en conformité de l’ouvrage avec le permis de construire et les déclaration d’urbanisme, et va à l’encontre du principe de la réparation intégrale de leur préjudice né et actuel.

Ils évaluent à 300 000 euros les dommages et intérêts nécessités pour la démolition et la reconstruction de l’immeuble, incluant les honoraires de maîtrise d’oeuvre pour la demande de permis de construire, au vu du coût exposé pour la maison, de l’évaluation d’une démolition et d’une évacuation des dispositifs, et du traitement du terrain.

Ils font valoir qu’ils subissent, ainsi que leurs enfants, un préjudice de jouissance du fait des désordres depuis leur emménagement, soit après la réception le

15 décembre 2011 et dès les premières pluies, et depuis 14 ans ; qu’ils n’ont jamais pu aménager leur terrain notamment pour leurs trois enfants âgés de 4, 3, et 2 ans en 2011 ; qu’il leur a été impossible de poursuivre l’aménagement de leur maison (construction d’un garage, étage) pendant le temps de la procédure et de l’expertise au regard des frais engendrés ; que le quantum de ce préjudice doit être évalué, en partie, au regard de la valeur locative du bien, sur la base de

1 500 euros par mois à compter du 15 décembre 2011, l’indemnité allouée par le tribunal calculée sur 250 euros par mois étant insuffisante.

Ils estiment que la durée d’exécution des travaux sera au moins de 12 mois pendant lesquels ils exposeront des frais de relogement provisoire et de déménagement. Ils réclament en réparation de ce préjudice de jouissance l’octroi d’une somme de 60 000 euros qui sera également mise à la charge de la Smabtp, assureur décennal de la société Ctvl, dont la garantie a été éludée par le tribunal qui n’a évoqué que les garanties de l’assureur dommages-ouvrage.

Ils soulignent que le plafond de garantie et la franchise contractuelle de l’assureur, au titre des préjudices immatériels, n’est pas opposable dans le cadre d’un sinistre relevant de la garantie décennale des constructeurs s’agissant de préjudices consécutifs à un désordre de nature décennale, ce sur quoi le tribunal n’a pas statué ; que, si la responsabilité de la société Ctvl était retenue sur un fondement contractuel, la Smabtp n’est pas fondée à lui opposer un plafond de garantie sans contrevenir au principe de réparation intégrale des préjudices ; qu’elle n’explicite pas son calcul du plafond de garantie ; qu’à titre subsidiaire et en tout état de cause, la Smabtp sera sanctionnée pour ne pas avoir exécuté loyalement son contrat, les manquements qu’elle a commis à l’occasion de l’expertise dommages-ouvrage ayant conduit à une inflation des préjudices immatériels et des tracas qu’ils ont supportés et entraînant sa responsabilité.

Ils exposent au soutien de leur demande de réparation de leur préjudice moral qu’il ne leur appartenait pas en qualité de maîtres de l’ouvrage profanes en matière de construction de solliciter des investigations auprès de l’assureur dommages-ouvrage, mais à celui-ci de les solliciter pour obtenir un délai complémentaire d’investigation au regard des éléments produits ; qu’en effet, au regard de la configuration de la construction et du lotissement et des règles d’urbanisme, l’expert dommages-ouvrage ne pouvait ignorer la nature des problèmes techniques déclarés ; que l’assureur dommages-ouvrage n’a pas exécuté sa mission de façon loyale.

Ils soutiennent que leur demande de réparation du temps consacré aux réunions d’expertise est distinct du poste des frais irrépétibles, qu’il est légitime au regard du nombre de réunions qui se sont déroulées à leur domicile et de leur durée prise sur leurs obligations professionnelles.

Ils estiment que les frais d’assistance technique de Mme [T], architecte Dplg, lors des opération d’expertise judiciaire constituent un préjudice indemnisable conforme au principe de la réparation intégrale ; que les premiers juges n’ont pas statué sur cette demande à l’égard de la Smabtp, assureur de la société Ctvl, et de la Sa Abeille Iard et Santé et ont omis de reprendre la condamnation à ce titre de la Smabtp, assureur dommages-ouvrage, dans le dispositif.

Ils avancent que la convention d’honoraires n’est pas légalement obligatoire pour l’application de l’article 700 du code de procédure civile et que le premier juge a outrepassé sa mission ; que l’indemnité de 4 000 euros qui leur a été allouée au titre des frais irrépétibles est insuffisante au regard du travail nécessité par ce dossier, des nombreux dires, et des sept longues réunions d’expertise ; que la Smabtp a tardivement mis en cause la Sas Infra Services et sollicité la jonction qu’ils ont subie ; qu’il existe une contradiction entre les motifs et le dispositif du jugement sur les sommes de 4 000 euros et 8 915,64 euros, ainsi qu’un manque de précision sur la qualité de la Smabtp, et d’erreur car ils n’ont jamais formulé de demandes contre la Sas Infra Services.

Ils précisent que le tribunal n’a pas statué sur leur demande de condamnation aux dépens de la Smabtp, assureur de la société Ctvl, et qu’ils n’ont jamais formulé de demande à ce titre contre la Sas Infra Services.

Ils avancent enfin qu’il n’ont pas pu faire autrement que de diriger leur action à l’encontre des deux assureurs de la société Ctvl, placée en liquidation judiciaire, afin de préserver leur droit à indemnisation, qu’ils n’avaient aucun élément de garantie pour démontrer que la société Aviva Assurances n’était pas concernée par le sinistre ; que leur condamnation au titre des frais irrépétibles de la Sa Abeille Iard et Santé est injustifiée et inique au regard du contexte.

Par dernières conclusions notifiées le 10 janvier 2025, la Smabtp sollicite de voir :

– réformer le jugement rendu le 17 juillet 2023 par le tribunal judiciaire de Rouen en ce qu’il a :

. retenu que les désordres relevaient de la garantie décennale,

. condamné la Sas Infra Services à garantir la Smabtp à hauteur de 10 %,

. condamné la Smabtp à payer à M. et Mme [U] la somme de 30 000 euros au titre du préjudice de jouissance, 1 400 euros au titre du temps passé en expertise, et 3 515,64 euros au titre du coût de l’assistance d’un architecte conseil,

– confirmer le jugement en ce qu’il a :

. retenu la solution chiffrée par la société Natura pour mettre un terme aux désordres,

. jugé que la Smabtp était bien fondée à opposer, s’agissant des garanties facultatives, sa franchise contractuelle et son plafond de garantie à hauteur de

16 000 euros,

. débouté M. et Mme [U] de leur demande au titre d’un préjudice moral,

statuant à nouveau,

– condamner la Sas Infra Services à la garantir de l’ensemble des condamnations prononcées à son encontre au profit de M. et Mme [U] à hauteur de 50 % en principal, frais et accessoires,

– débouter la Sas Infra Services de l’ensemble de ses demandes,

– rejeter la demande de démolition/reconstruction et la demande au titre des frais de maîtrise d »uvre présentées par M. et Mme [U],

– débouter M. et Mme [U] de leur demande de condamnation de la Smabtp en cas de responsabilité de la société Ctvl sur le fondement de la responsabilité contractuelle,

– réduire la demande de M. et Mme [U] au titre de leur préjudice de jouissance à de plus justes proportions,

– rejeter les demandes de M. et Mme [U] au titre du temps consacré aux réunions d’expertise et au titre du remboursement des honoraires de Mme [T],

– débouter M. et Mme [U] de leur demande de démolition/reconstruction de leur maison d’habitation,

– fixer le quantum des travaux de reprise à la somme de 40 365 euros TTC,

– rejeter les demandes de M. et Mme [U] relative aux frais de relogement et au titre du temps consacré aux réunions d’expertise,

– réduire la demande de M. et Mme [U] au titre de leur préjudice moral à de plus justes proportions,

– rejeter la demande de M. et Mme [U] au titre du remboursement des honoraires de Mme [T],

– dire et juger qu’en sa qualité d’assureur dommages-ouvrage, elle est bien fondée à opposer le plafond de garantie à hauteur de 16 000 euros pour les dommages immatériels, ainsi que la franchise contractuelle à hauteur de 10 % avec un minimum de 8 statutaires, soit 10 % avec un minimum de 1 360 euros,

– dire et juger qu’en sa qualité d’assureur responsabilité civile décennale de la société Ctvl, elle est bien fondée à solliciter le rejet de toutes demandes de condamnation à son égard au titre des dommages immatériels,

– réduire la demande de M. et Mme [U] sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile à de plus justes proportions à hauteur de 5 000 euros,

– condamner tout succombant au paiement des entiers dépens au profit de la Selarl Gray Scolan, pour ceux la concernant, conformément à l’article 699 du code précité.

Elle expose que, si les stagnations d’eaux au niveau du terrain de la maison et la présence d’eau dans le vide sanitaire rendent le terrain impropre à sa destination, elles ne constituent pas des désordres de nature décennale car elles n’ont jamais entraîné d’humidité dans l’ouvrage en tant que tel, à savoir la maison, et encore moins d’infiltrations ; qu’elles ne la rendent pas impropre à sa destination, ni ne compromettent sa solidité.

Elle considère que sa garantie n’est pas mobilisable si la responsabilité de la société Ctvl était retenue sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun.

A titre subsidiaire, si la cour d’appel considérait que la cause principale de la stagnation d’eau sur le terrain des appelants provenait de l’implantation trop basse de leur maison, elle estime que la responsabilité de la Sas Infra Services est engagée à hauteur de 50 % pour défaut de conseil et de diligence pour ne pas avoir vérifié les incohérences au regard du règlement du lotissement et ne pas les avoir signalées au service instructeur ; qu’en effet, la Sas Infra Services a conçu un seul et même dispositif d’évacuation des eaux pluviales pour les 63 pavillons du lotissement alors que l’étude géotechnique avait mis en évidence des perméabilités variant dans un rapport de 1 à 2 700, que celle-ci aurait donc dû adapter les dispositifs d’évacuation des eaux pluviales selon les terrains et leur perméabilité.

Elle lui reproche également d’avoir émis un avis favorable en avril 2010 sur le dossier de permis de construire relatif au pavillon de M. et Mme [U] malgré l’implantation de la maison dont elle était informée et de ne pas avoir respecté les nombreuses prescriptions qu’elle avait elle-même établies dans la note relative à la gestion des eaux pluviales sur les parcelles privatives.

Elle répond à la Sas Infra Services que l’implantation de la maison est conforme à celle qui était prévue dans le permis de construire, notamment à la cote 112, et que cette dernière a validée ; que la canalisation qui traverse la voirie vers la noue drainante, qu’elle n’a pas réalisée, n’est pas à l’origine de la stagnation d’eau.

Elle soutient que la solution réparatoire retenue par l’expert judiciaire et chiffrée par la société Natura est la seule solution pérenne pour rejeter les eaux de ruissellement vers un exutoire ; que celle-ci, qui a été validée par la commune et par le préfet, n’exclut pas la possibilité de construire un garage et d’aménager le jardin ; que la somme réclamée de 300 000 euros est aberrante au regard des conclusions de l’expert judiciaire et n’est étayée par aucun devis ; que les appelants ne démontrent pas un quelconque risque de remise en cause des autorisations administratives données, ni même une demande qui aurait été faite en ce sens et rejetée ; que leur demande indemnitaire aux fins de démolition/reconstruction est disproportionnée au regard de la nature et de l’ampleur des désordres constatés et de la solution alternative proposée, réalisable, et validée par l’expert judiciaire.

Elle indique que les préjudices immatériels sollicités par les appelants devront être réduits à de plus justes proportions ; qu’en sa qualité d’assureur dommages-ouvrage et d’assureur responsabilité civile décennale de la société Ctvl, elle est fondée à opposer aux tiers lésés le plafond de garantie de sa police fixé à

16 000 euros et la franchise s’agissant des garanties facultatives en application de l’article L.113-5 du code des assurances ; que son refus de garantie ne peut lui être reproché dès lors que son expert n’avait pas constaté les désordres allégués en juillet 2015 ; qu’elle n’a pas manqué de loyauté dans l’exécution du contrat d’assurance et que ce n’est que l’entêtement de M. et Mme [U] qui est à l’origine de l’inflation de leur préjudice.

Elle estime que, si M. et Mme [U] ont subi des désordres, ils sont circonscrits au jardin et au vide sanitaire et n’ont pas compromis l’habitabilité de la maison ; qu’il n’existe aucune raison légitime que le préjudice de jouissance subi par les appelants débute à la réception des travaux le 15 décembre 2011, ni même au 1er juillet 2013 tel que retenu par les premiers juges, alors qu’ils se sont plaints des désordres auprès de l’assureur dommages-ouvrages le 27 mai 2015, date constituant le point de départ de leur préjudice de jouissance ; qu’au contraire, les travaux nécessaires pour mettre fin de manière pérenne aux désordres, dont la durée a été évaluée à un mois par l’expert judiciaire, mais uniquement à l’extérieur de la maison, n’entraîneront aucun préjudice de jouissance pendant leur réalisation et ne nécessiteront pas le relogement des appelants.

Elle sollicite la confirmation du rejet de la demande indemnitaire des appelants au titre d’un préjudice moral pour les motifs retenus par le tribunal. Elle ajoute que la somme réclamée à ce titre est incohérente et injustifiée eu égard à la nature des désordres qui n’affectent que le jardin ; qu’elle n’a commis aucune faute et qu’elle a dès le dépôt du rapport d’expertise judiciaire essayé de trouver une issue amiable au moins pour les préjudices matériels.

Elle conclut au rejet de la demande indemnitaire pour le temps consacré aux réunions d’expertise car les appelants ne produisent aucun justificatif sur leurs contraintes d’organisation avec leurs employeurs dans ce but, mais également au rejet de la demande de remboursement des honoraires de Mme [T] car l’expert judiciaire était tout à fait à même de remplir sa mission et Mme [T] n’a pas proposé de solution de reprise.

Elle avance que, si ce dossier a justifié de nombreux dires et réunions d’expertise, la demande de M. et Mme [U] fondée sur l’article 700 du code de procédure civile est prohibitive ; qu’ils n’ont pas communiqué leurs factures acquittées pour justifier de leur préjudice ; que l’indemnité au titre de ce texte ne doit pas causer un enrichissement sans cause ; qu’à défaut de justificatifs, l’indemnité de

4 000 euros allouée par le tribunal sera confirmée.

Par conclusions notifiées le 23 décembre 2024, la Sa Abeille Iard et Santé, anciennement dénommée Aviva Assurances, demande de voir en vertu des articles 32, 695, 696, 699 et 700 du code de procédure civile :

– confirmer la décision dont appel en ce qu’elle a rejeté les demandes de M. et Mme [U] à son encontre et les a condamnés à lui payer la somme de

1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile

– débouter en conséquence M. et Mme [U] de leur appel à son encontre,

– condamner M. et Mme [U] à lui payer une somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, en plus de tous les dépens dont distraction au profit de la Scp Cisterne Avocats, avocat, aux offres de droit.

Elle fait valoir qu’elle a toujours soutenu qu’elle n’assurait pas la responsabilité de la société Ctvl qui ne lui avait pas déclaré le chantier de M. et Mme [U] en contravention des conditions particulières de la police multirisques constructeur de maisons individuelles Intégral rappellées dans l’attestation d’assurance pour 2011 versée aux débats par les appelants ; que ceux-ci n’ont pas reçu les documents personnalisés constituant la preuve de l’octroi de sa garantie au profit de leur chantier ; qu’ils ont été informés de l’absence de garantie pour ce motif par un dire adressé dès le 13 juin 2017 à l’expert judiciaire.

Elle ajoute qu’il n’avait pas échappé aux appelants que la Smabtp n’avait jama

 


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