Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Rouen
Thématique : Validité des Décomptes dans les Marchés de Construction
→ RésuméLe 18 janvier 2018, une société de construction (le vendeur) a conclu un contrat avec une société de construction (l’acheteur) pour la réalisation du lot n°1 d’un projet immobilier à Isneauville, pour un montant initial de 1 199 400 euros TTC. Ce montant a été révisé par un avenant le 20 mars 2018, portant le total à 1 210 063,57 euros TTC. La réception des travaux a eu lieu le 18 mars 2019, mais avec des réserves.
Le 21 juillet 2021, l’acheteur a assigné le vendeur devant le tribunal judiciaire de Rouen pour obtenir le paiement d’un solde de 10 174,21 euros. Le 18 septembre 2023, le tribunal a condamné le vendeur à verser cette somme, ainsi que 2 500 euros pour frais irrépétibles, et a débouté les parties de toute autre demande. Le vendeur a interjeté appel le 9 octobre 2023. Prétentions et moyens des parties Dans ses conclusions, le vendeur a demandé l’infirmation du jugement, arguant que la situation n°11 du 28 février 2019 ne constituait pas un décompte général et définitif, car la réception des travaux avait été faite avec réserves. Il a également contesté les retenues opérées par l’acheteur pour des frais de gardiennage et d’autres dépenses. De son côté, l’acheteur a soutenu que le vendeur n’avait pas contesté le décompte dans le délai imparti et a demandé la confirmation du jugement, ainsi que des intérêts sur le montant dû. Décision de la cour La cour a confirmé le jugement en ce qui concerne le paiement du solde, mais a infirmé le rejet des demandes d’intérêts de l’acheteur. Elle a ordonné la capitalisation des intérêts et a condamné le vendeur à payer 3 000 euros pour les frais d’appel. Les dépens ont été mis à la charge du vendeur, avec bénéfice de distraction au profit de l’avocat de l’acheteur. |
N° RG 23/03344 – N° Portalis DBV2-V-B7H-JPGH
COUR D’APPEL DE ROUEN
1ERE CHAMBRE CIVILE
ARRET DU 26 MARS 2025
DÉCISION DÉFÉRÉE :
21/02860
Tribunal judiciaire de Rouen du 18 septembre 2023
APPELANTE :
SCCV PIERRE DE SEINE ISNEAUVILLE
RCS de Rouen 825 124 910
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Caroline SCOLAN de la SELARL GRAY SCOLAN, avocat au barreau de Rouen et assistée de Me Franck GOMOND, avocat au barreau de Rouen plaidant par Me DE COLNET
INTIMEE :
SAS AXL CONSTRUCTIONS
RCS de Bernay 750 203 879
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée et assistée par Me Laurent SPAGNOL de la SCP SPAGNOL DESLANDES MELO, avocat au barreau de l’Eure
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 13 janvier 2025 sans opposition des avocats devant Mme DEGUETTE, conseillère, rapporteur,
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de :
Mme Edwige WITTRANT, présidente de chambre
Mme Véronique BERTHIAU-JEZEQUEL, présidente de chambre
Mme Magali DEGUETTE, conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme Catherine CHEVALIER
DEBATS :
A l’audience publique du 13 janvier 2025, où l’affaire a été mise en délibéré au 26 mars 2025
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 26 mars 2025 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,
signé par Mme WITTRANT, présidente de chambre et par Mme CHEVALIER, greffier présent lors de la mise à disposition.
*
* *
EXPOS » DES FAITS ET DE LA PROC »DURE
Suivant marché du 18 janvier 2018, la Sccv Pierre de Seine Isneauville a confié à la Sas Axl Constructions le lot n°1 terrassement-fondations-gros-‘uvre du projet de construction d’un immeuble de bureaux à Isneauville (76), moyennant le prix de 1 199 400 euros TTC.
La maîtrise d »uvre a été confiée à la société Artefact.
Par avenant n°01 du 20 mars 2018, le marché a été porté à la somme de
1 210 063,57 euros TTC, selon devis du 26 janvier 2018.
La réception du lot n°1 est intervenue le 18 mars 2019 avec des réserves.
Par acte d’huissier de justice du 21 juillet 2021, la Sas Axl Constructions a fait assigner la Sccv Pierre de Seine Isneauville devant le tribunal judiciaire de Rouen en paiement du solde de son marché de 10 174,21 euros.
Par jugement du 18 septembre 2023, le tribunal a :
– condamné la Sccv Pierre de Seine Isneauville à verser à la Sas Axl Constructions une somme de 10 174,21 euros et l’a déboutée de ses demandes de surplus au titre des intérêts,
– condamné la Sccv Pierre de Seine Isneauville à verser à la Sas Axl Constructions une somme de 2 500 euros au titre de ses frais irrépétibles,
– condamné la Sccv Pierre de Seine Isneauville aux entiers dépens avec droit de recouvrement direct au profit de la Scp Spagnol Deslandes Melo,
– débouté les parties de toute autre demande non satisfaite,
– rappelé le caractère exécutoire de droit de la décision.
Par déclaration du 9 octobre 2023, la Sccv Pierre de Seine Isneauville a formé un appel contre ce jugement.
EXPOS » DES PR »TENTIONS ET DES MOYENS DES PARTIES
Par dernières conclusions notifiées le 27 juin 2024, la Sccv Pierre de Seine Isneauville demande de voir :
– infirmer le jugement du 18 septembre 2023 en ce qu’il a :
. condamné la société Pierre de Seine Isneauville à verser à la Sas Axl Constructions une somme de 10 174,21 euros et l’a déboutée de ses demandes de surplus au titre des intérêts,
. condamné la société Pierre de Seine Isneauville à verser à la Sas Axl Constructions une somme de 2 500 euros au titre de ses frais irrépétibles,
. condamné la société Pierre de Seine Isneauville aux entiers dépens avec droit de recouvrement direct au profit de la Scp Spagnol Deslandes Melo,
. débouté les parties de toute autre demande non présentement satisfaite,
statuant à nouveau,
– débouter la Sas Axl Constructions de toutes ses demandes,
– condamner la Sas Axl Constructions à lui régler la somme de 8 480,42 euros au titre des frais de gardiennage avancés par cette dernière et celle de 5 000 euros à titre de frais irrépétibles, outre tous les dépens de première instance et d’appel que la Selarl Gray Scolan, avocats associés, sera autorisée à recouvrer pour ceux la concernant conformément à l’article 699 du code de procédure civile.
Elle fait valoir que la situation n°11 du 28 février 2019 de la Sas Axl Constructions ne constitue pas son décompte général et définitif dès lors que la réception n’est intervenue avec réserves que le 18 mars 2019 et que ce décompte était soumis aux dispositions de la norme NF P 03-001 et du Cahier des clauses administratives générales et techniques 2005 (CCAG), notamment au délai de notification du Dgd dans les 60 jours à compter de la réception ; que la Sas Axl Constructions ne peut donc pas se prévaloir du délai de contestation du Dgd de 45 jours par le maître de l’ouvrage pour en conclure qu’il est définitif ; que cette dernière a reconnu dans un courriel du 4 septembre 2019 qu’aucun Dgd n’avait été établi.
Elle ajoute en tout état de cause que le tampon ‘reçu le 5 mars 2019’ et la signature apposée au-dessus de la date du 7 mars 2019, figurant sur la situation n°11, ne sont pas identifiables et ne correspondent pas à ceux mentionnés sur sa situation n°1, que la preuve d’une réception par ses soins de ce document le 5 mars 2019 n’est pas apportée ; que la situation n°11 est une situation de travaux et non un Dgd ; qu’elle a parfaitement respecté la procédure d’établissement du mémoire définitif au contraire de la Sas Axl Constructions et était donc en mesure de contester les prétentions de cette dernière n’ayant pas établi de Dgd.
Elle estime qu’après règlement de la somme de 15 090,92 euros, il reste un delta de 9 293,24 euros réclamé par la Sas Axl Constructions, et non de 10 174,21 euros ; que les retenues qu’elle a opérées au titre des frais de gardiennage Gips de 535,20 euros, de la reprise des enrobés de parking de 3641 euros, de la moins-value sur les soubassements de 5 242 euros, de la facture Le Toucan de 576 euros, et de la non-prise en charge de comptes prorata Fermatic de 180 euros et Natura de 216 euros sont fondées.
Elle expose que le solde des frais de gardiennage qu’elle a avancés du 31 décembre 2018 au 28 février 2019 à hauteur de 8 480,42 euros, après déduction de la retenue de 535,20 euros, doit lui être remboursé, que ces frais incombaient normalement au compte prorata dont la gestion était imputable à la Sas Axl Constructions, titulaire du lot n°1, à charge pour elle de les répercuter sur les entreprises conformément aux stipulations du CCAG et du CCTP.
Elle considère que, si le jugement critiqué était confirmé, il serait inéquitable de faire droit à l’appel incident de l’intimée relatif au paiement des intérêts et à leur capitalisation.
Par conclusions notifiées le 17 décembre 2024, la Sas Axl Constructions sollicite de voir en application des articles 1103, 1231 et suivants du code civil :
– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a condamné la Sccv Pierre de Seine Isneauville à payer à la Sas Axl Constructions la somme de 10 174,21 euros,
– infirmer partiellement ce jugement et y ajoutant,
– recevoir la Sas Axl Constructions en son appel incident,
– ordonner la majoration du montant des condamnations prononcées en sa faveur des intérêts au taux de refinancement majoré de 10 points à compter du 8 novembre 2019, date de la mise en demeure infructueuse adressée à la défenderesse,
– ordonner la capitalisation des intérêts conformément à l’article 1343-2 du code civil, en ce qui concerne les intérêts ayant couru depuis la demande,
– débouter la Sccv Pierre de Seine Isneauville de ses demandes à son encontre,
– condamner la Sccv Pierre de Seine Isneauville à lui payer la somme de 4 000 euros en couverture de ses frais irrépétibles en application de l’article 700 du code de procédure civile, en plus des entiers dépens avec droit de recouvrement direct au profit de la Scp Spagnol Deslandes Melo en application de l’article 699 du code précité.
Elle fait valoir que la Sccv Pierre de Seine Isneauville n’a pas contesté, dans le délai de 45 jours de sa réception prévu par la norme NF P 03-001, sa situation n°11 du 28 février 2019 valant Dgd qu’elle lui a adressée par lettre recommandée avec accusé de réception ; que l’appelante n’était plus en mesure de le contester depuis le 22 avril 2019 et devait en assumer le paiement ; qu’à la lecture du courrier du maître d’oeuvre du 17 février 2020 dont l’objet est ‘DGD’, ce document doit être considéré comme un Dgd ; que, même si la date de réception des travaux était le point de départ du délai de 60 jours, le maître de l’ouvrage et le maître d’oeuvre ont reconnu l’existence du Dgd.
Elle précise que, dans son courriel du 4 septembre 2019, elle a fait part de sa volonté d’établir le décompte final, et non pas le Dgd, pour une raison purement comptable dans la mesure où ses comptes annuels sont arrêtés au 30 septembre de chaque année ; que le tampon ‘reçu le 5 mars 2019’ est celui du maître de l’ouvrage conformément aux modalités prévues dans le marché de travaux qui précisaient que les situations de travaux présentées au maître d’oeuvre étaient intitulées aux nom et à l’adresse du maître de l’ouvrage ; que l’appelante détourne le sens du courrier de contestation du 17 septembre 2019 pour laisser penser que le Dgd a été adressé par le maître d’oeuvre le 13 septembre 2019.
Elle ajoute en tout état de cause que, même si ce document du 28 février 2019 n’était pas considéré comme un Dgd, la Sccv Pierre de Seine Isneauville n’y a pas répondu dans le délai de 30 jours qui lui était imparti pour lui notifier, en réponse au projet de décompte final de soumettre au maître d’oeuvre pour examen et vérification, le projet de Dgd éventuellement rectifié ; qu’en conséquence cette absence de réponse dans ce délai équivaut à l’acceptation du décompte sans recours possible.
Elle expose surabondamment que les retenues opérées par la Sccv Pierre de Seine Isneauville sont irrecevables et infondées, le délai pour contester le Dgd étant expiré depuis le 22 mai 2019 ; qu’aucun gardiennage n’était contractuellement prévu à l’occasion de la réalisation de son lot ; qu’elle a directement contesté le souhait du maître de l’ouvrage de mettre en place ce gardiennage ; que, même si le CCAG prévoyant de tels frais lui était opposable, ce n’est qu’après la réalisation de son lot que la société de gardiennage est intervenue et cette dépense n’a pas été validée par le compte inter-entreprise ; qu’elle n’a donc pas à supporter ces frais.
Pour un plus ample exposé des faits et des moyens, il est renvoyé aux écritures des parties ci-dessus.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire, mis à disposition,
Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu’il a débouté la Sas Axl Constructions de ses demandes de surplus au titre des intérêts,
L’infirme de ce chef,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Dit que les intérêts courront sur la somme de 10 174,21 euros au taux d’intérêt directeur correspondant au taux de refinancement majoré de dix points à compter du 21 juillet 2021,
Ordonne la capitalisation des intérêts moratoires année par année,
Condamne la Sccv Pierre de Seine Isneauville à payer à la Sas Axl Constructions la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d’appel,
Déboute les parties du surplus des demandes,
Condamne la Sccv Pierre de Seine Isneauville aux dépens d’appel, avec bénéfice de distraction au profit de la Scp Spagnol Deslandes Melo, avocats, en application de l’article 699 du code de procédure civile.
Le greffier, La présidente de chambre,
Votre avis sur ce point juridique ? Une actualité ? Une recommandation ?