Cour d’appel de Reims, 25 mars 2025, RG n° 24/01268
Cour d’appel de Reims, 25 mars 2025, RG n° 24/01268

Type de juridiction : Cour d’appel

Juridiction : Cour d’appel de Reims

Thématique : Indemnisation pour perte de chance : évaluation et conséquences financières.

Résumé

L’affaire concerne un appel d’offres lancé par l’Agence pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) pour la fourniture de brosseries. La date limite de soumission des candidatures était fixée au 8 décembre 2017. La société de fournitures, représentée par la SA Etablissements Ridremont et la Brosserie Nouvelle réunis (ERBNR), a vu sa candidature rejetée par l’AFPA, qui a invoqué un retard dans l’acheminement de la lettre de candidature. En conséquence, la société ERBNR a assigné la SA La Poste, responsable de l’acheminement, devant le tribunal de commerce de Sedan pour obtenir réparation du préjudice subi.

Le juge des référés a ordonné une expertise pour déterminer la date de réception de la candidature par l’AFPA et les responsabilités en jeu. Suite à cette expertise, la société ERBNR a poursuivi La Poste en réparation de son préjudice. La Poste a ensuite demandé l’intervention de l’AFPA dans la procédure. Par un jugement du 15 février 2022, le tribunal a condamné La Poste à verser des dommages-intérêts à la société ERBNR, tout en déclarant irrecevable la demande d’intervention de l’AFPA.

La Poste a interjeté appel de ce jugement. La cour d’appel de Reims a confirmé partiellement la décision, en augmentant le montant des dommages-intérêts à verser à la société ERBNR, mais a infirmé d’autres aspects. La Poste a ensuite formé un pourvoi en cassation, qui a partiellement abouti, entraînant un renvoi de l’affaire devant la cour d’appel.

Lors de la nouvelle audience, la cour a évalué le préjudice de la société ERBNR à 51 386 euros, en tenant compte de la perte de chance de remporter le marché. La Poste a été condamnée à verser cette somme, ainsi que des frais irrépétibles à la société ERBNR et à l’AFPA, tout en étant déboutée de ses propres prétentions.

R.G : 24/01268 – N° Portalis DBVQ-V-B7I-FQ5Y

ARRET N°

du : 25 mars 2025

S.A. LA POSTE

C/

AGENCE NATIONALE POUR LA FORMATION PROFFESSIONNELL (AFPA)

S.A. ETS RIDREMONT ET BROSSERIE NOUVELLE REUNIS

Formule exécutoire:

la SELARL JURILAW AVOCATS CONSEILS

la SCP LACOURT ET ASSOCIES

COUR D’APPEL DE REIMS

CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE

ARRET DU 25 MARS 2025

RENVOI DE CASSATION

PARTIES EN CAUSE :

ENTRE:

La société La Poste, société immatriculée au registre du commerce et des sociétés de PARIS sous le n° B 356 000 000, dont le siège social est [Adresse 2] à [Localité 3] agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège,

Représentée par Me Mélanie CAULIER-RICHARD de la SCP DELVINCOURT – CAULIER-RICHARD – CASTELLO AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de REIMS, avocat postulant, et Me Dominique MINIER de la SELARL MINIER MAUGENDRE & ASSOCIEES, avocat au barreau de SEINE SAINT-DENIS, avocat plaidant,

DEFENDERESSE en première instance,

APPELANTE devant la cour d’appel de Reims d’un jugement rendu le 15février 2022 par le tribunal de commerce de Sedan (n° 2019000073),

DEMANDERESSE devant la cour d’appel de Reims, cour de renvoi,

ET :

L’AGENCE NATIONALE POUR LA FORMATION PROFFESSIONNELLE (AFPA), établissement dont le siège social est sis [Adresse 1], pris en la personne de son représentant légal domicilié audit siège,

Représentée par Me Justine POTIER de la SELARL JURILAW AVOCATS CONSEILS, avocat au barreau des ARDENNES

DEFENDERESSE en première instance,

INTIMEE devant la cour d’appel de Reims d’un jugement rendu le 15février 2022 par le tribunal de commerce de Sedan (n° 2019000073),

DEFENDERESSE devant la cour d’appel de Reims, cour de renvoi,

La société Éts RIDREMONT et Brosserie Nouvelle Réunis, société anonyme immatriculée au registre du commerce et des société de SEDAN sous le n°785’520’123 et dont le siège social est situé [Adresse 4], prise en la personne de son représentant légal domicilié de droit audit siège,

Représentée par Me Emeric LACOURT de la SCP LACOURT ET ASSOCIES, avocat au barreau des ARDENNES

DEMANDERESSE en première instance,

INTIMEE devant la cour d’appel de Reims d’un jugement rendu le 15février 2022 par le tribunal de commerce de Sedan (n° 2019000073),

DEFENDERESSE devant la cour d’appel de Reims, cour de renvoi,

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS :

Madame POZZO DI BORGO, conseillère, et Monsieur LECLERE VUE, conseiller, ont entendu les plaidoiries, les parties ne s’y étant pas opposées. Ils en ont rendu compte à la cour lors de son délibéré.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Madame Christina DIAS DA SILVA, présidente de chambre

Madame Anne POZZO DI BORGO, conseillère

Monsieur Kevin LECLERE VUE, conseiller

GREFFIER :

Madame Jocelyne DRAPIER, greffière lors des débats

Madame Yelena MOHAMED DALLAS, greffière lors de la mise à disposition

ARRET :

Contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe le 25 mars 2025 et signé par Madame Christina DIAS DA SILVA, présidente de chambre et Madame Yelena MOHAMED-DALLAS, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * * * *

L’Agence pour la formation professionnelle des adultes (ci-après l’AFPA) a lancé un appel d’offres pour la fourniture et la livraison de brosseries destinées à la peinture et aux revêtements muraux pour l’ensemble de ses sites.

La date limite de remise des offres a été fixée au 8 décembre 2017 à 16 heures.

Se plaignant de ce que sa candidature n’a pas été retenue par l’AFPA au motif que la lettre qui la contenait était arrivée hors délai, la SA Etablissements Ridremont et la Brosserie Nouvelle réunis (ci-après la société ERBNR) a fait assigner la SA La Poste (ci-après La Poste) devant le juge des référés du tribunal de commerce de Sedan aux fins d’expertiser l’implication de cette dernière dans le défaut d’acheminement de la lettre de candidature.

Par ordonnance du 27 décembre 2018, ce juge a ordonné une expertise et désigné M. [F] [T] avec pour mission notamment de donner tous éléments de fait permettant à la juridiction le cas échéant saisie au fond de déterminer la date à laquelle l’AFPA a reçu le pli qui lui a été adressé par la société ERBNR, de décrire précisément la procédure au terme de laquelle La Poste présente successivement à la signature du destinataire des plis qu’elle remet un avis de réception papier et électronique et de fournir les éléments techniques et de fait de nature à permettre à la juridiction saisie de déterminer les responsabilités encourues et d’évaluer le préjudice subi.

Le 10 décembre 2018, la société ERBNR a fait assigner La Poste devant le tribunal de commerce de Sedan en réparation de son préjudice.

La Poste a fait assigner en intervention forcée l’AFPA par exploit délivré le 21 décembre 2019.

Par jugement contradictoire du 15 février 2022, le tribunal de commerce de Sedan a :

– déclaré irrecevable la demande de La Poste en intervention forcée ainsi que sa demande reconventionnelle d’appel en garantie de l’AFPA,

– condamné La Poste à payer à la société ERBNR la somme de 99 373.50 euros au titre de dommages intérêts, ainsi que celle de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné La Poste aux dépens liquidés à la somme de 84.48 euros en elle compris le coût du jugement, mais non celui des assignations auquel elle est également tenue.

Par déclaration du 9 mars 2022, La Poste a interjeté appel de ce jugement.

Par arrêt contradictoire du 7 février 2023, la cour d’appel de Reims a confirmé le jugement en ce qu’il a condamné La Poste à payer à la société ERBNR la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens, sauf à préciser que ceux-ci incluent ceux de l’instance en référé et les frais d’expertise et l’a infirmé pour le surplus,

Statuant à nouveau et y a joutant, elle a :

– condamné La Poste à payer à la société ERBNR la somme de 57 799.35 euros à titre de dommages intérêts,

– débouté l’AFPA de son exception d’incompétence,

– débouté La Poste de son recours en garantie contre l’AFPA,

– condamné La Poste à payer à la société ERBNR la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles d’appel,

– condamné La Poste à payer à l’AFPA la somme de 1 000 euros pour ses frais irrépétibles d’appel,

– débouté La Poste de sa prétention fondée sur l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné La Poste aux dépens d’appel.

Par déclaration du 7 février 2023, La Poste s’est pourvue en cassation contre cet arrêt.

Par arrêt contradictoire du 5 juin 2024, la chambre commerciale, économique et financière de la Cour de cassation a, au visa de l’article 1231-2 du code civil :

– cassé et annulé, mais seulement en ce qu’il fixe à la somme de 57 799,65 euros la condamnation de La Poste à réparer le préjudice subi par la société ERBNR, l’arrêt susmentionné,

– remis, sur ce point, l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyé devant la même cour autrement composée,

– dit que La Poste supportera la charge des dépens exposés par l’AFPA,

– condamné la société ERBNR aux autres dépens,

En application de l’article 700 du code de procédure civile :

– rejeté les prétentions formée par la société ERBNR contre La Poste et par La Poste contre l’AFPA,

– condamné la société ERBNR à payer à La Poste la somme de 3 000 euros,

– condamné La Poste à payer à l’AFPA la somme de 3 000 euros.

La Cour de cassation a adopté la motivation suivante :

« Vu l’article 1231-2 du code civil :

Selon ce texte, les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu’il a faite et du gain dont il a été privé.

Pour condamner La Poste à payer à la société ERBNR la somme de 57 799,35 euros, l’arrêt retient que cette dernière a subi un préjudice de perte de chance d’obtenir le marché de l’AFPA, pour la période comprise entre le 5 juillet 2017 et le 9 juin 2019.

En statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que les candidatures à l’appel d’offres litigieux devaient être parvenues à l’AFPA au plus tard le 8 décembre 2017, ce dont il se déduisait que la société ERBNR n’avait subi aucun préjudice pour la période antérieure à cette date, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».

Par déclaration du 1er août 2024, La Poste a saisi la Cour d’appel de Reims du renvoi après cassation précité.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 20 septembre 2024, La Poste demande à la cour, au visa des articles L8 du code des postes et des communications électroniques, 331 et suivants du code de procédure civile, 1103 et 1217 du code civil, de :

– infirmer tous les chefs du jugement lui portant grief, ainsi que ceux qui en dépendent,

En conséquence,

– débouter la société ERBNR et l’AFPA de l’intégralité de leurs prétentions envers elle,

A titre subsidiaire,

– déclarer recevable sa demande en intervention forcée et sa demande reconventionnelle d’appel en garantie contre l’AFPA,

– limiter le montant de l’indemnisation à 16 euros conformément aux stipulations contractuelles,

– condamner l’AFPA à la garantir de toute condamnation qui pourrait être prononcée à son encontre,

En toute hypothèse,

– condamner solidairement la société ERBNR et l’AFPA au paiement de la somme de 6 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– débouter la société ERBNR et l’AFPA de l’intégralité de leurs prétentions envers elle.

Pour s’opposer à la réparation du préjudice de la société ERBNR au titre de la perte de chance de réaliser une marge, elle soutient que la marge brute réalisée par celle-ci avec l’AFPA diminuait régulièrement depuis 2014, que cette société a continué à travailler avec l’AFPA en 2018 et que la marge perçue pour cette dernière année devrait être déduite du calcul de son préjudice effectué à partir de la marge brute moyenne calculée sur les années 2018 et 2019.

En ce qui concerne le point de départ de la perte de marge, elle fait valoir, s’appuyant sur l’arrêt de cassation partielle, qu’il ne peut être antérieur à la prise d’effet de l’appel d’offres et que ce dernier avait pour point de départ le 2 juillet 2018, date à laquelle la société ERBNR a appris qu’elle n’était pas retenue. Elle ajoute que la société ERBNR n’a subi aucun préjudice au-delà du 18 septembre 2019, date à laquelle elle a conclu un nouveau contrat avec l’AFPA, et que sa perte de chance de réaliser une marge brute s’étend donc du 2 juillet 2018 au 18 septembre 2019.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 21 octobre 2024, la société ERBNR demande à la cour de :

– confirmer le jugement en ce qu’il condamne La Poste à lui payer la somme de 99 373.50 euros à titre de dommages intérêts, ainsi que celle de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et les dépens,

– infirmer le jugement en ce qu’il n’a pas inclus aux dépens mis à sa charge ceux de l’instance ayant donné lieu à l’ordonnance de référé du 27 décembre 2018 ainsi que les frais d’expertise ordonnés par cette décision,

Statuant à nouveau,

– condamner La Poste en tous les dépens de la procédure, en ceux compris les dépens de l’instance ayant donné lieu à l’ordonnance de référé du 27 décembre 2018 ainsi que les frais de l’expertise ordonnés par cette décision,

Y ajoutant

– condamner La Poste à lui payer la somme de 6 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

A titre liminaire, en réponses aux conclusions de La Poste, elle fait observer qu’à la lecture des motifs et du dispositif de l’arrêt de cassation partielle, ne reste en discussion que le seul montant de l’indemnisation de son préjudice.

Concernant sa prétention indemnitaire, elle invoque le caractère suivi de ses relations d’affaires avec l’AFPA depuis 2013, qu’entre 2014 et 2017, elle a réalisé une marge moyenne de 49 686,75 euros et que son préjudice s’est manifesté durant un an et demi, soit entre le début du marché perdu et la date du nouveau marché qu’elle a remporté le18 septembre 2019, cette période correspondant à la durée pendant laquelle la clientèle de l’AFPA a été perdue.

Dans ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 15 novembre 2024, l’AFPA demande à la cour, au visa des articles 122 et suivants, 624 et suivants et 638 et suivants du code de procédure civile, de :

– déclarer irrecevables les prétentions formulées à son encontre par La Poste lesquelles sont atteintes par l’autorité de la chose jugée,

En tout état de cause,

– débouter La Poste de ses prétentions,

– condamner La Poste à lui verser une somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner La Poste en tous les dépens.

Elle fait valoir, sur le fondement de l’article 628 du code de procédure civile, que la demande de garantie de La Poste réitérée subsidiairement à son encontre est irrecevable comme se heurtant à l’autorité de la chose jugée dans la mesure où cette disposition de l’arrêt d’appel n’a pas été atteinte par la cassation.

L’ordonnance de clôture a été délivrée le 28 janvier 2025 et l’affaire fixée à l’audience de plaidoiries le 10 février suivant. A cette audience, l’affaire a été mise en délibéré au 25 mars 2025.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

Vu l’arrêt de la Cour d’appel de Reims du 7 février 2023,

Vu l’arrêt de la Cour de cassation du 5 juin 2024 cassant partiellement l’arrêt du 7 février 2023,

Infirme le jugement rendu le 15 février 2022 par le tribunal de commerce de Sedan en ce qu’il a condamné la SA La Poste à payer à la SA Etablissements Ridremont et la Brosserie Nouvelle réunis la somme de 99 373.50 euros à titre de dommages intérêts,

Statuant à nouveau de ce chef infirmé,

Condamne la SA La Poste à payer à la SA Etablissements Ridremont et la Brosserie Nouvelle Réunis la somme de 51 386 euros à titre de dommages intérêts,

Y ajoutant,

Déclare sans objet l’examen de la prétention de l’Agence pour la formation professionnelle des adultes tendant à voir déclarer irrecevables les prétentions de la SA La Poste,

Condamne la SA La Poste aux dépens de la procédure de renvoi après cassation,

Condamne la SA La Poste à payer à la SA Etablissements Ridremont et la Brosserie Nouvelle Réunis la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles de procédure de renvoi après cassation,

Condamne la SA La Poste à payer à l’Agence pour la formation professionnelle des adultes la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles de procédure de renvoi après cassation,

Déboute la SA La Poste de sa prétention au titre des frais irrépétibles de procédure de renvoi après cassation.

Le greffier La présidente

 


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