Cour d’appel de Poitiers, 4 mars 2025, RG n° 24/01655
Cour d’appel de Poitiers, 4 mars 2025, RG n° 24/01655

Type de juridiction : Cour d’appel

Juridiction : Cour d’appel de Poitiers

Thématique : Délai impératif pour la désignation d’un expert comptable dans le cadre d’une cession d’actions.

Résumé

Contexte de l’Affaire

La société MTH, détenue à 100% par un dirigeant d’entreprise, a cédé ses actions à la société Ventildev selon un protocole d’acquisition daté du 18 mai 2022, pour un prix initial de 3.849.000€.

Conditions de Cession

Le protocole stipule que le prix de cession pourrait être ajusté en fonction des variations des capitaux propres des sociétés MTH et de ses filiales, Girardeau et Terma, à des dates spécifiques.

Demande de Réduction de Prix

Après la cession, la société Ventildev a demandé une réduction du prix en raison de provisions pour un client douteux et d’un gonflement artificiel du chiffre d’affaires de la SARL Girardeau, initialement chiffrée à 328.231,33€, puis à 297.586,97€.

Refus de Négociation

Le dirigeant d’entreprise n’ayant pas répondu favorablement aux demandes de réduction, la société Ventildev a sollicité la désignation d’un expert-comptable pour trancher le différend.

Opposition à la Demande d’Expertise

Le dirigeant d’entreprise a contesté la demande, arguant que celle-ci était irrecevable en raison de l’expiration du délai de trois mois prévu pour désigner un expert.

Décision du Tribunal de Commerce

Le président du tribunal de commerce a déclaré la demande de la société Ventildev irrecevable et a condamné cette dernière à payer des frais au dirigeant d’entreprise.

Appel de la Décision

La société Ventildev a interjeté appel, demandant l’infirmation de la décision et la désignation d’un expert pour établir la situation comptable des sociétés concernées.

Arguments de la Société Ventildev

La société Ventildev soutient qu’elle a un intérêt légitime à l’expertise et conteste la forclusion, arguant que le dirigeant d’entreprise a agi de mauvaise foi.

Réponse du Dirigeant d’Entreprise

Le dirigeant d’entreprise demande la confirmation de la décision initiale, affirmant avoir respecté les délais et réfutant toute accusation de dol.

Conclusion de la Cour

La cour a confirmé la décision du tribunal de commerce, déclarant la demande de la société Ventildev irrecevable et condamnant cette dernière aux dépens d’appel.

ARRÊT N° 87

N° RG 24/01655

N° Portalis DBV5-V-B7I-HCWS

S.A.S. VENTILDEV

C/

[W]

Loi n° 77 – 1468 du 30/12/1977

Copie revêtue de la formule exécutoire

Le 4 mars 2025 aux avocats

Copie gratuite délivrée

Le 4 mars 2025 aux avocats

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE POITIERS

1ère Chambre Civile

ARRÊT DU 04 MARS 2025

Décision déférée à la Cour : Jugement du 12 février 2024 rendu par le Tribunal de Commerce de POITIERS

APPELANTE :

S.A.S. VENTILDEV

N° SIRET : 851 474 528

[Adresse 5]

[Localité 3]

ayant pour avocat postulant Me Jérôme CLERC de la SELARL LX POITIERS-ORLEANS, avocat au barreau de POITIERS

INTIMÉ :

Monsieur [M] [W]

né le [Date naissance 1] 1959 à [Localité 4]

[Adresse 2]

[Localité 4]

ayant pour avocat postulant et plaidant Me Bruno MAZAUDON de la SELARL JURICA, avocat au barreau de POITIERS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des articles 907 et 786 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été débattue le 06 Janvier 2025, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant :

Monsieur Thierry MONGE, Président de Chambre

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Thierry MONGE, Président de Chambre

Monsieur Dominique ORSINI, Conseiller

Monsieur Philippe MAURY, Conseiller

GREFFIER, lors des débats : Monsieur Lilian ROBELOT,

ARRÊT :

– CONTRADICTOIRE

– Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

– Signé par Monsieur Thierry MONGE, Président de Chambre, et par Monsieur Lilian ROBELOT, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*****

EXPOSÉ

[M] [W] détenait 100% des actions de la SAS MTH, laquelle détenait 100% des parts sociales émises par la SARL Girardeau et 100% des parts sociales émises par la SCI Terma.

Selon protocole d’acquisition en date du 18 mai 2022, M. [W] a cédé à la SAS Ventildev la totalité des actions qu’il détenait dans la SAS MTH.

Ce protocole stipulait que la cession était conclue à un prix initial de 3.849.000€ qui serait revu à la hausse ou à la baisse en fonction de la variation, et à due concurrence de cette variation, entre d’une part, le montant des capitaux propres de la société MTH et de ses filiales Girardeau et Terma tel que ressortant du bilan de l’exercice clos au 31.07.2020 de la société MTH, du bilan clos au 31.07.2020 de la société Girardeau et du bilan clos au 31.12.2020 de la société Terma, et d’autre part le montant des capitaux propres de la société MTH et de ses filiales Girardeau et Terma, à périmètre identique et constant, tel qu’existant à la date de réalisation et ressortant des situations comptables individuelles qui devaient être établies pour chacune d’elles au 18.05.2022.

Le prix initial de 3.849.000€ a été payé par la société Ventildev le 28 mai 2022.

La société Ventildev a par la suite invoqué une réduction du prix fondée d’une part, sur le nécessaire retraitement des provisions pour un client douteux, des crédits d’impôt et des stocks consommables auquel l’expert-comptable qui l’assistait avait conclu, et d’autre part sur la découverte que celui-ci disait avoir faite d’un gonflement artificiel du chiffre d’affaires de la SARL Girardeau induit par le provisionnement à 100% des commandes non abouties, la réduction du prix à laquelle prétendait la cessionnaire s’établissant en un premier temps à 328.231,33€ puis en définitive à 297.586,97€.

Monsieur [W] n’ayant pas donné suite à ces demandes de réduction du prix initial, la société Ventildev lui a demandé par courrier du 2 juin 2023 de choisir parmi trois expert-comptables/commissaires aux comptes qu’elle lui soumettait celui auquel serait confiée la tâche de trancher l’écart de valorisation encore en discussion.

M. [W] lui a répondu que toute demande en ce sens était prescrite, en invoquant l’expiration du délai de trois mois à compter de l’expiration de la période dite ‘de vérification’ stipulé au protocole pour désigner, amiablement ou judiciairement, un expert chargé d’établir les situations comptables individuelles opposables à toutes les parties.

La société Ventildev a fait assigner M. [M] [W] devant le président du tribunal de commerce de Poitiers selon la procédure accélérée au fond par acte du 18 août 2023 pour voir, au visa des articles 873 du code de procédure civile, 145 du code de procédure civile, 1103 et 1104 du code civil, désigner à frais partagés entre les parties un expert aux fins d’établir la situation comptable au 18 mai 2022 des sociétés MTH, Girardeau et Terma, et de calculer la variation du prix initial de cession selon les modalités stipulées au protocole d’acquisition.

M. [W] s’y est opposé en soutenant que toute demande de désignation d’un expert était irrecevable, que ce soit sur le fondement du protocole d’acquisition qui impliquait de l’avoir formulée au plus tard le 11 décembre 2022 ou des articles 143, 144 et 263 du code de procédure civile, qui ne donnaient compétence pour désigner un expert qu’au juge saisi du fond du litige et non au président du tribunal de commerce saisi selon la procédure accélérée.

Par ordonnance du 12 février 2024, le président du tribunal de commerce de Poitiers, statuant selon la procédure accélérée, a

* déclaré la société Ventildev irrecevable en sa demande de désignation d’un expert en application du protocole d’acquisition et l’en a déboutée

* déclaré la société Ventildev irrecevable en sa demande de désignation d’un expert en application des articles 143, 144 et 263 du code de procédure civile pour vérifier la situation nette comptable de la société MTH au 18 mai 2022 et l’en a déboutée

* condamné la société Ventildev à payer à M. [W] la somme de 1.000€ en application de l’article 700 du code de procédure civile

* condamné la société Ventildev aux entiers dépens de l’instance.

Pour statuer ainsi, il a retenu

-que la demande, amiable ou judiciaire, en désignation d’un expert était forclose en tant que fondée sur le protocole d’acquisition, lequel stipulait que la désignation d’un expert en charge d’établir les situations comptables individuelles opposables à toutes les parties devait intervenir dans un délai de trois mois à compter de la fin de la période de vérification laquelle s’était achevée au 11 septembre 2022

-que la demande était également irrecevable en tant que subsidiairement formulée sur le fondement des articles 143, 144 et 263 du code de procédure civile, seul le tribunal de commerce de Poitiers saisi au fond, et non son président, pouvant y procéder, ainsi que le prévoyait l’article XXIX du protocole d’acquisition.

La SAS Ventildev a relevé appel le 19 juillet 2024.

Les dernières écritures prises en compte par la cour au titre de l’article 954 du code de procédure civile ont été transmises par la voie électronique

* les 25 septembre/1er octobre 2024 par la SAS Ventildev

* le 24 octobre 2024 par M. [W].

La SAS Ventildev demande à la cour

-de la déclarer fondée en son appel

-d’infirmer en toutes ses dispositions l’ordonnance déférée

-de débouter M. [W] de l’intégralité de ses demandes

-de juger à nouveau

¿ à titre principal :

Vu les articles 1103 et 1104 du code civil et les pièces versées aux débats

-de désigner aux frais partagés des parties un expert chargé d’établir la situation comptable de la SAS MTH du 01.08.2021 au 18.05.2022, de la SARL Girardeau du 01.08.2021 au 18.05.2022 et de la Sci Terma du 01.01.2022 au 18.05.2022, et de calculer la variation du prix initial de cession tel que convenu au protocole d’acquisition du 18 mai 2022

¿ à titre subsidiaire :

Vu les articles 143, 144 et 263 du code de procédure civile

Vu les articles 1137 et 1123-1 du code civil :

-de désigner aux frais avancés de la société Ventildev un expert avec mission de recalculer conformément à la méthode comptable prévue au protocole d’acquisition du 18 mai 2022 le montant au 18 mai 2022 des produits constatés d’avance relatifs à la société Girardeau, et de calculer l’impact de ce nouveau calcul sur le montant de la valorisation des titres de la société MTH au 18 mai 2022

¿ en tout état de cause :

-de condamner M. [W] à lui payer la somme de 5.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.

La SAS Ventildev soutient à titre principal qu’elle est fondée à voir instituer l’expertise prévue au protocole d’acquisition.

Elle expose que les parties n’ayant pas réussi à se mettre d’accord sur le prix définitif des titres cédés, elle a un intérêt légitime à l’institution de cette mesure, prévue en pareil cas au protocole.

Elle conteste qu’une forclusion puisse y faire obstacle parce qu’elle n’a pas sollicité l’expertise dans le délai de trois mois mentionné au protocole, en objectant que les parties n’ont stipulé aucune forclusion et que la clause invoquée par M. [W] et appliquée par le président du tribunal de commerce n’est pas une clause de forclusion mais une clause de conciliation préalable, organisant et rythmant les discussions entre les parties avant toute judiciarisation du litige. Elle indique que le président du tribunal n’a pas répondu à ce moyen.

Invoquant l’article 1104 du code civil selon lequel les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi, elle fait valoir qu’en tout état de cause, M. [W] a fait preuve d’une totale mauvaise foi, en ne s’opposant pas à sa propre proposition formulée le 19 septembre 2022 d’attendre l’issue des vérifications en cours de réalisation par son expert-comptable puis en maintenant les discussions après avoir reçu d’elle ses contestations détaillées par courriel du 2 novembre 2022 confirmé par courriel du 22 décembre 2022, alors qu’à la suivre dans sa lecture du protocole, il aurait fallu saisir le président du tribunal d’une demande d’expertise, ce qui montre que si les délais visés au protocole étaient réellement des délais de forclusion, il avait accepté de les proroger.

À titre subsidiaire, si la cour confirmait la décision du président du tribunal de commerce ayant jugé forclose sa demande en tant que fondée sur le protocole d’acquisition, la société Ventildev soutient qu’elle est recevable et fondée à obtenir une expertise pour vérifier la situation nette comptable de la société MTH au 18 mai 2022 sur le fondement des articles 143, 144 et 263 du code de procédure civile en affirmant que son expert-comptable a découvert après coup une augmentation artificielle du chiffre d’affaires de la SARL Girardeau qui est constitutive de la part de M. [W] d’une réticence dolosive ou d’un dol à son préjudice, tenant à ce que l’expert-comptable de cette entreprise a remis un calcul de produits constatés d’avance au 17 mai 2022 de 134.268€ sans aucun détail permettant de comprendre ce qu’induisait ce montant, dont l’analyse a révélé qu’il reflétait un écart de 184.979,86 € tenant à ce que des acomptes ont été comptabilisés comme ‘produit’, les charges y afférentes n’étant ainsi pas comptabilisées et la situation

nette comptable s’en étant trouvée faussement accrue. Elle soutient qu’il s’agit

d’une demande additionnelle à sa demande principale, qui est comme telle recevable devant le président du tribunal de commerce saisi selon la procédure accélérée au fond.

M. [M] [W] demande à la cour

-de confirmer l’ordonnance en toutes ses dispositions

-de juger la société Ventildev irrecevable ou à tout le moins mal fondée en toutes ses prétentions et l’en débouter

-de la condamner aux entiers dépens d’appel et à lui payer la somme supplémentaire de 5.000€ en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Citant les termes du protocole d’acquisition, il indique que son expert comptable avait transmis dans le délai de 60 jours prévu au protocole les situations comptables individuelles, que s’est ouverte alors la période de vérification de 60 jours pendant laquelle aucun accord n’est intervenu, et qu’à l’issue de ce délai s’ouvrait la période de trois mois pendant laquelle chaque partie pouvait solliciter une expertise, laquelle s’est achevée le 11 décembre 2022 sans qu’aucune des parties n’en sollicite une.

Il soutient que le contrat qui fait la loi des parties prévoit expressément, avec le terme ‘devra’, que l’expertise doit être demandée dans les trois mois suivant la fin de la période de vérification, et soutient que s’agissant d’une obligation, elle n’a de sens et de portée que si le non-respect du délai imparti est sanctionné par une forclusion, sans nécessité que le terme figure dans l’acte.

Il récuse toute mauvaise foi en indiquant avoir scrupuleusement respecté les obligations qui lui incombaient et réfute toute duplicité en indiquant avoir toujours et rapidement répondu aux demandes de sa cocontractante.

Il conteste la prétention subsidiaire de l’appelante à voir ordonner une expertise sur le fondement des articles 143, 144 et 263 du code de procédure civile motif pris d’une prétendu dol, en récusant tout dol de sa part et en objectant que seule la juridiction qui serait saisie d’un litige au fond pourrait faire éventuellement droit à une telle demande, qui échappe au pouvoir du président du tribunal saisi selon la procédure accélérée au fond.

La clôture est en date du 16 décembre 2024.

À l’audience, la cour a invité M. [W] à faire connaître sa réponse à la demande que la société Ventildev lui avait adressée le 2 juin 2023 de choisir, parmi trois noms, le commissaire aux comptes qui serait chargé de trancher le différend comptable, à quoi son conseil a transmis contradictoirement le 10 janvier 2025 la lettre du 13 juin 2023 par laquelle il avait répondu à cette demande ne pas percevoir l’intérêt à procéder de la sorte et invité la société Ventildev à se rapporter aux dispositions du protocole d’acquisition du 18 mai 2022 prévoyant les conditions d’arrêté des situations comptables individuelles en cas de difficultés.

PAR CES MOTIFS :

la cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort :

RECTIFIE l’erreur matérielle entachant la décision rendue le 12 février 2024 par le président du tribunal de commerce de Poitiers saisi selon la procédure accélérée au fond en ce qu’elle est qualifiée d’ ‘ordonnance’ en sa page 1 dans l’en-tête et en page 4 en première ligne de son dispositif alors qu’il s’agit d’un jugement

ORDONNE la rectification aux soins du greffier du tribunal de commerce de Poitiers de cette erreur sur la minute et les expéditions de la décision

CONFIRME la décision déférée ainsi rectifiée, sauf en ce qu’après avoir déclaré à bon droit irrecevable la société Ventildev en ses demandes principale et subsidiaire d’expertise, elle l’en déboute

REJETTE toutes demandes autres ou contraires

CONDAMNE la SAS Ventildev aux dépens d’appel

LA CONDAMNE à payer à M. [M] [W] la somme de 3.500€ au titre de l’application en cause d’appel des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

 


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