Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Paris
Thématique : Conflit d’intérêts et expertise contestée dans la gestion d’une société.
→ RésuméM. [U] et Mme [U] se sont mariés en 1998 sous le régime de la séparation des biens. En 2004, ils ont fondé la société [15], une holding détenue à parts égales, avec M. [U] comme président et Mme [U] comme directrice générale. En 2009, ils ont créé la société [12], filiale à 68,43 % de la société [15], dont M. [U] était président et M. [R] directeur général. En 2013, la société [12] a obtenu l’agrément de l’Autorité des Marchés Financiers pour créer la SCPI [22].
En 2019, M. [U] a cédé sa participation dans la société [15] à la société [16]. En janvier 2021, les époux se sont séparés, et la société [14], filiale de [16], a racheté les parts de la société [20] dans la société [12]. Un protocole d’accord a été signé en mai 2021, approuvé par l’AMF, permettant à la société [14] de reprendre les activités de commercialisation de la SCPI [22]. En juillet 2021, Mme [U] a été révoquée de son poste de directrice générale de la société [12]. En mars 2023, le tribunal correctionnel a relaxé M. [U] et M. [R] des accusations d’abus de pouvoir. Mme [U] a ensuite demandé la dissolution de la société [15] pour perte d’affectio societatis et a assigné M. [U], M. [R] et la société [12] pour obtenir une expertise sur les frais de fonctionnement de la société [12]. Le juge des référés a rejeté ses demandes en février 2024, condamnant Mme [U] à payer des sommes aux intimés. Mme [U] a interjeté appel, demandant l’infirmation de l’ordonnance et la désignation d’un expert pour examiner les frais de la société [12]. M. [U] et la société [12] ont également demandé la confirmation de l’ordonnance et des dommages-intérêts pour abus de droit. La cour a confirmé l’ordonnance, rejetant les demandes de Mme [U] et lui imposant de supporter les dépens. |
Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 1 – Chambre 2
ARRÊT DU 03 AVRIL 2025
(n° , 11 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 24/05397 – N° Portalis 35L7-V-B7I-CJD37
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 21 Février 2024 -Président du TC de PARIS – RG n° 2023060803
APPELANTE
Mme [Z] [N] épouse [U]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Florence GUERRE de la SELARL SELARL PELLERIN – DE MARIA – GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018
Ayant pour avocats plaidants Maîtres Alexandre MERVEILLE, du barreau de PARIS et Eric DELATTRE, avocat au barreau de VERSAILLES
INTIMÉS
M. [E], [L], [D] [U]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représenté par Me Belgin PELIT-JUMEL de la SELEURL BELGIN PELIT-JUMEL AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, toque : D1119
Ayant pour avocat plaidant Me Corinne GABBAY, avocat au barreau de PARIS
M. [X] [R]
[Adresse 19]
[Localité 5]
S.A. [12], RCS de [Localité 21] sous le n°[N° SIREN/SIRET 6], agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 8]
[Localité 7]
Représentés par Me Audrey SCHWAB de la SELARL SELARL 2H Avocats à la cour, avocat au barreau de PARIS, toque : L0056
Ayant pour avocat plaidant Me Antoine CAMUS, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 20 Février 2025 en audience publique, devant Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre et Laurent NAJEM, Conseiller, conformément aux articles 804, 805 et 905 du code de procédure civile, les avocats ne s’y étant pas opposés.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre,
Michèle CHOPIN, Conseillère,
Laurent NAJEM, Conseiller,
Qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Saveria MAUREL
ARRÊT :
– CONTRADICTOIRE
– rendu publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre et par Saveria MAUREL, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
*****
EXPOSE DU LITIGE
M. [U] et Mme [N] se sont mariés en 1998 sous le régime de la séparation des biens.
Au cours de l’année 2004, ils ont créé ensemble la société [15], société holding détenue à 50 % par chacun des époux [U], dont l’objet social est la prise de participation dans toutes sociétés, ainsi que la prestation de services pour le compte des entreprises qui lui sont liées, notamment dans les domaines administratif, financier, commercial et informatique. M. [U] en assurait les fonctions de président et Mme [U], celles de directrice générale.
Au mois de décembre 2009, les époux ont créé la société [13] (devenue la société [12]), filiale à 68,43 % de la société [15], avec, pour objet social, l’activité de gestion de portefeuille de sociétés civiles de placement immobilier (SCPI) et d’organismes professionnels de placements collectifs immobiliers (OPCI). M. [U] occupait les fonctions de président du conseil d’administration de cette société, M. [X] [R], qui détenait à titre personnel 10% de la société, celles de directeur général, Mme [U] détenant pour sa part 1 action.
En décembre 2013, la société [12] a obtenu l’agrément de l’Autorité des Marchés Financiers pour la création de la SCPI [22] ayant pour objet l’acquisition et la gestion d’un patrimoine de biens immobiliers lié au secteur de la santé.
En octobre 2013, le groupe [17] est entrée dans le capital de la société [12] par le biais d’une de ses filiales, la société [20] ([20]), à hauteur de 25 % puis de 21,5 % à la suite d’opérations sur le capital. Jusqu’en 2021, la société [18], filiale du groupe [17], a été en charge de la commercialisation de la SCPI [22].
Le capital de la société [12] était alors détenu ainsi :
– Groupe [11] : 68,43%
– Groupe [17] : 21,50%
– M. [R] : 10%
– Autres associés : 0,07%.
En 2019, M. [U] a cédé l’intégralité de sa participation dans la société [15] à la société [16] dont il détient 100% du capital et qui est unique actionnaire de la société [14].
En janvier 2021, les époux [U] se sont séparés et la société [14], filiale de la société [16], a racheté les 21,5 % de parts détenues par la société [20] dans la société [12].
Au titre d’un protocole d’accord régularisé le 26 mai 2021, approuvé par l’Autorité des Marchés Financiers le 19 juillet 2021, la société [14] a repris à son compte les activités de commercialisation de la SCPI [22] par la société [18]. Une convention de distribution a été signée le 30 décembre 2021.
Le 29 juillet 2021, Mme [U] a été révoquée de ses fonctions de directrice générale de la société [12] et remplacée à ce poste par M. [R].
En novembre 2021, la société [12] a lancé un nouveau véhicule financier, le fonds d’investissement alternatif (FIA) « Trajectoire santé » dont la commercialisation et l’animation de ce produit ont été confiés à la société [14].
Le 1er mars 2023, saisi par citation directe à l’initiative de Mme [U], le tribunal correctionnel de Paris a relaxé M. [U] et M. [R] des chefs d’abus de pouvoir sociaux et de complicité. Cette décision est définitive sur l’action pénale en l’absence d’appel du ministère public, mais un appel est actuellement pendant devant la cour d’appel de Paris sur intérêts civils.
Mme [U] a également introduit une requête en dissolution de la société [15] pour perte d’affectio societatis devant le tribunal de commerce de Toulouse, cette affaire étant également pendante.
Alléguant l’existence de transferts de charges injustifiés de la société [14] vers la société [12], Mme [U] a, par exploits des 26, 30 octobre et 2 novembre 2023, fait assigner M. [U], M. [R] et la société [12] devant le juge des référés du tribunal de commerce de Paris aux fins de voir :
ordonner sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile une mesure d’expertise destinée à :
se faire remettre par les parties ou tout tiers les documents utiles à sa mission et notamment, se faire remettre par la société [12] et en particulier par M. [U] ou M. [R] :
le détail des frais de fonctionnement de la société [12] au titre des années 2021, 2022 et 2023 (jusqu’à la date de l’ordonnance à intervenir),
les contrats en vigueur au cours de ces années entre les sociétés [12] et [14] ;
l’ensemble des contrats conclus ou exécutés en 2021, 2022 ou 2023 entre la société [12] et des tiers, en ce compris les contrats de travail des salariés de la société [12] ;
analyser si les frais de fonctionnement de toute nature (notamment les frais de personnel, de sous-traitance, de prestations de services, les frais généraux, etc.) supportés par la société [12] au titre des années 2022 et 2023 incombaient à celle-ci en sa qualité de société de gestion de la SCPI [22] et de la SC [23], compte tenu des obligations mises à la charge de la société [14] par les contrats conclus avec celle-ci ;
dire si les contrats conclus ou exécutés entre les sociétés [12] et [14] présentent un caractère normal au regard des pratiques commerciales ;
apprécier la pertinence et l’équilibre de l’ensemble contractuel mis en place à l’occasion du lancement par [12] de la SC [23] et des contributions respectives des parties à ces contrats ;
se faire communiquer tous éléments relatifs aux sommes versées par la société [12] à la société [14] au titre de la convention dite de commercialisation directe par la société [12], en apprécier la contrepartie et de prononcer sur leur équilibre économique ;
dire que l’expert pourra entendre tous sachants et recueillir auprès de tous tiers tout élément d’information sur tout support ;
dire que l’expert devra mettre son rapport au greffe dans les six mois de la consignation de la provision à ordonner ; et
fixer le montant de la provision.
Par ordonnance contradictoire du 21 février 2024, le juge des référés du tribunal de commerce de Paris a :
débouté Mme [U] de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
condamné Mme [U] à payer à la société [12] la somme de 2.500 euros, à M. [R] celle de 2.500 euros et à M. [U] celle de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ; et
débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,
laissé à la partie demanderesse la charge des dépens.
Par déclaration du 13 mars 2024, Mme [U] a relevé appel de cette décision.
Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 20 janvier 2025, Mme [U] demande à la cour, sur le fondement des articles 145 et 905 du code de procédure civile, de :
la recevoir en son appel et l’y dire bien fondée,
infirmer l’ordonnance rendue le 24 février 2024 en ce qu’elle :
l’a déboutée de toutes ses demandes, fins et prétentions,
l’a condamnée à payer à la société [12] la somme de 2.500 euros, à M. [R] la somme de 2.500 euros et à M. [U] la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens de l’instance,
Statuant à nouveau,
désigner tel expert qu’il lui plaira inscrit sur la liste nationale, avec pour mission de :
réunir et entendre les parties ;
se faire remettre par la société [12] et en particulier par M. [U] ou M. [R] :
le détail des frais de fonctionnement d'[12] au titre des années 2021, 2022 et 2023 (et jusqu’à la date de l’arrêt à intervenir, les faits se poursuivant dans le temps),
Les contrats en vigueur au cours de ces mêmes années, en ce compris l’année 2024, entre les sociétés [12] et [14],
l’ensemble des contrats conclus ou exécutés au cours de ces mêmes années, en ce compris 2024, entre la société [12] et des tiers, en ce compris les contrats de travail et fiches de postes des salariés de la société [12] ;
analyser si les frais de fonctionnement de toute nature (frais de personnel, sous-traitance, prestations de services, frais généraux, factures, devis, refacturation etc.) supportés par la société [12] au titre des années 2021, 2022, 2023 et 2024 incombaient à celle-ci en sa qualité de société de gestion de la SCPI [22] et de la SC [23], compte tenu des obligations mises à la charge de la société [14] par les contrats conclus avec celle-ci ;
donner son avis, s’agissant des contrats conclus ou exécutés entre les sociétés [12] et [14], sur le caractère normal ou anormal de ceux-ci au regard des pratiques commerciales ;
donner son avis sur la pertinence et l’équilibre de l’ensemble contractuel mis en place à l’occasion du lancement par la société [12] de la SC [23] et des contributions respectives des parties à ces contrats ;
se faire communiquer tous éléments relatifs aux sommes versées par la société [12] à [14] au titre de la convention dite de commercialisation directe par la société [12], en apprécier la contrepartie et donner son avis sur leur équilibre économique ;
dire que l’expert pourra entendre tous sachants et recueillir auprès de tous tiers tout élément d’information sur tout support ;
dire que l’expert devra remettre son rapport au greffe dans les six mois de la consignation de la provision à ordonner ;
fixer le montant de la provision ;
réserver les dépens ;
et en tout état de cause,
rejeter les demandes reconventionnelles présentées par M. [U] et par la société [12] et M. [R] au titre de l’abus du droit d’interjeter appel et au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 31 décembre 2024, M. [U] demande à la cour, sur le fondement des articles 145 et 559 du code de procédure civile, de :
confirmer l’ordonnance de référé du 24 février 2024 ;
débouter Mme [U] de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
juger que l’appel interjeté par Mme [U] caractérise un abus de droit manifeste ;
Ajoutant à l’ordonnance déférée,
condamner Mme [U] à lui payer la somme provisionnelle de 20.000 euros à valoir sur la réparation du préjudice occasionné par l’abus manifeste du droit d’ester en justice ;
condamner Mme [U] à lui payer la somme de 10.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ; et
condamner Mme [U] aux entiers dépens.
Dans leurs dernières conclusions remises et notifiées le 3 janvier 2025, la société [12] et M. [R], demandent à la cour, sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, de :
confirmer l’ordonnance déférée ;
juger que l’appel interjeté caractérise un abus de droit manifeste ;
condamner Mme [U] à payer la somme provisionnelle de 20.000 euros à la société [12] en réparation du préjudice occasionné ;
condamner Mme [U] à payer la même somme provisionnelle de 20.000 euros à M. [R], à valoir à titre de réparation du préjudice résultant du même abus du droit d’interjeter appel ;
condamner Mme [U] à leur payer la somme de 15.000 euros chacun sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ; et
condamner Mme [U] aux entiers dépens dont le recouvrement sera poursuivi par la selarl 2H avocats, en la personne de Me Schwab, en application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties susvisées pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 4 février 2025.
PAR CES MOTIFS
Confirme l’ordonnance entreprise en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Dit que Mme [U] supportera la charge des entiers dépens de la présente instance en appel, dont distraction conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,
Condamne Mme [U] à payer à chacun des intimés, M. [R] et la société [12] étant considérés comme un seul intimé, la somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE
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