Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Paris
Thématique : Discrimination syndicale et prise d’acte de rupture : enjeux et conséquences.
→ RésuméUn salarié, engagé par la société Openskies en tant qu’officier pilote de ligne, a exercé diverses fonctions syndicales au sein de l’entreprise. En mars 2017, il a pris acte de la rupture de son contrat de travail, invoquant une discrimination syndicale. En septembre 2018, il a saisi le conseil de prud’hommes pour faire reconnaître cette rupture comme un licenciement nul. Le jugement du 8 septembre 2022 a déclaré irrecevable sa demande concernant une mise à pied disciplinaire antérieure, a considéré que la prise d’acte produisait les effets d’une démission, et a débouté le salarié de ses demandes, le condamnant à verser des sommes à la société.
Le salarié a interjeté appel, soutenant qu’il avait été victime de discrimination syndicale et que les manquements de l’employeur justifiaient la rupture de son contrat. Il a demandé des dommages-intérêts pour préjudice financier et moral, ainsi qu’une indemnité pour violation de son statut protecteur en raison de ses mandats syndicaux. En réponse, la société Openskies a demandé la confirmation du jugement initial et a soulevé l’irrecevabilité des demandes du salarié, arguant qu’il avait déjà renoncé à toute réclamation liée à une sanction disciplinaire par le biais d’une transaction antérieure. La cour a examiné les éléments de preuve fournis par le salarié concernant la discrimination, notamment des échecs à des examens et une durée d’accès prolongée à un poste de commandant de bord. Toutefois, elle a conclu que l’employeur avait justifié ses décisions par des éléments objectifs. En ce qui concerne la prise d’acte, la cour a confirmé que l’absence de preuve de discrimination syndicale entraînait une qualification de démission. Enfin, la cour a infirmé la condamnation du salarié à verser une amende pour procédure abusive, tout en le condamnant aux dépens de l’appel. |
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 9
ARRET DU 03 AVRIL 2025
(n° , 8 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/08799 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CGQW5
Décision déférée à la Cour : Jugement du 08 Septembre 2022 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de CRÉTEIL – RG n° 21/01374
APPELANT
Monsieur [G] [U]
[Adresse 4]
[Localité 2]-EMIRATS ARABES UNIS
Représenté par Me Juliette BOURGEOIS, avocat au barreau de PARIS, toque: E0547
INTIMEE
S.A.S. OPENSKIES
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représentée par Me Benjamin MOISAN, avocat au barreau de PARIS, toque : L34
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 11 Février 2025, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Stéphane MEYER, président de chambre
Madame Florence MARGUERITE, présidente de chambre
Madame Nelly CHRETIENNOT, conseillère
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Madame Florence MARGUERITE, présidente de chambre dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Madame Marika WOHLSCHIES
ARRET :
– contradictoire,
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,
– signé par Monsieur Stéphane MEYER, président de chambre et par Madame Marika WOHLSCHIES, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
M. [U] a été engagé par la société Openskies, pour une durée indéterminée à compter du 19 février 2008, en qualité d’officier pilote de ligne. En dernier lieu, il exerçait les fonctions de commandant de bord depuis le 5 avril 2014.
La relation de travail est régie par le code de l’aviation civile.
M. [U] a été désigné délégué syndical par le SNPL France ALPA le 10 septembre 2009, puis élu délégué du personnel le 13 octobre 2009 et membre élu du comité d’hygiène, sécurité et conditions de travail en janvier 2011 avant d’être enfin désigné secrétaire dudit comité à compter d’avril 2011.
Il a fait l’objet d’une mise à pied disciplinaire le 30 juillet 2010 qu’il a contestée, le litige ayant été réglé par une transaction.
Par courrier du 1er mars 2017, M. [U] a pris acte de la rupture du contrat de travail au motif qu’il aurait fait l’objet d’une discrimination syndicale.
Le 21 septembre 2018, M. [U] a saisi le conseil de prud’hommes de Créteil afin que la prise d’acte produise les effets d’un licenciement nul et a formé des demandes afférentes à l’exécution de son contrat de travail.
Par jugement du 8 septembre 2022, le conseil de prud’hommes de Créteil a :
– dit irrecevable la demande de M. [U] relative à la mise à pied disciplinaire ;
– dit que la prise d’acte de rupture du contrat de travail de M. [U] produit les effets d’une démission ;
– débouté M. [U] de l’ensemble de ses demandes et condamné celui-ci à verser à la société Openskies les sommes suivantes :
article 32-1 code de procédure civile : 1 000 euros ;
article 700 du code de procédure civile : 1 300 euros ;
– condamné M. [U] aux entiers dépens.
M. [U] a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 20 octobre 2022, en visant expressément les dispositions critiquées.
La société Openskies a constitué avocat le 11 janvier 2023.
Dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, l’affaire a été jointe à la procédure inscrite au rôle sous le numéro 22/08932, par ordonnance du 11 juin 2024.
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 5 février 2025.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 30 janvier 2025, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles M. [U] demande à la cour de :
– infirmer le jugement ;
– juger qu’il a été victime de discrimination syndicale ;
– juger que les manquements de l’employeur en raison de la discrimination syndicale dont il a fait l’objet sont d’une gravité suffisante pour justifier la prise d’acte de rupture du 1er mars 2017 ;
– juger que sa prise d’acte de rupture intervenue dans ces conditions produira les effets d’un licenciement nul pour violation du statut protecteur compte-tenu des mandats que le demandeur exerçait au sein de la société au jour de son départ ;
– condamner la société Openskies aux sommes suivantes :
dommages-intérêts pour préjudice financier : 52 398,36 euros ;
dommages-intérêts pour préjudice moral résultant de la discrimination syndicale : 10 000 euros ;
indemnité pour violation du statut protecteur : 447 899,40 euros ;
indemnité de licenciement : 66 892,41 euros ;
indemnité compensatrice de préavis : 51 680,70 euros ;
congés payés afférents : 5 168,07 euros ;
dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 103 361,40 euros ;
article 700 du code de procédure civile : 3 000 euros ;
les dépens ;
– débouter la société de sa demande de dommages-intérêts de 5 000 euros sur le fondement de l’article 559 du code de procédure civile ;
– ordonner la capitalisation des intérêts au taux légal en application de l’article 1154 du code civil.
Au soutien de ses demandes et en réplique à l’argumentation adverse il expose que :
– il produit de nombreux éléments de nature à laisser supposer l’existence d’une discrimination syndicale ; la société n’y répond que par voie d’affirmation sans communiquer le moindre élément probant ;
– au soutien de sa demande, il produit d’abord une mise à pied disciplinaire injustifiée notifiée le 30 juillet 2010, faisant suite à l’exercice de son droit de retrait sur un vol du 7 juillet 2010 ; la fin de non-recevoir soulevée par l’intimée doit être écartée dès lors qu’il a transigé sur l’annulation de la mise à pied mais non sur le fait que cette mise à pied s’intègre dans les faits au soutien d’une action en discrimination ;
– en outre, il dénonce également un blocage par l’employeur de l’évolution de sa carrière en raison de son engagement syndical ; c’est seulement le 5 avril 2014 qu’il a accédé aux fonctions de commandant de bord, au bout d’une troisième tentative à l’examen requis, situation anormale compte-tenu de la moyenne des évolutions de carrière au sein de la compagnie Openskies ; M. [U] a également été systématiquement recalé aux examens d’accès à d’autres postes et responsabilités supplémentaires (Directeur adjoint des opérations aériennes, Instructeur sol, Instructeur CRM, Instructeur de qualification de type) ; ni ses notes ni le contenu de ses évaluations ne lui ont été communiqués ; la société refuse de produire les comptes rendus de ces sélections ;
– il produit un panel sur la durée moyenne de promotion au poste de commandant de bord de ses collègues non syndiqués ; la société n’objecte aucune raison objective à cette différence de traitement ; le nombre d’heures de vol est un prérequis pour passer l’examen et ne constitue pas un critère d’appréciation, pas plus que le type d’avion ;
– enfin, l’attestation du responsable de la formation des équipages jusqu’en 2017, M. [E], expose la véritable raison derrière le refus de promotion de M. [U], à savoir son mandat de délégué syndical ;
– il rapporte la preuve de ses préjudices financier et moral ; il a subi un manque à gagner sur toute la période durant laquelle il a tenté vainement de passer les examens pour devenir commandant de bord ; la réparation de son préjudice moral doit être suffisamment dissuasive ;
– la prise d’acte de rupture de son contrat de travail est bien fondée et doit produire les effets d’un licenciement nul ;
– il est bien fondé à demander l’octroi d’une indemnité pour violation du statut protecteur d’un montant égal à la rémunération qu’il aurait perçu entre la date de la rupture et le terme de la période de protection incluant la période de protection suivant le terme du mandat, le tout dans la limite de 30 mois de salaire pour un mandat de délégué du personnel ;
– la demande reconventionnelle de la société pour appel dilatoire doit être rejetée ; la société est à ce jour in bonis.
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 4 février 2025, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la société Openskies demande la confirmation du jugement dans son intégralité, le rejet des demandes de M. [U] et sa condamnation aux sommes suivantes :
– article 559 du code de procédure civile : 5 000 euros ;
– article 700 du code de procédure civile : 5 000 euros ;
– les entiers dépens à hauteur d’appel.
L’intimée réplique que :
– M. [U] a pris acte de la rupture de son contrat de travail pour être embauché le lendemain par la société Transavia ; au cours de la relation de travail, il n’a jamais contesté le déroulement des procédures de sélection ou le résultat des examens auxquels il a participé ; la prise d’acte fait suite au refus de l’employeur d’accéder à la demande de rupture conventionnelle formulée par M. [U] ;
– les demandes de M. [U] sont irrecevables en raison de l’autorité de la chose jugée de la transaction conclue le 2 février 2012, par laquelle le salarié a renoncé « à toute réclamation quelle qu’en soit la nature, devant quelque autorité ou juridiction que ce soit, en lien direct ou indirect avec la sanction disciplinaire notifiée le 30 juillet 2010 » ;
– M. [U] ne produit aucun élément laissant supposer l’existence d’une discrimination ; l’exercice de son droit de retrait en 2010 était abusif ;
– les places de commandant de bord étaient limitées et le salarié justifiait d’une expérience limitée en comparaison à d’autres de ses collègues ; les tableaux versés ne sont pas probants ; M. [U] n’a jamais contesté auparavant les résultats des tests alors qu’il avait librement accès à son dossier ; celui-ci se contente d’en critiquer les résultats sans les remettre en cause ; en tout état de cause, la promotion se fait sur la base d’un examen de sélection auquel M. [U] a échoué ; c’est tardivement qu’il conteste les données des tests ayant abouti au rejet de ses candidatures ;
– M. [U] n’a atteint le critère de 3 000 heures de vol qu’en décembre 2010 ; sa durée d’accession aux fonctions de commandant de bord est donc de trois ans et demi ;
– l’attestation de M. [E] n’a aucune valeur probante en ce qu’elle ne mentionne aucune date et qu’elle n’est relative à aucun événement auquel ce dernier aurait personnellement assisté ;
– en outre, à la date de la prise d’acte, M. [U] avait réussi l’examen de commandant de bord et exerçait cette fonction ;
– M. [U] ne justifie pas des préjudices financier et moral allégués ;
– l’appel abusif du salarié est établi, ce dernier ayant esté en justice en dépit de la transaction conclue, réclamé plus de 36 mois de salaire à l’occasion de son départ, menacé la société de quitter l’entreprise sans préavis face au refus de faire droit à ses demandes financières et pris acte de la rupture de son contrat sans respecter de préavis.
PAR CES MOTIFS
La cour,
CONFIRME le jugement en ses dispositions soumises à la cour SAUF en ce qu’il condamné M. [U] à verser à la société Openskies la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l’article 32-1 du code de procédure civile ;
Statuant à nouveau du chef infirmé et y ajoutant :
DÉBOUTE la société Openskies de ses demandes de dommages-intérêts fondées sur les articles 32-1 et 559 du code de procedure civile;
DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,
CONDAMNE M. [U] aux dépens de la procédure d’appel,
CONDAMNE M. [U] à verser à la société Openskies la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et le DEBOUTE de sa demande à ce titre.
LE GREFFIER LE PRESIDENT
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