Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Paris
Thématique : Rupture de contrat et reconnaissance des heures supplémentaires non rémunérées.
→ RésuméUne secrétaire a été engagée par une société sans contrat de travail écrit à partir du 1er juin 2013, avec une relation de travail régie par la convention collective des services de l’automobile. En avril 2017, elle a demandé la régularisation de ses bulletins de paie pour refléter sa véritable durée de travail. Après un arrêt maladie, elle a saisi le conseil de prud’hommes pour demander la résiliation judiciaire de son contrat. Le jugement du 29 novembre 2018 a débouté la salariée de ses demandes, entraînant un appel de sa part.
Entre-temps, la salariée a pris acte de la rupture de son contrat le 4 janvier 2019. En juillet 2019, une liquidation judiciaire a été ouverte contre la société, et un liquidateur a été désigné. La cour d’appel a rejeté la demande de prise d’acte aux torts de l’employeur, considérant que la rupture n’était pas imputable à la société. La salariée a formé un pourvoi en cassation, qui a été accueilli en juillet 2022, entraînant un renvoi à la cour d’appel. Dans ses conclusions, la salariée a demandé la requalification de la prise d’acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi que diverses indemnités, notamment pour heures supplémentaires non rémunérées et travail dissimulé. Elle a soutenu avoir travaillé à temps plein malgré des bulletins de salaire indiquant un temps partiel. La société a contesté ces allégations, arguant que la salariée n’avait pas prouvé ses heures supplémentaires. La cour a finalement reconnu la réalité des heures supplémentaires et la dissimulation d’emploi salarié, qualifiant la prise d’acte de rupture comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Elle a fixé plusieurs indemnités au passif de la liquidation de la société, tout en rejetant la demande de dommages-intérêts pour préjudice moral. |
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 9
ARRET DU 03 AVRIL 2025
(n° , 10 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/08052 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CGMMK
Décision déférée à la Cour : Jugement du 29 Novembre 2018 rendu par le conseil de Prud’hommes d’Evry-Courcouronnes infirme partiellement par un arrêt de la cour d’appel de Paris en date du 1er juillet 2020 cassé en toutes ses dispositions par un arrêt de la chambre sociale de la cour de cassation en date du 6 juillet 2022.
DEMANDEUR A LA SAISINE SUR RENVOI APRES CASSATION
Madame [T] [I]
[Adresse 2]
[Localité 7]
Représentée par Me Sylvie CHATONNET-MONTEIRO, avocat au barreau D’ESSONNE
DEFENDEURS A LA SAISINE SUR RENVOI APRES CASSATION
S.E.L.A.R.L. MJC2A prise en la personne de Me [R] [D] ès qualités de mandataire ad hoc de l’EURL [Localité 7] CONDUITE 2000
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentée par Me Pierre TONOUKOUIN de la SELARL CAUSIDICOR, avocat au barreau de PARIS, toque : J133
Association AGS CGEA IDF EST
[Adresse 1]
[Localité 5]
Non représentée
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 11 Février 2025, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Stéphane MEYER, président de chambre
Madame Florence MARGUERITE, présidente de chambre
Madame Nelly CHRETIENNOT, conseillère
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Madame Florence MARGUERITE, présidente de chambre dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Madame Marika WOHLSCHIES
ARRET :
– réputé contradictoire,
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,
– signé par Monsieur Stéphane MEYER, président de chambre et par Madame Marika WOHLSCHIES, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Mme [I] a été engagée par la société [Localité 7] Conduite 2000, sans contrat de travail écrit, à compter du 1er juin 2013, en qualité de secrétaire.
La relation de travail est régie par la convention collective des services de l’automobile.
La société emploie au moins 11 salariés.
Par lettre du 4 avril 2017, Mme [I] a sollicité la régularisation des bulletins de paie afin qu’ils mentionnent la réalité de sa durée du travail.
Mme [I] a été placée en arrêt de travail pour maladie à compter du 29 avril 2017.
Le 27 juin 2017, Mme [I] a saisi le conseil de prud’hommes d’Evry et formé des demandes afférentes à une résiliation judiciaire de son contrat de travail et à l’exécution du contrat de travail.
Par jugement du 29 novembre 2018, rendu sous la présidence du juge départiteur, le conseil de prud’hommes d’Evry a débouté Mme [I] de l’ensemble de ses demandes, l’a condamnée au paiement des dépens et a débouté la société [Localité 7] conduite 2000 de sa demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration du 13 décembre 2018, Mme [I] a interjeté appel de ce jugement.
Entre temps, Mme [I] a pris acte de la rupture de son contrat de travail le 4 janvier 2019.
Par jugement du 22 juillet 2019, une procédure de liquidation judiciaire a été ouverte à l’encontre de la société [Localité 7] Conduite 2000 par le tribunal de commerce d’Evry.
La SCPE [R] [D] (actuellement la société MJC2A), prise en la personne de Me [R] [D], a été désignée en qualité de liquidateur judiciaire.
Par arrêt du 1er juillet 2020, la cour d’appel de Paris a :
– rejeté la demande de prise d’acte aux torts de la société [Localité 7] Conduite 2000 ;
– dit que la rupture du contrat de travail de Mme [I] n’est pas imputable à la société [Localité 7] Conduite 2000 et que celle-ci produit les effets d’une démission ;
– confirmé pour le surplus le jugement en toutes ses dispositions ;
– débouté les parties du surplus de leurs conclusions ;
– condamné Mme [I] aux entiers dépens ;
Mme [I] a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt.
Par arrêt du 6 juillet 2022, la Cour de cassation a cassé et annulé, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 1er juillet 2020 au motif qu’en ne recherchant pas si les décomptes forfaitaires invoqués par la salariée dans ses conclusions d’appel, détaillant le nombre d’heures supplémentaires par semaine qu’elle soutenait avoir effectuées, n’étaient pas suffisamment précis pour permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments, la cour d’appel a fait peser la charge de la preuve sur la seule salariée et violé l’article L.3171-4 du code du travail.
Mme [I] a saisi la cour d’appel de renvoi par déclaration du 5 septembre 2022.
L’UNEDIC (délégation AGS-CGEA IDF Est) a été assignée en intervention forcée par acte du 1er décembre 2022.
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 29 janvier 2025.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 7 novembre 2024, Mme [I] demande à la cour de :
– infirmer le jugement,
– requalifier la prise d’acte de rupture de son contrat de travail en licenciement sans cause réelle et sérieuse
– fixer au passif de la société [Localité 7] Conduite 2000, à son profit, les sommes suivantes :
o indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 19 500 euros ;
à titre principal :
o indemnité compensatrice de préavis : 3 900 euros ;
o congés payés afférents : 390 euros ;
o indemnité conventionnelle de licenciement : 2 803,12 euros ;
à titre subsidiaire :
o indemnité compensatrice de préavis : 2 960,60 euros ;
o congés payés afférents : 296,06 euros ;
o indemnité légale de licenciement : 2 127,92 euros ;
en tout état de cause :
o dommages-intérêts équivalent à la perte d’indemnités journalières du fait du temps plein non déclaré : 28 669,40 euros ;
o congés payés afférents : 2 866,94 euros ;
o dommages-intérêts pour préjudice moral : 10 000 euros ;
o rappel des heures supplémentaires : 9 000,61 euros ;
o congés payés afférents : 900,06 euros ;
o indemnité forfaitaire pour travail dissimulé : 11 700 euros ;
o article 700 du code de procédure civile : 3 500 euros ;
o taux légal ;
o les dépens ;
– ordonner la remise de l’attestation pôle emploi et du certificat de travail conformes à la décision à intervenir sous astreinte de 200 euros par jour de retard et par document ;
– dire et juger que l’arrêt sera rendu opposable à l’AGS CGEA.
Au soutien de ses demandes, Mme [I] expose que :
– ses bulletins de salaire mentionnaient 10 heures de travail mensuel alors qu’elle travaillait dans les faits à temps plein, au début 41 heures hebdomadaires puis 37 heures à compter d’octobre 2015 ; les heures supplémentaires n’étaient pas rémunérées ;
– la prise d’acte est fondée et doit produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ; la demande initiale de résiliation est par conséquent devenue sans objet ; au soutien de sa demande, elle invoque des manquements suffisamment graves ; le seul fait que les faits reprochés soient anciens est inopérant au regard de leur persistance ;
– dès son embauche, elle était rémunérée sur la base d’un temps plein sans être pour autant déclarée ainsi ; en l’absence d’écrit, le contrat est présumé conclu à temps complet ; la société prétend de façon mensongère qu’un avenant aurait acté le passage de la salariée à temps plein au mois de mars 2017 ; les attestations de collègues et d’élèves au sein de l’auto-école versées au débat sont probantes ; la société ne rapporte pas la preuve du temps partiel allégué ; le compte-rendu d’entretien du 21 septembre 2015 démontre qu’il était impossible que Mme [I] n’ait travaillé en moyenne que 2 heures et demi par semaine ; l’allégation selon laquelle la salariée aurait refusé un contrat à temps plein afin de ne pas perdre sa pension de retraite est fausse ; de même, l’allégation de l’employeur relative à l’absence de déclaration de l’impôt sur le revenu est fantaisiste ;
– en outre, les correspondances et la plainte déposée le 4 avril 2017 font état du comportement menaçant M. [C] ;
– du fait du temps plein non déclaré, Mme [I] rapporte la preuve d’un préjudice résultant de la perte d’indemnités journalières et de compléments d’indemnités journalières à la charge de l’entreprise ;
– elle rapporte également la preuve d’un préjudice moral dès lors que l’employeur a profité de sa situation financière ;
– sa demande de rappel d’heures supplémentaires est fondée ; elle produit des éléments suffisamment précis au soutien de sa demande ; le calcul effectué déduit bien les congés pris contrairement à ce que prétend le mandataire ; la société ne produit en revanche aucun élément pour justifier des horaires de la salariée ;
– l’infraction de travail dissimulé est établie ; l’élément intentionnel également.
Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 5 décembre 2024, la société MJC2A demande à la cour de :
– confirmer le jugement en ce qu’il a débouté Mme [I] de ses demandes
à titre subsidiaire,
– réduire le quantum de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en application de l’article L.1235-3 du code du travail ;
en tout état de cause,
– débouter Mme [I] de toute demande d’astreinte et des frais irrépétibles et arrêter le cours des intérêts au taux légal au 22 juillet 2019.
Elle fait valoir que :
– la prise d’acte ne peut en aucun cas produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, faute pour la salariée d’établir des manquements suffisamment graves commis par l’employeur ; jusqu’à sa convocation par les forces de l’ordre, les prétendus bulletins de paie non-conformes n’avaient jamais empêché la poursuite des relations de travail ; Mme [I] ayant » complaisamment » accepté cette dissimulation notamment auprès des impôts ; les soi-disant menaces alléguées par la salariée ne sont pas démontrées ;
– Mme [I] fait état d’heures supplémentaires non réglées sans en apporter la preuve, se bornant à de simples affirmations ;
– à titre subsidiaire, l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse doit être fixée en application de l’article L.1235-3 du code du travail, et comprise entre trois et six mois de salaires ;
– la demande de réparation au titre de la perte d’indemnités journalières du fait du temps plein non déclaré est opportune et infondée ;
– de même, s’agissant de la demande fondé sur le préjudice moral allégué, Mme [I] ayant signé une convention de divorce aux termes de laquelle elle a perçu des sommes importantes, elle avait un seul enfant à charge et percevait sa pension de retraite ;
– la demande de rappel d’heures supplémentaire est également infondée, Mme [I] ne déduisant dans son calcul, ni les congés ni les arrêts de travail pour maladie ;
– la demande au titre d’un travail dissimulé doit aussi être rejetée ;
– suite à l’ouverture de la procédure collective, les demandes de condamnation et celle d’astreinte sont irrecevables ; le cours des intérêts doit être arrêté au 22 juillet 2019, jour du prononcé de la liquidation judiciaire ;
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions.
L’UNEDIC (délégation AGS-CGEA IDF Est), à laquelle une assignation en intervention forcée et les conclusions ont été signifiées par l’appelant, le 1er décembre 2022 à personne morale, n’a pas constitué avocat ni fait parvenir de conclusions à la cour.
PAR CES MOTIFS
La cour
DIT que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail du 4 janvier 2019 produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
CONFIRME le jugement en ce qu’il a débouté Mme [I] de sa demande de dommages-intérêts pour préjudice moral,
L’INFIRME sur le surplus des dispositions soumises à la cour,
Statuant à nouveau et y ajoutant :
FIXE au passif de la liquidation de la société [Localité 7] conduite 2000 au profit de Mme [I] les sommes de :
– 5 340,50 euros bruts à titre de rappel d’heures supplémentaires et 534,05 euros au titre des congés payés afférents
– 11 700 euros à titre d’indemnité pour travail dissimulé
– 28 669,40 euros à titre dommages-intérêts pour perte d’indemnités journalières du fait du temps plein non déclaré,
– 2 960 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis et 296,06 euros de congés payés afférents,
– 2127,92 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement,
– 5 000 euros au titre des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
DIT que les créances salariales porteront intérêts au taux légal à compter de la date de la réception par l’employeur de la lettre le convoquant devant le bureau de conciliation et d’orientation et les créances indemnitaires à compter du présent arrêt,
RAPPELLE que le jugement d’ouverture de la procédure collective a arrêté le cours des intérêts légaux et conventionnels ainsi que tous intérêts de retard et majoration,
DIT que le présent arrêt sera opposable au [Adresse 6] (CGEA) d’Ile de France Est dans les limites et plafonds définis aux articles L.3253-8 à L.3253-17, D.3253-2 et D.3253-5 du code du travail,
ORDONNE à la société MJC2A, prise en la personne de Me [R] [D], en qualité de liquidateur judiciaire de la société [Localité 7] conduite 2000, de remettre à Mme [I] un certificat de travail et une attestation pôle emploi, devenu France travail, conformes aux dispositions de la présente décision, dans le délai d’un mois à compter de sa notification,
REJETTE la demande d’astreinte
DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,
FIXE au passif de la liquidation de la société [Localité 7] conduite 2000 les dépens de première instance et d’appel,
FIXE au passif de la liquidation de la société [Localité 7] conduite 2000 au profit de Mme [I] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRESIDENT
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