Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Paris
Thématique : Responsabilité médicale et infection nosocomiale : enjeux d’indemnisation et de prescription.
→ RésuméUn individu a subi une luxation du poignet droit le 7 janvier 2001, entraînant une opération au centre médico-chirurgical. Après l’intervention, il a développé des douleurs persistantes et a été diagnostiqué avec une infection à staphylococcus aureus, nécessitant une nouvelle opération. En mai 2001, un autre médecin a confirmé la présence de l’infection. En janvier 2004, le tribunal de commerce a ouvert une procédure de liquidation judiciaire contre le centre médico-chirurgical, désignant un liquidateur.
En mars 2012, l’individu a sollicité une indemnisation auprès de la Commission de Conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux, mais sa demande a été rejetée car l’acte médical incriminé était antérieur à la loi sur l’indemnisation des infections nosocomiales. Il a ensuite assigné le centre médico-chirurgical, le centre hospitalier, les médecins impliqués, la Caisse Primaire d’Assurance Maladie et l’assureur du médecin devant le tribunal de grande instance. Le tribunal a désigné un expert qui a conclu à la responsabilité du centre médico-chirurgical pour l’infection nosocomiale. En juin 2016, le tribunal a clôturé la liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif. En octobre 2019, le tribunal a débouté l’individu de ses demandes d’indemnisation, arguant qu’il n’avait pas déclaré sa créance au liquidateur et que l’assureur n’était pas en cause. L’individu a interjeté appel, demandant la reconnaissance de la responsabilité du centre médico-chirurgical et l’indemnisation par l’assureur. La cour a infirmé le jugement sur la recevabilité de l’action contre le liquidateur, déclarant l’individu recevable dans sa demande. Elle a reconnu la responsabilité du centre médico-chirurgical pour l’infection nosocomiale et a confirmé que l’individu pouvait agir directement contre l’assureur. Toutefois, elle a maintenu le rejet des demandes d’indemnisation contre l’assureur, considérant que l’individu n’avait pas justifié d’une réclamation dans les délais. |
RÉPUBLIQUE FRAN’AISE
AU NOM DU PEUPLE FRAN’AIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 4 – Chambre 10
ARRÊT DU 03 AVRIL 2025
(n° , 9 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/17501 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CEOAE
Décision déférée à la Cour : Jugement du 08 Octobre 2019 – Tribunal de Grande Instance de BOBIGNY – RG n° 16/03413
APPELANT
Monsieur [U] [S] [O]
né le [Date naissance 2] 1952 à [Localité 12] (GUADELOUPE)
[Adresse 4]
[Localité 9]
Assisté de Me Nadia KHATER, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, toque : 275
(Aide juridictionnelle totale n° 2021/042169 du 15/10/2021 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de PARIS)
INTIMÉES
S.A. MMA IARD, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
immatriculée au RCS du Mans sous le numéro 440 048 882
[Adresse 1]
[Localité 6]
Représentée et assistée par Me Dominique DUFAU de la SELARL DUFAU-ZAYAN Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : C1249, substituée à l’audience par Me Pauline DEIDDA de la SELARL DUFAU-ZAYAN Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : C1249
Maître [K] [G] de la SARL [G] es qualité de mandataire ad litem de la S.A.R.L. CENTRE MEDICO-CHIRURGICAL [10] (CMC [10]), prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 5]
[Localité 7]
Défaillant, régulièrement avisé le 19 janvier 2022 par procès-verbal de remise à personne habilitée
CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DU VAL D’OISE, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 3]
[Localité 8]
Défaillante, régulièrement avisée le 14 janvier 2022 par procès-verbal de remise à personne habilitée
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été plaidée le 23 Janvier 2025, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme Marie-Odile DEVILLERS, Présidente
Mme Valérie MORLET, Conseillère
Mme Anne ZYSMAN, Conseillère
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Madame Valérie MORLET dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Madame Valérie JULLY
ARRÊT :
– réputé contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Marie-Odile DEVILLERS, Présidente et par Caroline GAUTIER, Greffier, présent lors de la mise à disposition.
***
Faits et procédure
M. [U] [O] est le 7 janvier 2001 tombé dans ses escaliers et s’est luxé le poignet droit.
Il a été transporté au service des urgences du centre médico-chirurgical [10] (SARL) aux [Localité 11] (Seine Saint-Denis) et a le même jour été opéré par le Dr [T] [Z].
Suite à cette opération et se plaignant de douleurs nocturnes au poignet droit, M. [O] a consulté son médecin, qui a prescrit un examen bactériologique. Celui-ci a été effectué le 21 février 2001 par le laboratoire de biologie médicale des [Localité 11] et a révélé de nombreuses colonies de staphylococcus aureus. L’intéressé a alors dû à nouveau être opéré par le Dr [Z] au centre médico-chirurgical [10] au mois de mars 2001.
Les douleurs persistant, M. [O] s’est le 18 mai 2001 rendu au centre hospitalier [14] à [Localité 13] et a été reçu en consultation par le Dr [I] [A]. Celui-ci a le 21 juin 2001 pratiqué une synovectomie (ablation de la muqueuse articulaire) et indiqué qu’il avait pu retrouver à l’examen bactériologique la présence d’un staphylocoque doré sensible aux antibiotiques.
*
Le tribunal de commerce de Bobigny a par jugement du 12 janvier 2004 ordonné l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire à l’encontre du centre médico-chirurgical [10], désignant Me [V] [E] en qualité de liquidateur judiciaire.
*
Arguant d’une infection contractée lors de son hospitalisation au mois de janvier 2001, M. [O] a par courrier du 28 mars 2012 saisi la Commission de Conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CCI), qui a refusé sa demande d’indemnisation, l’acte médical incriminé ayant été réalisé exercé le 7 janvier 2001, soit antérieurement au 5 septembre 2001, date d’entrée en vigueur de la loi sur l’indemnisation des CRCI.
M. [O] a alors par actes des 22, 26, 27 et 28 novembre 2012 assigné la clinique [10] (représentée par Me [E], son liquidateur judiciaire), le centre hospitalier [14], les Drs [Z] et [A], la Caisse Primaire d’Assurance Maladie (CPAM) de Seine-Saint-Denis et la SA MMA IARD, recherchée en qualité d’assureur du Dr [Z], devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Bobigny aux fins d’expertise. Le Dr [W] [R] a été désigné en qualité d’expert par ordonnance du 13 février 2013, rectifiée par ordonnance du 6 mars 2013 (erreur sur la civilité de M. [O]).
M. [O] a ensuite par actes des 18 et 19 avril 2013 assigné la CPAM du Val d’Oise et la Société Hospitalière d’Assurances Mutuelles (SHAM) en sa qualité d’assureur du Dr [Z] devant le juge des référés aux fins d’expertise commune. Les opérations de l’expert ont été rendues communes à ces parties selon ordonnance du 29 mai 2013.
L’expert judiciaire a clos et déposé son rapport le 20 janvier 2015.
*
Le tribunal de commerce de Bobigny a par jugement du 30 juin 2016 ordonné la clôture des opérations de liquidation judiciaire, pour insuffisance d’actif, engagées contre le centre médico-chirurgical [10]. Le centre de soins a le même jour été radié du registre du commerce et des sociétés.
*
M. [O] a au vu du rapport d’expertise judiciaire, par actes des 10, 15 et 17 février 2017, assigné Me [V] [E], liquidateur judiciaire du centre médico-chirurgical [10], la société MMA IARD (en qualité d’assureur du centre médico-chirurgical [10]) et la CPAM du Val d’Oise en responsabilité et indemnisation devant le tribunal de grande instance de Bobigny.
*
Le tribunal, par jugement du 8 octobre 2019, a :
– débouté M. [O] de ses demandes à l’encontre de la société MMA IARD, y compris celle au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– débouté la société MMA IARD de sa demande à l’encontre de M. [O] au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– dit le jugement commun à la CPAM du Val d’Oise,
– condamné M. [O] aux dépens, incluant les frais d’expertise.
Le premier juge constaté que M. [O] ne produisait pas sa déclaration de créance entre les mains du mandataire liquidateur du centre médico-chirurgical [10] et ne justifiait pas avoir demandé à être relevé de la forclusion encourue et a en conséquence considéré que ses demandes indemnitaires, dirigées contre l’établissement de soins, étaient irrecevables.
Il a ensuite observé que M. [O] ne démontrait pas que la société MMA IARD ait été l’assureur du Dr [Z] (non en la cause) ni du centre médico-chirurgical [10] au moment de sa réclamation.
*
Le tribunal de commerce de Bobigny a par ordonnance du 1er juillet 2021 désigné Maître [K] [G] (SELARL [G]) en qualité de mandataire ad litem du centre médico-chirurgical [10].
*
M. [O] a par acte du 6 octobre 2021 interjeté appel du jugement du tribunal de grande instance de Bobigny du 8 octobre 2019, intimant la société MMA IARD, le centre médico-chirurgical [10] pris en la personne de la société [G], son mandataire ad litem, et la CPAM devant la Cour.
*
M. [O], dans ses dernières conclusions signifiées le 14 novembre 2024, demande à la Cour de :
– recevoir son appel comme régulier en sa forme,
– infirmer le jugement en ce qu’il :
. l’a déclaré irrecevable en ses demandes à l’encontre de la SCP [E]-[G] prise en sa qualité de liquidateur judiciaire du centre médico-chirurgical [10],
. l’a débouté de ses demandes à l’encontre de la société MMA IARD, y compris celle au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
. a débouté la société MMA IARD de sa demande à son encontre au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
. a dit le jugement commun à la CPAM du Val d’Oise,
. l’a condamné aux dépens comprenant les frais d’expertise,
Statuant à nouveau, y faisant droit, en conséquence,
– déclarer le centre médico-chirurgical [10], pris en la personne de Me [G] de la SELARL [G] ès qualités de mandataire ad litem, responsable de l’infection nosocomiale qu’il a contractée au sein de la clinique au décours du geste opératoire du 7 janvier 2001,
– le déclarer recevable en son action en indemnisation dirigée contre la société MMA IARD, assureur du centre médico-chirurgical [10],
En conséquence et y faisant droit,
– condamner la société MMA IARD, assureur du centre médico-chirurgical [10], à lui payer les sommes de :
. 5.180 euros en réparation du préjudice de perte de gains professionnels actuels,
. 6.680 euros en réparation du préjudice frais divers (assistance d’une tierce personne),
. 8.500 euros en réparation du préjudice lié au déficit fonctionnel temporaire,
. 8.000 euros en réparation des souffrances endurées,
. 20.000 euros en réparation du préjudice lié au déficit fonctionnel permanent,
. 15.000 euros en réparation du préjudice d’agrément,
. 2.000 euros en réparation du préjudice esthétique,
. 3.000 euros en application des dispositions de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991,
– confirmer la décision querellée en ce qu’elle a dit le jugement commun à la CPAM du Val d’Oise,
– ordonner l’exécution provisoire [sic],
– condamner « les défendeurs » aux entiers dépens, y compris aux frais d’expertise,
A titre subsidiaire,
– mettre les dépens, y compris les frais d’expertise, à la charge du Trésor Public.
M. [O] estime être recevable en son action contre Maître [G], en sa qualité de mandataire ad litem du centre médico-chirurgical [10], ne présentant pas de demandes indemnitaires contre l’établissement mais recherchant seulement sa responsabilité du fait d’une infection nosocomiale.
Il exerce ensuite son droit d’action directe contre la société MMA IARD, assureur du centre médico-chirurgical [10] et estime être recevable en cette action, non subordonnée à la mise en cause de l’assuré et non prescrite. A titre subsidiaire, il rappelle avoir adressé à l’Agence Régionale de l’Hospitalisation d’Ile de France (ARHIF) une demande d’indemnisation, dirigée contre le centre médico-chirurgical [10], le 4 janvier 2006.
Il demande en conséquence la condamnation de la société MMA IARD à garantir la clinique [10] des conséquences dommageables de sa responsabilité du fait de la maladie nosocomiale contractée au décours de son hospitalisation.
Il présente ensuite ses demandes indemnitaires poste par poste.
La société MMA IARD, dans ses dernières conclusions signifiées le 7 mars 2022, demande à la Cour de :
– la déclarer recevable et bien fondée en l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
A titre principal,
– confirmer le jugement en ce qu’il a débouté M. [O] de ses demandes d’indemnisation à son encontre,
En conséquence,
– débouter M. [O] de l’ensemble de ses demandes indemnitaires formulées en cause d’appel à son encontre, y compris celle au titre de l’article 700 du code de procédure civile et des dépens,
– condamner M. [O] « à la somme de » 2.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens,
A titre subsidiaire, si la Cour venait infirmer le jugement attaqué,
En conséquence et statuant à nouveau,
– fixer le préjudice de M. [O] comme suit :
. préjudices patrimoniaux temporaires
. « PGPA » : rejet,
. tierce personne : 4.676 euros,
. préjudices extrapatrimoniaux temporaires :
. « DFT » : 6.450 euros,
. « SE » : 4.000 euros,
. préjudices extrapatrimoniaux permanents :
. « DFP » : 5.500 euros,
. préjudice d’agrément : rejet,
. préjudice esthétique : rejet,
– réduire le montant réclamé au titre de l’article 700 du « CPC » à de plus justes proportions.
La société MMA IARD rappelle qu’en matière médicale, l’assureur appelé à garantir le dommage est celui qui assure le responsable au jour de la réclamation. Elle indique avoir été l’assureur du centre médico-chirurgical [10] du 1er janvier 1995 au 1er janvier 2003 et ajoute que sa garantie subséquente de cinq ans a pris fin le 1er janvier 2008, soit bien avant la réclamation formée par M. [O], survenue durant l’année 2012 (date de la saisine de la CRCI). Elle estime que M. [O] ne justifie pas d’une déclaration dès 2006, la pièce qu’il produit à ce titre ne constituant pas une déclaration de sa part et le courrier de l’ARHIF ne mentionnant aucune déclaration.
A titre subsidiaire, l’assureur discute les demandes indemnitaires de M. [O].
Le centre médico-chirurgical [10], représenté par son mandataire ad litem, qui a reçu signification de la déclaration d’appel et des conclusions de l’appelant selon acte délivré le 19 janvier 2022 à personne habilitée à le recevoir, n’a pas constitué avocat devant la Cour.
La CPAM, qui a reçu signification de la déclaration d’appel et des conclusions de l’appelant selon acte délivré le 14 janvier 2022 à personne habilitée à le recevoir, n’a pas constitué avocat devant la Cour.
L’arrêt sera en conséquence réputé contradictoire, conformément aux dispositions de l’article 474 du code de procédure civile.
*
La clôture de la mise en état du dossier a été ordonnée le 11 décembre 2024, l’affaire plaidée le 23 janvier 2025 et mise en délibéré au 3 avril 2025.
Par ces motifs,
La Cour,
Infirme le jugement en ce qu’il a dit M. [U] [O] irrecevable en sa demande présentée contre la SARL centre médico-chirurgical [10], représenté par son mandataire ad litem, Me [K] [G] (SELARL [G]),
Statuant à nouveau de ce chef,
Dit M. [U] [O] recevable en sa demande présentée contre la SARL centre médico-chirurgical [10], représenté par son mandataire ad litem, Me [K] [G] (SELARL [G]),
Dit la SARL centre médico-chirurgical [10] responsable des conséquences préjudiciables pour M. [U] [O] de l’infection nosocomiale contractée au décours de l’intervention du 7 janvier 2001,
Confirme le jugement en ses autres dispositions,
Condamne M. [U] [O] aux dépens d’appel,
Condamne M. [U] [O] à payer à la SA Mutuelles du Mans (MMA) IARD la somme de 1.000 euros en indemnisation de ses frais irrépétibles d’appel.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
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