Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Paris
Thématique : Licenciement contesté pour faute grave et indemnités associées.
→ RésuméLa société Aerespace, fondée par un dirigeant minoritaire et un dirigeant majoritaire, a pour activité l’installation d’équipements thermiques et de climatisation. Un salarié, occupant le poste de Directeur technique, a été licencié pour faute grave en juin 2018, après avoir été convoqué à un entretien préalable. Les motifs de licenciement incluaient un manque de supervision des chantiers, des comportements inappropriés envers le personnel, et des dépenses personnelles non justifiées.
Le salarié a contesté son licenciement devant le conseil de prud’hommes, arguant que les accusations étaient infondées et que son licenciement était vexatoire. En septembre 2021, le conseil a confirmé la faute grave, déboutant le salarié de ses demandes. Ce dernier a alors interjeté appel, demandant l’infirmation du jugement et des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. La société Aerespace a été placée en redressement judiciaire en octobre 2018, puis en liquidation judiciaire en avril 2019, avec un mandataire liquidateur désigné. Dans le cadre de l’appel, le salarié a réclamé des indemnités significatives, incluant des montants pour licenciement, préavis, et congés payés, ainsi que des dommages-intérêts pour préjudice moral. La cour d’appel a examiné les preuves fournies par le mandataire liquidateur, notamment des témoignages d’anciens employés, mais a jugé que les éléments présentés ne justifiaient pas la faute grave. En conséquence, la cour a infirmé le jugement de première instance, reconnaissant que le licenciement était sans cause réelle et sérieuse. Elle a fixé les créances du salarié au passif de la liquidation judiciaire, lui allouant des indemnités substantielles, tout en déboutant ses demandes de dommages-intérêts pour licenciement vexatoire. |
Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 10
ARRET DU 03 AVRIL 2025
(n° , 7 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/09459 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CEU74
Décision déférée à la Cour : Jugement du 28 Septembre 2021 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de CRETEIL – RG n° F 19/00445
APPELANT
Monsieur [Z] [R]
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représenté par Me Christophe BÉHEULIÈRE, avocat au barreau de PARIS, toque : C1511
INTIMEES
S.E.L.A.R.L. S21Y es qualités de mandataire judiciaire de la société AERESPACE désignée à ces fonctions par jugement du tribunal de commerce de Créteil du 30 avril 2019
[Adresse 3]
[Localité 6]
Représentée par Me Eric LENARD, avocat au barreau de PARIS, toque : G0823
Association AGS CGEA ILE DE FRANCE EST
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Jean-charles GANCIA, avocat au barreau de PARIS, toque : T07
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 30 Janvier 2025 2025, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Gwenaelle LEDOIGT, Présidente de la chambre, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Madame Gwenaelle LEDOIGT, Présidente de la chambre
Madame Carine SONNOIS, Présidente de la chambre
Madame Véronique BOST, Conseillère de la chambre
Greffier : lors des débats : Mme Sonia BERKANE
ARRET :
– contradictoire
– mis à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Gwenaelle LEDOIGT, Présidente de la chambre, et par Madame Sonia BERKANE,Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE :
La société Aerespace a été créée par M. [R] et M. [M], le 1er août 1990. M. [R] était actionnaire minoritaire. La société avait pour activité les travaux d’installation d’équipements thermiques et de climatisation au profit de professionnels et de particuliers.
M. [R] déclare qu’il a assumé, à compter du 9 août 1990, les fonctions de Directeur technique, sans qu’aucun contrat de travail n’ait été conclu. En revanche, des bulletins de paie lui ont été adressés, chaque mois, pour une rémunération mensuelle brute de 5 260 euros.
M. [M] a décidé de prendre sa retraite en 2015 et a vendu ses parts à M. [I], qui exerçait les fonctions de gérant majoritaire.
Dans le dernier état des relations contractuelles régies par la convention collective nationale aéraulique, le salarié percevait une rémunération mensuelle brute de 5 260 euros.
Le 18 mai 2018, M. [R] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 30 mai suivant.
Le 11 juin 2018, M. [R] s’est vu notifier un licenciement pour faute grave, libellé dans les termes suivants :
« Nous avons eu à déplorer de votre part des agissements constitutifs de faute grave, ce dont nous vous avons fait part lors de notre entretien en date du 30 mai 2018.
Ces agissements sont les suivants :
– Vous avez laissé de nombreux chantiers sans surveillance et délégué des tâches qui vous incombaient à du personnel non qualifié, ce qui a engendré plusieurs défaillances et erreurs sur les chantiers. Vous n’assurez pas le contrôle des travaux réalisés par les techniciens qui demeurent bien souvent dans 1’attente de précisions quant à l’aspect technique des opérations, ce qui bloque les chantiers. Votre abandon de certains chantiers et votre insubordination ont provoqué l’insatisfaction de plusieurs clients.
* Dans le cadre du chantier Hôtel des États-Unis du 2 mai 2018, un rendez-vous était fixé pour toute l’équipe à 14h. Vous ne vous êtes présenté qu’à 15h30. Vous n’aviez communiqué aucune information ou consigne aux équipes d’intervention. En réponse à leurs demandes d’information vous les avez dirigés vers l’assistante car vous n’aviez aucune connaissance de ce chantier, qui pourtant était sous votre responsabilité.
* Dans le cadre du Chantier ARPAGIAN du 3 mai 2018 le plaquiste vous avait demandé à plusieurs reprises de faire intervenir les techniciens avant la pose du placoplâtre, ce qui n’a pas été fait. En conséquence, le passage des tuyauteries a nécessité le démontage des doublages de mur en placoplâtre car les cloisons avait été montées préalablement. Cette erreur, qui aurait aisément pu être évitée, a engendré un retard conséquent sur le chantier.
* Dans le cadre du chantier CIAMT [Localité 7] des 25 mai 2018 et 4 juin 2018, vous refusiez de communiquer les informations nécessaires au travail de l’équipe d’intervention. Les techniciens vous ont pourtant alerté sur l’absence totale d’information sur ce chantier lors de leur arrivée sur les lieux.
– Votre comportement méprisant à l’égard du reste du personnel impacte grandement la dynamique des équipes.
– Vous refusez de communiquer votre planning et de justifier vos absences sur les chantiers.
– Vous avec effectué des dépenses personnelles et sollicité leur remboursement par le biais de notes de frais. En effet, vous avez notamment acheté, aux frais de la société, une cave à vin (30 novembre 2017). Vous avez prétendu que vous entendiez l’offrir à un client. Le gérant de la société AERESPACE vous a demandé à plusieurs reprises de quel client il s’agissait, néanmoins, vous avez refusé de communiquer son identité.
Nous avons été particulièrement surpris de constater que cette cave à vin avait été livrée à votre domicile.
Étant dans l’incapacité de communiquer le nom du prétendu client destinataire de ce cadeau, vous avez rapporté la cave à vin au siège de la société, grossièrement ré-emballée afin de feindre sa non-utilisation. Cette cave à vin a été rapportée quelques jours avant votre entretien préalable au licenciement.
– Malgré nos demandes répétées ainsi qu’une mise en demeure en date du 23 février 2018, vous refusez de communiquer les justificatifs relatifs aux indemnités kilométriques pour l’année 2017. Pourtant, nous sommes contraints de communiquer ces informations à1’URSSAF qui nous a d’ores et déjà relancés à plusieurs reprises.
Votre conduite met en cause la bonne marche du service. Les explications recueillies auprès de vous au cours de notre entretien en date du 30 mai 2018 ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation à ce sujet ; nous vous informons que nous avons, en conséquence, décidé de vous licencier pour faute grave.
Compte tenu de la gravité de celle-ci et de ses conséquences, votre maintien dans l’entreprise s’avère impossible ».
Le 17 octobre 2018, la société Aerespace a été placée en redressement judiciaire. Le 24 avril 2019, la procédure a été convertie en liquidation judiciaire et la SELARL S21Y a été désignée en qualité de mandataire liquidateur.
Le 29 mars 2019, M. [R] a saisi le conseil de prud’hommes de Créteil pour contester son licenciement et solliciter des dommages-intérêts pour licenciement vexatoire et manquement à l’obligation de loyauté.
Le 28 septembre 2021, le conseil de prud’hommes de Créteil, dans sa section Encadrement, a statué comme suit :
– dit que le licenciement de M. [R] repose sur une faute grave
En conséquence,
– déboute M. [R] de toutes ses demandes
– déboute la SELARL S21Y en sa qualité de mandataire liquidateur de la SARL Aerespace de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile
– laisse les éventuels dépens à la charge de M. [R].
Par déclaration du 16 novembre 2021, M. [R] a relevé appel du jugement de première instance dont il a reçu notification à une date non déterminable.
Vu les dernières conclusions remises et notifiées le 14 janvier 2022, aux termes desquelles
M. [R] demande à la cour d’appel de :
– infirmer en toutes ses dispositions le jugement du conseil de prud’hommes de Créteil du 28 septembre 2021
En conséquence,
– dire que le licenciement de Monsieur [R] est sans cause réelle et sérieuse et présente un caractère vexatoire, au regard des reproches mensongers qui lui sont faits, de son ancienneté et de son implication
– prononcer l’opposabilité de l’arrêt à venir de la cour aux CGEA d’IDF EST (AGS)
– condamner la société Aerespace et fixer au passif de la société Aerespace :
* 88 895 euros à titre d’indemnité de licenciement
* 15 780 euros bruts à titre d’indemnité de préavis
* 1 578 euros bruts à titre de congés payés sur préavis
* 102 570 euros au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
* 31 560 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral lié au caractère vexatoire du licenciement et manquement à l’obligation de loyauté
* 3 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile
* le tout assorti des intérêts légaux à compter de la saisine du conseil de prud’hommes le 29 mars 2019
* l’anatocisme
* la condamnation aux entiers dépens, comprenant en outre la totalité des frais d’exécution de la décision à intervenir dont les frais d’huissier.
Vu les dernières conclusions remises et notifiées le 06 avril 2022, aux termes desquelles la SELARL S21Y, mandataire liquidateur de la SARL Aerespace demande à la cour d’appel de :
– confirmer le jugement entrepris dans toutes ses dispositions
En conséquence,
– débouter Monsieur [R] de l’ensemble de ses demandes
– condamner Monsieur [R] aux entiers dépens ainsi qu’à régler à la SELARL S21Y es qualités de liquidateur judiciaire de la société Aerespace une somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Vu les dernières conclusions remises et notifiées le 13 avril 2022, aux termes desquelles l’AGS demande à la cour d’appel de :
A titre principal,
– confirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Créteil le 28 septembre 2021 en ce qu’il a dit que le licenciement de Monsieur [R] repose sur une faute grave et l’a débouté de toutes ses demandes
– confirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Créteil le 28 septembre 2021 en ce qu’il a laissé les éventuels dépens à la charge de Monsieur [R]
A titre subsidiaire,
– dire que les demandes de Monsieur [R] au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse, et au titre du caractère vexatoire ne sont pas justifiées tant sur le fond que dans leur quantum, et donc le débouter à ce titre.
A titre infiniment subsidiaire sur la garantie de l’AGS,
– dire que, s’il y a lieu à fixation, celle-ci ne pourra intervenir que dans les limites de la garantie légale
– dire le jugement opposable à l’AGS dans les termes et conditions de l’article L. 3253-19 du code du travail
– dire qu’en tout état de cause, la garantie prévue aux dispositions de l’article L. 3253-6 du code du travail ne peut concerner que les seules sommes dues en exécution du contrat de travail au sens de l’article L. 3253-8 du code du travail
– dire qu’en tout état de cause la garantie de l’AGS ne pourra excéder, toutes créances confondues, sous déductions des sommes déjà versées, l’un des trois plafonds fixés en vertu des dispositions des articles L. 3253-17 et D. 3253-5 du code du travail
– exclure de l’opposabilité à l’AGS la créance éventuellement fixée au titre de l’article 700 du code de procédure civile
– dire ce que de droit quant aux dépens sans qu’ils puissent être mis à la charge de l’AGS.
Conclusions auxquelles la cour se réfère expressément pour un plus ample exposé des faits de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties.
L’instruction a été clôturée par ordonnance du 11 décembre 2024.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Infirme le jugement entrepris sauf en ce qu’il a :
– débouté M. [R] de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement vexatoire et déloyal
– débouté la SELARL S21Y en sa qualité de mandataire liquidateur de la SARL Aerespace de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Fixe les créances de M. [R] au passif de la liquidation judiciaire de la société Aerespace, représentée par la SELARL S21Y, mandataire liquidateur, aux sommes suivantes :
– 88 895 euros à titre d’indemnité de licenciement
– 15 780 euros bruts à titre d’indemnité de préavis
– 1 578 euros bruts à titre de congés payés sur préavis
– 102 570 euros au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Déboute les parties du surplus de leurs demandes plus amples ou contraires,
La créance de France travail étant née antérieurement à la liquidation judiciaire, fixe cette créance dans la procédure collective de la société Aerespace au montant des indemnités de chômage payées au salarié depuis son licenciement dans la limite de six mois d’indemnités,
Déclare le présent arrêt opposable à l’AGS dans les limites de sa garantie légale, laquelle ne comprend pas l’indemnité de procédure et dit que cet organisme ne devra faire l’avance de la somme représentant les créances garanties que sur présentation d’un relevé par le mandataire judiciaire.
Condamne la SELARL S21Y aux dépens de première instance et d’appel et à payer à M. [R] une somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE
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