Cour d’appel de Paris, 11 septembre 2024, RG n° 21/08955
Cour d’appel de Paris, 11 septembre 2024, RG n° 21/08955

Type de juridiction : Cour d’appel

Juridiction : Cour d’appel de Paris

Thématique : Manquement au RGDP par l’employeur : le préjudice du salarié

Résumé

M. [R] a été engagé par la RATP en mai 2008 en tant que machiniste-receveur. Le 3 décembre 2019, il a été convoqué à un entretien préalable à une sanction disciplinaire, suivi d’un conseil de discipline qui a eu lieu le 19 juin 2020. M. [R] a été révoqué pour faute grave par courrier du 1er juillet 2020. Il a contesté son licenciement devant le conseil de prud’hommes le 7 décembre 2020, demandant la nullité de son licenciement et divers dommages-intérêts. Le 1er juillet 2021, le conseil de prud’hommes a condamné la RATP à verser plusieurs indemnités à M. [R] et a ordonné la remise d’une attestation Pôle Emploi conforme. La RATP a fait appel le 21 octobre 2021. Dans ses conclusions, elle a demandé la confirmation de la révocation de M. [R] pour faute grave. M. [R] a également formulé des demandes en appel, notamment la nullité de son licenciement et sa réintégration. Le 7 mai 2024, la cour a jugé recevable la demande de M. [R] concernant les atteintes à la vie privée, a prononcé la nullité de sa révocation, ordonné sa réintégration, et condamné la RATP à lui verser des indemnités. La RATP a également été condamnée à rembourser les indemnités de chômage versées à M. [R] et à payer des dommages-intérêts.

11 septembre 2024
Cour d’appel de Paris
RG n°
21/08955

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 6

ARRET DU 11 SEPTEMBRE 2024

(n°2024/ , 10 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/08955 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CESFJ

Décision déférée à la Cour : Jugement du 01 Juillet 2021 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° F 20/09226

APPELANTE

E.P.I.C. RATP

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Sophie MALTET, avocat au barreau de PARIS, toque : E2188

INTIME

Monsieur [Y] [R]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représenté par Me Arnaud OLIVIER, avocat au barreau de PARIS, toque : A0476

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 03 Juin 2024, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Stéphane THERME, Conseiller, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre, Président de formation

Monsieur Didier LE CORRE, Président de chambre

Monsieur Stéphane THERME, Conseiller

Greffier, lors des débats : Madame Philippine QUIL

ARRET :

– contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre et par Madame Gisèle MBOLLO, greffière, présente lors de la mise à disposition.

RAPPEL DES FAITS ET PROCEDURE :

M. [R] a été engagé par la Régie autonome des transports parisiens, ci-après la RATP, à compter du 19 mai 2008 dans le cadre d’une contrat de travail à durée indéterminée en qualité de machiniste-receveur.

Le statut de la RATP est applicable à la relation de travail. Elle emploie à titre habituel au moins onze salariés.

M. [R] a été convoqué à un entretien préalable à une sanction disciplinaire le 03 décembre 2019. Il a ensuite été convoqué à un conseil de discipline, qui était prévu le 05 février 2020 ; la décision a été différée. Un nouvel entretien préalable a eu lieu avec M. [R] le 03 mars 2020.

Après reports, le conseil de discipline s’est tenu le 19 juin 2020.

M. [R] a été révoqué pour faute grave par courrier du 1er juillet 2020.

M. [R] a saisi le conseil de prud’hommes le 07 décembre 2020 pour contester le licenciement, demander des dommages-intérêts et rappels de salaires. En dernier lieu il a formé les demandes suivantes :

‘A titre principal :

– Dire et juger nul le licenciement

– Réintégration dans 1’entreprise, laquelle devra payer une indemnité de 3 311,57 euros pour chaque mois écoulé entre son éviction (04/06/2020) et sa réintégration, sous astreinte de 1 000 euros jour de retard à l’issue d’un délai d’un mois à compter de la notification de la décision à intervenir, 1e conseil s’en réservant la liquidation éventuelle,

A titre subsidiaire par rapport à la réintégration :

Dommages et intérêts pour licenciement nul 56 987,39 €

A titre subsidiaire par rapport à la nullité

– Indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse 56 987,39 €

– Indemnité compensatrice de préavis 6 331,93 €

– Congés payés afférents 633,19€

– Indemnité de licenciement 10 331,62€

En tout état de cause

– Dommages et intérêts pour remise tardive d’une attestation Pôle emploi non conforme 3 165,97€

– Article 700 du Code de Procédure Civile 2 000 €

– Remise de l’attestation d’employeur destinée au Pôle emploi conforme, sous astreinte journalière de 100 euros à compter de la décision à intervenir, le conseil s’en réservant la liquidation éventuelle

– Intérêts au taux légal avec capitalisation

– Exécution provisoire’.

Par jugement du 1er juillet 2021, auquel la cour se réfère pour l’exposé de la procédure antérieure, le conseil de prud’hommes a rendu la décision suivante :

‘ Condamne la RATP à verser à M. [R] les sommes suivantes :

– 6 085,08 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

– 608,50 euros au titre des congés payés incidents,

– 9 927,82 euros à titre d’indemnité de licenciement,

avec exécution provisoire,

– 18 255,24 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse,

– 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

Ordonne à la RATP de remettre à M. [R] une attestation Pôle Emploi conforme à la présente décision,

Déboute M. [R] du surplus de ses demandes,

Ordonne à la RATP de rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage versées au salarié à hauteur de 15 jours d’indemnités,

Déboute la RATP de sa demande et la condamne aux dépens.’

La RATP a formé appel par déclaration transmise par RPVA le 21 octobre 2021.

La constitution d’intimé de M. [R] a été transmise par voie électronique le 03 novembre 2021.

Par ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 29 mars 2024, auxquelles la cour fait expressément référence pour l’exposé des moyens, la RATP demande à la cour de :

‘Recevoir la RATP en ses conclusions d’appelante et y faisant droit,

A titre liminaire, déclarer irrecevable la demande de dommages et intérêts pour manquement à la protection des données personnelles et atteinte à la vie privée ;

Confirmer le jugement du 1er juillet 2021 en ce qu’il a :

– Jugé que la révocation de Monsieur [R] ne pouvait être remise en cause pour des raisons de prescription, de délai de notification ou d’illégitimité du rappel des sanctions précédentes ;

– Jugé que la révocation de Monsieur [R] n’est pas entachée de nullité en raison d’une religion supposée ni pour aucune autre discrimination et débouté l’intimé de ses demandes afférentes ;

o Jugé qu’aucune nullité ne pouvait être soulevée sur le fondement des articles L.1226-9 et L.1226-13 du code du travail ;

– Débouté Monsieur [R] de ses demandes relatives à l’attestation Pôle Emploi;

– Infirmer le jugement du 1er juillet 2021 pour le surplus et :

A titre principal :

Prononcer la révocation de Monsieur [Y] [R] comme étant justifiée par une faute grave imputable à ce dernier, qu’elle est régulière et proportionnée,

En conséquence,

Débouter Monsieur [R] de l’intégralité de ses demandes ;

A titre subsidiaire :

Prononcer la révocation de Monsieur [Y] [R] comme étant justifiée par une cause réelle et sérieuse imputable à ce dernier,

En conséquence,

Débouter Monsieur [R] de l’intégralité de ses demandes ;

En tout état de cause :

Condamner Monsieur [R] à verser à la RATP la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamner Monsieur [R] aux dépens de l’instance.’

Par ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 02 mai 2024, auxquelles la cour fait expressément référence pour l’exposé des moyens, M. [R] demande à la cour de :

‘Dire et juger recevable la demande de dommages-intérêts pour manquement à la protection des données personnelles et atteinte à la vie privée ;

Confirmer le jugement en ce qu’il a dit que Monsieur [Y] [R] n’a commis aucune faute grave ;

Infirmer le jugement en ce qu’il a retenu un salaire de référence de 3 042,54 € ;

À titre principal,

Infirmer le jugement du conseil de prud’hommes en ce qu’il a débouté Monsieur [Y] [R] de sa demande, formulée à titre principale, de nullité du licenciement avec réintégration sous astreinte de 1 000 € par jour ;

En conséquence, statuant à nouveau :

Dire et juger nul le licenciement de Monsieur [Y] [R] ;

Ordonner la réintégration de Monsieur [Y] [R] au sein de la RATP ; étant précisé que la RATP devra payer à Monsieur [R] une indemnité de 3 311,57 € pour chaque mois écoulé entre son éviction de l’entreprise (4/06/2020) et sa réintégration ; le tout sous astreinte de 1 000 € par jour de retard à l’issue d’un délai d’un mois à compter de la notification de l’arrêt à intervenir ; la juridiction de céans réservant sa compétence pour la liquidation de l’astreinte;

A titre subsidiaire par rapport à la réintégration, condamner la RATP à payer à Monsieur [Y] [R] :

Dommages-intérêts pour licenciement nul (18 mois) 56 987,39 €

Indemnité compensatrice de préavis (2 mois) 6 331,93 €

Congés payés afférents 633,19 €

Indemnité de licenciement 10 331,62 €

À titre subsidiaire par rapport à la nullité,

Confirmer le Jugement du Conseil de prud’hommes en ce qu’il a reconnu que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse, mais l’infirmer concernant le quantum de condamnations ;

En conséquence, statuant à nouveau :

Dire que Monsieur [Y] [R] n’a commis aucune faute grave ;

Dire le licenciement de Monsieur [Y] [R] sans cause réelle et sérieuse ;

Condamner la RATP à payer à Monsieur [Y] [R] :

Dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (18 mois) 56 987,39 €

Indemnité compensatrice de préavis (2 mois) 6 331,93 €

Congés payés afférents 633,19 €

Indemnité de licenciement 10 331,62 €

En tout état de cause,

Confirmer le jugement en ce qu’il a condamné la RATP au titre de l’article 700 CPC, sans préjudice des sommes qui seront accordées à ce titre à hauteur d’appel ;

Infirmer le Jugement en ce qu’il a débouté Monsieur [Y] [R] de sa demande de dommages-intérêts pour remise tardive d’une attestation à destination du pôle emploi non conforme, et de sa demande de remise d’une attestation pôle emploi conforme sous astreinte ;

En conséquence, statuant à nouveau :

Condamner la RATP à payer à Monsieur [Y] [R] :

Dommages-intérêts pour remise tardive d’une attestation à destination du pôle emploi non conforme 3 165,97 €

Dommages-intérêts pour manquement à la protection des données personnelles et atteinte à la vie privé 3 165,97 €

Article 700 du Code de Procédure Civile 4 000,00 €

Intérêts légaux avec capitalisation (Article 1343-2 du Code civil) ;

Les entiers dépens ;

Ordonner la remise d’une attestation pôle emploi conforme, sous astreinte de 100 € par jours par jours à compter de la décision à intervenir, la juridiction de céans réservant sa compétence pour la liquidation de l’astreinte ;

Dire et juger qu’à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées par la décision dans un délai d’un mois, et en cas d’exécution forcée par voie extrajudiciaire, les frais « normalement» supportés par le créancier (et en particulier les honoraires d’Huissier de Justice), seront supportés par la partie condamnée au principal en sus de l’indemnité mise à sa charge au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;

Débouter la société de toutes demandes reconventionnelles’.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 07 mai 2024.

MOTIFS

Sur la recevabilité de la demande de dommages et intérêts pour manquement à la protection des données personnelles et atteinte à la vie privée

L’article 564 du code de procédure civile dispose qu’à peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait.

La RATP fait valoir que la demande de dommages-intérêts est irrecevable pour être nouvelle en appel.

M. [R] expose en premier lieu que cette demande d’irrecevabilité est irrecevable pour ne figurer que dans le troisième jeu de conclusions de l’appelante, alors qu’elle avait déjà conclu au fond à deux reprises. Cette irrecevabilité est développée par l’intimé dans la partie relative à la discussion, mais aucune demande en ce sens n’est mentionnée dans le dispositif de ses conclusions ; conformément aux dispositions de l’article 954 du code de procédure civile il n’y a pas lieu de statuer sur celle-ci.

Comme le soutient M. [R], cette demande a été formée après la décision de la CNIL du 29 octobre 2021. Elle est consécutive à un fait nouveau postérieur à la décision du conseil de prud’hommes.

L’intimé fait justement valoir qu’il a été absent de l’entreprise à compter du 03 mars 2020, date de son arrêt de travail, puis qu’il a fait l’objet d’une révocation et qu’ainsi il n’a pas pu avoir connaissance des faits qu’il impute à son employeur avant la décision publique de la CNIL, quand bien même ils ont fait l’objet de communications syndicales importantes.

La demande de dommages-intérêts formée par M. [R] est ainsi recevable.

Sur la discrimination

L’article L.1132-1 du code du travail dispose que ‘ Aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié, ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l’article L 3221-3 des mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses moeurs, de son orientation ou identité sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou en raison de son état de santé ou de son handicap.’

L’article L. 1134-1 du code du travail dispose que ‘Lorsque survient un litige en raison d’une méconnaissance des dispositions du chapitre II, le candidat à l’emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte telle que définie à l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en tant que de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.’

L’article L. 1132-4 du code du travail dispose que ‘Toute disposition ou tout acte pris à l’égard d’un salarié en méconnaissance des dispositions du présent chapitre est nul.’

M. [R] expose qu’il a été licencié pour faute grave en raison des convictions religieuses que lui ont prêtées ses supérieurs. Il explique qu’il lui a été reproché d’avoir effectué une prière dans l’espace de vie de bus (EVB) pendant son battement. Il indique qu’il lui est également reproché un manquement à la laïcité pour avoir refusé de serrer la main de l’enquêtrice-rapporteur du conseil de discipline.

M. [R] verse aux débats la convocation à un entretien contradictoire préalable à une mesure disciplinaire pour entendre ses explications concernant les faits suivants mentionnés dans la lettre ‘Le 4 novembre 2019, vous êtes sur le 18/85, un agent d’encadrement du centre bus constate que vous faîtes une prière dans l’EVB des Docks pendant votre battement en présence d’autres agents.’

Le compte-rendu de cet entretien du 03 décembre 2019 indique que M. [R] a contesté avoir réalisé une prière et a expliqué avoir réalisé des gestes, des exercices physiques.

Par courrier du 03 janvier 2020, le directeur du centre bus a informé M. [R] de la saisine du conseil de discipline pour les faits du 04 novembre 2019. Le conseil de discipline a été prévu le 12 février 2020, avec une audience préparatoire le 05 février 2020. Par courrier du 10 février 2020, M. [R] a été informé que le conseil de discipline avait été reporté à une audience ultérieure.

Le 12 février 2020 M. [R] a été convoqué à un deuxième entretien contradictoire préalable à une sanction disciplinaire pour les faits suivants ‘Le mercredi 05 février 2020, aux alentours de 10h30, vous avez été reçu par l’enquêtrice-rapporteur du conseil de discipline de la RATP, et avez refusé de lui serrer la main au prétexte qu’elle est une femme. Juste auparavant, vous avez serré la main du responsable du conseil de discipline. En l’occurrence, il s’agit d’une récidive.’

Le compte-rendu de l’entretien contradictoire du 03 mars 2020 indique que M. [R] a expliqué que le responsable du conseil de discipline était d’abord venu le voir et lui avait tendu la main, qu’il avait serré machinalement la main alors qu’il était soucieux ; il indique que quelques minutes après l’enquêtrice rapporteur s’était présentée à lui, qu’il l’avait saluée et lui avais signifié qu’il ne lui serrerait pas la main, sans donner aucune raison,. Il précise qu’elle n’a pas mal réagi et que les échanges ont été courtois.

M. [R] a été convoqué devant un conseil de discipline pour les deux faits des 04 novembre 2019 et 05 février 2020. Le conseil de discipline s’est tenu le 19 juin 2020.

M. [R] produit le courrier la lettre de rupture de son contrat de travail, qui indique :

‘Suite à l’avis émis par le conseil de discipline devant lequel vous avez été déféré le 19 juin 2020, et devant lequel vous ne vous êtes pas présenté bien que régulièrement convoqué, je vous informe que j’ai décidé de prendre à votre encontre une mesure de révocation aux motifs disciplinaires suivants : non-respect de la charte de laïcité, de l’Instruction Professionnelle du Machiniste Receveur (IMPR) et du règlement intérieur du département BUS.

Le 4 novembre 2019, alors que vous étiez sur le 18ème/85, un agent d’encadrement du centre bus a constaté que vous aviez fait une prière dans l’EVB des Docks pendant votre battement, en présence d’autres agents.

De plus, le 5 février 2020, vers 10h30, vous avez été reçu en conseil de discipline. Vous avez serré la main du responsable du Conseil de discipline mais vous avez refusé de serrer la main de sa collaboratrice, à savoir l’enquêtrice-rapporteur du Conseil de discipline alors que vous aviez déjà fait l’objet d’un recadrage sur ce sujet le 27 septembre 2018.

De tels comportements ne sont pas conformes au principe de neutralité mentionné dans la charte de la laïcité, dans l’IPMR et à l’article 28 du règlement intérieur du département BUS qui prévoit que :

‘La RATP étant une entreprise de service public qui répond au principe de neutralité, chaque salarié s’engage à proscrire toute attitude ou port de signe ostentatoire pouvant révéler une appartenance à une religion ou à une philosophie quelconque.’

Je note au surplus que vous avez déjà fait l’objet de mesures disciplinaires au cours des trois dernières années :

. En février 2018, pour avoir consulté votre téléphone portable à plusieurs reprises,

. En avril 2019 suite à un retard.

L’ensemble de ces manquements à la réglementation d’entreprise constitue une faute grave rendant impossible votre maintien au sein de l’entreprise.’

Au cours de la procédure d’enquête M. [R] a contesté avoir effectué une prière et avoir sciemment refusé de serrer la main de son interlocutrice au motif que c’était une femme.

L’employeur a retenu que les comportements reprochés au salarié constituaient une atteinte au principe de neutralité et de laïcité et qu’ils n’étaient pas conformes avec l’engagement de proscrire toute attitude ou port de signe ostentatoire pouvant révéler une appartenance à une religion ou à une philosophie quelconque.

La décision de révocation prise par l’employeur est expressément fondée sur un comportement de M. [R] en lien avec une religion. Le salarié présente ainsi des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination.

La RATP explique que la commission d’un nouveau manquement de M. [R] a justifié le report du conseil de discipline et la mise en oeuvre d’une nouvelle procédure, ce qui est établi par les courriers de convocation. Le conseil de discipline a ensuite été reporté par courrier du 20 mars 2020 en raison de l’épidémie de Covid-19.

La RATP produit la fiche de signalement qui a été établie par le responsable d’équipe de ligne le 04 novembre 2019 relatif à M. [R]. Le document indique : ‘Ce jour j’arrive au terminus des Docks pour effectué un entretien avec un agent. A mon entrée dans la salle machiniste, je constate que l’agent cité ci-dessus est en train d’effectuer une prière pendant son battement. L’agent malgré ma présence et celle d’autres agents a continuer sa prière. Je suis sorti du terminus. A sa sortie du local il se dirige vers son bus, je suis en communication téléphonique et je lui fait signe que je veux l’entretenir. Il me répond par un bonjour et qu’il arrive. L’agent est monté dans son bus et il est parti.’

Le compte-rendu de l’entretien préalable avec M. [R] du 03 décembre 2019 a été tenu en présence du responsable d’équipe qui a effectué le signalement. Lorsque le salarié a contesté avoir effectué une prière, expliquant avoir accompli des gestes d’exercices physiques, le responsable a indiqué ‘qu’il a vu M. [R] à genou tête baissée, front au sol puis debout les mains écartées et face à lui, avoir le regard en l’air et récitant quelques choses qu’il n’a pas compris.’ Le salarié a maintenu qu’il ‘continuait à exercer des gestes’.

Alors que la lettre de révocation et la lettre de convocation à l’entretien préalable indiquent toutes deux que la scène a eu lieu en présence d’autres agents, aucune autre personne n’a été entendue au cours de l’enquête, ni sollicité pour apporter sa version. La présence d’autres personnes au moment des faits reprochés ne résulte d’aucune pièce produite.

Alors que M. [R] souligne qu’une prière s’effectue avec un tapis, objet qui n’est pas mentionné, l’affirmation de son responsable selon laquelle M. [R] accomplissait des gestes à connotation religieuse n’est corroborée par aucun autre élément.

La matérialité du comportement imputé à M. [R], d’avoir fait une prière en présence d’autres agents dans les locaux de l’entreprise le 04 novembre 2019, n’est pas établie.

Le responsable du conseil de discipline a établi un rapport le 05 février 2020 dans lequel il indique que lorsque M. [R] est arrivé dans les locaux il est allé lui dire bonjour, lui a tendu la main, que M. [R] a répondu bonjour et lui a serré la main. Il ajoute avoir indiqué à M. [R] qu’il serait reçu par Mme [P] et que cette dernière arriverait dans quelques instants, l’avoir invité à s’asseoir sur une chaise dans le couloir et être reparti dans son bureau.

Le 05 février 2020 l’enquêteur-rapporteur, Mme [P], a établi un rapport dans lequel elle indique ‘Je suis allée chercher M. [R] pour l’inviter à me suivre en salle d’audience. Je me suis présentée à lui et lui ai tendu la main pour le saluer. Il m’a répondu ‘bonjour, mais je ne vous serrerai pas la main.’ J’en ai pris acte.’

La RATP produit une fiche de signalement concernant M. [R] qui a été établie le 27 septembre 2018. Il est indiqué dans ce document que M. [R] est entré dans un bureau, a serré la main de M.C, a dit bonjour à Mme [I] puis est ressorti; il est ensuite ajouté qu’il ne serrait pas la main aux femmes. Il est mentionné sur ce document qu’un rappel aux règles de la laïcité a été prononcé et que M. [R] a pris l’engagement de traiter tous les agents de façon équitable et non discriminatoire.

Outre le règlement intérieur, la RATP produit un ‘plan travailler ensemble’ et un code éthique qui rappellent les principes de laïcité, de neutralité et de non-discrimination.

A la suite d’une alarme sociale déposée par un syndicat des échanges ont eu lieu entre la direction de l’entreprise et des représentants syndicaux sur la pratique de serrer la main ou non dans l’entreprise. La direction a indiqué que ce qui est considéré comme de la discrimination est le fait, en public, rassemblant des agents de sexe féminin et de sexe masculin, qu’un agent refuse de serrer la main aux agents de sexe féminin alors qu’il serre la main aux agents de sexe masculin. Les représentants syndicaux ont exprimé leur opposition à ce principe de codifier les marques de salut dans l’entreprise, renvoyant au respect des personnes.

M. [R] produit plusieurs attestations de collègues masculins qui indiquent qu’il ne serrait jamais la main mais saluait tout le monde.

Le comportement de M. [R] à l’égard de Mme [P] s’est déroulé alors qu’aucune autre personne n’était présente, le responsable du conseil de discipline ayant déjà quitté les lieux au moment de leur échange. Dans son rapport l’enquêteur-rapporteur ne mentionne pas de marque d’irrespect de M. [R] à son égard, ni qu’il aurait déclaré refuser de lui serrer la main au motif qu’elle serait une femme.

Compte tenu de ces différents éléments, le seul comportement de M. [R] qui est établi ne justifiait pas la mesure de révocation qui a été prise à son encontre, ni même un licenciement. La rupture du contrat de travail pour faute grave est ainsi dépourvue de cause réelle et sérieuse.

Faute pour la RATP de prouver que sa décision était justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, celle-ci est établie à l’égard de M. [R].

Par application de l’article L. 1132-4 du code du travail la révocation de M. [R] doit être annulée.

Le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur les conséquences financières

Aucune impossibilité de réintégration n’est soutenue par l’employeur. Il doit être fait droit à la demande de réintégration de M. [R] dans son emploi au sein des effectifs de la RATP. En l’état, il n’y a pas lieu d’ordonner d’astreinte assortissant ce chef de décision.

Compte tenu des documents et bulletins de salaire produits, la rémunération mensuelle à prendre en compte est de 3 042,54 euros.

L’annulation de la rupture du contrat de travail résulte de la violation d’un droit fondamental, le principe de non-discrimination. La RATP sera ainsi condamnée à payer à M. [R] une indemnité égale à la rémunération qu’il aurait perçue depuis la rupture de son contrat de travail, jusqu’à la date de sa réintégration, à hauteur de 3 042,54 euros par mois. Il n’y a pas lieu d’ordonner d’astreinte assortissant ce chef de décision.

Le jugement sera infirmé de ce chef.

En application des dispositions de l’article L.1235-4 du code du travail la RATP doit être condamnée à rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage payées entre le jour du licenciement et le jugement, dans la limite de six mois.

Le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur les dommages-intérêts pour délivrance tardive de l’attestation destinée à Pôle emploi

L’attestation destinée à Pôle emploi est datée du 29 juillet 2020, soit près d’un mois après la rupture du contrat de travail. Elle était erronée en ce qu’elle indiquait les revenus pendant les périodes d’arrêt de travail. Le manquement de la RATP est établi.

Pour autant, M. [R] ne justifie d’aucun préjudice consécutif dans la prise en charge de sa situation par Pôle emploi.

Il doit être débouté de sa demande de dommages-intérêts.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur le manquement à la protection des données personnelles et atteinte à la vie privée

M. [R] produit la délibération de la commission nationale de l’informatique et des libertés du SAN-2021-019 en date du 29 avril 2021. Elle y relève des manquements de la RATP quant à la nature des données mentionnées dans les fichiers destinées aux commissions professionnelles dans plusieurs établissements, constatés sur plusieurs documents au cours de la période entre 2018 et 2020, parmi lesquels le centre bus dans lequel M. [R] exerçait. Par ailleurs la CNIL a également relevé que les agents qui consultaient la base de données DORA de l’entreprise avaient accès à l’ensemble des données des différents agents des centres bus, sans aucune restriction. Une amende a été prononcée par la CNIL à l’encontre de la RATP.

C’est vainement que la RATP soutient que M. [R] ne démontre pas avoir été concerné par ces manquements, dès lors que l’ensemble des conducteurs de bus étaient concernés.

Faute pour M. [R] de démontrer un préjudice plus important, ce manquement de la RATP sera réparé par sa condamnation à lui verser la somme de 100 euros à titre de dommages-intérêts.

Il sera ajouté au jugement.

Sur les intérêts

Conformément aux dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de la convocation à comparaître devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes, et les dommages et intérêts alloués à compter de la présente décision.

La capitalisation des intérêts sera ordonnée selon les dispositions de l’article 1343-2 du code civil par année entière.

Sur la remise des documents de rupture

La réintégration de M. [R] étant ordonnée, il n’y a pas lieu d’ordonner la remise de documents de rupture.

Le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur les dépens et frais irrépétibles

La RATP qui succombe supportera les dépens et sera condamnée à verser à M. [R] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en plus de l’indemnité allouée par le conseil de prud’hommes qui sera confirmée.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Dit recevable la demande de dommages-intérêts pour manquements à la protection des données personnelles et atteinte à la vie privée,

Infirme le jugement du conseil de prud’hommes, sauf en ce qu’il a débouté M. [R] de sa demande de dommages-intérêts au titre de la remise de l’attestation destinée à Pôle emploi et a condamné la RATP au paiement de la somme de 1 000 euros à titre d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

Prononce la nullité de la révocation de M. [R],

Ordonne la réintégration de M. [R] dans son emploi au sein des effectifs de la RATP,

Condamne la RATP à payer à M. [R] une indemnité égale à la rémunération qu’il aurait perçue depuis le 1er juillet 2020, jusqu’à la date de sa réintégration, à hauteur de

3 042,54 euros par mois,

Ordonne à la RATP de rembourser au Pôle Emploi les indemnités de chômage versées à M. [R], du jour de son licenciement au jour du prononcé du jugement dans la limite de six mois des indemnités versées,

Condamne la RATP à payer à M. [R] la somme de 100 euros à titre de dommages-intérêts,

Dit que les créances salariales sont assorties d’intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de la convocation à comparaître devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes et les dommages-intérêts alloués à compter de la présente décision, avec capitalisation des intérêts selon les dispositions de l’article 1343-2 du code civil,

Condamne la RATP aux dépens,

Condamne la RATP à payer à M. [R] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

LA GREFFIÈRE, LE PRÉSIDENT,

 


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