Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Paris
Thématique : Conflit d’intérêts et validité des engagements contractuels dans le secteur technologique
→ RésuméLa société Box 2 Home, fondée en 2016 par la société Nahel et M. [I], a développé un logiciel de mise en relation entre consommateurs et sociétés de livraison. En avril 2021, la société Warning a acquis 70 % de Box 2 Home, et un pacte d’actionnaires a été signé, imposant des engagements d’exclusivité et de non-concurrence à M. [I], qui a été nommé directeur général. En octobre 2022, M. [I] a cofondé une nouvelle société, Ecogem, avec des activités concurrentes. Box 2 Home a licencié M. [I] pour faute grave en mars 2023, ce qu’il a contesté. Warning a demandé des mesures d’instruction contre M. [I], qui a été accordées par le tribunal. M. [I] a ensuite assigné Warning pour rétracter cette ordonnance. En décembre 2023, le tribunal a rejeté plusieurs demandes de M. [I] et a condamné ce dernier aux dépens. M. [I] a interjeté appel, demandant la rétractation de l’ordonnance et la restitution des éléments saisis. Warning et Box 2 Home ont également contesté certaines décisions. La cour a finalement confirmé certaines décisions tout en rétractant l’ordonnance d’instruction et ordonnant la restitution des documents saisis à M. [I].
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Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 1 – Chambre 8
ARRÊT DU 06 SEPTEMBRE 2024
(n° , 13 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 24/01875 – N° Portalis 35L7-V-B7I-CI2AF
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 12 Décembre 2023 -Président du TJ de [Localité 7] – RG n° 23/00735
APPELANT
M. [Y] [I]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représenté par Me Antoine BENECH de la SELARL SYGNA PARTNERS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0540
INTIMÉES
S.A.S. WARNING agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 3]
S.A.S. BOX 2 HOME prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentées par Me Nathalie LESENECHAL, avocat au barreau de PARIS, toque : D2090
Ayant pour avocat plaidant Me Julien CHAUPLANNAZ de la SELARL Bunch, avocat au barreau de PARIS et de LYON
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 06 juin 2024, en audience publique, les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Florence LAGEMI, Président.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Florence LAGEMI, Présidente de chambre
Rachel LE COTTY, Conseiller
Patrick BIROLLEAU, Magistrat honoraire
Greffier, lors des débats : Jeanne BELCOUR
ARRÊT :
– CONTRADICTOIRE
– rendu publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Florence LAGEMI, Présidente de chambre et par Jeanne BELCOUR, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
La société Box 2 Home, constituée le 3 février 2016 par la société Nahel, détenue par M. [I], et M. [F], a principalement pour objet statutaire la conception et le développement d’outils grand public se rattachant aux secteurs des nouvelles technologies, d’internet et tous supports permettant la mise en relation de personnes et d’entreprises dans le domaine du transport routier de marchandises.
Cette société a développé un logiciel permettant de mettre en relation des personnes, essentiellement des consommateurs, avec des sociétés de livraison indépendantes afin qu’elles leur livrent, voire installent des objets volumineux acquis auprès de revendeurs partenaires, tels que, notamment, les sociétés Ikea et Ubaldi.
En janvier 2019, la société Box 2 Home a réalisé une augmentation de capital.
Le 14 avril 2021, la société Warning, qui intervient dans le domaine de la distribution et du transport routier de marchandises, plus particulièrement, sur le créneau dit ‘du dernier kilomètre’, a acquis 70 % du capital de la société Box 2 Home, celui-ci se répartissant, après cette acquisition, entre cette société et la société Nahel à hauteur de 25 % et M. [C] à hauteur de 5 %.
L’acte de cession, auquel est intervenu M. [I], a prévu que celui-ci exercera des fonctions salariées au sein de la société Box 2 Home qu’il cumulera avec un mandat social de directeur général.
Un ‘pacte d’actionnaires managers’ a été conclu dans le même temps entre d’une part, la société Nahel, M. [I] et M. [C], désignés sous la qualification d’associés salariés, et, d’autre part, la société Warning, désignée sous la qualification d’associé dirigeant, en présence de la société Box 2 Home et de sa filiale, société de droit tunisien, la société B2H, ainsi que d’une société d’avocats, Quadratur, désignée comme gérant du pacte.
L’article 4 de ce pacte a mis à la charge des associés salariés des engagements, notamment, d’exclusivité, de non-concurrence, de non-débauchage et de non-sollicitation.
Par contrat de travail en date du 31 mars 2021, M. [I] a été embauché, à compter du 15 avril suivant, par la société Box 2 Home en qualité de directeur général. Ce contrat lui a fait interdiction, pendant la durée de ses fonctions, d’accepter de toute entreprise autre que la société Box 2 Home ou des filiales Warning, toute participation par travail ou conseil et de détourner ou de tenter de détourner, de façon directe ou indirecte, les clients de la société, soit à son profit soit au profit d’un tiers.
Le 12 octobre 2022, les sociétés Nahel, holding de M. [I], et GreenAct, holding de M. [D], par ailleurs salarié de la société Box 2 Home, ont constitué la société Ecogem, qui a pour objet une activité de logistique (réception, tri, préparation et entreposage de marchandises), de gestion et tri des déchets liés à ces activités et d’achat, revente et réparation d’appareils électroménagers.
Lui reprochant, notamment, une violation des clauses stipulées dans le pacte d’actionnaires et dans son contrat de travail, la société Box 2 Home a, par lettre du 23 mars 2023, notifié à M. [I] son licenciement pour faute grave, contesté devant le conseil des prud’hommes de [Localité 9].
Puis, invoquant les manquements aux clauses du pacte mais aussi des soupçons d’actes de concurrence déloyale, la société Warning a déposé auprès du président du tribunal judiciaire d’Evry une requête afin d’obtenir, sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, la désignation d’un commissaire de justice afin de réaliser des mesures de saisies et constat au domicile de M. [I].
Par ordonnance du 23 mai 2023, cette requête a été accueillie et Maître [S], commissaire de justice, a été désigné à cet effet.
La mesure d’instruction a été exécutée le 14 juin 2023.
Par acte du 13 juillet 2023, M. [I] a assigné la société Warning devant le juge des référés du tribunal judiciaire d’Evry aux fins de rétractation de l’ordonnance rendue sur requête le 23 mai 2023.
Par acte du 8 septembre 2023, la société Nahel et M. [I] ont assigné la société Warning devant le tribunal de commerce de Paris en nullité des clauses d’exclusivité, de non-concurrence, et de non-sollicitation stipulées dans le pacte d’actionnaires.
Par ordonnance du 12 décembre 2023, le premier juge a :
accueilli l’intervention volontaire de la société Box 2 Home
rejeté l’exception d’incompétence matérielle soulevée par M. [I]
rejeté la demande de sursis à statuer formée par M. [I]
rejeté la demande de rétractation de l’ordonnance sur requête du 23 mai 2023
rejeté la demande de levée du séquestre des éléments saisis formée par les sociétés Warning et Box 2 Home
rejeté toute autre demande
laissé à chacune des parties la charge des frais irrépétibles qu’elle a pu exposer
condamné M. [I] aux entiers dépens de l’instance.
Par déclaration du 12 janvier 2024, M. [I] a interjeté appel de cette décision en critiquant ses dispositions relatives au rejet de l’exception d’incompétence, des demandes de sursis à statuer et de rétractation de l’ordonnance sur requête, aux dépens et aux frais irrépétibles.
Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 22 mai 2024, avant le prononcé de l’ordonnance de clôture, M. [I] demande à la cour de :
confirmer l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a rejeté la demande de levée de séquestre des éléments saisis formée par les sociétés Warning et Box 2 Home
l’infirmer en ses autres dispositions dont elle a relevé appel
statuant à nouveau,
À titre liminaire,
déclarer incompétent le président du tribunal judiciaire d’Évry pour prononcer les mesures d’instruction requises par la société Warning, au profit du président du tribunal de commerce d’Évry
En conséquence,
rétracter l’ordonnance rendue sur requête le 23 mai 2023
dire et juger nulles les opérations menées par le commissaire de justice en application de l’ordonnance du 23 mai 2023
ordonner la restitution de l’intégralité des éléments saisis et séquestrés en application de ladite ordonnance
À titre liminaire,
prononcer un sursis à statuer dans l’attente du jugement du tribunal de commerce de Paris à intervenir dans la procédure au fond enregistrée sous le RG n° 2023052936
Subsidiairement, en cas d’évocation du litige en application de l’article 90 du code de procédure civile et de rejet de la demande de sursis à statuer,
déclarer la requête irrecevable pour défaut de pouvoir juridictionnel en raison de l’existence de l’instance au fond actuellement pendante devant le tribunal de commerce de Paris enregistrée sous le RG n° 2023052936
Au fond et à titre principal,
rejeter les mesures d’instruction sollicitées par la société Warning
rejeter la demande de mainlevée du séquestre des sociétés Warning et Box 2 Home
À titre subsidiaire :
modifier l’ordonnance sur requête du 23 mai 2023 et la restreignant aux seules mesures strictement justifiées, utiles et proportionnées, le cas échéant en précisant les critères de recherche pour circonscrire les mesures d’instruction aux seuls faits recherchés
En tout état de cause :
débouter les sociétés Warning et Box 2 Home de l’ensemble de leurs demandes
condamner in solidum les sociétés Warning et Box 2 Home à lui verser la somme de 6.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de première instance
condamner in solidum les sociétés Warning et Box 2 Home à lui verser la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens la présente instance.
Dans leurs dernières conclusions remises et notifiées le 21 mai 2024, les sociétés Warning et Box 2 Home demandent à la cour de :
confirmer l’ordonnance déférée en ce qu’elle a :
accueilli l’intervention volontaire de la société Box 2 Home
rejeté l’exception d’incompétence matérielle soulevée par M. [I]
rejeté la demande de sursis à statuer formée par M. [I]
rejeté la demande de rétractation de l’ordonnance sur requête du 23 mai 2023 formée par M. [I]
condamné M. [I] aux entiers dépens de l’instance
infirmer l’ordonnance déférée en ce qu’elle a :
rejeté la demande de levée du séquestre des éléments saisis
rejeté toute autre demande
laissé à chacune des parties l’entière charge des frais irrépétibles qu’elle a pu exposer
Statuant à nouveau et y ajoutant :
déclarer irrecevable la demande de sursis à statuer formée par M. [I]
débouter M. [I] de toutes ses prétentions
ordonner la communication des pièces recueillies par Maître [S] et qu’elle détient en séquestre en exécution de l’ordonnance du 23 mai 2023, à l’exclusion des pièces qui relèveraient d’échanges entre avocats et clients, protégés par le secret professionnel
A titre subsidiaire,
prendre connaissance, seule, des pièces recueillies par Maître [S] et qu’elle détient en séquestre en exécution de l’ordonnance du 23 mai 2023
ordonner la communication de ces pièces à l’exclusion des éléments qu’elle considère porter atteinte au secret des affaires de la société Ecogem
En tout état de cause,
condamner M. [I] à leur payer la somme de 15.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens, avec faculté de recouvrement direct conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
La clôture de la procédure a été prononcée le 22 mai 2024.
Pour un exposé plus détaillé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie expressément à la décision déférée ainsi qu’aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Confirme l’ordonnance entreprise en ses dispositions relatives au rejet de l’exception d’incompétence matérielle du président du tribunal judiciaire d’Evry et de la demande de sursis à statuer
L’infirme en ses autres dispositions dont il a été fait appel
Statuant à nouveau de ces chefs,
Rétracte l’ordonnance rendue sur requête par le président du tribunal judiciaire d’Evry le 23 mai 2023
En conséquence,
Constate la nullité de la mesure d’instruction réalisée en exécution de l’ordonnance rétractée
Ordonne la restitution à M. [I] de l’ensemble des documents et fichiers saisis et placés sous séquestre par Maître [S], commissaire de justice, lors de l’exécution de l’ordonnance rétractée ayant eu lieu le 14 juin 2023 au domicile de M. [I]
Déboute les sociétés Warning et Box 2 Home de leur demande en mainlevée de la mesure de séquestre
Condamne in solidum les sociétés Warning et Box 2 Home aux dépens de première instance et d’appel et à payer à M. [I] la somme globale de 6.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés tant en première instance que devant la juridiction du second degré.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
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