Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Nouméa
Thématique : Enregistrement audio au travail : une preuve irrecevable
→ RésuméDans cette affaire, M. [Y] conteste la validité d’un enregistrement audio réalisé à son insu par son employeur, la SARL [7]. Selon la jurisprudence, tout enregistrement effectué sans le consentement d’une partie est considéré comme illicite et déloyal, rendant sa production en justice irrecevable. En conséquence, l’enregistrement a été écarté des débats. M. [Y] a également demandé la résiliation de son contrat de travail, invoquant des fautes graves de l’employeur, mais le tribunal a rejeté sa demande, confirmant que les manquements allégués n’étaient pas suffisamment graves pour justifier une rupture aux torts de l’employeur.
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De jurisprudence ancienne et constante, tout enregistrement, quels qu’en soit les motifs, réalisé à l’insu d’une partie, constitue un mode de preuve illicite et un procédé déloyal qui viole l’article 9 du CPCNC et rend irrecevable sa production en justice (cf pour des exemples sous l’article homonyme du code de procédure civile métropolitain : Soc. 20 novembre 1991, n° 88-43.120 P et Com. 03 juin 2008, 07-17.147 P. ou Civ. 7 octobre 2004, n° 03-12. 653’P).
En la cause, l’enregistrement produit a été écarté des débats.
Résumé de l’affaire
Irrecevabilité de l’enregistrement audio
L’employeur invoque un enregistrement réalisé à l’insu de M. [Y] lors d’une conversation. Cependant, la jurisprudence considère tout enregistrement réalisé à l’insu d’une partie comme illicite et déloyal, rendant sa production en justice irrecevable. Ainsi, l’enregistrement produit sera écarté des débats.
Résiliation du contrat au tort de l’employeur
En cas de demande de résiliation judiciaire du contrat de travail, les manquements invoqués doivent être suffisamment graves pour caractériser une rupture imputable à l’employeur. Dans le cas présent, le contrat de travail ne précise pas le nombre maximum d’heures incluses pour un salaire forfaitaire, rendant la clause de forfait nulle. Par conséquent, l’employeur doit appliquer le régime légal de 39 heures par semaine. Le salarié doit apporter la preuve des heures supplémentaires effectuées, ce qu’il n’a pas réussi à faire dans ce cas.
Transmission tardive à la CAFAT privant de rémunération
Le salarié affirme ne pas avoir perçu de rémunération pendant plusieurs mois en raison d’une transmission tardive à la CAFAT. Cependant, il est établi que le retard n’est pas imputable à l’employeur mais à la CAFAT. Aucune faute grave de l’employeur ne peut être invoquée à ce titre, et le salarié sera débouté de ses demandes.
Harcèlement allégué
Le salarié allègue un comportement harcelant de la directrice générale. Cependant, les éléments produits ne permettent pas d’établir un harcèlement envers le salarié. Les témoignages fournis ne caractérisent pas des comportements répétés au sens de la loi. Par conséquent, le salarié ne parvient pas à prouver le harcèlement allégué et sa demande est rejetée.
Faute inexcusable de l’employeur
Pour qu’une faute inexcusable de l’employeur soit reconnue, il faut établir que l’employeur avait conscience du danger auquel était exposé le salarié et n’a pas pris les mesures nécessaires pour le préserver. En l’espèce, le salarié n’a pas dénoncé le comportement de la directrice générale, et il n’est pas prouvé que son comportement constituait un risque pour autrui. Par conséquent, la demande du salarié est rejetée.
Rappel au titre du 13e mois contractuellement prévu
Le salarié a droit à une prime de 13e mois selon son contrat de travail. Après examen des bulletins de salaire, il est établi qu’un rappel est dû à M. [Y] pour les années où il n’a pas perçu cette prime. L’employeur est donc condamné à lui verser ce rappel.
Somme des charges sociales prélevées en novembre 2018
Les parties conviennent qu’aucune somme n’est due à ce titre, et la décision du premier juge est confirmée.
Demandes en garantie, exécution provisoire, frais irrépétibles et dépens
En l’absence de faute inexcusable, la mise hors de cause de la compagnie [6] est confirmée. L’exécution provisoire est de droit en cause d’appel. M. [Y] est condamné à régler les frais irrépétibles et les dépens.
En conclusion, la décision du premier juge est confirmée sur la plupart des points, et les demandes de M. [Y] sont rejetées.
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Cour d’appel de Nouméa
RG n°
23/00043
COUR D’APPEL DE NOUMÉA
Arrêt du 01 Août 2024
Chambre sociale
N° RG 23/00043 – N° Portalis DBWF-V-B7H-T6J
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 27 Avril 2021 par le Tribunal du travail de NOUMEA (RG n° :19/179)
Saisine de la cour : 31 Mai 2023
APPELANT
M. [P] [Y]
né le 25 Août 1968 à [Localité 5]
demeurant [Adresse 4]
Représenté par Me Denis MILLIARD membre de la SELARL SOCIETE D’AVOCATS MILLIARD, avocat au barreau de NOUMEA
INTIMÉS
S.A.R.L. [7]
Siège social : [Adresse 1]
Représentée par Me Valérie ROBERTSON, avocat au barreau de NOUMEA
CAISSE DE COMPENSATION DES PRESTATIONS FAMILIALES DES ACCIDENTS DU TRAVAIL ET DE PREVOYANCE (CAFAT)
Siège social : [Adresse 2]
Compagnie d’assurance [6]
Siège social : [Adresse 3]
Représentée par Me Caroline MASCARENC DE RAISSAC membre de la SELARL D’AVOCATS REUTER-DE RAISSAC-PATET, avocat au barreau de NOUMEA
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 06 Juin 2024, en audience publique, devant la cour composée de Monsieur Philippe DORCET, Président de chambre, président, M. Thibaud SOUBEYRAN, Conseiller, Madame Béatrice VERNHET-HEINRICH, Conseillère, qui en ont délibéré, sur le rapport de Monsieur Philippe DORCET.
Greffier lors des débats : Mme Isabelle VALLEE
Greffier lors de la mise à disposition : M. Petelo GOGO
05/08/2024 : Copie revêtue de la forme exécutoire : – Me ROBERTSON ;
Expéditions : – Me MILLIARD ;
– M. [Y], SARL [7], CAFAT et [6] (LR/AR)
– Copie CA ; Copie TT
ARRÊT :
– contradictoire,
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour le 1er août 2024 date à laquelle le délibéré a été prorogé au 5 août 2024, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie,
– signé par Monsieur Philippe DORCET, président, et par M. Petelo GOGO, greffier, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.
PROCÉDURE DE PREMIÈRE INSTANCE
M. [P] [Y], fonctionnaire en disponibilité pour convenance personnelle, a été recruté par la SARL [7] le 1er juillet 2004, en qualité de directeur administratif et financier, cadre C par contrat de travail à durée indéterminée. Au 1er janvier 2005, sa rémunération nette forfaitaire était de 550’000 XPF / mois et son statut évoluait au cadre B2. Sa rémunération brute était établie à 850’000 XPF en 2012 puis 864’000 XPF en son dernier état. Le gérant, M. [I] [N], étant un ami d’enfance, il finissait par démissionner de la fonction publique par courrier du 24 mai 2013 (pièces N°3,4,5). Courant 2013, Mme [C] [N], épouse du gérant, était nommée directrice générale de la société.
M. [Y] était victime le 2 juin 2016 d’une crise cardiaque sur son lieu de travail qui faisait suite à une altercation avec Mme [N]. Il était placé en arrêt de travail du 2 juin 2016 prolongé au 30 juin 2019 inclus. Il rédigeait une déclaration d’accident du travail auprès de la CAFAT dès le lendemain laquelle reconnaissait le caractère professionnel de l’accident dont il indiquait avoir été victime’: le rapport d’expertise du docteur [G] concluait à : « …l’imputabilité directe et certaine, et exclusive à l’origine du syndrome coronarien sur l’état antérieur de l’accident du 2 juin 2016 » (pièce N°16). En l’absence de toute rémunération par la CAFAT depuis décembre 2017, il interrogeait la Caisse par courrier et apprenait que l’employeur n’avait avisé la Caisse qu’à compter du 02 février 2018.
Le 31 mai 2018, un entretien avait lieu entre M. [Y] et le gérant, [I] [N] que ce dernier enregistrait à son insu. Dans un courrier consécutif du 4 juin 2018, le conseil de la société [7] indiquait au salarié que la société n’entendait pas négocier son départ et lui demandait de cesser ses menaces de plainte contre Mme [N]. Le 8 avril 2019, le conseil de M. [Y] déposait devant le procureur de la République une plainte contre Mme [N] pour harcèlement moral (pièce N° 19). En retour, Le 30 juillet 2019, [7] et Mme [N], déposaient plainte contre M. [Y] pour chantage (article 312-10 du code pénal).
Par requête déposée au greffe le 23 juillet 2019 complétée par écritures ultérieures, M. [Y] a fait citer la SARL [7] et la CAFAT devant le tribunal du travail afin de’faire juger que la société [7] avait commis des fautes graves rendant impossible la poursuite de la relation contractuelle et sollicitait la résiliation judiciaire de son contrat laquelle produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Il demandait la condamnation de [7] à lui verser les sommes de 37’641’743 XPF (heures supplémentaires), 10’669’641 XPF (indemnité compensatrice de repos compensateur), 1’814’400 XPF (13e mois contractuel), 317’140 XPF (charges sociales indûment prélevées en novembre 2018), 5’356 800 XPF (indemnité légale de licenciement), 2’592’000 XPF (préavis) outre 259’200 XPF (congés payés sur préavis) et 16’416’000 (XPF (indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse). Il réclamait également les documents de fin de contrat ainsi que ses bulletins de salaire pour les mois de juin à novembre 2016 inclus, de mai 2018 à octobre 2018 inclus, de décembre 2018 à ce, sous astreinte.
ll soutenait que l’employeur avait commis une faute inexcusable à l’origine de son accident de travail et sollicitait avant dire droit une mesure d’expertise judiciaire afin d’évaluer l’ensemble de ses préjudices outre 500’000 XPF au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile de la Nouvelle-Calédonie.
En cours d’instance, [7] a assigné la société [6] en intervention forcée le 20 avril 2020, afin de juger, en cas de faute inexcusable retenue à son encontre, que la société [6] devra être condamnée à la garantir des conséquences légales de la faute, à savoir le remboursement de la cotisation complémentaire que la CAFAT sera fondée à lui réclamer conformément aux dispositions de l’arrêté N°58- 406CG en date du 29 décembre 1958, à savoir la majoration de la rente.
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In limine litis, M. [Y] fait valoir que les enregistrements audio produits ont été réalisés à son insu’et ne sont pas recevables.
Au soutien de sa demande, il expose sur le fond que la résiliation qui doit produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, est fondée sur les manquements de son employeur à l’origine de son accident du travail’: réalisation de nombreuses heures supplémentaires pendant plus de 10 ans, amplitude horaire (6’h à 20’h) fondée sur une convention de forfait illégale (défaut de précision du nombre d’heures supplémentaires), comportement violent de la directrice le 2 juin, à l’origine de son malaise, reconnu comme accident de travail par la CAFAT, retard dans la transmission à la Caisse de l’ordre de versement direct d’indemnités dues, le privant pendant plusieurs mois de sa rémunération ainsi que la non remise des bulletins de salaires pendant cette période.
Le montant de ses demandes se fonde sur la base d’un salaire moyen de 864’000 XPF avec un rappel d’heures supplémentaires sur 5 ans (soit 1’222 heures x 5 = 37’641’743 XPF), une demande au titre du repos compensateur (10’669’641 XPF), un rappel de treizième mois non versé sur la période 2013 à 2017 de 1’814’400 XPF.
ll soutient, par ailleurs que la faute inexcusable de l’employeur est caractérisée par l’embauche de Mme [N] laquelle, sans formation pour le poste, a fait preuve d’un comportement harcelant : il sollicite la majoration de la rente à 100’%.
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En réponse, [7] conteste l’ensemble des griefs qui lui sont adressés et fait valoir que Mme [N] n’a commis aucun acte de harcèlement moral mais qu’elle est la victime du requérant lequel est jaloux de sa relation maritale avec le gérant’: elle a elle-même subi une grave dépression à la suite du chantage exercé par M. [Y], le 31 mai, en vue d’obtenir la somme de 141 472 000 XPF ce qui ressort de l’enregistrement effectué à l’insu de son mari.
Pour le reste, l’employeur soutient en substance que la preuve du nombre d’heures supplémentaires n’est pas rapportée puisque son salarié était rémunéré au forfait et qu’il a pu déclarer tant à la CAFAT qu’à l’expert [G] qu’il travaillait de 5h45 à 11 heures et de 12h à 15h. Il est de même pour la preuve d’un harcèlement, Mme [N] s’étant contentée de lui rappeler «’qui était la patronne’» le 2 juin 2016, aucune instance représentative du personnel n’ayant été alertée.
Enfin, contrairement à ce qu’il soutenait, l’employeur affirmait avoir bel et bien versé le 5 décembre 2017 le salaire de novembre 2017′: pour les salaires postérieurs concernant la CAFAT, il n’en maîtrisait pas les délais.
La CAFAT quant à elle soutient que l’accident de M. [Y] relève du régime des accidents du travail mais que faute de taux d’incapacité permanente partielle, elle ne pouvait évaluer la rente et à fortiori sa majoration.
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Par jugement du 27 avril 2021, le tribunal a débouté M. [Y] de sa demande de résiliation du contrat aux torts de [7], dit que l’employeur n’avait commis aucune faute inexcusable et que la demande en garantie de la société [6] n’était en conséquence pas fondée. [7] était cependant condamnée à payer à son salarié le solde de sa prime de treizième mois, soit 691’200 XPF, les dépens étant partagés par moitié entre les parties.
Par requête en date du 17 mai 2021, M. [Y] a relevé appel de cette décision.
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PROCÉDURE D’APPEL
En cause d’appel, M. [Y] sollicite l’infirmation de la décision du tribunal du travail et reprend en substance les conclusions développées devant le premier juge, écritures auxquelles il est renvoyé pour plus amples développements pour ce qui concerne l’absence de prise en compte de l’enregistrement produit par M. [N], la résiliation du contrat, l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement, le harcèlement dénoncé et la demande d’expertise afférente couplée à la faute inexcusable de l’employeur.
En revanche, il produit de nouveaux témoignages et augmente plus que sensiblement les montants de ses demandes au principal soit 97’049’756 XPF pour les heures supplémentaires non payées, 28’507’512 XPF d’indemnité de repos compensateur, la fixation du salaire mensuel à 1’103’312 XPF avec les demandes afférentes et ajustées sur ce montant soit 8’164’449 XPF (indemnité légale), 3’309’936 (préavis) et 330’994 XPF (congés sur préavis) outre 19’859’616 d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse outre 1’400’000 XPF de frais irrépétibles.
L’employeur sollicite de son côté a confirmation du jugement précité sauf à l’infirmer pour ce qui concerne le règlement de 691’200 XPF de solde de prime de 13e mois. Il sollicitait une somme de 1’500’000 XPF au titre des frais irrépétibles
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur l’irrecevabilité de l’enregistrement audio’:
L’employeur tire argument d’un enregistrement effectué le 06 septembre 2018 concernant une conversation tenue avec M. [Y]. Ce dernier fait cependant observer qu’un enregistrement effectué à son insu ne saurait être retenu comme preuve et devrait être déclaré irrecevable. Il affirme en outre que sur le fond, cet entretien, qui n’a pas de date certaine, est rapporté hors contexte et consiste en de simples pourparlers.
De jurisprudence ancienne et constante, tout enregistrement, quels qu’en soit les motifs, réalisé à l’insu d’une partie, constitue un mode de preuve illicite et un procédé déloyal qui viole l’article 9 du CPCNC et rend irrecevable sa production en justice (cf pour des exemples sous l’article homonyme du code de procédure civile métropolitain : Soc. 20 novembre 1991, n° 88-43.120 P et Com. 03 juin 2008, 07-17.147 P. ou Civ. 7 octobre 2004, n° 03-12. 653’P).
L’enregistrement produit sera donc écarté des débats.
Sur la résiliation du contrat au tort de l’employeur :
En cas de demande de résiliation judiciaire du contrat de travail lorsque les manquements invoqués sont établis et d’une gravité suffisante, la résiliation est prononcée aux torts de l’employeur et produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Les faits invoqués doivent constituer des manquements suffisamment graves pour caractériser une rupture imputable à l’employeur, tels que le non-paiement des salaires, la modification d’un des éléments essentiels du contrat de travail sans l’accord du salarié ou des faits de harcèlements caractérisés.
Le salarié affirme qu’il effectuait des heures supplémentaires puisqu’il travaillait de 06.00 à 20.00. [7] soutient que M. [Y] ne saurait revendiquer le paiement d’heures supplémentaires, son salaire étant forfaitaire s’agissant d’un cadre dont le salaire moyen annuel brut était très supérieur au salaire moyen conventionnel de sa catégorie.
Au cas d’espèce, l’article 4 du contrat de travail dispose : ‘En rémunération de ses services, le salarié percevra un salaire net forfaitaire mensuel de 550’000′ XPF. S’ajoutera à cette rémunération mensuelle une prime nette dite de 13e mois équivalents à un mois de salaire net mensuel. Cette prime sera versée sur la paie du mois de novembre de l’année considérée.
La rémunération fixée au présent contrat a été convenue compte tenu de la nature des fonctions et responsabilités confiées au salarié et restera indépendante du temps que le salarié consacrera de fait a l’exercice de ses fonctions. Cette rémunération inclut donc tout dépassement d’horaire, toute astreinte ou permanence et toute mission particulière que l’intéressé pourrait effectuer du fait de ses fonctions, à l’exclusion des sujétions particulières énumérées à l’article 5.’» (comprendre travail le week-end et jour fériés)
L’article 5 de l’avenant «’Ingénieur cadre ou assimilé’» de l’AIT précise que l’employeur, lors de l’engagement, doit communiquer les éléments essentiels de la rémunération forfaitaire convenue, le calcul de la rémunération étant effectué de façon à ne pas léser l’intéressé par rapport à un salarié payé sur une base horaire. A cette fin, toute clause de forfait comprend donc nécessairement le nombre d’heures supplémentaires maximum mensuel et doit être connue des parties.
Une simple lecture montre que le contrat ne précise pas le nombre maximum d’heures incluses pour un salaire de 550’000 XPF (en son dernier état d’un montant de 864’000 XPF)’: la clause de forfait est donc nulle.
Dans ces conditions, faute pour la défenderesse d’établir que le salarié avait accepté un salaire forfaitaire comprenant un nombre maximum d’heures supplémentaires, elle devait appliquer le régime légal de 39 heures par semaine ou l’horaire contractuel convenu par accord d’entreprise.
Par suite, l’article Lp. 224-2 du code du travail de Nouvelle-Calédonie dispose «’En cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.
Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles ».
Il incombe donc au salarié qui soutient avoir exécuté des heures supplémentaires d’en rapporter la preuve.
M. [Y] affirme qu’il travaillait 13 heures par jour soit 26 heures supplémentaires par semaine depuis plus de 5 ans. Il produit à l’appui de cette allégation l’attestation de M. [U], salarié de 2002 à 2016 dans la société, lequel rapporte que son collègue travaillait le matin dès 06.00 jusqu’à 20.00 et parfois plus.
Or d’une part cette déclaration est contredite par M. [Y] lui-même qui, à deux occasions, exposera travailler de 05.45 à 12.00 puis de 12.45 à 15.00 (déclaration écrite d’accident du travail) ou de 05.45 à 11.00 et de 12.00 à 15.30 (examen du Docteur [G] à la demande de la CAFAT). D’autre part, M. [E], directeur technique, atteste qu’il fermait les portes de la société vers 17.00 / 17.30, M. [Y] quittant la société vers 15.00 / 15.30.
Enfin, et ainsi que relevé par le premier juge, le requérant, directeur administratif et financier de la société, n’a jamais revendiqué avant la saisine de la juridiction, le paiement des heures litigieuses.
L’appelant invoque à cet égard sa naïveté. Cet argument n’est pas recevable : M. [Y] était directeur administratif et financier depuis plus de 10 ans’et il est difficile d’imaginer dans ces conditions qu’en charge de l’établissement des bulletins de salaire, il ait attendu 2019 pour faire valoir ses heures supplémentaires d’autant qu’il était en l’état d’un accident du travail dont il tenait l’épouse de M’. [N] pour seule responsable. Il est tout aussi difficile de comprendre pour quelles raisons, dans le contexte de harcèlement qu’il dénonçait, il aurait couvert son employeur en indiquant travailler à «des horaires qui ne risquaient pas d’attirer l’attention de la CAFAT’»
M. [Y] échoue en conséquence à établir qu’il effectuait des heures supplémentaires au-delà du régime légal de 39 heures par semaine.
Sur la transmission tardive à la CAFAT le privant de rémunération pendant plusieurs mois
Le requérant soutient qu’il n’a pas perçu de rémunération entre novembre 2017 et décembre 2018, [7] n’ayant prévenu la CAFAT de l’arrêt de ses salaires qu’en janvier 2018.
Or il s’avère que la paye de novembre 2017 a bien été réglée (virement bancaire du 5 décembre 2017) et que M. [N] avait informé la CAFAT par courriel du 28 décembre 2017 de son souhait de renoncer à la subrogation à compter du salaire de décembre adressant en outre à la Caisse les bulletins de salaire sollicités dont celui de janvier 2018. Dans ces conditions, le retard n’est pas imputable à l’employeur mais à la seule CAFAT et il ne concerne d’ailleurs que deux salaires, celui de décembre 2017 perçu en février 2018 et celui de janvier 2018 perçu 7 jours après le délai légal, soit le 15 février 2018.
Aucune faute grave de [7] de nature à justifier la résiliation judiciaire du contrat aux torts de l’employeur ne saurait en conséquence être invoquée : M. [Y] sera débouté de ses demandes à ce titre.
Sur le harcèlement allégué :
L’article LP 114-1 du code du travail de Nouvelle-Calédonie dispose «’Sont constitutifs de harcèlement moral et interdits,’ les agissements répétés à l’encontre d’une personne ayant pour objet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits, à sa dignité ou d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Ces dispositions s’entendent sans préjudice des dispositions (‘) du code du travail en application des quelles l’employeur détient un pouvoir de direction et de sanction, dans l’exercice normal de son pouvoir disciplinaire.»
Cette situation suppose nécessairement l’existence d’actes volontaires («’…ayant pour objet…’» ) répétitifs et blâmables qu’il appartient au salarié d’établir.
Selon l’appelant, la directrice générale, épouse du gérant à la ville, avait un comportement harcelant. Le 2 juin 2016, celle-ci l’aurait «’violemment interpellé’» d’où une crise cardiaque à l’origine de son accident du travail dont il subirait de nombreuses séquelles.
Afin de caractériser le harcèlement dénoncé, le requérant produit des attestations établies en mars 2019 de MM. [U], [Z] et Mme [C] [X] salariés ayant quitté l’entreprise soutenant que Mme [N] était colérique (parfois) et devenait hystérique en hurlant sur certains salariés (toujours parfois). Il n’y est cependant jamais question de M. [Y]’: aucun témoignage, aucun élément n’est produit faisant état d’une agression verbale de Mme [N] à l’endroit de l’intéressé.
À supposer les faits établis, le salarié n’a d’ailleurs jamais alerté son ami et co-gérant, M. [N], ou le médecin du SMIT.
Pour ce qui regarde l’incident du 2 juin, Mme [X], atteste que M. [Y] avait en réalité pris sa défense après que Mme [N] est arrivée dans la salle de réunion hurlant que « ses ordres surpassaient les siens (comprendre ceux de M. [Y]) et que s’il n’était pas content, il n’avait qu’à dégager ». M. [E], directeur technique présent lors des faits, indique que Mme [N] a, le 2 juin, ordonné à Mme [X] de retourner à son travail alors qu’elle mettait sous pli les bulletins de salaire à la demande de M. [Y]. Ce dernier se serait énervé et aurait déclaré’: ‘C’est pas tes affaires, tu n’as pas à t’occuper de mon personnel’ Mme [N] lui rétorquant ‘Ca n’est pas ton personnel et c’est moi la directrice’ .
Il s’ensuit que, selon ce témoignage, c’est M. [Y] qui s’est énervé et qui est a l’origine des paroles de Mme [N] à son égard, certes blessantes pour lui mais qui n’avaient pour but que de recadrer son subordonné, celle-ci étant la directrice générale.
En toute hypothèse, ce dernier témoignage relate un fait isolé, qui échoue à caractériser «’des comportements répétés’» au sens de la loi.
M. [Y] produit néanmoins en cause d’appel de nouveaux témoignages, savoir ceux de MM. [S], [K] et [Z]
Il n’apparaît pas inopportun de se poser dès l’abord, la question des raisons pour lesquelles, s’agissant de faits datant de juin 2018, ces nouveaux témoignages n’ont pas été produits en première instance.
En effet, M. [S], salarié de 2004 à 2016 de [7], avait déjà fourni une attestation datée du 24 mars 2019 (pièce n° 8) en première instance dénonçant une attitude «’hystérique’» de Mme [N] et faisant état d’altercations «’avec les cadres et les agents de maîtrise de la société’». Au sujet de M. [Y], qui avait sollicité son témoignage, il indiquait simplement que l’intéressé était «’extrêmement stressé et surmené par son travail’» sans évoquer d’incident particulier.
Il fait état désormais, dans une nouvelle attestation d’août 2021, postérieure au jugement du tribunal, d’une scène remontant à 2015 relatant le caractère tyrannique et «’hystérique’» de Mme [N] et d’un propos malveillant tenu par Mme [N] hors la présence de M. [Y]. Il relate ainsi que ce dernier aurait été victime en 2015 d’une sortie humiliante de Mme [N] qui aurait déclaré devant témoin’: «’Tu n’auras qu’à nettoyer cette merde, il faut que ça redevienne propre». A la lecture du témoignage, il s’agit en réalité d’une scène évoquant la saleté d’un véhicule de la société, certes exprimée de manière vulgaire et déplacée voire révélatrice de la personnalité de Mme [N], mais en aucun cas d’un harcèlement.
Ce témoignage sera en outre considéré avec circonspection : en effet, outre que les faits rapportés, déjà connus de M. [S] qui n’en avait pas fait mention lors de son précédent témoignage en 2019 alors qu’il n’ignorait pas les raisons pour lesquelles il était sollicité, ne constituent pas en soi un harcèlement, ils ne sont en toute hypothèse pas assez proches dans le temps pour être pris en compte et caractériser une répétition au sens de la loi puisqu’ils se déroulent en 2015, l’altercation suivante se déroulant en 2016.
Quant aux nouvelles déclarations de M. [K] et Mme [X], ces derniers indiquent, en cause d’appel, que M. [E] était dans son bureau le 02 juin 2018 et n’a pas assisté à la scène à l’origine de l’accident du travail laissant entendre que le témoignage de ce dernier serait de circonstance.
Il est étrange que le nouveau témoignage de Mme [X] comporte deux écritures parfaitement différentes (particulièrement la page 3/4) ce qui laisse mal augurer de sa sincérité.
Quant à M. [K], s’agissant de déclarations effectuées sur sommation interpellative, ce dernier n’a pas été informé du fait qu’une fausse déclaration l’exposait à une sanction pénale (article 202 du CPCNC). Il ne lui pas été indiqué’dans quelles conditions ses propos seraient utilisés ce qui se comprend d’autant moins qu’en première instance M. [K] avait produit une attestation conforme et que les nouveaux faits qu’il évoque (l’impossibilité pour M. [E] d’avoir entendu cette conversation) étaient déjà connus de lui. Ces déclarations, pour n’être pas nulles, ne présentent dès lors pas assez de garanties pour emporter la conviction de la cour.
La preuve d’un harcèlement visant en propre M. [Y] de la part de Mme [N] n’est en conséquence pas rapportée et la décision du premier juge sera confirmée intégralement sur ce point.
Il résulte également de ce qui précède qu’en l’absence de manquement grave de [7] à ses obligations contractuelles, M. [Y] sera débouté de sa demande de résiliation du contrat de travail aux torts de l’employeur et de ses demandes indemnitaires à ce titre.
Sur la faute inexcusable de l’employeur
Un employeur est tenu, à l’égard de ses salariés, d’une obligation de sécurité de résultat et le manquement à cette obligation a le caractère d’une faute inexcusable lorsqu’il avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.
ll est indifférent que la faute inexcusable commise par l’employeur ait été la cause déterminante de l’accident survenu au salarié, il suffit qu’elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l’employeur soit engagée, alors même que d’autres fautes auraient concouru au dommage.
Il s’ensuit que la simple constatation du manquement à l’obligation de sécurité suffit à engager la responsabilité de l’employeur si la victime apporte la preuve qu’il avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel il exposait son salarié et l’absence de mesures de prévention et de protection.
Par ailleurs, aux termes des dispositions de l’article LP113-1 CTNC, ‘…tout salarié a droit à des relations de travail empreintes de respect et exemptes de toute forme de violence. Toute personne a le devoir de contribuer par son comportement au respect de ce droit.’ L’employeur prend toutes les mesures nécessaires pour assurer la santé physique et mentale des salariés.
Le salarié qui invoque un manquement par l’employeur à son obligation de sécurité, doit établir ce manquement et le préjudice qui en est résulté ainsi que le lien entre ce préjudice et le manquement de l’employeur.
Aux dires de M. [Y], [7] aurait commis une faute inexcusable à l’origine de son accident du travail en laissant à un poste de responsabilité une salariée novice et inexpérimentée dont le comportement posait problème’: en n’évaluant pas les risques que Mme [N] faisait courir aux salariés de l’entreprise par sa seule présence, M. [N] aurait méconnu les dispositions légales.
Ils sera tourt d’abord observé que M. [Y] n’établit pas avoir dénoncé à l’employeur ou au médecin du travail le comportement de Mme [N] de sorte qu’il ne peut reprocher à l’employeur de ne pas avoir pris les mesures pour cesser tout manquement de sa part.
En outre, il échoue à prouver que le comportement de Mme [N] constituait un risque pour autrui alors qu’il résulte de plusieurs attestations produites au débat, tant en première instance qu’en appel, qu’elle s’était investie dans la société et que certains salariés l’appréciaient pour son écoute et son humanisme.
Enfin, en ce qui concerne l’incident du 2 juin, accident du travail indiscutable puisqu’il résulte des éléments médicaux produits que le malaise est consécutif au stress causé par l’altercation qui a eu lieu au temps et lieu du travail, il n’est pas établi que Mme [N] en est la cause exclusive tant il est vrai qu’il résulte de multiples attestations, en ce compris celles fournies par M. [Y], qu’il était stressé et fatigué et sous pression depuis bien longtemps (cf Mme [X], M. [S] et M. [K]).
ll sera relevé sur ce point que dans sa déclaration d’accident de travail, M. [Y] évoque deux altercations sans en préciser les circonstances et sans décrire précisément ce qui s’était passé le 02 juin.
Le requérant sera donc débouté de ses demandes à ce titre et de sa demande d’expertise.
Sur la demande de rappel au titre du 13e mois contractuellement prévu
ll est constant que l’article 4 du contrat de travail prévoit une prime nette dite de 13e mois équivalente à un mois de salaire net mensuel, versée au mois de novembre de l’année considérée.
Il s’agit en conséquence d’une prime à laquelle l’employeur était tenu contractuellement pour une somme de 864’000 XPF en l’état des derniers salaires de M. [Y] produits et non contestés.
L’examen des bulletins de salaire montre que M. [Y] a perçu cette prime plus ou moins complètement en novembre 2013 (1’123’200 XPF), novembre 2014 (1’296’000 XPF), novembre 2015, (259’200 XPF au lieu de 864. 000 XPF) et n’a rien perçu en novembre 2016 ni en 2017.
Il restait en conséquence dû pour novembre 2015 une somme de 604’800 XPF outre 1’728’000 XPF pour novembre 2015 et novembre 2016 soit une somme de 2’332’800 XPF. En novembre 2018 et novembre 2019, il a perçu la somme de 864’000 XPF et la requérante a versé, en novembre 2018, la somme de 1’641’600 XPF à titre de régularisation pour les mois de novembre 2015, 2016 et 2017.
ll reste donc dû la somme de 2’332’800 XPF moins la somme de 1’641’600 XPF soit 691’200 XPF que l’employeur sera donc condamné à lui verser a titre de rappel.
Sur la somme de 317’140’XPF au titre des charges sociales prélevées en novembre 2018
Les parties s’accordent sur ce point’: la décision du premier juge selon lequel aucune somme n’est due à ce jour sera confirmée.
Sur les demandes en garantie
En l’absence de faute inexcusable, la mise hors de cause de la compagnie [6] sera confrimée
Sur l’exécution provisoire
ll sera rappelé que l’exécution provisoire est de droit en cause d’appel
Sur les frais irrépétibles
M. [Y] qui succombe sera condamné à régler la somme de 1’000’000 XPF
Sur les dépens
Les dépens resteront à la charge de M. [Y]
La cour statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement entrepris
Statuant à nouveau sur lesfrais irrépétibles et les dépens
CONDAMNE M. [Y] à régler à [7] la somme de 1’000’000 XPF (un million de francs) au titre des frais irrépétibles.
Le greffier, Le président.
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