Cour d’appel de Nancy, 31 mars 2025, RG n° 23/01969
Cour d’appel de Nancy, 31 mars 2025, RG n° 23/01969

Type de juridiction : Cour d’appel

Juridiction : Cour d’appel de Nancy

Thématique : Caducité d’un compromis de vente et conséquences d’une vente forcée.

Résumé

Le 1er décembre 2021, un compromis de vente a été signé entre un vendeur, la SCI [P], et un acheteur, Monsieur [O], pour l’acquisition d’un immeuble au prix de 145 000 euros. Ce compromis incluait une clause suspensive liée à l’obtention d’un prêt immobilier par l’acheteur, qui devait être justifié avant le 31 janvier 2022. La signature de l’acte authentique était prévue au plus tard le 31 mars 2022. Cependant, un jugement antérieur avait prononcé la liquidation judiciaire d’un précédent propriétaire, Monsieur [Z], ce qui a compliqué la situation.

Le 27 octobre 2022, la Caisse d’épargne, créancière de la SCI [P], a engagé une procédure de saisie des biens immobiliers concernés. Malgré plusieurs sommations, l’acheteur a refusé de conclure la vente en décembre 2022, arguant que l’état du bien avait changé depuis sa visite. Il a proposé une nouvelle offre de 116 000 euros, qui a été rejetée par le vendeur. En mai 2023, l’acheteur a assigné la SCI [P] pour obtenir une vente forcée des biens.

Le tribunal judiciaire d’Epinal a statué le 7 juin 2023, déclarant le compromis de vente caduc en raison de l’absence d’accord sur le prix et la consistance du bien. L’acheteur a été condamné à verser 10 000 euros de dommages-intérêts à la SCI [P] pour avoir entravé la vente. L’acheteur a interjeté appel de cette décision, tandis que la procédure de saisie immobilière se poursuivait.

Le 14 juin 2024, le juge de l’exécution a autorisé la vente amiable des biens à un prix minimum de 140 000 euros. Cependant, les parties n’ont pas réussi à s’accorder sur un prix. L’affaire a été renvoyée pour réouverture des débats afin d’examiner les conséquences d’une adjudication récente sur les demandes en cours.

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

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COUR D’APPEL DE NANCY

Première Chambre Civile

ARRÊT N° /2025 DU 31 MARS 2025

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 23/01969 – N° Portalis DBVR-V-B7H-FHSV

Décision déférée à la Cour : jugement du tribunal judiciaire d’EPINAL,

R.G.n° 23/00871, en date du 07 septembre 2023,

APPELANT :

Monsieur [I] [Y] [O]

né le 1er décembre 1966 à [Localité 5] (88)

domicilié [Adresse 3]

Représenté par Me François VALLAS, avocat au barreau d’EPINAL, avocat postulant

Plaidant par Me Véronica VECCHIONI, avocat au barreau de NICE

INTIMÉE :

SCI [P], prise en la personne de son représentant légal, pour ce domicilié au siège social, sis [Adresse 2]

Représentée par Me Clarisse MOUTON de la SELARL LEINSTER, WISNIEWSKI, MOUTON, avocat au barreau de NANCY, avocat postulant

Plaidant par Me Marion PARTOUCHE, avocat au barreau d’EPINAL

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 25 Novembre 2024, en audience publique devant la Cour composée de :

Madame Nathalie CUNIN-WEBER, Président de Chambre,

Monsieur Thierry SILHOL, Président de Chambre, chargé du rapport,

Monsieur Jean-Louis FIRON, Conseiller,

qui en ont délibéré ;

Greffier, lors des débats : Madame Céline PERRIN ;

A l’issue des débats, le Président a annoncé que l’arrêt serait rendu par mise à disposition au greffe le 10 Février 2025, en application de l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile. A cette date, le délibéré a été prorogé au 10 Mars 2025 puis au 31 Mars 2025 ;

ARRÊT : contradictoire, rendu par mise à disposition publique au greffe le 31 Mars 2025, par Madame PERRIN, Greffier, conformément à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ;

signé par Madame CUNIN-WEBER, Président, et par Madame PERRIN, Greffier ;

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Copie exécutoire délivrée le à

Copie délivrée le à

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EXPOSÉ DU LITIGE :

Le 1er décembre 2021, la SCI [P] a conclu avec Monsieur [I] [O] un compromis notarié ayant pour objet la vente à celui-ci de lots constituant l’intégralité d’un immeuble situé [Adresse 2] à [Localité 5] (Vosges) au prix de 145 000 euros.

Selon ce compromis, l’immeuble se composait « d’un local à usage de boulangerie et de deux appartements loués et rénovés sans que cela corresponde véritablement aux lots désignés » dans l’acte.

Le compromis prévoyait une clause suspensive tenant à l’obtention par Monsieur [O] d’un prêt immobilier d’un montant de 157 000 euros sur une durée de 20 ans au taux d’1%. L’acquéreur devait justifier de l’obtention d’une offre de prêt avant le 31 janvier 2022.

Il était prévu qu’en cas de réalisation des conditions suspensives, la signature de l’acte authentique de vente devrait avoir lieu au plus tard le 31 mars 2022.

Au titre des obligations de garde du vendeur jusqu’à l’entrée en jouissance de l’acquéreur, il était convenu que le vendeur s’engageait à « laisser dans le bien tout ce qui est immeuble par destination ».

Antérieurement à la signature de ce compromis, le tribunal de commerce d’Epinal a, selon jugement du 8 juin 2021, prononcé la liquidation judiciaire de Monsieur [Z] [P], au titre de son activité commerciale de boulangerie, a fixé la date de cessation des paiements au 1er janvier 2020 et a désigné la SCP Le Carrer-Najean en qualité de liquidateur judiciaire.

Le 27 octobre 2022, la Caisse d’épargne et de prévoyance Grand-Est Europe, créancière de la société [P], a fait publier au service de la publicité foncière d'[Localité 4] un commandement d’avoir à payer valant saisie des biens immobiliers faisant l’objet dudit compromis. Le 22 décembre 2022, elle a fait assigner la société [P] à l’audience d’orientation devant le juge de l’exécution du tribunal judiciaire d’Epinal.

Par acte du 24 novembre 2022, Monsieur [O] a fait sommation à la société [P] d’avoir à comparaître le 25 novembre suivant devant le notaire chargé de la vente des biens immobiliers aux fins de signature de l’acte de vente. Le 1er décembre suivant, une deuxième sommation d’avoir à comparaître pour le 13 décembre 2022 a été délivrée.

A cette date, les parties ont comparu devant le notaire. Selon le procès-verbal dressé par celui-ci, Monsieur [O] a déclaré « ne pas conclure la vente » au motif que le bien n’était plus dans l’état dans lequel il se trouvait au moment où il l’avait visité en août 2021. Il a ajouté « avoir toujours été dans la volonté de signer l’acte de vente » et qu’il ferait, au plus tard le 15 janvier 2023, une nouvelle proposition à la société [P]. Celle-ci a déclaré être en désaccord sur les raisons invoquées par Monsieur [O], a accepté qu’une nouvelle offre lui soit faite au plus tard le 15 janvier 2023, étant précisé que si la proposition ne lui convenait pas, le compromis serait caduc.

Le 11 janvier 2023, Monsieur [O] a présenté une offre à hauteur de 116 000 euros que la société [P] a refusé le 18 janvier suivant.

Le 16 mai 2023, Monsieur [I] [O] a fait assigner la société [P] devant le tribunal judiciaire d’Epinal aux fins de vente forcée des biens immeubles. Cette affaire a été enregistrée sous le numéro de rôle 23/01022.

Selon ordonnance rendue le même jour, la société [P] a été autorisée à assigner à jour fixe Monsieur [O] devant le tribunal judiciaire d’Epinal aux fins de caducité du compromis de vente. L’assignation a été délivrée le 22 mai 2023. Cette affaire a été enregistrée sous le numéro de rôle 23/00871.

Par un jugement contradictoire prononcé le 7 juin 2023, le tribunal judiciaire d’Epinal, statuant dans le cadre de cette procédure à jour fixe, a :

– rejeté la fin de non-recevoir présentée par Monsieur [O],

– dit que le compromis de vente est caduc,

– condamné Monsieur [O] à payer à la société [P] la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts,

– débouté les parties de leurs autres demandes,

– condamné Monsieur [O] à payer à la société [P] la somme de 2 500 euros au titre de ses frais de défense,

– condamné Monsieur [O] aux dépens.

Pour statuer ainsi, le tribunal a retenu, sur la fin de non-recevoir tirée du défaut de publication de l’assignation au service de la publication foncière, qu’il n’était pas justifié de la publication du compromis du 1er décembre 2021 au service de la publicité foncière et qu’en conséquence, la demande de la société [P] n’encourait aucune irrecevabilité, sauf au tribunal à ne pas pouvoir faire droit à la demande de cette société d’ordonner la radiation de la publication de ce compromis.

S’agissant de la demande tendant à la caducité du compromis de vente du 1er décembre 2021, le tribunal a constaté qu’il résulte des mentions du procès-verbal établi le 13 décembre 2022 que les conditions suspensives avaient été réalisées et en a déduit que la condition tenant à l’obtention du prêt immobilier était levée à cette date.

Le tribunal a, en revanche, retenu qu’aucun accord n’existait plus sur la chose et le prix à compter du 18 janvier 2023, la société [P] ayant refusé le prix différent de celui convenu (116000 euros au lieu de 145000 euros) proposé par Monsieur [O] et les parties étant en désaccord sur la consistance du bien vendu (vente on non de meubles et présence ou non d’immeubles par destination). Il en a conclu que la caducité de « la promesse synallagmatique de vente » devait être constatée.

Le tribunal a considéré que le litige soumis par Monsieur [O] (audience d’orientation du 18 septembre 2023) était effectivement le même que celui objet de la présente instance et que le défendeur avait été en mesure de faire valoir ses arguments sur le caractère parfait ou non de la vente. Il en a déduit qu’il n’y avait « ni lieu à sursis à statuer dans l’attente de la décision du tribunal sur l’assignation délivrée par Monsieur [O] à la SCI [P] qui est dénouée par le présent jugement ou de celle du juge de l’exécution ni lieu à jonction entre la présente instance et celle pendante devant le tribunal sous le n° RG 23/1022. »

Enfin, pour allouer la somme de 10 000 euros à la société [P] au titre de dommages-intérêts, le tribunal a retenu que, en faisant obstruction à une vente amiable permettant, le cas échéant, à cette société d’apurer sa dette à l’égard de la Caisse d’épargne, Monsieur [O] lui avait causé un préjudice.

Par déclaration reçue au greffe de la cour, sous la forme électronique, le 14 septembre 2023, Monsieur [O] a relevé appel du jugement prononcé le 7 juin 2023 par le tribunal judiciaire d’Epinal.

Parallèlement, la procédure de saisie immobilière s’est poursuivie devant le juge de l’exécution du tribunal judiciaire d’Epinal.

Celui-ci a, selon jugement du 14 juin 2024, autorisé la vente amiable des biens immobiliers au prix minimum de 140 000 euros, a suspendu la procédure de saisie immobilière et a renvoyé l’affaire au 18 octobre suivant.

A la suite de ce jugement, la société [P] et Monsieur [I] [O] se sont rapprochés afin de conclure la vente des biens immeubles. Cependant, elle n’ont pu convenir d’un prix.

Au dernier état de la procédure, par conclusions reçues au greffe de la cour d’appel, sous la forme électronique le 11 novembre 2024, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, Monsieur [I] [O] demande à la cour de :

– réformer le jugement entrepris dans son entièreté et, statuant à nouveau ;

In limine litis,

– juger qu’en raison de la connexité existant entre la procédure RG 23/01022 et la procédure RG 23/00871, le juge saisi par la société [P] aurait dû se dessaisir en faveur du juge saisi au fond par Monsieur [O],

– en conséquence, se dessaisir en faveur de la juridiction de premier degré auprès de laquelle est pendante l’affaire enrôlée sous le numéro 23/01022, renvoyer les parties devant ladite juridiction,

– juger que ladite exception de nullité (sic) emporte nullité du jugement entrepris,

– condamner la société [P] à rembourser la somme de 10 000 euros versée par Monsieur [O] au titre du jugement annulé,

– juger que l’assignation présentée par la société [P] est irrecevable en raison de l’absence de publication au cadastre de ladite assignation ;

Au fond,

– juger que la promesse synallagmatique du 1er décembre 2021 est parfaite, en conséquence,

– dire que l’arrêt à intervenir entre les parties vaudra vente et sera publié à la diligence du demandeur auprès de la conservation des hypothèques du lieu de situation de l’immeuble,

– juger que le préjudice financier de Monsieur [O] s’élève à la somme de 155 068 euros,

– juger que le préjudice moral de Monsieur [O] s’élève à la somme de 10 000 euros,

– condamner la société [P] à payer à Monsieur [O] la somme de 155 068 euros en réparation du préjudice financier,

– condamner la société [P] à payer à Monsieur [O] la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice moral,

– ordonner la compensation entre le prix de vente convenu dans le compromis n°101824505 pour la vente d’un ensemble immobilier enregistré au cadastre section AB, n°[Cadastre 1], [Adresse 2], d’une surface de 00 ha 00 a 02 ca et les dommages et intérêts reconnus à Monsieur [O],

– ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir, nonobstant appel et sans caution, celle-ci étant compatible avec la nature de l’affaire,

– surseoir dans l’attente de la décision du premier juge sur la demande de vente forcée effectuée par Monsieur [O] ;

Sur l’appel incident,

– juger que les demandes incidentes présentées par la société [P] ne sont ni fondées, ni justifiées,

– débouter l’appelant incident de l’ensemble de ses demandes ;

En tout état de cause,

– juger que le préjudice financier de Monsieur [O] s’élève à la somme de 155 068 euros,

– juger que le préjudice moral de Monsieur [O] s’élève à la somme de 10 000 euros,

– condamner la société [P] à payer à Monsieur [O] [I] la somme de 155 068 euros en réparation du préjudice financier,

– condamner la société [P] à payer à Monsieur [O] la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice moral ;

En conséquence,

– condamner la société [P] à payer tous les dépens, avec distraction dans les conditions prévues à l’article 699 du code de procédure civile au profit de la SELARL Astra Juris,

– condamner la société [P] à verser à Monsieur [I] [O] la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’à l’intégralité des dépens.

Au dernier état de la procédure, par conclusions reçues au greffe de la cour d’appel, sous la forme électronique, le 7 novembre 2024, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, la société [P] demande à la cour de :

– déclarer l’appel de Monsieur [O] recevable mais mal fondé,

– débouter Monsieur [O] de toutes ses demandes,

– déclarer l’appel incident de la société [P] bien fondé ;

En conséquence confirmer le jugement du tribunal judiciaire d’Epinal en ce qu’il a :

*dit que le compromis de vente en date du 1er décembre 2021 est caduc,

* condamné Monsieur [O] à payer à la société [P] la somme de 2500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

* condamné Monsieur [O] aux dépens,

* dit n’y avoir lieu à écarter l’exécution provisoire ;

Le réformer pour le surplus, statuant à nouveau, condamner Monsieur [O] à payer à la société [P] la somme de 75 000 euros de dommages et intérêts ;

Y ajoutant,

– condamner Monsieur [O] à verser à la société [P] la somme de 4 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner Monsieur [O] aux entiers dépens ;

Très subsidiairement, si la cour d’appel ne s’estimait pas suffisamment informée, ordonner la réouverture des débats pour production du jugement du juge de l’exécution d’Epinal constatant la vente forcée au profit d’un tiers.

La clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance du 12 novembre 2024.

L’audience de plaidoirie a été fixée le 25 novembre 2024 et le délibéré au 10 février 2025 prorogé au 10 mars 2025, puis au 31 mars suivant.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR, statuant par arrêt contradictoire et avant dire droit prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe,

Ordonne la réouverture des débats,

Invite la SCI [P] à produire le jugement prononcé le 14 mars 2025 par le juge de l’exécution du tribunal judiciaire d’Epinal,

Invite les parties à présenter leurs observations sur les conséquences juridiques de ce jugement sur leurs demandes relatives à la caducité du compromis de vente du 1er décembre 2021 et au caractère parfait de la vente,

Renvoie l’affaire à la mise en état du 6 mai 2025.

Réserve les dépens.

Le présent arrêt a été signé par Madame CUNIN-WEBER, Présidente de la première chambre civile de la Cour d’Appel de NANCY, et par Madame PERRIN, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Signé : C. PERRIN.- Signé : N. CUNIN-WEBER.-

Minute en sept pages.

 


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