Cour d’appel de Nancy, 24 mars 2025, RG n° 23/02633
Cour d’appel de Nancy, 24 mars 2025, RG n° 23/02633

Type de juridiction : Cour d’appel

Juridiction : Cour d’appel de Nancy

Thématique : Propriété et possession : la primauté de la détention sur le titre administratif.

Résumé

Dans cette affaire, un acheteur a acquis un quad et une caravane auprès d’une société, avec un bon de commande daté du 4 avril 2008 et une facture du 6 juin 2008. Le prix total de l’achat était de 8 321 euros, incluant la reprise d’un ancien quad. Les certificats d’immatriculation des véhicules ont été établis au nom de l’acheteur et de sa partenaire, une co-titulaire. Après une séparation, des tensions sont apparues concernant la vente d’un camping-car, la partenaire refusant de signer le certificat de cession sans recevoir une compensation financière.

Le 22 février 2022, un conciliateur de justice a constaté le désaccord entre les deux parties. L’acheteur a alors saisi le tribunal judiciaire pour demander la régularisation des cartes grises, affirmant que sa partenaire n’avait pas contribué financièrement à l’achat des véhicules. Le tribunal a rendu un jugement le 29 juin 2023, déboutant l’acheteur de ses demandes et condamnant ce dernier aux dépens, tout en accordant une somme à la partenaire au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

L’acheteur a interjeté appel, soutenant que la possession des véhicules lui conférait la qualité de propriétaire, et que le certificat d’immatriculation ne prouvait pas la copropriété. Il a également affirmé que sa partenaire n’avait pas prouvé sa participation financière à l’achat des véhicules. En réponse, la partenaire a soutenu qu’ils avaient formé une société de fait et qu’elle avait été contrainte de laisser les véhicules à l’acheteur.

La cour d’appel a finalement infirmé le jugement de première instance, déclarant l’acheteur seul propriétaire des véhicules et condamnant la partenaire à signer les certificats d’immatriculation, sous astreinte, tout en lui imposant de verser des dommages et intérêts pour résistance abusive.

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

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COUR D’APPEL DE NANCY

Première Chambre Civile

ARRÊT N° /2025 DU 24 MARS 2025

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 23/02633 – N° Portalis DBVR-V-B7H-FJCZ

Décision déférée à la Cour : jugement du tribunal judiciaire d’EPINAL,

R.G.n° 11-22-000261, en date du 29 juin 2023,

APPELANT :

Monsieur [D] [W]

né le [Date naissance 4] 1957 à [Localité 9] (88)

domicilié [Adresse 1]

Représenté par Me Laurent BENTZ de la SELARL EPITOGES, avocat au barreau d’EPINAL

INTIMÉE :

Madame [E] [J]

née le [Date naissance 3] 1963 à [Localité 7] (55)

domiciliée [Adresse 5]

Représentée par Me Janick LANGUILLE de la SELARL LANGUILLE, avocat au barreau d’EPINAL

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 13 Janvier 2025, en audience publique devant la Cour composée de :

Madame Nathalie CUNIN-WEBER, Président de Chambre,

Monsieur Thierry SILHOL, Président de Chambre,

Monsieur Jean-Louis FIRON, Conseiller, chargé du rapport,

qui en ont délibéré ;

Greffier, lors des débats : Madame Céline PERRIN ;

A l’issue des débats, le Président a annoncé que l’arrêt serait rendu par mise à disposition au greffe le 24 Mars 2025, en application de l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

ARRÊT : contradictoire, rendu par mise à disposition publique au greffe le 24 Mars 2025, par Madame PERRIN, Greffier, conformément à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ;

signé par Madame CUNIN-WEBER, Président, et par Madame PERRIN, Greffier ;

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Copie exécutoire délivrée le à

Copie délivrée le à

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EXPOSÉ DU LITIGE :

Selon bon de commande en date du 4 avril 2008 et facture en date du 6 juin 2008, Monsieur [D] [W] a acquis de la SARL [8] un quad ‘Sportsman 800 EFI’ 4×4, outre des piquets, pour le prix de 8321 euros tenant compte de la reprise d’un quad ‘Hytrack 300 4×4’ pour 4000 euros. Le certificat d’immatriculation du quad daté du 17 juin 2008 est établi aux noms de Monsieur [W] et de Madame [E] [J].

Monsieur [W] et Madame [J] sont également mentionnés tous deux sur un certificat d’immatriculation du 5 août 2011 concernant un véhicule ‘caravane’ Mercedes immatriculé [Immatriculation 6] que Monsieur [T] [P] déclare avoir vendu le 3 août 2011 pour le prix de 23000 euros, payé par chèque de banque.

Après une période de vie commune, Monsieur [W] et Madame [J] sont désormais séparés.

Le 22 février 2022, le conciliateur de justice a établi un bulletin de non conciliation indiquant que Madame [J] refuse de signer le certificat de cession du camping-car que Monsieur [W] a mis en vente, ajoutant qu’elle n’acceptera de signer la carte grise barrée qu’en échange de la moitié du prix prévu, soit 4000 euros.

Par déclaration reçue au greffe du tribunal judiciaire d’Épinal le 23 mars 2022, Monsieur [D] [W] a demandé la convocation de Madame [E] [J] aux fins de ‘régularisation de deux cartes grises’. Il expliquait avoir acheté deux véhicules avec son agent personnel et vouloir pouvoir en disposer. Il précisait que les deux cartes grises étaient établies à son nom et à celui de Madame [J], mais que cette dernière n’avait pas participé à l’achat de ces véhicules, ne disposant d’aucune rentrée d’argent à cette époque.

Par jugement contradictoire du 29 juin 2023, le tribunal judiciaire d’Épinal a :

– débouté Monsieur [W] de ses demandes dirigées contre Madame [J],

– débouté Madame [J] de sa demande de dommages et intérêts,

– condamné Monsieur [W] aux entiers dépens de l’instance,

– condamné Monsieur [W] à payer à Madame [J] la somme de 800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Le premier juge a indiqué que le certificat d’immatriculation fait foi de la qualité de propriétaire des co-titulaires qui y sont mentionnés.

Il a considéré que Monsieur [W] ne rapportait pas la preuve qu’il était le seul propriétaire des deux véhicules en exposant que la facture des établissements [8], libellée à l’ordre de Monsieur [W] seul, ne permettait pas d’exclure que l’achat avait été fait également par Madame [J] et qu’il en allait de même pour l’achat du camping-car, le chèque de banque ne mentionnant pas l’origine des fonds et le vendeur se bornant à indiquer qu’il avait vendu le véhicule au prix de 23000 euros, sans préciser l’identité de l’acquéreur.

Le premier juge en a conclu que Madame [J] ne pouvait être contrainte à signer le certificat de cession des deux véhicules, ni à verser la moindre somme à Monsieur [W].

Il a débouté Madame [J] de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive au motif qu’il n’était pas établi que Monsieur [W] avait agi avec une intention de lui nuire.

Par déclaration reçue au greffe de la cour, sous la forme électronique, le 15 décembre 2023, Monsieur [W] a relevé appel de ce jugement.

Au dernier état de la procédure, par conclusions reçues au greffe de la cour sous la forme électronique le 4 octobre 2024 , auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, Monsieur [W] demande à la cour, sur le fondement des articles 2276 du code civil et 9 du code de procédure civile, de :

– déclarer recevable et bien fondé l’appel interjeté par Monsieur [W],

– infirmer le jugement en ce qu’il a :

. débouté Monsieur [W] de ses demandes dirigées contre Madame [J],

. condamné Monsieur [W] aux entiers dépens de l’instance,

. condamné Monsieur [W] à payer à Madame [J] la somme de 800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– confirmer le jugement en ce qu’il a débouté Madame [J] de sa demande de dommages et intérêts,

Dès lors et statuant à nouveau,

– condamner Madame [J] à signer le certificat d’immatriculation du véhicule Polaris (quad) immatriculé [Immatriculation 2] afin d’acter que le seul propriétaire dudit véhicule est Monsieur [W], et ce sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du prononcé de la décision à intervenir,

– condamner Madame [J] à signer le certificat d’immatriculation du véhicule Mercedes (caravane) immatriculé [Immatriculation 6] afin d’acter que le seul propriétaire dudit véhicule est Monsieur [W], et ce sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du prononcé de la décision à intervenir,

– dire et juger que Monsieur [W] est seul propriétaire desdits véhicules,

– condamner Madame [J] à verser à Monsieur [W] la somme de 1500 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive,

– condamner Madame [J] à verser à Monsieur [W] la somme de 2500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner Madame [J] aux entiers dépens de première instance et d’appel,

– débouter Madame [J] de l’ensemble de ses demandes plus amples ou contraires.

Au soutien de son recours, Monsieur [W] expose qu’un certificat d’immatriculation ne vaut pas titre de propriété, qu’il s’agit uniquement d’un document administratif de mise en circulation, ce qui n’est pas remis en cause par l’article R. 322-5 du code de la route, visé par le premier juge.

Rappelant les dispositions de l’article 2276 alinéa premier du code civil selon lesquelles ‘En fait de meubles, possession vaut titre’, Monsieur [W] fait valoir qu’il est le seul détenteur des deux véhicules. Il expose que selon la Cour de cassation, la présence de deux noms sur une carte grise ne prouve pas l’existence d’une indivision portant sur le véhicule, le détenteur étant, sauf preuve contraire, seul propriétaire. Il indique qu’en l’espèce, il est en possession de la caravane et du quad et qu’il assume l’entretien et les frais relatifs aux deux véhicules.

Il en conclut que le premier juge a renversé la charge de la preuve induite par l’article 9 du code de procédure civile et l’article 2276 du code civil, puisqu’il revient à celui qui n’est pas détenteur du véhicule de démontrer qu’il en est le propriétaire.

Il rétorque que Madame [J] ne démontre pas l’incapacité morale d’obtenir un écrit qu’elle allègue.

Il expose que les deux véhicules ont été acquis en 2008 et 2011, alors que Madame [J] percevait des revenus très modestes.

S’agissant de la plainte produite par Madame [J] relative au fait qu’il aurait vendu un véhicule commun, il souligne qu’elle n’a été suivie d’aucune poursuite, ni d’aucune condamnation.

Il en conclut que Madame [J] doit être condamnée sous astreinte à signer les certificats d’immatriculation des deux véhicules pour acter qu’il est le seul propriétaire.

Concernant sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive, il fait valoir que Madame [J] s’oppose à la signature des certificats d’immatriculation, alors qu’elle sait ne pas avoir financé les deux véhicules et qu’ils sont en sa possession.

Au dernier état de la procédure, par conclusions reçues au greffe de la cour sous la forme électronique le 3 octobre 2024 , auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, Madame [J] demande à la cour, sur le fondement des articles 515-8 et 1360 du code civil, de :

– dire et juger recevable mais mal fondé Monsieur [W] en son appel,

– débouter Monsieur [W] de l’intégralité de ses demandes,

– confirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

– condamner Monsieur [W] aux entiers dépens,

– condamner Monsieur [W] à payer à Madame [J] la somme de 1500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Madame [J] rappelle les dispositions de l’article 515-8 du code civil relatif au concubinage, exposant avoir vécu près de 15 années avec Monsieur [W]. Elle soutient qu’en l’absence de convention d’indivision ou de contrat de concubinage, ils ont créé une société de fait.

Elle prétend qu’en raison d’une rupture conflictuelle, elle a été contrainte de laisser la possession des deux véhicules à Monsieur [W] afin qu’il accepte de quitter son domicile.

Elle affirme que ce dernier, sachant que les deux véhicules étaient achetés et financés en commun, a fait établir les factures à son seul nom et qu’elle n’a pas pu solliciter que les factures soient établies aux deux noms, ayant seulement pu faire adjoindre son nom sur les deux cartes grises. Elle rétorque que, même si le certificat d’immatriculation n’est pas considéré comme un acte de propriété, le fait qu’il soit établi aux deux noms constitue un commencement de preuve de ce qu’elle est propriétaire des deux véhicules et qu’il appartient à Monsieur [W] de prouver qu’il est l’unique propriétaire.

Elle fait valoir les dispositions de l’article 1360 du code civil relatif à l’impossibilité matérielle ou morale de se procurer un écrit et soutient qu’elle était au moment de l’acquisition des deux véhicules dans l’impossibilité morale d’obtenir un écrit de Monsieur [W] selon lequel elle a participé à ces deux achats, ainsi que d’exiger que la facture soit établie aux deux noms. Elle ajoute que selon la Cour de cassation, la règle instituant l’impossibilité de se procurer un écrit n’est pas subordonnée à l’existence d’un commencement de preuve par écrit. Elle expose que cette impossibilité constitue un fait juridique et se prouve par tous moyens. À ce sujet, elle expose présenter un taux d’incapacité reconnu entre 50 et 79 %, avoir connu de nombreuses hospitalisations et avoir dû rester alitée de nombreux mois. Elle prétend que Monsieur [W] a profité de son état de santé dégradé pour conserver les véhicules.

Elle affirme encore que Monsieur [W] a prémédité de conserver à son seul avantage les deux véhicules, ayant gardé ses relevés de compte de 2008 et produisant des factures d’entretien datant de 2013. Elle soutient rapporter la preuve du comportement amoral de Monsieur [W] qui a tout mis en ‘uvre depuis l’achat des deux véhicules pour obtenir un droit qu’il sait abusif. Elle rétorque que le fait que ses revenus aient pu être modestes n’exclut pas sa participation à l’achat des véhicules.

Elle soutient que le fait que Monsieur [W] assume les frais d’assurance des véhicules ne démontre pas qu’il en est le seul propriétaire. Elle rétorque que, après l’acquisition du camping-car, c’est sa protection juridique à elle qui a pris en charge les difficultés liées aux barillets. Enfin, elle expose que Monsieur [W] a déjà pu obtenir la vente d’un véhicule commun, sans sa signature.

Elle en conclut que, étant également propriétaire des deux véhicules, elle ne peut pas être contrainte de signer les certificats de cession.

La clôture de l’instruction a été prononcée le 15 octobre 2024.

L’audience de plaidoirie a été fixée au 13 janvier 2025 et le délibéré au 24 mars 2025.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR, statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe,

Infirme en ses dispositions contestées le jugement rendu par le tribunal judiciaire d’Épinal le 29 juin 2023 ;

Statuant à nouveau sur ces chefs de décision infirmés et y ajoutant,

Juge que Monsieur [D] [W] est le seul propriétaire des véhicules :

– Polaris (quad) immatriculé [Immatriculation 2],

– Mercedes (caravane) immatriculé [Immatriculation 6] ;

Condamne Madame [E] [J] à signer le certificat d’immatriculation du véhicule Polaris (quad) immatriculé [Immatriculation 2] afin d’acter que le seul propriétaire de ce véhicule est Monsieur [D] [W], et ce sous astreinte de 10 euros (DIX EUROS) par jour passé le délai d’un mois suivant la signification du présent arrêt ;

Condamne Madame [E] [J] à signer le certificat d’immatriculation du véhicule Mercedes (caravane) immatriculé [Immatriculation 6] afin d’acter que le seul propriétaire dudit véhicule est Monsieur [D] [W], et ce sous astreinte de 10 euros (DIX EUROS) par jour passé le délai d’un mois suivant la signification du présent arrêt ;

Condamne Madame [E] [J] à payer à Monsieur [D] [W] la somme de 500 euros (CINQ CENTS EUROS) à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive ;

Condamne Madame [E] [J] à payer à Monsieur [D] [W] la somme de 2000 euros (DEUX MILLE EUROS) au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Déboute Madame [E] [J] de ses demandes formées sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, tant en première instance qu’en appel ;

Condamne Madame [E] [J] aux dépens de première instance et d’appel.

Le présent arrêt a été signé par Madame CUNIN-WEBER, Présidente de la première chambre civile de la Cour d’Appel de NANCY, et par Madame PERRIN, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Signé : C. PERRIN.- Signé : N. CUNIN-WEBER.-

Minute en huit pages.

 


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