Cour d’appel de Nancy, 19 mars 2025, RG n° 24/00275
Cour d’appel de Nancy, 19 mars 2025, RG n° 24/00275

Type de juridiction : Cour d’appel

Juridiction : Cour d’appel de Nancy

Thématique : Sanction de faillite personnelle pour manquements graves à la gestion d’une société

Résumé

La société [4], fondée le 26 février 2018, avait pour activités l’assainissement de charpente, l’hydrogénation des toitures, l’isolation thermique et le traitement des façades. Trois gérants se sont succédé à sa direction : un premier gérant de 2018 à 2020, un second de juillet à décembre 2020, et un troisième de décembre 2020 à mars 2021. La société a été placée en liquidation judiciaire par le tribunal de commerce de Nancy le 30 mars 2021, avec une cessation des paiements fixée au 15 avril 2020.

Le mandataire liquidateur a estimé que les gérants avaient commis des fautes de gestion et a assigné les trois gérants devant le tribunal pour obtenir des sanctions, notamment une faillite personnelle et une interdiction de gérer. Le tribunal a retenu des manquements à l’encontre du dernier gérant, notamment l’omission de déclarer la cessation des paiements dans les délais, le défaut de tenue d’une comptabilité complète et des détournements de fonds. Il a été condamné à une faillite personnelle de dix ans et à payer une contribution à l’insuffisance d’actif de 132 000 euros.

Le dernier gérant a interjeté appel, arguant qu’il n’était pas responsable de la situation de cessation des paiements, que le mandataire liquidateur n’avait pas prouvé que ses manquements avaient contribué à l’insuffisance d’actif, et que les mesures liées à la Covid-19 avaient impacté l’activité de la société. En réponse, le mandataire liquidateur a soutenu que le gérant avait tardé à déclarer la cessation des paiements et avait commis des détournements de fonds.

La cour a confirmé certains aspects du jugement initial, mais a réduit la durée de la faillite personnelle à deux ans, tenant compte de la déclaration de cessation des paiements effectuée rapidement et de l’absence d’antécédents. Elle a également fixé la contribution du gérant à l’insuffisance d’actif à 30 000 euros.

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

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COUR D’APPEL DE NANCY

CINQUIEME CHAMBRE COMMERCIALE

ARRÊT N° /25 DU 19 MARS 2025

Numéro d’inscription au répertoire général :

N° RG 24/00275 – N° Portalis DBVR-V-B7I-FJ7E

Décision déférée à la Cour :

jugement du Tribunal de Commerce de NANCY, R.G. n° 2023.1629 , en date du 23 janvier 2024,

APPELANT :

Monsieur [P] [L], demeurant [Adresse 1]

Représenté par Me Alain CHARDON, avocat au barreau de NANCY

INTIMÉ :

S.C.P. [5] mandataire judiciaire agissant en qualité de liquidateur de la SARLU [4]

demeurant [Adresse 2]

Représenté par Me Aline FAUCHEUR-SCHIOCHET de la SELARL FILOR AVOCATS, avocat au barreau de NANCY

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été débattue le 05 Février 2025, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant devant Monsieur Benoit JOBERT, magistrat honoraire, Président d’audience et chargé du rapport ;

en présence de Mme Virginie KAPLAN Substitut Général près de la cour d’appel de Nancy qui a fait connaître son avis le 28 juin 2024 ;

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Olivier BEAUDIER, Conseiller,

Monsieur Jean-Louis FIRON Conseiller

Monsieur Benoit JOBERT, magistrat honoraire

Greffier, lors des débats : Monsieur Ali ADJAL.

A l’issue des débats, le, magistrat honoraire faisant fonction de Président a annoncé que la décision serait rendue par mise à disposition au greffe le 12 Mars 2025 puis à cette date le délibéré a été prorogé au 19 mars 2025 , en application du deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;

ARRÊT : contradictoire, rendu par mise à disposition publique au greffe le 19 Mars 2025, par Monsieur Ali ADJAL, Greffier, conformément à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ;

signé par M.Olivier BEAUDIER, Conseiller à la cinquième chambre commerciale, et par Monsieur Ali ADJAL, Greffier ;

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Copie exécutoire délivrée le à

Copie délivrée le à

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FAITS ET PROCÉDURE

La société [4], créée le 26 février 2018, avait pour objet social l’assainissement de charpente, l’hydrogénation des toitures, l’isolation thermique et le traitement des façades.

Trois gérants et associés uniques se sont succédés à sa tête : M. [B] [G] du 26 février 2018 au 10 juillet 2020, M. [J] [E] du 10 juillet 2020 au 15 décembre 2020 et M. [P] [L] du 15 décembre 2020 au 30 mars 2021.

Cette société a été placée en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Nancy en date du 30 mars 2021, la SCP [5] étant désigné en qualité de mandataire liquidateur ; la date de cessation des paiements a été fixée au 15 avril 2020.

Estimant que les gérants successifs avaient commis des fautes répétées dans la gestion de la société, par actes du 2 février 2023, la SCP [5], ès qualités, a fait assigner M.M. [G], [E] et [L] devant le tribunal de commerce de Nancy afin de faire prononcer à leur encontre une peine de faillite personnelle dans la limite de quinze ans, et, subsidiairement, une peine d’interdiction de gérer de même durée, d’obtenir leur condamnation à supporter l’insuffisance d’actif de la société débitrice à hauteur de 73 000 euros pour M. [G], 76 000 euros pour M. [E] et 132 000 euros pour M. [L].

Par jugement du 23 janvier 2024, le tribunal de commerce de Nancy a retenu à l’encontre de M. [L] une omission de déclarer la cessation des paiements dans un délai de 45 jours, l’omission de tenir une comptabilité complète et des détournements de fonds ; celui-ci a été condamné à la faillite personnelle pour une durée de 10 ans et à payer à la SCP [5], ès qualités, la somme de 132 000 euros au titre de sa contribution à l’insuffisance d’actif de la société [4] et 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

M. [L] a interjeté appel de ce jugement par déclaration au greffe de la cour du 15 février 2024.

Aux termes d’écritures récapitulatives remises au greffe de la cour le 11 septembre 2024, l’appelant conclut à l’infirmation du jugement entrepris.

Il demande à la cour, statuant à nouveau, de rejeter les demandes de la SCP [5], ès qualités, et de la condamner aux dépens de première instance et d’appel, ces derniers pouvant être directement recouvrés par Maître Chardon, avocat au barreau de Nancy.

A l’appui de son recours, l’appelant fait valoir en substance que :

– La date de cessation des paiements de la société a été fixée au 15 avril 2020 et elle n’est plus susceptible d’être remise en cause ; par application de l’article L631-4 du Code de commerce, l’ouverture d’une procédure collective devant intervenir dans les 45 jours qui suivent la cessation des paiements, la requête en ouverture d’une telle procédure aurait dû intervenir le 30 mai 2020 au plus tard ; or, à cette date, il n’était pas gérant de la société et on ne peut donc lui reprocher d’avoir sciemment omis de déclarer l’état de cessation des paiements de la société dans les délais.

– En outre, le mandataire liquidateur de la société [4] n’apporte pas la preuve que ce défaut de déclaration dans les délais ait contribué à l’ insuffisance d’actif de cette société.

– Les mesures contre la Covid 19 ont paralysé l’activité de la société sans qu’on puisse lui reprocher une faute.

– les comptes de la société débitrice pour l’exercice clos le 31 mars 2019, ont été déposés au greffe du tribunal de commerce ; de plus, la totalité des documents de la société, dont les documents comptables, ont été remis à une société d’archivage ; il n’est pas établi que l’absence de tenue d’une comptabilité ait contribué à l’insuffisance d’actif de la société.

– le grief de détournement de fonds n’est pas plus prouvé, tout comme celui de poursuite, dans un intérêt personnel, d’une exploitation déficitaire.

Selon des écritures récapitulatives reçues le 8 octobre 2024 au greffe de la cour, l’intimée conclut à la confirmation du jugement entrepris.

Elle sollicite en outre la condamnation de l’intimé à lui payer la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La SCP [3], ès qualités, expose en substance que :

– M. [L] a procédé à la déclaration de cessation des paiements le 22 mars 2021 alors que la date limite pour le faire était le 30 mai 2020, ce qui constitue une faute de gestion qui est, à elle seule, suffisante pour engager la responsabilité pour insuffisance d’actif de M. [L].

– Les mesures de confinement prises pour lutter contre la Covid 19 n’ont duré que du 15 mars 2020 au 11 mai 2020, en outre, l’état de cessation des paiements de la société préexistait au confinement.

– Seul le bilan de l’exercice du 1er mars 2018 au 31 mars 2019 a été établi, cela n’a pas été le cas des exercices suivants, notamment celui de l’exercice clos le 31 mars 2020 qui aurait dû être établi le 31 juillet 2021 au plus tard ; cette responsabilité incombe à M. [L] qui aurait dû régulariser la situation dès sa désignation.

– Outre l’absence de bilan il n’a pas été tenu une comptabilité régulière pour la société (grand livre, livres journaux, balances, journal de caisse et inventaire), il n’a pas non plus été procédé aux déclarations fiscales et sociales ; M. [L] a commis une faute de gestion entraînant sa responsabilité au titre d’une contribution à l’insuffisance d’actif.

– Il a également commis des détournements de fonds par le biais de retraits en liquide injustifiés ainsi que des virements intitulés ‘Rendez Vous Maroc’ tout aussi injustifiés.

– L’insuffisance d’actif s’élève à la somme de 281 980 euros et pendant la période où la société a été gérée par M. [L], le passif s’est aggravé de 77 800 euros.

Par des écritures remises le 28 juin 2024 au greffe de la cour, le Parquet Général près la cour d’appel de Nancy, partie jointe, conclut à la confirmation de la décision entreprise.

Selon lui, les griefs retenus pour prononcer les sanctions à l’encontre de M. [L] sont avérés.

PAR CES MOTIFS :

LA COUR, statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l’article 450 alinéa 2 du Code de procédure civile,

INFIRME le jugement entrepris en ce qu’il a fixé à 10 ans la durée de la faillite personnelle prononcée à l’encontre de M. [P] [L] et en ce qu’il l’a condamné à payer la somme de 132 000 euros au titre de sa contribution au passif de la société [4].

Statuant à nouveau dans cette limite,

FIXE la durée de la faillite personnelle de M. [P] [L] à deux ans à compter du 23 janvier 2024.

LE CONDAMNE à payer à la SCP [3], ès qualités de mandataire liquidateur de la société [4], la somme de 30 000 euros au titre de sa contribution au passif de cette société.

CONFIRME le jugement entrepris en ses autres dispositions.

Y ajoutant,

CONDAMNE M. [P] [L] aux dépens d’appel.

LE CONDAMNE à payer à la SCP [3], ès qualités, la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Le présent arrêt a été signé par M.Olivier BEAUDIER, Conseiller à la cinquième chambre commerciale, faisant fonction de président, à la Cour d’Appel de NANCY, et par M.Ali ADJAL, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER, LE CONSEILLER FAISANT FONCTION DE PRÉSIDENT,

Minute en neuf pages.

 


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