Cour d’appel de Nancy, 19 mars 2025, RG n° 24/00234
Cour d’appel de Nancy, 19 mars 2025, RG n° 24/00234

Type de juridiction : Cour d’appel

Juridiction : Cour d’appel de Nancy

Thématique : Sanction de faillite personnelle et responsabilité des dirigeants : un cas de gestion défaillante.

Résumé

La société [4], fondée le 26 février 2018, avait pour activités l’assainissement de charpente, l’hydrogénation des toitures, l’isolation thermique et le traitement des façades. Trois gérants se sont succédé à sa direction : un premier gérant de 2018 à 2020, un second de 2020 à décembre 2020, et un troisième jusqu’à la liquidation de la société, prononcée par le tribunal de commerce de Nancy le 30 mars 2021. La cessation des paiements a été fixée au 15 avril 2020.

Le mandataire liquidateur a estimé que les gérants avaient commis des fautes dans la gestion de la société et a assigné les trois gérants devant le tribunal pour obtenir une faillite personnelle et une interdiction de gérer, ainsi que des contributions à l’insuffisance d’actif. Le tribunal a condamné le premier gérant à une faillite personnelle de dix ans, ainsi qu’à payer une somme pour l’insuffisance d’actif.

Le premier gérant a interjeté appel, soutenant qu’il avait été contraint d’abandonner la gérance en raison d’une mise sous contrôle judiciaire et que la date de cessation des paiements ne pouvait être remise en cause. Il a également contesté les accusations de détournement de fonds et d’absence de comptabilité, arguant que les documents avaient été remis à une société d’archivage.

Le mandataire liquidateur a répliqué en soulignant que le premier gérant avait omis de déclarer la cessation des paiements dans les délais, n’avait pas tenu de comptabilité régulière et avait détourné des fonds. Le tribunal a confirmé la faillite personnelle, mais a réduit sa durée à six ans, tout en condamnant le premier gérant à contribuer au passif de la société à hauteur de 50 000 euros. Les autres demandes ont été confirmées, y compris les dépens.

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

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COUR D’APPEL DE NANCY

CINQUIEME CHAMBRE COMMERCIALE

ARRÊT N° /25 DU 19 MARS 2025

Numéro d’inscription au répertoire général :

N° RG 24/00234 – N° Portalis DBVR-V-B7I-FJ4E

jonction avec le dossier RG 24/272.

Décision déférée à la Cour :

jugement du Tribunal de Commerce de NANCY, R.G. n° 2023001619, en date du 23 janvier 2024,

APPELANT :

Monsieur [L] [Y], demeurant [Adresse 2]

Représenté par Me Alain CHARDON, avocat au barreau de NANCY

S.C.P. [6] mandataire judiciaire, , demeurant [Adresse 1], prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié en cette qualité audit siège et agissant en qualité de liquidateur de la SARLU [4]

Représentée par Me Aline FAUCHEUR-SCHIOCHET de la SELARL FILOR AVOCATS, avocat au barreau de NANCY

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été débattue le 05 Février 2025, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant devant Monsieur Benoit JOBERT, magistrat honoraire, Président d’audience et chargé du rapport ;

en présence de Mme Virginie KAPLAN, Substitut Général près de la Cour d’appel de Nancy qui a fait connaître son avis le 28 juin 2024

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Olivier BEAUDIER, Conseiller,

Monsieur Jean-Louis FIRON Conseiller

Monsieur Benoit JOBERT, magistrat honoraire

Greffier, lors des débats : Monsieur Ali ADJAL.

A l’issue des débats, le magistrat honoraire faisant fonction de Président a annoncé que la décision serait rendue par mise à disposition au greffe le 12 Mars 2025 puis à cette date le délibéré a été prorogé au 19 mars 2025, en application du deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;

ARRÊT : contradictoire, rendu par mise à disposition publique au greffe le 19 Mars 2025, par Monsieur Ali ADJAL, Greffier, conformément à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ;

signé par M. Olivier BEAUDIER, Conseiller à la cinquième chambre commerciale, et par M. Ali ADJAL, Greffier ;

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Copie exécutoire délivrée le à

Copie délivrée le à

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FAITS ET PROCÉDURE

La société [4], créée le 26 février 2018, avait pour objet social l’assainissement de charpente, l’hydrogénation des toitures, l’isolation thermique et le traitement des façades.

Trois gérants et associés uniques se sont succédé à sa tête : M. [L] [Y] du 26 février 2018 au 10 juillet 2020, M. [J] [I] du 15 avril 2020 au 15 décembre 2020 et M. [G] [S] du 15 décembre 2020 au 30 mars 2021.

Cette société a été placée en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Nancy en date du 30 mars 2021, la SCP [6] étant désigné en qualité de mandataire liquidateur ; la date de cessation des paiements a été fixée au 15 avril 2020.

Estimant que les gérants successifs avaient commis des fautes répétées dans la gestion de la société, par actes du 2 février 2023, la SCP [6], ès qualités, a fait assigner M.M. [Y], [I] et [S] devant le tribunal de commerce de Nancy afin de faire prononcer à leur encontre une peine de faillite personnelle dans la limite de quinze ans, et, subsidiairement, une peine d’interdiction de gérer de même durée, d’obtenir leur condamnation à supporter l’insuffisance d’actif de la société débitrice à hauteur de 73 000 euros pour M. [Y], 76 000 euros pour M. [I] et 132 000 euros pour M. [S].

Par jugement du 23 janvier 2024, le tribunal de commerce de Nancy a retenu à l’encontre de M. [L] [Y] une omission de déclarer la cessation des paiements dans un délai de 45 jours sans toutefois lui en faire grief, l’absence de comptabilité et un détournement de fonds ; celui-ci a été condamné à la faillite personnelle pour une durée de 10 ans et à payer à la SCP [6], ès qualités, les sommes de 76 000 euros au titre de sa contribution à l’insuffisance d’actif et 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

M. [Y] a interjeté appel de ce jugement par deux déclarations au greffe de la cour des 8 et 15 février 2024 qui ont donné lieu à l’ouverture de deux instances n° RG 24/234 et RG 24/272.

Aux termes d’écritures récapitulatives remises le 11 septembre 2024 au greffe de la cour, l’appelant conclut à l’infirmation du jugement entrepris.

Il demande à la cour, statuant à nouveau, de rejeter les demandes de la SCP [6], ès qualités, et de la condamner aux dépens de première instance et d’appel, ces derniers pouvant être directement recouvrés par Maître Alain Chardon, avocat au Barreau de Nancy, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

A l’appui de son recours, M. [Y] fait valoir en substance que :

– Le 18 juin 2020, il a été placé sous contrôle judiciaire après sa mise en examen dans une affaire pénale pour diverses infractions et il a été contraint d’abandonner la gérance de la société au profit de M. [J] [I] puis de M. [S].

– La date de cessation des paiements de la société a été fixée au 15 avril 2020 et elle n’est plus susceptible d’être remise en cause ; par application de l’article L631-4 du Code de commerce, l’ouverture d’une procédure collective doit intervenir dans les 45 jours qui suivent la cessation des paiements ; toutefois, en raison des mesures prises contre la Covid 19, les règles de l’article L631-4 du Code de commerce ont été mises en veille.

– En outre, le mandataire liquidateur de la société [4] n’apporte pas la preuve que ce défaut de déclaration dans les délais ait contribué à l’ insuffisance d’actif de cette société.

– Les mesures prises contre la Covid 19 ont paralysé l’activité de la société sans qu’on puisse lui reprocher une faute.

– les comptes de la société pour l’exercice clos le 31 mars 2019, ont été déposés au greffe du tribunal de commerce ; de plus, la totalité des documents de la société, dont les pièces comptables, ont été remis à une société d’archivage ; il n’est pas établi que l’absence de tenue d’une comptabilité ait contribué à l’insuffisance d’actif de la société.

– le grief de détournement de fonds n’est pas plus prouvé, tout comme celui de poursuite, dans un intérêt personnel, d’une exploitation déficitaire.

Selon des écritures récapitulatives remises le 8 octobre 2024 au greffe de la cour, la SCP [6], ès qualités, conclut à la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions.

Elle sollicite en outre la condamnation de l’appelant à lui payer la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

L’intimée expose en substance que :

– M. [Y] a fait l’objet d’une mesure d’interdiction de gérer prononcée le 19 janvier 2021 en sa qualité de gérant de la société [3] qui a été liquidée en 2021.

– La cessation des paiements de la société [4] a été fixée au 15 avril 2020 tandis que la déclaration de cessation des paiements n’est intervenue que le 22 mars 2021 alors que le délai pour ce faire avait expiré le 30 mai 2020, ce qui constitue une faute de gestion suffisante à elle seule pour engager la responsabilité de M. [Y] pour insuffisance d’actif ; les dirigeants de société n’étaient pas dispensés de leur obligation de déclarer l’état de cessation des paiements dans les 45 jours pendant la période de confinement.

– Hormis pour l’exercice qui a couru du 1er mars 2018 au 31 mars 2019, aucune comptabilité régulière n’a été tenue par M. [Y], ce qui constitue une faute de gestion entraînant sa responsabilité au titre d’une contribution à l’insuffisance d’actif de la société [4].

– L’activité de la société a été poursuivie de manière fautive par les dirigeants successifs, dont M. [Y], jusqu’à ce que le dernier d’entre eux déclare l’état de cessation des paiements le 22 mars 2021.

– M. [Y] a commis des détournements de fonds caractérisés par des retraits en espèce non justifiés pour un montant de 15 780 euros, des virements à hauteur de 15 000 euros au titre de loyers pour une maison qui était louée par ce dernier pour ses besoins personnels et des virements au Maroc, soit disant pour régler une plate-forme téléphonique installée dans ce pays, mais sans en justifier.

– L’insuffisance d’actif de la société s’élève à la somme de 281 980 euros.

– Pendant sa gestion, depuis la date de cessation des paiements, M. [Y] a créé un passif de 14.913 euros.

Par des écritures remises le 28 juin 2024 au greffe de la cour, le Parquet Général près la cour de Nancy conclut à la confirmation du jugement entrepris.

Il explique que :

– M. [Y] a fait l’objet d’une interdiction de gérer prononcée le 19 janvier 2021 alors qu’il était gérant d’une société [3].

– Il est mis en examen pour aide à la justification mensongère de l’origine des biens et revenus de l’auteur d’un délit de trafic de stupéfiants, abus des biens du crédit d’une Sarl par un gérant à des fins personnelles, détention non autorisée d’arme, munition ou de leurs éléments de catégorie B, escroquerie faite au préjudice d’un organisme de sécurité sociale pour l’obtention d’une allocation ou prestation indue.

– M. [Y] a sciemment omis de déclarer l’état de cessation des paiements de la société [4] dans les délais, a disposé des biens de cette société comme étant ses biens propres, poursuivi dans un intérêt personnel une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu’à la cessation des paiements de la personne morale, détourné ou dissimulé tout ou partie de l’actif en procédant à des prélèvements à des fins personnelles et n’a tenu aucune comptabilité, toutes ces fautes de gestion commises avant le jugement d’ouverture de la procédure collective justifient la sanction prononcée par les premiers juges.

– C’est également à juste titre que le tribunal de commerce a retenu sa responsabilité pour insuffisance d’actif.

PAR CES MOTIFS :

LA COUR, statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l’article 450 alinéa 2 du Code de procédure civile,

ORDONNE la jonction des procédures n° RG 24/234 et RG 24/272.

INFIRME le jugement entrepris en ce qu’il a fixé à 10 ans la durée de la faillite personnelle prononcée à l’encontre de M. [L] [Y] et en ce qu’il l’a condamné à payer la somme de 73.000 euros au titre de sa contribution au passif de la société [4].

Statuant à nouveau dans cette limite,

FIXE la durée de la faillite personnelle de M. [L] [Y] à six ans à compter du 23 janvier 2024.

LE CONDAMNE à payer à la SCP [6], ès qualités de mandataire liquidateur de la société [4], la somme de 50 000 euros au titre de sa contribution au passif de cette société.

CONFIRME le jugement entrepris en ses autres dispositions.

Le présent arrêt a été signé par M.Olivier BEAUDIER, Conseiller à la cinquième chambre commerciale,faisant fonction de président, à la Cour d’Appel de NANCY, et par Monsieur Ali ADJAL, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER, LE CONSEILLER FAISANT FONCTION DE PRÉSIDENT,

Minute en dix pages.

 


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