Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Nancy
Thématique : Sanction de faillite personnelle et responsabilité des dirigeants : enjeux et conséquences.
→ RésuméLa société Lorraine Habitat Conseil, fondée en 2018, a pour activité l’assainissement de charpentes et le traitement de façades. Elle a connu trois gérants successifs jusqu’à sa liquidation judiciaire prononcée par le tribunal de commerce de Nancy en mars 2021, avec une cessation des paiements fixée au 15 avril 2020. Le mandataire liquidateur a alors assigné les gérants pour fautes de gestion, demandant des sanctions de faillite personnelle et de comblement de passif.
Le tribunal a condamné le gérant ayant exercé de juillet à décembre 2020 à une faillite personnelle de dix ans, en raison d’une omission de déclaration de cessation des paiements, d’un défaut de comptabilité et de détournements de fonds. Ce dernier a interjeté appel, arguant qu’il n’était pas responsable de la situation financière de la société, ayant pris ses fonctions après la date de cessation des paiements, et que les mesures liées à la Covid-19 avaient entravé l’activité de la société. Dans ses conclusions, le mandataire liquidateur a soutenu que le gérant avait poursuivi une activité déficitaire et n’avait pas tenu de comptabilité régulière, ce qui a contribué à l’insuffisance d’actif de 281 980 euros. Le Parquet Général a également confirmé les manquements du gérant, notamment des retraits en espèces injustifiés et des virements non justifiés à une plateforme marocaine. La cour a jugé que le gérant avait effectivement commis des fautes de gestion, mais a réduit la durée de la faillite personnelle à trois ans, considérant que ses manquements étaient moins graves que ceux de son prédécesseur. En ce qui concerne l’insuffisance d’actif, la cour a fixé la contribution du gérant à 30 000 euros, en tenant compte de la situation héritée de son prédécesseur. Le jugement a été partiellement infirmé, mais d’autres dispositions ont été confirmées, notamment la condamnation aux dépens. |
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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COUR D’APPEL DE NANCY
CINQUIEME CHAMBRE COMMERCIALE
ARRÊT N° /25 DU 19 MARS 2025
Numéro d’inscription au répertoire général :
N° RG 24/00233 – N° Portalis DBVR-V-B7I-FJ4C
joncion avec le dossier RG 24/276.
Décision déférée à la Cour :
jugement du Tribunal de Commerce de NANCY, R.G. n° 2023001625, en date du 23 janvier 2024,
APPELANT :
Monsieur [F] [J], demeurant [Adresse 2]
Représenté par Me Alain CHARDON, avocat au barreau de NANCY
INTIMÉE :
S.C.P. PIERRE BRUARTmandataire judiciaire demeurant [Adresse 1], prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié en cette qualité audit siège et agissant en qualité de liquidateur de la SARLU LORRAINE HABITAT CONSEILS
Représentée par Me Aline FAUCHEUR-SCHIOCHET de la SELARL FILOR AVOCATS, avocat au barreau de NANCY
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été débattue le 05 Février 2025, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant devant Monsieur Benoit JOBERT, magistrat honoraire, Président d’audience et chargé du rapport ;
en présence de Mme Virginie Kaplan, Substitut général près de la cour d’appel de Nancy qui a fait connaître son avis le 28 juin 2024
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Olivier BEAUDIER, Conseiller,
Monsieur Jean-Louis FIRON Conseiller
Monsieur Benoit JOBERT, magistrat honoraire
Greffier, lors des débats : Monsieur Ali ADJAL.
A l’issue des débats, le, magistrat honoraire faisant fonction de Président a annoncé que la décision serait rendue par mise à disposition au greffe le 12 Mars 2025 puis à cette date le délibéé a été prorogé au 19 mars 2025 , en application du deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
ARRÊT : contradictoire, rendu par mise à disposition publique au greffe le 19 Mars 2025, par Monsieur Ali ADJAL, Greffier, conformément à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ;
signé par M.Olivier BEAUDIER, Conseiller à la cinquième chambre commerciale, et par M.Ali ADJAL, Greffier ;
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Copie exécutoire délivrée le à
Copie délivrée le à
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FAITS ET PROCÉDURE
La société Lorraine Habitat Conseil, créée le 26 février 2018, avait pour objet social l’assainissement de charpente, l’hydrogénation des toitures, l’isolation thermique et le traitement des façades.
Trois gérants et associés uniques se sont succédé à sa tête : M. [G] [N] du 26 février 2018 au 10 juillet 2020, M. [F] [J] du 10 juillet 2020 au 15 décembre 2020 et M. [K] [D] du 15 décembre 2020 au 30 mars 2021.
Cette société a été placée en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Nancy en date du 30 mars 2021, la SCP Pierre Bruart étant désigné en qualité de mandataire liquidateur ; la date de cessation des paiements a été fixée au 15 avril 2020.
Estimant que les gérants successifs avaient commis des fautes répétées dans la gestion de la société, par actes du 2 février 2023, la SCP Pierre Bruart, ès qualités, a fait assigner M.M. [N], [J] et [D] devant le tribunal de commerce de Nancy afin de faire prononcer à leur encontre une peine de faillite personnelle dans la limite de quinze ans, et, subsidiairement, une peine d’interdiction de gérer de même durée, d’obtenir leur condamnation à supporter l’insuffisance d’actif de la société débitrice à hauteur de 73 000 euros pour M. [N], 76 000 euros pour M. [J] et 132 000 euros pour M. [D].
Par jugement du 23 janvier 2024, le tribunal de commerce de Nancy a retenu à l’encontre de M. [F] [J] une omission de déclarer la cessation des paiements dans un délai de 45 jours sans toutefois lui en faire grief puisqu’une faillite personnelle était demandée, l’absence de comptabilité et un détournement de fonds ; il a été condamné à la faillite personnelle pour une durée de 10 ans et à payer à la SCP Pierre Bruart, ès qualités, les sommes de 76 000 euros au titre de sa contribution à l’insuffisance d’actif et 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
M. [J] a interjeté appel de ce jugement par deux déclarations au greffe de la cour des 9 et 15 février 2024 qui ont donné lieu à l’ouverture de deux instances n° RG 24/233 et RG 24/276.
Aux termes d’écritures récapitulatives remises le 11 septembre 2024 au greffe de la cour, l’appelant conclut à l’infirmation du jugement entrepris.
Il demande à la cour, statuant à nouveau, de rejeter les demandes de la SCP Bruart, ès qualités, et de le condamner aux dépens de première instance et d’appel, ces derniers pouvant être directement recouvrés par Maître Alain Chardon, avocat au Barreau de Nancy, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
A l’appui de son recours, M. [J] fait valoir en substance que :
– M. [G] [N], précédent gérant de la société Lorraine Habitat Conseil a dû abandonner ses fonctions après avoir été mis en examen pour plusieurs infractions pénales le 18 juin 2020 ; il l’a donc remplacé à compter du 10 juillet 2020 jusqu’au 15 décembre 2020.
– La date de cessation des paiements de la société a été fixée au 15 avril 2020 et elle n’est plus susceptible d’être remise en cause ; par application de l’article L631-4 du Code de commerce, l’ouverture d’une procédure collective devant intervenir dans les 45 jours qui suivent la cessation des paiements, soit le 30 mai 2020 au plus tard ; or, à cette date, il n’avait pas de responsabilité au sein de la société ; en outre, en raison des mesures prises contre la Covid 19, les règles de l’article L631-4 du Code de commerce avaient été mises en veille.
– Par ailleurs, le mandataire liquidateur de la société Lorraine Habitat Conseil n’apporte pas la preuve que ce défaut de déclaration dans les délais ait contribué à l’ insuffisance d’actif de cette société.
– Les mesures prises contre la Covid 19 ont paralysé l’activité de la société sans qu’on puisse lui reprocher une faute.
– les comptes de la société débitrice pour l’exercice clos le 31 mars 2019, ont été déposés au greffe du tribunal de commerce ; de plus, la totalité des documents de la société, dont les documents comptables, ont été remis à une société d’archivage.
– le grief de détournement de fonds n’est pas plus prouvé, tout comme celui de poursuite, dans un intérêt personnel, d’une exploitation déficitaire : la société a loué une maison à [Localité 3], non pour que son gérant puisse y passer des vacances, mais pour y loger des ouvriers et stocker du matériel; d’autre part, elle ‘achetait’ des rendez-vous avec des clients via une plate-forme téléphonique installée au Maroc, ce qui générait des frais de location de véhicules, des dépenses de carburant et des achats de fourniture.
– Aucune faute de gestion n’est prouvée à son encontre et de surcroît, il n’est pas prouvé le préjudice que ces fautes auraient causé.
Selon des écritures récapitulatives remises le 8 octobre 2024 au greffe de la cour, la SCP Bruart, ès qualités, conclut à la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions.
Elle sollicite en outre la condamnation de l’appelant à lui payer la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
L’intimée expose en substance que :
– La cessation des paiements de la société Lorraine Habitat Conseil a été fixée au 15 avril 2020 tandis que la déclaration de cessation des paiements n’est intervenue que le 22 mars 2021 alors que le délai pour ce faire avait expiré le 30 mai 2020, ce qui constitue une faute de gestion suffisante à elle seule pour engager la responsabilité de M. [J] pour insuffisance d’actif ; les dirigeants successifs de société n’étaient pas dispensés de leur obligation de déclarer l’état de cessation des paiements dans les 45 jours pendant la période de confinement.
– L’activité de la société a été poursuivie de manière fautive par les dirigeants successifs, dont M. [J], jusqu’à ce que le troisième d’entre eux déclare l’état de cessation des paiements le 22 mars 2021.
– Hormis pour l’exercice qui a couru du 1er mars 2018 au 31 mars 2019, aucune comptabilité régulière n’a été tenue par les trois gérants successifs, dont M. [J], qui aurait dû régulariser la situation quant il a pris ses fonctions ; cette abstention est une faute de gestion ; la comptabilité est non seulement incomplète mas également quasiment inexistante.
– Il n’a été procédé à aucune déclaration sociale et fiscale pendant les exercices 2018/2019 et 2019/2020.
– M. [J] a commis des détournements de fonds caractérisés par des retraits en espèce non justifiés pour un montant de 13 830 euros ; il a également procédé à des virements à hauteur de 2 500 euros intitulés ‘rendez vous Maroc’, soit-disant pour régler une plate-forme téléphonique marocaine mais qui ne sont pas justifiés.
– L’insuffisance d’actif de la société s’élève à la somme de 281 980 euros.
– Pendant sa gestion, depuis la date de cessation des paiements, M. [J] a créé un passif de 53 297 euros.
Par des écritures remises le 28 juin 2024 au greffe de la cour, le Parquet Général près la cour de Nancy conclut à la confirmation du jugement entrepris.
Il explique en substance que :
– M. [J] a sciemment omis de déclarer l’état de cessation des paiements de la société Lorraine Conseil Habitat dans les délais, a disposé des biens de cette société comme étant ses biens propres, poursuivi dans un intérêt personnel une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu’à la cessation des paiements de la personne morale, détourné ou dissimulé tout ou partie de l’actif en procédant à des prélèvements à des fins personnelles et n’a tenu aucune comptabilité, toutes ces fautes de gestion commises avant le jugement d’ouverture de la procédure collective justifient la sanction prononcée par les premiers juges.
– C’est également à juste titre que le tribunal de commerce a retenu sa responsabilité pour insuffisance d’actif.
PAR CES MOTIFS :
LA COUR, statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l’article 450 alinéa 2 du Code de procédure civile,
ORDONNE la jonction des procédures n° RG 24/233 et RG 24/276.
INFIRME le jugement entrepris en ce qu’il a fixé à 10 ans la durée de la faillite personnelle prononcée à l’encontre de M. [F] [J] et en ce qu’il l’a condamné à payer la somme de 76.000 euros au titre de sa contribution au passif de la société Lorraine Habitat Conseil.
Statuant à nouveau dans cette limite,
FIXE la durée de la faillite personnelle de M. [F] [J] à trois ans à compter du 23 janvier 2024.
LE CONDAMNE à payer à la SCP Bruart, ès qualités de mandataire liquidateur de la société Lorraine Habitat Conseil, la somme de 30 000 euros au titre de sa contribution au passif de cette société.
CONFIRME le jugement entrepris en ses autres dispositions.
Y ajoutant,
CONDAMNE M. [F] [J] aux dépens d’appel.
LE CONDAMNE à payer à la SCP Bruart, ès qualités, la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Le présent arrêt a été signé par M. Olivier BEAUDIER, Conseiller à la cinquième chambre commerciale, faisant fonction de président, à la Cour d’Appel de NANCY, et par Monsieur Ali ADJAL, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER, LE CONSEILLER FAISANT FONCTION DE PRÉSIDENT,
Minute dix pages.
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