Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Nancy
Thématique : Responsabilité professionnelle et contestation de créance : échec des époux dans leur demande d’indemnisation.
→ RésuméContexte de l’affaireLa société anonyme [8], devenue la société anonyme [14], a agi en tant que caution solidaire des créances de la société anonyme [7] pour un montant de 8 729 000 francs à partir du 1er juillet 1991. Un dirigeant d’entreprise, en l’occurrence Monsieur [H] [W], a également accepté d’être caution solidaire pour un montant de 5 000 000 francs. Exécution du cautionnementEn raison de l’exécution de son engagement, la société [8] a versé 5 501 807,50 francs à divers organismes sociaux pour le compte de la société [7]. La cour d’appel de Paris a ensuite condamné le dirigeant d’entreprise à rembourser la société [8] la somme de 5 000 000 francs, ajustée selon certains nantissements. Commandement de payerEn 2017, la société [14] a délivré un commandement de payer à Monsieur [H] [W] pour exécution forcée immobilière. Le tribunal de Thionville a validé cette demande, et la cour d’appel de Metz a confirmé l’exécution forcée en 2019. Demande d’indemnisationMonsieur [H] [W] et son épouse, Madame [P] [W], ont assigné un avocat, Maître [V] [U], devant le tribunal judiciaire de Nancy pour obtenir réparation de leur préjudice, alléguant une négligence dans la défense de leurs intérêts. Jugement du tribunal judiciaireLe tribunal a débouté Monsieur [H] [W] et Madame [P] [W] de leur demande d’indemnisation, concluant qu’aucune faute n’avait été établie à l’encontre de l’avocat. Les époux n’ont pas prouvé que l’absence d’une action en responsabilité contre la société [14] aurait eu un impact sur leur situation. Appel de la décisionLes époux ont interjeté appel du jugement, demandant la réformation de la décision et la condamnation de l’avocat à leur verser des sommes en réparation de leur préjudice. Arguments de l’avocatL’avocat a contesté la responsabilité, affirmant que les époux n’avaient pas fourni les éléments nécessaires pour contester la créance de la société [14] et que les actions entreprises avaient été appropriées. Décision de la cour d’appelLa cour d’appel a confirmé le jugement du tribunal judiciaire, rejetant les demandes des époux et les condamnant à payer des frais à l’avocat. Les époux n’ont pas réussi à établir une faute ou un préjudice lié à la défense de leur avocat. |
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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COUR D’APPEL DE NANCY
Première Chambre Civile
ARRÊT N° /2025 DU 10 MARS 2025
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 24/00509 – N° Portalis DBVR-V-B7I-FKPW
Décision déférée à la Cour : jugement du tribunal judiciaire de NANCY,
R.G.n° 22/00596, en date du 13 février 2024,
APPELANTS :
Monsieur [H] [W]
né le [Date naissance 1] 1955 à [Localité 16] (ITALIE)
domicilié [Adresse 4] (LUXEMBOURG)
Représenté par Me Elise IOCHUM de la SELEURL EKI AVOCAT, avocat au barreau de NANCY
Madame [P] [M], épouse [W]
née le [Date naissance 2] 1957 à [Localité 15]
domiciliée [Adresse 3]
Représentée par Me Elise IOCHUM de la SELEURL EKI AVOCAT, avocat au barreau de NANCY
INTIMÉ :
Maître [V] [U]
domicilié professionnellement [Adresse 5]
Représenté par Me Bertrand MARRION de la SCP DUBOIS MARRION MOUROT, avocat au barreau de NANCY, avocat postulant
Plaidant par Me Louis VERMOT, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 16 Décembre 2024, en audience publique devant la Cour composée de :
Madame Nathalie CUNIN-WEBER, Président de Chambre, chargée du rapport,
Monsieur Thierry SILHOL, Président de Chambre,
Monsieur Jean-Louis FIRON, Conseiller,
qui en ont délibéré ;
Greffier, lors des débats : Madame Céline PERRIN ;
A l’issue des débats, le Président a annoncé que l’arrêt serait rendu par mise à disposition au greffe le 10 Mars 2025, en application de l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
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Copie exécutoire délivrée le à
Copie délivrée le à
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ARRÊT : contradictoire, rendu par mise à disposition publique au greffe le 10 Mars 2025, par Madame PERRIN, Greffier, conformément à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ;
signé par Madame CUNIN-WEBER, Président, et par Madame PERRIN, Greffier ;
FAITS ET PROCÉDURE :
La SA [8], ci-après désignée SA [8], devenue la SA [14], s’est portée caution solidaire des créances de la SA [7] au titre de l’article L 124-8 du code du travail à concurrence de la somme globale de 8729000 francs à compter du 1er juillet 1991.
Par acte sous seing privé du 2 juillet 1991, Monsieur [H] [W] s’est rendu caution solidaire de toutes les obligations de la SA [7] à l’égard de la SA [8], à hauteur de la somme de 5000000 francs en principal, outre les intérêts, pénalités, indemnités, accessoires ou commissions. En exécution de son cautionnement, la [8] a réglé à divers organismes sociaux la somme globale de 5501807,50 francs pour le compte de la SA [7].
Par arrêt du 26 février 1997, la cour d’appel de Paris a condamné Monsieur [H] [W] au titre de son cautionnement à payer à la SA [8] la somme de 5000000 francs, diminuée de la valeur des nantissements accordés à cette société par la SA [7] sur son compte à terme ouvert dans les livres de la Banque [12] et sur le fond de garantie remis à la société [9], ainsi que sur la réserve de l’URSSAF éventuellement détenue par cette société, et ce avec intérêts au taux conventionnel du 24 mars 1992 au 16 novembre 1992, puis au taux légal à compter de cette date.
Par acte du 22 août 2017, la SA [14], venant aux droits de la SA [8], a fait délivrer à Monsieur [H] [W] un commandement de payer aux fins d’exécution forcée immobilière.
Par ordonnance du 13 novembre 2017, le tribunal de Thionville a fait droit à la demande d’exécution forcée immobilière présentée par la SA [14] au visa de l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 26 février 1997 statuant sur recours contre un jugement du tribunal de commerce de Paris du 27 octobre 1994.
Suivant arrêt confirmatif de la cour d’appel de Metz du 19 décembre 2019, la SA [14] a obtenu l’exécution forcée immobilière de la décision.
Par arrêt du 2 décembre 2021, la deuxième chambre civile de la cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par Monsieur [H] [W] et Madame [P] [W] contre cette décision. La créance revendiquée par la SA [14] à hauteur de 1463687,19 euros doit être exécutée sur leur patrimoine immobilier.
Par acte du 23 février 2022, Monsieur [H] [W] et Madame [P] [W] ont fait assigner Maître [V] [U] devant le tribunal judiciaire de Nancy aux fins d’obtenir l’indemnisation de leur préjudice, en mettant en cause sa responsabilité professionnelle.
Par jugement contradictoire du 13 février 2024, le tribunal judiciaire de Nancy a :
– débouté Monsieur [H] [W] et Madame [P] [W] de leur demande tendant à voir condamner Maître [V] [U] à leur payer une somme de 1463687,19 euros,
– débouté Monsieur [H] [W] et Madame [P] [W] de leur demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné Monsieur [H] [W] et Madame [P] [W] aux dépens de l’instance, avec faculté de recouvrement au profit de Maître Bertrand Marrion, avocat,
– condamné Monsieur [H] [W] et Madame [P] [W] à payer à Maître [V] [U] une somme de 3000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– rappelé le caractère exécutoire par provision de la présente décision.
Pour statuer ainsi sur la demande principale, le tribunal a indiqué qu’il était acquis que Maître [V] [U] n’était intervenu pour la défense des intérêts de Monsieur [H] [W] et Madame [P] [W] qu’au stade de la procédure d’exécution forcée immobilière initiée par la SA [14], venant aux droits de la SA [8], à compter du commandement de payer qu’elle a fait délivrer à cette fin le 22 août 2017. A ce titre, il a constaté qu’il ressortait du courrier adressé par Maître [V] [U] à ses clients le 13 septembre 2017 qu’une stratégie procédurale incluant plusieurs possibilités d’actions avait été proposée.
Aux termes de ce courrier, le tribunal a retenu que Maître [V] [U] avait proposé d’engager deux procédures, la première devant le juge de l’exécution compétent et la seconde devant le tribunal de grande instance de Thionville.
En premier lieu, s’agissant de la procédure à introduire devant le tribunal de grande instance de Thionville, le tribunal a relevé que la convention d’honoraires produite par Maître [V] [U] et annexée à la lettre du 13 septembre 2017, n’avait pas été signée par ses clients et que ces derniers s’étaient abstenus de produire un exemplaire de la convention signé par eux. Il a ajouté, après analyse des éléments versés aux débats, qu’il n’avait pas été constaté que Monsieur [H] [W] et Madame [P] [W] avaient formellement mandaté Maître [V] [U] aux fins d’introduire cette procédure ou que les parties se seraient, d’une quelconque manière, définitivement accordées sur l’engagement de celle-ci. Ainsi, le juge a retenu qu’il n’était pas établi que Maître [V] [U] se serait obligé, dans le cadre de sa mission de représentation et d’assistance, à engager une procédure en responsabilité contre la SA [14] devant le tribunal de grande instance de Thionville.
Il a ajouté que les époux [W] ne produisaient aucun élément de nature à établir qu’ils ont auprès de leur conseil, formellement contesté la réalité de ces mesures ou apporté une quelconque information quant à la date et aux conditions de mise en ‘uvre desdites mesures.
Il a donc retenu qu’ils échouaient à établir que l’introduction d’une action en responsabilité contre le créancier, au titre de l’exécution tardive d’une décision de justice, aurait présenté une utilité certaine pour la défense de leurs intérêts et qu’ils ne démontraient pas qu’ils se trouvaient aujourd’hui définitivement privés de tout recours en responsabilité contre la SA [14] au titre d’une éventuelle exécution tardive de la décision du 26 février 1997.
Il en a conclu qu’aucune faute ou préjudice, n’avaient été établis à l’encontre de Maître [V] [U] au titre de l’éventuelle omission ou abstention d’introduire une procédure parallèle en responsabilité contre la banque.
En second lieu, s’agissant de la procédure en contestation de l’exécution forcée immobilière menée devant le tribunal d’instance de Thionville puis devant la cour d’appel de Metz, le tribunal a relevé selon arrêt rendu par cette cour le 19 décembre 2019 que Maître [V] [U] avait, pour la défense des intérêts des époux [W], soulevé en substance différents moyens et l’analyse de la motivation de l’arrêt en cause a permis de constater que la cour avait répondu sur ces points. Ensuite, le premier juge a relevé qu’il était acquis que les époux [W], représentés par Maître [X], avaient formé un pourvoi en cassation à l’encontre de cette décision, lequel avait fait l’objet d’un rejet non spécialement motivé le 2 décembre 2021.
De ces éléments, le juge a indiqué que, conformément à la stratégie proposée à ses clients le 13 septembre 2017, et aux spécificités du droit local applicable dans les départements de [Localité 13], du [Localité 6] et du [Localité 10], Maître [V] [U] avait assuré la défense de ses clients devant le juge de l’exécution compétent dans le cadre de l’exécution forcée immobilière initiée par la SA [14], en représentant ces derniers devant le tribunal d’instance de Thionville, puis devant la cour d’appel de Metz, statuant respectivement comme ‘tribunal de l’exécution’ au sens de l’article 143 de la loi du 1er juin 1924, et après rejet du pourvoi immédiat introduit conformément à l’article 167 de cette même loi, comme juridiction de second degré du contentieux de l’exécution immobilière.
Ensuite, le tribunal a constaté que Maître [V] [U] avait, dans le cadre de ces procédures, développé des moyens divers et manifestement sérieux, tendant à faire écarter l’exécution forcée immobilière initiée sur leur patrimoine par la SA [14] et que Monsieur [H] et Madame [P] [W] ne démontraient pas que les moyens ainsi soulevés auraient, par une omission au dispositif, une absence de pièce ou encore une argumentation erronée ou imprécise, été privés d’efficacité ou vidés de leur substance.
De même aucune faute ni préjudice n’ont été établis au titre des moyens et demandes développés par Maître [V] [U] dans le cadre de sa mission de représentation ni à celui relatif à la non production de l’argumentaire de la note du Pr. [K].
De plus il ne ressortait pas des éléments de la procédure d’exécution forcée immobilière, que Maître [V] [U] aurait omis ou se serait abstenu de soulever la prescription de l’action en recouvrement des intérêts échus postérieurement à la décision de justice depuis plus de cinq ans avant la date de la demande d’exécution, dès lors que plusieurs actes d’exécution forcée auraient été initiés par la banque entre 2013 et 2014 ;
Le tribunal a donc retenu que diverses mesures conservatoires ou d’exécution avaient été évoquées dans le cadre de la procédure litigieuse, sans que les demandeurs n’aient contesté la réalité de leur mise en ‘uvre et que la teneur des mesures évoquées serait manifestement de nature à entraîner l’interruption de la prescription de l’exécution de la décision de 1997, et plus particulièrement du droit de recouvrer les intérêts ;
En conséquence les époux [W] n’ont pas établi la réalité d’une faute ou d’un préjudice en lien avec une omission imputable à Maître [V] [U] concernant la prescription de l’action de la société [14] ;
Dès lors les conditions de mise en oeuvre de la responsabilité de Maître [V] [U] n’étant pas réunies, le tribunal a débouté Monsieur [H] [W] et Madame [P] [W] de leur demande tendant à voir condamner Maître [V] [U] à leur payer une somme de 1463687,19 euros en réparation de leur préjudice.
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Par déclaration reçue au greffe de la cour, sous la forme électronique, le 13 mars 2024, Monsieur [H] [W] et Madame [P] [W] ont relevé appel de ce jugement.
Au dernier état de la procédure, par conclusions reçues au greffe de la cour d’appel sous la forme électronique le 12 septembre 2024, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, Monsieur [H] [W] et Madame [P] [W] demandent à la cour, sur le fondement de l’article 1231-1 du code civil, de :
– réformer le jugement entrepris,
Statuant à nouveau,
– condamner Maître [V] [U] à verser aux époux [W] la somme de 1463687,19 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du jugement,
– condamner Maître [V] [U] à verser aux époux [W] la somme de 3000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner Maître [U] aux entiers frais et dépens.
Au dernier état de la procédure, par conclusions reçues au greffe de la cour d’appel sous la forme électronique le 23 août 2024, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, Monsieur [V] [U] demande à la cour de :
– juger que l’avocat n’a commis aucune faute dans le cadre de la défense des époux [W],
– juger que les requérants n’apportent pas la preuve, qu’autrement défendus ils auraient pu voir rejeter la demande d’exécution forcée immobilière de la SA [14],
Par conséquent,
– confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
À titre subsidiaire,
– juger qu’en toute hypothèse, leurs demandes ne pourraient qu’être réduites à une perte de chance d’éviter la condamnation prononcée, condamnation qu’ils ne justifient par ailleurs pas avoir eux-même réglée,
En toute hypothèse,
– condamner les époux [W] à verser à Maître [V] [U] la somme de 5000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance dont distraction au profit de la SCP Dubois Marrion Mourrot, Maître Bertrand Marrion.
La clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance du 12 novembre 2024.
L’audience de plaidoirie a été fixée le 16 décembre 2024 et le délibéré au 10 mars 2025.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR, statuant par arrêt contradictoire prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe,
Confirme le jugement déféré ;
Y ajoutant,
Déboute Monsieur [H] [W] et Madame [P] [M] épouse [W] de leurs demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Monsieur [H] [W] et Madame [P] [M] épouse [W] à payer à Maître [V] [U] la somme de 4000 euros (QUATRE MILLE EUROS) au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Monsieur [H] [W] et Madame [P] [M] épouse [W] aux dépens.
Le présent arrêt a été signé par Madame CUNIN-WEBER, Présidente de la première chambre civile de la Cour d’Appel de NANCY, et par Madame PERRIN, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Signé : C. PERRIN.- Signé : N. CUNIN-WEBER.-
Minute en dix pages.
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