Cour d’appel de Metz, 25 mars 2025, RG n° 22/02108
Cour d’appel de Metz, 25 mars 2025, RG n° 22/02108

Type de juridiction : Cour d’appel

Juridiction : Cour d’appel de Metz

Thématique : Prescription et exigibilité des créances : enjeux de la subrogation et du point de départ du délai.

Résumé

Par acte authentique du 24 août 2002, une banque a consenti à une société civile immobilière (SCI) un prêt de 137 000 euros pour l’acquisition d’un immeuble. Pour garantir ce prêt, la banque a inscrit son privilège de prêteur de deniers auprès du service de la conservation des hypothèques.

Le 31 août 2009, plusieurs SCI, gérées par un dirigeant, ont vendu un portefeuille de 24 immeubles à une société de développement pour un montant total de 9 089 000 euros. Malgré son privilège, la banque n’a pas été désintéressée lors de cette vente et a réclamé le paiement d’une somme due au titre du prêt consenti à la SCI.

La société de développement a contesté cette demande, révélant que le notaire en charge de la vente n’avait pas purgé les inscriptions hypothécaires comme stipulé dans l’acte de vente. En conséquence, les assureurs de responsabilité civile professionnelle des notaires ont régularisé un protocole d’accord avec la banque, prévoyant le paiement d’une somme pour le préjudice subi par la SCI.

Une instance a été engagée devant le tribunal judiciaire, opposant le dirigeant et les SCI à l’assureur des notaires, qui a reconnu la responsabilité du notaire pour manquement à son obligation de conseil. Par la suite, une saisie conservatoire a été ordonnée contre la SCI.

Le 7 juillet 2022, le tribunal a déclaré irrecevable l’action subrogatoire des assureurs en raison de la prescription, condamnant les sociétés demanderesses aux dépens. Les assureurs ont interjeté appel, soutenant que leur créance n’était pas prescrite et que la SCI ne contestait pas la créance due.

La cour d’appel a confirmé le jugement du tribunal, déclarant irrecevables les demandes des assureurs et condamnant ces derniers aux dépens, ainsi qu’à verser une somme à la SCI au titre des frais irrépétibles.

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

N° RG 22/02108 – N° Portalis DBVS-V-B7G-FZYE

Minute n° 25/00037

S.A. MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES, S.A. MMA IARD

C/

S.C.I. KAMA

Jugement Au fond, origine TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de METZ, décision attaquée en date du 07 Juillet 2022, enregistrée sous le n° 2019/01399

COUR D’APPEL DE METZ

1ère CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 25 MARS 2025

APPELANTES :

SOCIETE MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES, représentée par son représentant légal.

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentée par Me Laurent ZACHAYUS, avocat postulant au barreau de METZ et par Me Michel RONZEAU, avocat plaidant du barreau du VAL D’OISE

S.A. MMA IARD, représentée par son représentant légal

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentée par Me Laurent ZACHAYUS, avocat postulant au barreau de METZ et par Me Michel RONZEAU, avocat plaidant du barreau du VAL D’OISE

INTIMÉE :

S.C.I. KAMA représentée par son gérant

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Yves ROULLEAUX, avocat au barreau de METZ

DATE DES DÉBATS : En application de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 24 Octobre 2024 tenue par M. Frédéric MAUCHE, Magistrat rapporteur, qui a entendu les plaidoiries, les avocats ne s’y étant pas opposés et en a rendu compte à la cour dans son délibéré, pour l’arrêt être rendu le 25 Mars 2025, en application de l’article 450 alinéa 3 du code de procédure civile.

GREFFIER PRÉSENT AUX DÉBATS : Mme Cindy NONDIER

COMPOSITION DE LA COUR :

PRÉSIDENT : M. DONNADIEU, Président de Chambre

ASSESSEURS : Mme FOURNEL,Conseillère

M. MAUCHE, Président de chambre

ARRÊT : Contradictoire

Rendu publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;

Signé par M. Christian DONNADIEU, Président de Chambre et par Mme Cindy NONDIER, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Par acte authentique du 24 août 2002, la Banque Populaire Lorraine Champagne a consenti à la SCI Kama un prêt de 137 000 euros destiné à financer l’acquisition d’un immeuble situé [Adresse 3] à [Localité 6] et pour garantir ce prêt, la banque a fait inscrire son privilège de prêteur de deniers auprès du service de la conservation des hypothèques.

Par acte authentique du 31 août 2009 reçu par Me [G], alors notaire à [Localité 7] avec la participation de Me [T] notaire à [Localité 9], neuf sociétés civile immobilières ayant pour gérant unique M. [O] [X], dont la SCI Kama, ont vendu un portefeuille de 24 immeubles ou droits immobiliers au profit de la société SARL Thiers Développement pour un montant total de 9 089 000 euros.

Malgré son privilège de prêteur de deniers, la Banque Populaire Lorraine Champagne n’a pas été désintéressée de sa créance à l’occasion de cette vente par le notaire et elle a fait délivrer à la société SARL Thiers Développement une sommation à tiers détenteur en lui réclamant le paiement de la somme de 80.971,97 euros au titre du prêt qu’elle a octroyé à la SCI Kama et celle de 134.596,28 euros au titre de celui consenti à la SCI Cyfre.

La société SARL Thiers Développement a protesté auprès de son notaire et il est apparu que Maître [G], notaire de la SCI venderesse, n’avait pas procédé à la purge des inscriptions hypothécaires comme le stipulait l’acte du 31 août 2009. `

La société MMA IARD Assurances Mutuelles et la SA MMA IARD et, en qualité d’assureurs responsabilité civile professionnelle des notaires, ont régularisé un protocole d’accord avec la Banque Populaire Lorraine Champagne le 8 novembre 2013 concernant notamment la SCI Kama et ont procédé au règlement d’une somme globale, forfaitaire et définitive pour le préjudice de chacune des sociétés concernées. A ce titre une somme de 80 971,97 euros a été acquittée pour le compte de la SCI Kama.

En vertu de ce protocole, il a été prévu qu’en contrepartie de l’exécution du paiement « pour le compte de qui il appartiendra », la Banque Populaire Lorraine Champagne devait procéder à la radiation des inscriptions de privilège de prêteur de deniers et d’hypothèques conventionnelles et qu’il en résultait une subrogation de la société MMA Assurances Mutuelles IARD dans les droits de la Banque Populaire Lorraine Champagne en toutes les actions à l’encontre de la SCI Kama, ainsi que toute personne susceptible d’être responsable de l’absence de règlement de sa créance.

Parallèlement, il existait devant le tribunal judiciaire de Metz puis devant la cour d’appel de Metz une instance opposant M. [O] [X] et les diverses sociétés dont il était gérant, au nombre desquelles la SCI Kama, et la société MMA IARD Assurances Mutuelles en qualité d’assureur de la SCP de notaires de Monsieur [G]. Cette instance a consacré la responsabilité civile professionnelle du notaire, M. [V] [G], par un arrêt de la cour d’appel de Metz du 29 janvier 2019, la cour retenant à l’encontre de ce notaire un manquement à son obligation de conseil lors de la promesse unilatérale de vente du 19 mars 2009 qu’il avait rédigé au pro’t de la société [Localité 8] Renov’imm, faute pour lui d’avoir éclairé ses clients, sur la nature et l’absence d’efficacité de sa clause pénale et sur l’opportunité d’insérer à l’acte une clause d’immobilisation.

Par ordonnance du 11 mars 2019 du juge de l’exécution la société MMA IARD Assurances Mutuelles et la SA MMA IARD ont obtenu une saisie conservatoire à l’encontre de la SCI Kama qui a été notifiée à la CARPA en qualité de tiers détenteur de fonds.

Par acte d’huissier du 17 mai 2019, la société MMA IARD Assurances Mutuelles et la SA MMA IARD ont assigné la SCI Kama devant le tribunal de grande instance de Metz aux fins de le voir :

Condamner la SCI Kama à payer aux sociétés SA MMA IARD Assurances Mutuelles et MMA IARD subrogées dans les droits de la Banque Populaire Lorraine Champagne la somme en principal de 80 971,97 euros avec intérêts au taux légal à compter de la délivrance de l’assignation ;

Ordonner la capitalisation des intérêts ;

Condamner la SCI Kama à payer à la société MMA IARD Assurances Mutuelles et à la société MMA IARD la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Ordonner l’exécution provisoire du jugement à intervenir ;

Condamner la SCI Kama aux entiers dépens conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile.

Par jugement du 07 juillet 2022, le tribunal judiciaire de Metz a :

Déclaré irrecevable l’action subrogatoire exercée par la société MMA IARD Assurances Mutuelles et la société SA MMA IARD en raison de la prescription, ainsi que leur demande accessoire formée au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamné les sociétés demanderesses in solidum aux dépens ainsi qu’à régler chacune à la SCI Kama la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

Dit n’y avoir lieu à exécution provisoire du jugement.

Pour se déterminer ainsi le tribunal a constaté que les sociétés MMA Assurances Mutuelles IARD et MMA IARD sont subrogées dans les droits de la Banque Populaire Lorraine Champagne et ne peuvent disposer de plus de droit que celle-ci. Après avoir indiqué que le point de départ de la prescription de l’action en paiement était la date du protocole signé avec la banque subrogée soit le 8 novembre 2013, le premier juge a considéré que la demande résultant de l’assignation du 17 mai 2019 devait être déclarée irrecevable car prescrite en jugeant que le délai de prescription ne pouvait avoir été interrompu par l’instance en responsabilité qui avait opposé la SCI Kama au notaire, Me [G], et son assureur la société MMA IARD.

Par déclaration au greffe de la cour d’appel de Metz du 10 aout 2022, la société SA MMA IARD et la société MMA IARD Assurances Mutuelles ont interjeté appel du jugement du 7 juillet 2022 pour en solliciter l’annulation et/ou son infirmation en toutes ses dispositions.

Par ordonnance du 20 juin 2024, le conseiller de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction du dossier.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Par leurs dernières conclusions récapitulatives du 9 mai 2023, auxquelles il est expressément référé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, la société SA MMA IARD Assurances Mutuelles et la société MMA IARD demandent à la cour d’appel d’infirmer le jugement du Tribunal Judiciaire de METZ en toutes ses dispositions et statuant à nouveau de :

Les déclarer recevables et bien fondées en toutes leurs demandes ;

Débouter la SCI Kama de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

Condamner la SCI Kama à payer à la société MMA IARD Assurances Mutuelles et la société MMA IARD, subrogées dans les droits de la Banque Populaire Lorraine Champagne, la somme en principal de 80 971,97 euros portant intérêts au taux légal à compter de la délivrance de l’assignation ;

Ordonner la capitalisation des intérêts ;

Condamner la SCI Kama à payer aux sociétés MMA IARD Assurances Mutuelles et MMA IARD la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamner la SCI Kama aux entiers dépens de première instance et d’appel.

Au soutien de leurs demandes, les sociétés appelantes indiquent avoir été subrogées dans les droits la Banque Populaire Lorraine Champagne par le protocole du 8 novembre 2013 et exposent disposer d’une créance non contestée à l’égard de la SCI Kama depuis cette date.

Elles précisent que dans le même temps la SCI Kama les avait assignées avec d’autres sociétés pour un sinistre de 819 000 euros concernant le notaire M. [G] dont elles couvraient l’activité professionnelle. Elles contestent donc l’irrecevabilité pour cause de prescription relevée au double motif que :

le délai de prescription n’a pas commencé à courir car le prêt immobilier n’est jamais devenu exigible en l’absence de prononcé de la déchéance de son terme après mise en demeure infructueuse,

la procédure en recherche de leur garantie en qualité d’assureur du même notaire avait une influence sur les modalités de recouvrement de leur présente créance subrogatoire de sorte que le délai de prescription pour cette action n’a commencé à courir qu’à compter de l’arrêt du 29 janvier 2019 mettant fin à ce premier litige. Elles précisent que l’exigibilité de leur créance subrogatoire étant conditionnée par l’issue de cette instance, il existait un obstacle tenant à cette vocation à compensation.

Sur le fond, les appelantes relèvent que la SCI Kama ne conteste pas la créance impayée qui reste due à la banque aux droits de laquelle elles sont subrogées. Elles indiquent que le prétendu détournement du prix par le notaire, M. [G], n’est pas établi et souligne que la SCI Kama ne s’est jamais plainte de ne pas avoir bénéficié des fonds, ni n’a entrepris d’instance pour les recouvrir.

Elles expliquent que le prix de vente a été porté au crédit des comptes de la SCI Cassiopée par le notaire qui n’a fait qu’exécuter les demandes de M. [X], gérant de la SCI Kama et du groupe de ces sociétés. Elles affirment que cette opération a permis de désintéresser le Crédit Suisse de sa créance envers ce groupe de sociétés, chacune gérée par M. [X]. Elles contestent donc les allégations présentant la SCI Kama comme victime de cette opération et rappellent que ces man’uvres restent sans rapport avec la présente procédure engagée à l’encontre de la SCI Kama au titre de la créance impayée de la Banque Populaire Lorraine Champagne dans les droits de laquelle elles sont subrogées.

Par ses dernières conclusions du 16 octobre 2023, auxquelles il est expressément référé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, la SCI Kama demande à la cour d’appel de :

Rejeter l’appel et le dire mal fondé ;

Rejeter tous droits, moyens, fins et prétentions des sociétés MMA IARD Assurances Mutuelles et MMA IARD et confirmer le jugement en toutes ses dispositions ;

Subsidiairement de Rejeter les demandes des sociétés appelantes et les dire mal fondées,

Condamner solidairement et subsidiairement in solidum la société MMA IARD Assurances Mutuelles et la SA MMA IARD en tous les frais et dépens ainsi qu’à payer chacune à la SCI KAMA, une somme de 5 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles exposés en appel par l’intimé.

Au soutien de ses demandes, la SCI Kama, adoptant les motifs du premier juge, revendique l’acquisition de la prescription de l’action en paiement dirigée contre elle en indiquant que le point de départ du délai pour prescrire doit être fixé à la date du protocole d’accord du 8 novembre 2013, caractérisant la naissance de la créance.

L’intimée conteste tout lien avec l’autre instance ayant abouti à l’arrêt du 29 janvier 2019 dont les faits sont totalement distincts ainsi que les parties, puisqu’ils portaient sur la responsabilité du notaire. Elles rappellent que ledit notaire avait inscrit une clause pénale au lieu d’une indemnité d’immobilisation alors que la créance qu’elle réclame résulte de la subrogation du protocole d’accord du 8 novembre 2013 pour un crédit immobilier. Elle souligne que la procédure qu’elle avait diligentée pour engager la responsabilité du notaire pour manquement à son obligation de conseil était sans incidence sur la présente action en paiement résultant de la subrogation dans les droits du prêteur.

Elle conteste la suspension de la prescription résultant de ce que la créance des sociétés appelantes aurait été conditionnée par l’issue de la procédure ayant abouti à l’arrêt du 29 janvier 2019. Elle considère que les assureurs opèrent une confusion entre le caractère de la créance, qui n’a rien de conditionnel mais dont la reconnaissance judiciaire dépend uniquement de la réunion ou non des conditions de leurs actions, et le mode d’extinction de l’obligation qu’est la compensation.

Ainsi la créance réclamée par les deux sociétés appelantes au titre de leur subrogation n’était pas conditionnelle mais susceptible d’être compensée et aucun report du point de départ ou suspension du délai de prescription ne peuvent être invoqués pour différer l’action qui devait être entreprise par les appelantes pour la reconnaissance de leur droit.

Subsidiairement et sur le fond, la SCI Kama rappelle que Me [G] a été condamné civilement et pénalement pour des non-représentations de fonds, ajoute qu’elle est une personne morale distincte des autres SCI et conteste tout ordre de versement à une société tierce ou d’un accord de sa part sur ce point.

PAR CES MOTIFS

Déclare l’appel recevable,

Déclare irrecevable les demandes de la société d’assurances mutuelles à cotisations fixes MMA Iard Assurances Mutuelles et la SA MMA IARD,

Confirme, en toutes ses dispositions, le jugement prononcé le 7 juillet 2022 par le tribunal judiciaire de METZ ;

Et y ajoutant,

Condamne in solidum la société d’assurances mutuelles à cotisations fixes MMA Iard Assurances Mutuelles et la SA MMA IARD aux dépens d’appel,

Condamne in solidum, la société d’assurances mutuelles à cotisations fixes MMA Iard Assurances Mutuelles et la SA MMA IARD à payer à la SCI Kama, une somme de 1 500 euros chacune en application des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile, au titre des frais irrépétibles exposés en appel.

La Greffière Le Président de chambre

 


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