Cour d’appel de Lyon, 11 septembre 2024, RG n° 21/01630
Cour d’appel de Lyon, 11 septembre 2024, RG n° 21/01630

Type de juridiction : Cour d’appel

Juridiction : Cour d’appel de Lyon

Thématique : Contrat de sponsoring : la promesse de porte fort

Résumé

Un contrat de travail à durée déterminée a été signé entre la société anonyme sportive professionnelle [5] et M. [U] [O] pour la saison 2015/2016, avec des engagements financiers liés à la recherche d’un sponsor pour le joueur. En septembre 2017, M. [O] a mis en demeure le club de lui verser 390 000 euros en raison du non-respect de cet engagement. Il a ensuite assigné le club devant le conseil de prud’hommes, demandant des dommages-intérêts et la remise de documents de fin de contrat. Le conseil de prud’hommes a condamné le club à verser cette somme, mais le club a interjeté appel. En appel, le club a contesté la validité de la promesse de sponsor et a demandé une réduction des dommages-intérêts. M. [O] a demandé la confirmation du jugement de première instance ou, à défaut, une somme réduite. La cour a finalement confirmé le jugement, mais a réduit le montant des dommages-intérêts à 150 000 euros, tout en condamnant le club à verser des frais supplémentaires.

11 septembre 2024
Cour d’appel de Lyon
RG n°
21/01630

AFFAIRE PRUD’HOMALE : COLLÉGIALE

N° RG 21/01630 – N° Portalis DBVX-V-B7F-NOCB

S.A. [5]

C/

[O]

APPEL D’UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de LYON

du 25 Février 2021

RG : 19/2181

COUR D’APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE A

ARRÊT DU 11 SEPTEMBRE 2024

APPELANTE :

SOCIÉTÉ [5]

[Adresse 2]

[Localité 4]

représentée par Me Laurent LIGIER de la SELARL LIGIER & DE MAUROY, avocat au barreau de LYON, et ayant pour avocat plaidant

Me Olivia MONTMETERME, avocat au barreau de LYON, substituant

Me Christian BROCHARD de la SCP AGUERA AVOCATS, avocat au au même barreau

INTIMÉ :

[U] [O]

né le 07 Avril 1986 à [Localité 6] (FIDJI)

[Adresse 1]

[Localité 3] – ROYAUME-UNI

représenté par Me Romuald PALAO de la SELARL DERBY AVOCATS, avocat au barreau de BAYONNE

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 07 Mai 2024

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Catherine MAILHES,Présidente

Nathalie ROCCI, Conseillère

Anne BRUNNER, Conseillère

Assistés pendant les débats de Morgane GARCES, Greffière.

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 11 Septembre 2024, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Catherine MAILHES,Présidente et par Malika CHINOUNE, Greffière , auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Suivant un contrat de travail à durée déterminée conclu pour la saison sportive 2015/2016 à compter du 1er juillet 2015 et reconductible par tacite reconduction pour la saison suivante, la société anonyme sportive professionnelle [5] ( [5]), ci-après dénommée le club, a engagé M. [U] [O], né le 7 avril 1986 à [Localité 6] ( Fidji) en qualité de joueur de rugby professionnel.

La société emploie habituellement plus de 11 salariés, lesquels sont soumis à la Convention Collective Nationale du Sport.

Par acte sous seing privé du 21 mai 2015, le président du club s’est engagé à trouver à M. [O] un sponsor pour conclure un contrat de commercialisation de son image individuelle sur les bases financières suivantes :

‘- si le joueur évolue au sein du [5] pour une durée de 2 années, il percevra 195 000 euros par an à compter du 1er septembre 2015 (…)

– si le joueur évolue au sein du [5] pour une durée de 1 année, il percevra 195 000 euros par an à compter du 1er septembre 2015 et seulement 75 000 euros seront dus la deuxième année (…)

– si le joueur évolue au sein du [5] pour une durée de 2 années, et qu’il aurait perçu des indemnités de son précédent club, il percevra 120 000 euros par an à compter du 1er septembre 2015 (…)’

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 13 septembre 2017, le conseil de M. [O] a mis le club en demeure de lui régler la somme de 390 000 euros, faute pour le club d’avoir rempli son engagement de lui trouver un sponsor et de lui assurer un complément de rémunération.

Par requête du 20 octobre 2017, M. [O] a fait assigner la SASP [5] aux fins de la voir condamner à lui payer la somme de 390 000 euros de dommages-intérêts pour non respect de son engagement de lui trouver un sponsor, ainsi qu’à la remise des bulletins de paie et documents de fin de contrats conformes à la décision à intervenir sous astreinte de 50 euros par jour de retard, outre la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

La SASP [5] a été convoquée devant le bureau de conciliation et d’orientation par courrier recommandé avec accusé de réception signé le 6 novembre 2017.

Le conseil de prud’hommes de Lyon s’est déclaré en partage de voix le 28 février 2020.

Par jugement du 25 février 2021, le conseil de prud’hommes de Lyon, statuant en formation de départage, a :

– Condamné la société [5] à verser à M. [O] la somme de 390 000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement à l’engagement de porte-fort souscrit le 21 mai 2015, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé de la présente décision ;

– Débouté les parties du surplus de leurs demandes ;

– Condamné la société [5] à verser à M. [O] la somme de 1 600 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Dit n’y avoir lieu à exécution provisoire ;

– Condamné la société [5] aux dépens.

Selon déclaration électronique de son avocat remise au greffe de la cour le 4 mars 2021, la société [5] a interjeté appel dans les formes et délais prescrits de ce jugement qui lui a été notifié le 25 février 2021 aux fins d’annulation, d’infirmation ou réformation du jugement en toutes ses dispositions.

Par ordonnance du 7 octobre 2021, le conseiller de la mise en état, saisi par la société [5] d’une demande d’injonction à produire les statuts de la société [O] Sports Limited, a fait droit à cette demande, a rejeté la demande d’astreinte et celle de M. [O] fondée sur l’article 700 du code de procédure civile et a dit que les dépens de l’incident suivront le sort de ceux de l’arrêt au fond.

Aux termes des dernières conclusions de son avocat remises au greffe de la cour le 17 mars 2022, la SA [5] demande à la cour de :

– Infirmer le jugement entrepris en ce qu’il :

L’a condamnée à verser à M.[U] [O] la somme de 390 000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l’engagement de porte-fort souscrit le 21 mai 2015, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé de la présente décision,

L’a condamnée à verser à M.[U] [O] la somme de 1 600,00 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

L’a déboutée de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure,

L’a condamnée aux dépens ;

– Juger que la promesse signée n’est pas valable ou à tout le moins a été impossible à exécuter en raison de la cession par M. [O] de ses droits à l’image à la société [O] Sports Limited ;

– Débouter M. [O] de l’intégralité de ses demandes ;

– Réduire à de plus justes proportions le montant des dommages-intérêts sollicités ;

– Condamner M.[O] à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile ;

– Lui laisser la charge des entiers dépens de l’instance.

Selon les dernières conclusions de son avocat remises au greffe de la cour le 22 février 2024,

M. [O] demande à la cour de :

A titre principal,

– Confirmer le jugement de première instance en toutes ses dispositions ;

A titre subsidiaire et si la Cour venait à infirmer partiellement le jugement,

– Condamner la SASP [5] à lui verser la somme de 150.000 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect de l’engagement à trouver un sponsor ;

En toute hypothèse,

– Fixer, sauf à confirmer le jugement de 1ère instance, le point de départ des intérêts au taux légal à compter du 20 octobre 2017, date de la saisine du Conseil de Prud’hommes ;

– Débouter la SASP [5] de ses demandes ;

– Condamner la SASP [5] à verser, au titre de la présente instance, la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile;

– Condamner la SASP [5] aux entiers dépens.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 28 mars 2024.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties il est fait expressément référence au jugement entrepris et aux conclusions des parties sus-visées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

– Sur l’exécution de la promesse de porte-fort

Le club expose que :

-il s’est engagé à l’égard de M. [O] à lui trouver un sponsor aux termes d’une promesse de porte-fort de ratification,

– M. [O] a cédé les droits d’exploitation de son image, de son nom et de sa voix à la société [O] Sports Limited domiciliée aux îles Fidji,

– M.[O] n’a pas répondu à la sommation qui lui a été faite de produire les statuts de la société [O] Sports Limited, ainsi que les bilans de la site société,

– M. [O] s’est contenté de produire un ‘certificat d’immatriculation de la société [O] Sports Limited’ établi en anglais.

Le club conclut que :

– la cour devra tirer toute conséquence du refus par M. [O] de produire tout document valable justifiant du périmètre de cession de ses droits à l’image ;

– en tout état de cause, la création de cette société [O] Sports Limited détenant les droits à l’image de M. [O] a pour conséquence qu’elle n’a pu méconnaître son engagement car:

soit la société a été créée avant la conclusion de la promesse du 21 mai 2015, de sorte que cette promesse n’est pas valable ;

soit la société a été créée postérieurement, de sorte qu’il n’a pu mettre cette promesse en oeuvre, M. [O] ne disposant plus des droits d’exploitation de son image et ne pouvant par conséquent plus contracter un contrat de commercialisation de son image;

– l’affirmation de M. [O] selon laquelle il n’a jamais cédé aucune exclusivité sur ses droits à l’image ne repose sur aucun élément tangible ;

– M. [O] a reconnu, au travers de sa demande subsidiaire, avoir été au moins partiellement rempli de ses droits dés lors qu’il a, par le biais de la société [O] Sports Limited bénéficié de deux contrats de sponsor :

au titre de la saison 2015-2016, pour une redevance globale de 120 000 euros HT

au titre de la saison 2016-2017, pour une redevance globale de 120 000 euros HT

M. [O] expose que :

– la société [O] Sport Limited a confirmé par une attestation signée par lui-même et par Mme [D], les deux associés de la société, qu’elle avait pu disposer d’un droit d’exploitation de l’image de M. [O], mais sans contrat écrit et sans exclusivité ;

– il restait libre en tant que personne physique, de contracter pour céder l’utilisation de son image;

– une exclusivité pour l’exécution de la gestion d’un droit à l’image n’a aucun sens;

– l’article 9 consacre comme un droit inaliénable la liberté d’utiliser son image.

S’agissant des contrats conclus entre la société [O] Sports Limited et la société EM2C, M. [O] fait valoir à titre principal, que :

d’une part, les contrats de gestion de droits à l’image qui seraient conclus entre ces sociétés ne font aucune mention d’une quelconque exclusivité ;

d’autre part, même à considérer que la société EM2C serait une société partenaire de [5], ces contrats ne peuvent venir en déduction de la dette de la société [5] à son égard.

Il soutient à titre subsidiaire que si les contrats de sponsoring conclus entre la société [O] Sports Limited et la société EM 2C devaient être pris en compte comme une exécution partielle de l’engagement du club à son égard, il en résulterait que 240 000 euros auraient été payés sur un total de 390 000 euros.

Il n’est pas contesté que l’engagement signé le 21 mai 2015 par M. [I] [K] en sa qualité de président directeur général de la société [5] aux fins de trouver à M. [O] un sponsor pour conclure un contrat de commercialisation de son image individuelle, s’analyse comme une promesse de porte fort.

La société [5] soutient que cette promesse était inexécutable en raison de la cession par M. [O] de son droit à l’image à une société [O] Sports Limited et fait grief à M. [O] de ne pas avoir exécuté l’ordonnance du conseiller de la mise en état, lui faisant injonction de produire les statuts et les bilans de cette société afin de justifier du périmètre de la cession de ses droits à l’image.

Il résulte de l’article 9 du code civil qui pose le principe selon lequel chacun a droit au respect de sa vie privé, que le droit à l’image d’une personne est un droit extra-patrimonial strictement personnel et inaliénable. Le droit à l’image peut cependant faire l’objet de contrats déterminant les conditions de son exploitation.

En l’espèce, la SASP [5] qui s’est engagée, aux termes du contrat litigieux, à trouver un sponsor pour la conclusion d’un contrat de commercialisation de l’image du joueur, ne justifie d’aucune démarche, d’aucune recherche, ni d’aucun contact avec un sponsor pour l’exécution de la promesse de porte fort sus-visée, que ce soit avant ou après la création de la société [O] Sports Limited.

Il résulte en effet des éléments du débat et notamment des statuts de la société [O] Sports Limited, que cette société a été créée le 10 juillet 2015, soit près de deux mois après la signature de la promesse de porte fort, sans que le club ne justifie d’un quelconque obstacle à l’exécution de sa promesse.

En tout état de cause, si M. [O] ne conteste pas avoir cédé son droit à l’image à la société [O] Sports Limited, la dite cession n’implique aucunement l’exclusivité de l’exploitation du droit à l’image de M. [O] au profit de la société [O] Sport Limited. En effet, la reconnaissance par le joueur d’une cession ‘pleine et entière’ n’est pas synonyme d’exclusivité, le droit à l’image du joueur étant susceptible de plusieurs contrats d’exploitation.

Il en résulte que l’inexécution de la promesse de porte fort par la société [5] est fautive.

Le jugement déféré est par conséquent confirmé en ce qu ‘il a jugé que la promesse de porte-fort emporte une obligation de résultat et en ce qu’il a constaté d’une part, que la société [5] ne démontre pas avoir été empêchée d’exécuter son obligation en raison de la création par M. [O] de la société [O] Sports Limited, d’autre part, que le club ne justifie pas de l’exploitation à titre exclusif, par ladite société, de l’image du joueur.

Le jugement est également confirmé en ce qu’il a jugé que M. [O] est fondé à solliciter la réparation de son préjudice sur le fondement de la responsabilité contractuelle.

S’agissant du montant de son indemnisation, la cour retient que M. [O] a obtenu par le biais de la société [O] Sports Limited, le bénéfice de contrats de sponsoring au titre desquels il a perçu la somme de 120 000 euros pour la saison 2015/2016 et la somme de 120 000 euros pour la saison 2016/2017, soit un total de 240 000 euros.

La commercialisation de son image ayant été évaluée par le club à la somme totale de 390000 euros pour une durée de deux années en son sein, la somme qu’il a perçue à ce titre d’autres sponsors, doit venir en déduction du montant total prévu par la promesse de porte-fort, en sorte que le préjudice de M. [O] du fait du défaut d’exécution de cette promesse s’élève à la somme de 150 000 euros.

Le jugement déféré qui a condamné la société [5] à verser à M. [O] la somme de 390000 euros de dommages-intérêts pour manquement à l’engagement de porte-fort souscrit le 21 mai 2015, est infirmé en ce sens.

– Sur le point de départ des intérêts

M. [O] demande à la cour de fixer le montant des intérêts à compter du jour de la saisine du conseil de prud’hommes de Lyon, soit le 20 octobre 2017.

Le club fait valoir en réponse que le point de départ des intérêts légaux ne pourrait être tout au plus que la date de la décision de justice prononçant des condamnations ayant le caractère de dommages-intérêts.

La somme de 150 000 euros allouée à titre indemnitaire portera intérêts au taux légal à compter du 25 février 2021, date du jugement entrepris qui est confirmé dans la limite de 150 000 euros.

– Sur les demandes accessoires

Il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a mis à la charge de la société [5] les dépens de première instance et en ce qu’il a alloué à M. [O] une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La société [5], partie perdante au sens de l’article 696 du code de procédure civile, sera condamnée aux dépens d’appel.

L’équité et la situation économique respective des parties justifient qu’il soit fait application de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais en cause d’appel dans la mesure énoncée au dispositif.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Statuant contradictoirement et publiquement par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions de l’article 450 du code de procédure civile;

Dans la limite de la dévolution,

CONFIRME le jugement déféré sauf sur le montant des dommages-intérêts alloués à M. [O] en réparation de son préjudice résultant du manquement à l’engagement de porte-fort du 21 mai 201,

Statuant à nouveau sur ce chef,

CONDAMNE la société [5] à payer à M. [U] [O] la somme de 150 000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant du manquement par la société à son engagement de porte-fort du 21 mai 2015, avec intérêts au taux légal à compter du 25 février 2021 ;

Y ajoutant,

CONDAMNE la société [5] à verser à M. [U] [O] la somme de 1 400 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société [5] aux dépens de l’appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

 


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