Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Grenoble
Thématique : Engagement de caution : disproportion et mise en garde en question.
→ RésuméLa Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Alpes Provence a assigné un couple en tant que cautions solidaires pour deux prêts professionnels accordés à une société, qui a ensuite été placée en liquidation judiciaire. Les cautions ont été assignées en paiement après la déchéance du terme due à des impayés. L’un des cautions a contesté l’authenticité de ses signatures sur les actes de cautionnement, entraînant un jugement de sursis à statuer en attendant les résultats d’une plainte pénale. Cette plainte a été classée sans suite, et le tribunal a finalement condamné les cautions à rembourser les sommes dues à la Banque.
Les cautions ont interjeté appel, contestant la validité de leur engagement, arguant de la disproportion de cet engagement par rapport à leurs biens et revenus, ainsi que d’un manquement de la Banque à son devoir de mise en garde. La Banque a demandé la confirmation de la condamnation, soutenant que les demandes des cautions étaient irrecevables car nouvelles en appel. La législation applicable stipule qu’un créancier ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement si l’engagement de la caution est manifestement disproportionné à ses biens et revenus, sauf si celle-ci peut faire face à ses obligations au moment de l’appel. La disproportion doit être appréciée au moment de la conclusion de l’engagement. De plus, la Banque a l’obligation d’informer la caution de la défaillance du débiteur principal dès le premier incident de paiement non régularisé. Les demandes présentées après l’expiration des délais fixés par le code de procédure civile peuvent être déclarées irrecevables. En conclusion, le tribunal a donné acte du désistement de la Banque à l’égard de l’un des cautions, tout en confirmant la condamnation de l’autre caution pour le remboursement des prêts, tout en rejetant ses demandes d’indemnisation. |
N° RG 22/03330
N° Portalis DBVM-V-B7G-LQJG
C3
N° Minute :
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
la SELARL BGLM
la SELARL ALPAZUR AVOCATS
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE GRENOBLE
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU LUNDI 31 MARS 2025
Appel d’une décision (N° RG 14/01201)
rendue par le président du tribunal judiciaire de Gap
en date du 11 juillet 2022
suivant déclaration d’appel du 9 septembre 2022
APPELANTS :
M. [Y] [S]
né le [Date naissance 4] 1954 à [Localité 8]
de nationalité française
[Adresse 3]
[Localité 6]
Mme [G] [M] épouse [S]
née le [Date naissance 1] 1958 à [Localité 7]
de nationalité française
[Adresse 3]
[Localité 6]
représentés et plaidant par Me Christophe GUY de la SELARL BGLM, avocat au barreau de Hautes-Alpes
INTIMEE :
CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL ALPES PROVENCE, prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés es qualités audit siège
sis [Adresse 5]
[Localité 2]
représentée et plaidant par Me Nicolas WIERZBINSKI de la SELARL ALPAZUR AVOCATS, avocat au barreau des Hautes-Alpes
COMPOSITION DE LA COUR : LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Catherine Clerc, président,
Mme Joëlle Blatry, conseiller,
Mme Véronique Lamoine, conseiller,
DÉBATS :
A l’audience publique du 10 février 2025 madame Clerc président de chambre chargé du rapport en présence de madame Blatry, conseiller, assistées de madame Anne Burel, greffier, en présence de [I] [P], greffier stagiaire, ont entendu les avocats en leurs observations, les parties ne s’y étant pas opposées conformément aux dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile.
Elle en a rendu compte à la cour dans son délibéré et l’arrêt a été rendu ce jour.
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
La Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Alpes Provence (ci-après désignée la Banque) faisant valoir que M. [Y] [S] et Mme [G] [S] se sont engagés selon actes sous seing privé signés le 6 décembre 2011 en qualité de cautions personnelles et solidaires en garantie du paiement de deux prêts professionnels n° C2ZQQTU016PR et C2ZQTPR011PR d’un montant respectif 18.500′ et de 51.500′ accordés selon contrats respectivement signés les 6 décembre 2011 et 9 janvier 2012 à la société La Lauze qui a été placée en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Gap du 25 avril 2014, les a, suivant acte extrajudiciaire du 10 octobre 2014 assignés en paiement devant le tribunal de grande instance de Gap en exécution de leur engagement de caution solidaire, après que la déchéance du terme a été acquise le 17 juin 2014 en l’absence de régularisation des impayés malgré mises en demeure.
M. [S] a déposé plainte pour faux et usage de faux en contestant l’authenticité de ses signatures et mentions manuscrites portées sur les deux actes de cautionnements fondant l’action en paiement de la Banque.
Le tribunal de grande instance précité a rendu le 2 juin 2017, un jugement ordonnant le sursis à statuer dans l’attente des suites de cette plainte pénale et de l’enquête en cours.
Cette plainte a été classée sans suite le 18 juillet 2020.
Par jugement contradictoire du 11 juillet 2022, le tribunal précité devenu tribunal judiciaire a :
‘ ordonné le rabat de l’ordonnance de clôture du 19 janvier 2022,
‘ fixé la clôture de l’instruction de l’affaire au 9 mai 2022,
‘ condamné solidairement M. et Mme [S] à payer à la Banque les sommes de :
39.049,34′ outre intérêts à échoir au taux de 4,40% l’an sur la somme de 34.325,57′ à compter du 19 juillet 2014 au titre du prêt n°C2ZQTR011PR jusqu’à parfait paiement,
11.173,97′ outre intérêts au taux de 4.06 % l’an sur la somme de 9.409,91′ à compter du 19 juillet 2014, au titre du prêt C2ZQQTU016PR, jusqu’à parfait paiement,
ordonné la capitalisation des intérêts dus pour une année entière au titre de chaque condamnation en paiement,
condamné in solidum M. et Mme [S] à payer à la Banque la somme de 1.000’ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
condamné in solidum M.et Mme [S] aux dépens de la présente procédure, avec distraction au profit de la SCP Alpazur sur son affirmation de droit,
débouté la Banque de sa demande de dommages-intérêts,
ordonné l’exécution provisoire.
Par déclaration du 9 septembre 2022, M. et Mme [S] ont relevé appel.
Parallèlement à cette instance d’appel, M. [S] a déposé une plainte avec constitution de partie civile devant le juge d’instruction du tribunal judiciaire de Gap.
Par ordonnance juridictionnelle du 18 juin 2024, le conseiller de la mise en état a dit mal fondée la demande d’expertise graphologique formée devant lui par la Banque et a, par conséquent, débouté la Banque de cette prétention.
Aux termes de leurs dernières conclusions n°6 déposées le 30 janvier 2025 sur le fondement des articles 1147 et 1343-5 du code civil, L.341-1 et L.341-54 du code de la consommation, 394 et suivants, 285 et suivants, 565 du code de procédure civile, M. et Mme [S] demandent à la cour de :
‘ les juger recevables et fondés en leur appel,
‘ réformer purement et simplement, et en toutes ses dispositions, la décision déférée,
et statuant à nouveau,
‘ s’agissant de M. [S],
donner acte à la Banque de son désistement d’action à son égard,
juger ce désistement imparfait,
condamner la Banque à lui payer la somme de 3.000’ par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
‘ s’agissant de Mme [S] :
débouter la Banque de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions, en ce qu’elles sont dirigées à son encontre,
prononcer en tout état de cause la déchéance du droit aux intérêts, frais et pénalités de la Banque,
constater que devant le premier juge, M. et Mme [S] ont excipé de la disproportion des engagements de la caution et de la responsabilité de la Banque,
la juger en conséquence recevable et fondée en sa demande reconventionnelle,
juger à cet égard que cette demande reconventionnelle ne constitue pas une demande nouvelle,
juger que la Banque a commis divers manquements qui lui ont généré un préjudice,
condamner en conséquence la Banque à lui payer la somme de 50.000′ à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice,
constater en tout état de cause que la Banque a été intégralement réglée de sa créance au 29 novembre 2022,
juger en conséquence irrecevable et mal fondée toute demande en paiement au titre des prêts consentis,
condamner la Banque à lui payer la somme de 5.000′ en application de l’article 700 du code de procédure civile,
condamner la Banque aux entiers dépens de première instance et d’appel.
Les appelants font valoir en substance que :
M. [S] est fondé à maintenir sa demande en paiement formée au visa des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile à la somme de 3.000’,
le défaut d’information des cautions par la Banque justifie qu’elle soit déchue de son droit aux intérêts,
la Banque ne produit aucune fiche de renseignements valable sur la situation financière de ses cautions, elle ne démontre pas s’être assurée de la proportionnalité de l’acte de cautionnement souscrit, elle n’est pas fondée à se prévaloir des contrats de cautionnement ; la fiche produite par la Banque concernant Mme [S] présente de très nombreuses inexactitudes et sa signature a été imitée,
la Banque n’a pas rempli son devoir de mise en garde ni son obligation d’information et de conseil : de ces manquements est né le préjudice de Mme [S] qui est fondée à réclamer paiement de dommages-intérêts,
la demande au titre du devoir de mise en garde est recevable car la question de la responsabilité de la Banque a été soutenue en première instance, ensuite, les demandes reconventionnelles sont recevables en appel et enfin la demande d’indemnisation de Mme [S] est l’accessoire nécessaire de sa demande d’inopposabilité de son acte de cautionnement à raison de l’absence de production d’une fiche de renseignement dont il est établi qu’elle n’en est pas l’auteur,
ils se sont acquittés du complet paiement des condamnations mises à leur charge par le jugement déféré assorti de l’exécution provisoire et ont obtenu, par un jugement définitif du tribunal judiciaire de Gap du 15 mai 2024, la radiation des hypothèques inscrites par la Banque en garantie de sa créance.
Dans ses dernières conclusions n°4 déposées le 17 janvier 2025 au visa des articles 1134, 1147, 2305 et 2306 du code civil et des articles 394 à 405 du code de procédure civile, la Banque entend voir la cour :
‘ s’agissant de M. [S],
constater son désistement des demandes dirigées à son encontre,
réformer le jugement entrepris en ce qu’il a condamné M. [S],
débouter M. [S] de l’ensemble de ses demandes fins et conclusions dirigées à son encontre,
‘ s’agissant de Mme [S],
la dire irrecevable en ses demandes au titre d’un manquement à son obligation de mise en garde et en sa demande d’octroi d’une somme de 50.000′ à titre de dommages et intérêts dès lors qu’il s’agit d’une demande nouvelle en appel, qui n’a pas été présentée dans le délai de l’article 908 du code de procédure civile et qui en toute hypothèse est prescrite,
la débouter de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
confirmer le jugement entrepris en ce qu’il l’a condamnée en sa qualité de caution de la SARL La Lauze à lui payer les sommes de :
39.049,34′ outre intérêts à échoir au taux de 4,40% l’an sur la somme de 34.325,57′ à compter du 19 juillet 2014 au titre du prêt n°C2ZQTR011PR jusqu’à parfait paiement,
11.173,97′ outre intérêts au taux de 4.06 % l’an sur la somme de 9.409,91′ à compter du 19 juillet 2014, au titre du prêt C2ZQQTU016PR, jusqu’à parfait paiement,
avec capitalisation des intérêts dus pour une année entière au titre de chaque condamnation en paiement,
1.000′ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
y ajoutant,
condamner Mme [S] au paiement de la somme de 3.000′ par application de l’article 700 du code de procédure civile, outre celle de 2.000′ à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive,
condamner Mme [S] aux entiers dépens de première instance et d’appel.
L’intimée répond en substance que :
en raison de la longueur dans le temps de la procédure, elle ne maintient pas de demande d’expertise devant la cour et entend se désister de ses demandes dirigées contre M. [S],
les demandes de Mme [S] fondées sur un manquement à son obligation de mise en garde et en paiement de la somme de 50.000’ à titre de dommages-intérêts sont irrecevables car elles n’ayant pas été soumises au premier juge, elles sont nouvelles en appel, en outre, elles n’ont pas été présentées dans les délais fixés par l’article 908 du code de procédure civile, et elles sont également prescrites,
il ressort des fiches d’informations que les époux [S] disposait d’un patrimoine suffisant pour pouvoir se porter caution ; elle n’avait pas à vérifier l’exactitude des mentions portées sur la fiche de renseignement dès lors qu’elles ne contenaient pas d’anomalies apparentes et la preuve de la disproportion de l’engagement incombe à la caution,
elle verse aux débats les justificatifs de l’information annuelle des cautions qui ont aussi été informées de la défaillance du débiteur principal dès le placement en liquidation judiciaire de la SARL La Lauze.
Par conclusions d’incident du 17 janvier 2025, la Banque a demandé au conseiller de la mise en état de :
dire irrecevable Mme [S] en ses demandes au titre d’un manquement de la Banque au titre de son obligation de mise en garde et en sa demande d’octroi d’une somme de 50.000 ‘ à titre de dommages et intérêts dès lors qu’il s’agit d’une demande nouvelle en appel, qui n’a pas été présentée dans le délai de l’article 908 du code de procédure civile et qui en toute hypothèse est prescrite,
condamner la même au paiement d’une indemnité de 1.200′ au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens de l’incident.
Les parties ont été avisées par message du greffe envoyée électroniquement le 21 janvier 2025 que cet incident était joint au fond.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 4 février 2025.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Donne acte à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Alpes Provence de son désistement d’action à l’égard de M. [Y] [S] et de l’abandon corrélatif de toutes ses prétentions formées à son encontre,
Infirme en conséquence le jugement déféré en ses dispositions relatives aux condamnations prononcées à l’encontre de M. [Y] [S], du chef de son engagement de caution pour les prêts n°C2ZQTR011PR et n° C2ZQQTU016PR, de l’article 700 du code de procédure civile et des dépens,
Constate le dessaisissement de la cour de l’instance opposant la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Alpes Provence à M. [Y] [S],
Condamne la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Alpes Provence à verser à M. [Y] [S] une indemnité de procédure de 3.000′ pour l’instance d’appel,
Dit Mme [G] [M] épouse [S] irrecevable en sa demande indemnitaire fondée sur le manquement de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Alpes Provence au devoir de mise en garde de la caution,
Déboute Mme [G] [M] épouse [S] de sa demande tendant à faire juger son engagement de caution manifestement disproportionné,
Confirme le jugement déféré en ce :
qu’il a condamné Mme [G] [M] épouse [S] à payer, au titre de son engagement de caution de la SARL La Lauze, à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Alpes Provence les sommes de :
39.049,34′ outre intérêts à échoir au taux de 4,40% l’an sur la somme de 34.325,57′ à compter du 19 juillet 2014 au titre du prêt n°C2ZQTR011PR jusqu’à parfait paiement,
11.173,97′ outre intérêts au taux de 4.06 % l’an sur la somme de 9.409,91’ à compter du 19 juillet 2014, au titre du prêt n°C2ZQQTU016PR, jusqu’à parfait paiement,
qu’il a débouté la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Alpes Provence de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,
qu’il a condamné a condamné Mme [G] [M] épouse [S] aux dépens,
Le réformant pour le surplus en ses dispositions relatives à l’instance opposant la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Alpes Provence à Mme [G] [M] épouse [S],
Dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au profit de Mme [G] [M] épouse [S] et de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Alpes Provence tant en appel qu’en première instance,
Condamne Mme [G] [M] épouse [S] aux dépens d’appel.
Prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de la procédure civile,
Signé par madame Clerc, président, et par madame Burel, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE
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