Cour d’appel de Douai, 3 avril 2025, RG n° 23/04517
Cour d’appel de Douai, 3 avril 2025, RG n° 23/04517

Type de juridiction : Cour d’appel

Juridiction : Cour d’appel de Douai

Thématique : Clause d’indexation : enjeux de validité et conséquences financières.

Résumé

Le 22 juin 2009, un bail commercial a été conclu entre un bailleur, la société SNC Littoral, et un preneur, la société Gifi mag, pour un bâtiment à édifier. Ce bail, d’une durée de neuf ans, a pris effet le 31 juillet 2009. À l’échéance du bail, le preneur a demandé son renouvellement avec un loyer proposé de 135 000 euros HT/HC/an, tandis que le bailleur a proposé un loyer de 198 000 euros HT/HC/an.

Le 27 octobre 2020, le preneur a assigné le bailleur devant le tribunal judiciaire de Dunkerque, demandant la nullité d’une clause d’indexation du bail et la restitution de sommes trop perçues, s’élevant à 142 417,25 euros. Le tribunal a partiellement donné raison au preneur, déclarant certaines clauses non écrites, mais a débouté sa demande de fixation du loyer à 135 000 euros. Le bailleur a été condamné à restituer 137 110,22 euros au preneur pour des loyers perçus indûment entre octobre 2015 et décembre 2022.

Le 10 octobre 2023, le bailleur a interjeté appel de cette décision. Dans ses conclusions, il a demandé l’infirmation du jugement, tout en contestant l’illicéité de certaines stipulations. Le preneur, dans ses conclusions d’appel, a demandé la confirmation du jugement et la restitution de loyers perçus au-delà de certains montants pour les années 2023 et 2024.

La cour a confirmé le jugement du tribunal, en maintenant la décision sur les clauses réputées non écrites et en condamnant le bailleur à restituer les loyers perçus au-delà des montants fixés pour 2023 et 2024. La cour a également condamné le bailleur aux dépens et à verser une indemnité au preneur.

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D’APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 2 SECTION 2

ARRÊT DU 03/04/2025

****

N° de MINUTE :

N° RG 23/04517 – N° Portalis DBVT-V-B7H-VEJ7

Jugement (N° 20/02117) rendu le 11 Septembre 2023 par le TJ de Dunkerque

APPELANTE

SCI Route de Bergues, prise en la personne de son gérant en exercice

ayant son siège social [Adresse 1]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par Me Hervé Joly, avocat au barreau de Dunkerque, avocat constitué

INTIMÉE

SAS Gifi Mag agissant poursuites et diligences de son Président, Monsieur [P] [G], domicilié en cette qualité audit siège

ayant son siège social [Adresse 2]

[Adresse 2]

représentée par Me Loïc Le Roy, avocat au barreau de Douai, avocat constitué, assistée de Me Matthieu Nicolas, avocat au barreau de Paris, avocat plaidant

DÉBATS à l’audience publique du 14 janvier 2025 tenue par Nadia Cordier magistrat chargé d’instruire le dossier qui, a entendu seul(e) les plaidoiries, les conseils des parties ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Marlène Tocco

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Stéphanie Barbot, présidente de chambre

Nadia Cordier, conseiller

Pauline Mimiague, conseiller

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 03 avril 2025 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par Stéphanie Barbot, présidente et Marlène Tocco, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 10 décembre 2024

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FAITS ET PROCEDURE

Le 22 juin 2009, la société SNC Littoral, aux droits de laquelle vient la SCI Route de Bergues (la SCI), a donné à bail commercial à la société Gifi mag (la société Gifi) un bâtiment à édifier, en rez-de-chaussée uniquement avec une mitoyenneté, d’une surface SHON de 1800 m² environ livré clos et couvert, dont 1600 m² au total de surface de vente, et 47 places de parking.

Le bail a été conclu pour une durée de 9 années entières et consécutives ayant commencé à courir le 31 juillet 2009, date de prise de possession des lieux, pour se terminer le 30 juillet 2018.

Par acte du 21 février 2018 à effet au 31 juillet 2018, la société Gifi a demandé le renouvellement du bail moyennant un loyer fixé 135 000 euros HT/HC/an correspondant, selon elle, à la valeur locative.

Par acte du 30 avril 2018, le bailleur a accepté le principe du renouvellement du bail, mais proposé de fixer le loyer à 198 000 euros HT/HC/an.

Le 27 octobre 2020, la société Gifi a assigné la SCI devant le tribunal judiciaire de Dunkerque aux fins de prononcer, sur le fondement de l’article L.112-1 du code monétaire et financier, la nullité de la clause d’indexation prévue au bail et voir, en conséquence, dire et juger que le loyer applicable entre les parties est celui initialement convenu lors de la prise d’effet du bail, soit 135000 ‘ HT/HC/an, et que la somme trop payée à lui restituer est de 142 417,25 euros.

Par jugement du 11 septembre 2023, le tribunal judiciaire de Dunkerque a fait partiellementdroit aux demandes de la société Gifi et a’:

– dit que la clause 8-1 des conditions générales et la clause de révision du loyer des conditions

Particulières à l’exception de l’alinéa 1 et de la stipulation suivante «’à titre de condition particulière, les parties conviennent de supprimer l’article 8-5 a) relatif à la clause d’actualisation. Par dérogation à l’article 8-5 b) des conditions générales les parties conviennent que l’indexation du loyer aura lieu sur la variation de l’indice des loyers commerciaux

Indice de base’: dernier indice connu au jour de la prise d’effet du bail’» sont réputées non écrites ;

– débouté la société Gifi de sa demande de fixation du loyer la somme de 135’000 euros’;

– condamné la SCI à payer à la société Gifi la somme de 137 110,22 euros trop perçue au titre des loyers échus entre le mois d’octobre 2015 et le mois de décembre 2022 ;

– condamné la SCI aux dépens ;

– condamne la SCI à payer à la société Gifi la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile’;

– rejeté le surplus des demandes.

Le 10 octobre 2023, la SCI a fait appel de cette décision.

PRETENTIONS

Par conclusions signifiées par voie électronique le 3 janvier 2024, la SCI demande à la cour de’:

– infirmer le jugement entreprise en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il a débouté la société Gifi de sa demande de fixation du loyer à la somme de 135 000 euros’;

Statuant à nouveau,

– réputer non écrits l’article 8.1 alinéa 2 des conditions générales et les dispositions contraires à l’article L.112-1 du code monétaire et financier telles que stipulées à l’article « Clause de révision du loyer  » des conditions particulières, c’est-à-dire les seules stipulations visant à exclure l’indexation à la baisse et celles enfermant l’indexation dans une clause tunnel ;

– dire et juger que la clause est applicable pour le surplus ;

– constater que le loyer du bail renouvelé à effet du 1er juillet 2018 est de

163 935,60 euros HT/HC/an ;

– en conséquence,

– fixer les sommes dues par elle, SCI, à titre de remboursement des sommes trop perçues en exécution de la clause litigieuse, à 39 330,18 euros ;

– débouter la société Gifi de toutes demandes plus amples ou contraires’;

– condamner la société Gifi aux entiers dépens ;

– condamner la société Gifi à lui payer la somme de 5 000 euros à titre d’indemnité de procédure.

La SCI revient sur l’étendue de l’illicéité de la clause d’indexation invoquée, précisant que seule la stipulation qui crée une distorsion, dès lors qu’elle est dissociable des autres dispositions de la clause, doit être réputée non écrite, et non la clause en son entier.

Elle précise que’:

– il n’est aucunement stipulé que la disposition selon laquelle le loyer ne pourra être révisé à la baisse constitue une condition essentielle et déterminante du consentement des parties, et notamment du bailleur’;

– si l’on constate, dans les conditions générales du bail, que l’insertion d’une clause d’indexation (article 8.5.b) constitue un élément essentiel de l’engagement du bailleur, force est de constater qu’une telle stipulation n’a pas été reprise dans les conditions particulières du contrat dans lesquelles ont été insérées les stipulations litigieuses, de sorte que la clause prévoyant un plancher n’a pas été déterminante du consentement du bailleur’;

– la commune intention des parties a bien été d’assortir le bail d’une clause d’échelle mobile, mais l’insertion d’une clause selon laquelle le loyer ne pourra être révisé à la baisse n’a pas été érigée comme une condition essentielle et déterminante du consentement du bailleur’;

– cette dernière stipulation est parfaitement dissociable du reste de la clause’;

– la clause est divisible au sens de l’article 1217 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016, applicable au cas d’espèce.

– il y a lieu d’appliquer la clause 8.5 b) des conditions générales et la « Clause de révision du loyer  » des conditions particulières dans toutes ses autres dispositions’; il en résulte que la clause d’échelle mobile doit être appliquée au loyer contractuellement convenu.

Elle revient sur les conséquences de la fixation du loyer du bail renouvelé au regard de la demande de répétition de l’indu de la partie adverse.

Elle observe que’:

– le bail a été renouvelé à compter du 31 juillet 2018′;

– l’accord amiable sur le renouvellement pourra être établi même en l’absence de la régularisation d’un nouveau bail écrit entre les parties et en dehors de tout accord sur le montant du nouveau loyer’;

– de ce fait, si plus de deux ans s’écoulent après le renouvellement, celui-ci est acquis avec l’ancien loyer, dans les termes de la jurisprudence relative à la prescription de l’action en fixation’;

– le prix du bail expiré s’entend du prix après application de la clause d’indexation, peu important que celle-ci ait été contestée a posteriori’;

– dans ces conditions, le loyer du bail renouvelé, à effet au 31 juillet 2018, doit être définitivement fixé à la somme de 163 935,60 euros HT/HC/an correspondant au loyer pratiqué entre les parties le dernier jour du bail expiré.

Elle estime que’:

– le tribunal n’a pas tiré toutes les conséquences de ses conclusions et a cru devoir la condamner à restituer la somme de 137 100,22 euros, faisant ainsi droit aux demandes subsidiaires de la société Gifi, mais tenant compte toutefois du fait que la demande en répétition de l’indu était prescrite pour la période antérieure à octobre 2015′;

– si l’on tient compte du fait que la clause d’indexation, divisible, doit s’appliquer à la hausse comme à la baisse par application de l’indice des loyers commerciaux, d’une part, et du fait que le loyer du bail renouvelé à effet au 1er juillet 2018 est de 163 935,60 euros HT/HC/an, il convient de retenir que les sommes trop perçues pour la période du 27 octobre 2015 au 31 décembre 2022 représentent un total de 39 330,18 euros.

Par conclusions signifiées par voie électronique le 29 mars 2024, la société Gifi demande à la cour de’:

– débouter la SCI de toutes ses demandes ;

– confirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions’;

Y ajoutant,

– condamner la SCI à lui restituer les loyers perçus au-delà d’un montant de 162 491,48 euros HT au titre de l’année 2023, et toute sommes perçues au-delà d’un loyer annuel de 173 214,74 euros HT pour 2024

– condamner la SCI à lui payer la somme de 5 000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

Elle estime que la juridiction a tenu compte l’évolution de la position de la Cour de cassation entre sa décision de 2016, édictant que la totalité de la clause était illicite et donc réputée non écrite, et celle issue de sa décision de 2018, qui prévoit que seule la stipulation illicite est réputée non écrite. La juridiction n’a en l’espèce déclaré non écrite que la stipulation contraire à l’ordre public, et a tiré toutes les conséquences de la clause ainsi obtenue, en la faisant jouer tant à la hausse qu’à la baisse et en ordonnant les restitutions consécutives.

Elle ajoute que seule demeure maintenant la question des conséquences de la sanction de l’illicéité de la clause, précisant que’:

– les sommes à restituer sont les sommes résultant entre la différence entre le loyer calculé tel que ci-dessus et le loyer versé, soit un montant de 137 110,22 euros pour le tribunal’;

– la différence entre le montant retenu par le tribunal et son décompte récapitulatif provient de ce que le tribunal ne fait courir les restitutions qu’à compter du mois d’octobre 2015 (soit 5 ans avant l’assignation), ce qui doit être approuvé’;

– la position du bailleur, suivant laquelle à partir du renouvellement, il y a lieu d’appliquer le loyer « illicite », réduisant ainsi le montant des restitutions à la somme de 39 330,18 euros, n’est pas logique puisque cette position revient à appliquer la stipulation illicite.

PAR CES MOTIFS

CONFIRME le jugement du tribunal judiciaire de Dunkerque du 11 septembre 2023 en toutes ses dispositions’;

Y ajoutant,

CONDAMNE la SCI Route de Bergues à restituer à la société Gifi mag les loyers perçus au-delà de du loyer annuel de 162’491, 48 euros au titre de l’année 2023 et les sommes perçues au-delà du loyer annuel de 173’214, 74 euros au titre de l’année 2024′;

CONDAMNE la SCI Route de Bergues aux dépens d’appel’;

CONDAMNE la SCI Route de Bergues à payer à la société Gifi mag la somme de 5’000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile’au titre de la procédure d’appel’;

DEBOUTE la SCI Route de Bergues de sa demande d’indemnité procédurale.

Le greffier

Marlène Tocco

La présidente

Stéphanie Barbot

 


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