Cour d’appel de Bordeaux, 26 mars 2025, RG n° 23/04737
Cour d’appel de Bordeaux, 26 mars 2025, RG n° 23/04737

Type de juridiction : Cour d’appel

Juridiction : Cour d’appel de Bordeaux

Thématique : Faillite personnelle : sanctions pour gestion frauduleuse et obstruction à la procédure.

Résumé

Résumé de l’affaire de faillite personnelle

Dans cette affaire, un dirigeant d’entreprise, exerçant une activité de travaux agricoles et de culture de céréales, a été placé sous redressement judiciaire par le tribunal judiciaire de Périgueux en mars 2021, avant d’être déclaré en liquidation judiciaire en mars 2022. La société [11] a été désignée comme liquidateur judiciaire. La date de cessation des paiements a été initialement fixée au 1er mars 2022, puis reportée au 15 septembre 2019.

En avril 2023, la société [11] a assigné le dirigeant devant le tribunal pour obtenir une faillite personnelle de quinze ans ou, à titre subsidiaire, une interdiction de gérer. Le tribunal a prononcé une faillite personnelle de cinq ans à son encontre en octobre 2023, interdisant toute gestion d’entreprise. Le dirigeant a interjeté appel, tandis que la société [11] a formé un appel incident.

Le dirigeant a contesté le jugement, demandant sa nullité ou, à titre subsidiaire, une révision de la durée de l’interdiction. La société [11] a soutenu que le dirigeant avait frauduleusement augmenté le passif de son entreprise, utilisé des moyens ruineux pour retarder la procédure collective et s’était abstenu de coopérer avec les organes de la procédure.

Le procureur général a requis la confirmation du jugement initial. En novembre 2024, la cour d’appel a annulé le jugement de première instance, ordonnant la réouverture des débats. Finalement, la cour a prononcé une faillite personnelle de dix ans à l’encontre du dirigeant, condamnant également celui-ci à verser 3 000 euros à la société [11] pour couvrir les frais de justice. Cette décision a été motivée par des comportements frauduleux et un manque de coopération avec les organes de la procédure, entraînant un passif de plus de deux millions d’euros.

COUR D’APPEL DE BORDEAUX

QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE

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ARRÊT DU : 26 MARS 2025

N° RG 23/04737 – N° Portalis DBVJ-V-B7H-NPB4

Monsieur [L] [V]

c/

S.E.L.A.R.L. [11]

Nature de la décision : AU FOND

Notifié par LRAR le :

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 16 octobre 2023 (R.G. 23/00011) par le Tribunal judiciaire de PERIGUEUX suivant déclaration d’appel du 20 octobre 2023

APPELANT :

Monsieur [L] [V] né le [Date naissance 1] 1982 à [Localité 13] de nationalité Française, demeurant [Adresse 12]

Représenté par Maître Clémence COLLET, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉE :

S.E.L.A.R.L. [11], représentée par Maître [P] [X] chargé de la liquidation judiciaire de Monsieur [L] [V], désignée à cette fonction selon jugement du Tribunal Jud iciaire de PERIGUEUX en date du 08 mars 2022 [Adresse 2]

Représentée par Maître Guillaume DEGLANE de la SCP SOCIETE CIVILE PROFESSIONNELLE INTERBARREAUX LDJ-AVOCATS, avocat au barreau de PERIGUEUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 15 janvier 2025 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Sophie MASSON, Conseiller chargé du rapport,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président,

Madame Sophie MASSON, Conseiller,

Madame Anne-Sophie JARNEVIC,Conseiller,

Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT

ARRÊT :

– contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

EXPOSE DU LITIGE :

1. Monsieur [L] [V], affilié à la Mutualité sociale agricole, exerce à titre individuel une activité d’entreprise de travaux agricoles et de culture de céréales depuis le 1er août 2013.

Sur assignation de la Mutualité sociale agricole, l’entreprise de M. [V] a bénéficié de l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire par jugement du tribunal judiciaire de Périgueux du 15 mars 2021, convertie en liquidation judiciaire par jugement du 8 mars 2022, la société [11] étant désignée en qualité de liquidateur judiciaire.

La date de l’état de cessation des paiements, provisoirement fixée au 1er mars 2022, a été reportée au 15 septembre 2019 par jugement prononcé le 13 juin 2022 sur requête du mandataire liquidateur.

Par acte d’huissier délivré le 3 avril 2023, la société [11] a fait assigner M. [V] devant le tribunal judiciaire de Périgueux aux fins de prononcé d’une faillite personnelle d’une durée de quinze années ou, à titre subsidiaire, d’une interdiction de gérer, administrer, diriger ou contrôler toute entreprise ou exploitation agricole pour une durée de quinze années.

2. Par jugement prononcé le 16 octobre 2023, le tribunal judiciaire a statué ainsi qu’il suit :

Vu les articles L653-1 et suivants du code de commerce,

Vu la requête de la société [11], représentée par Me [P] [X], agissant en qualité de mandataire liquidateur de Monsieur [L] [V],

Vu les réquisitions du ministère public,

– prononce une mesure de faillite personnelle pour une durée de cinq ans à l’encontre de Monsieur [L] [V], né le [Date naissance 1] 1982 à [Localité 13], demeurant [Adresse 12] ;

– précise que conformément aux dispositions de l’article L.653-2 du code de commerce, la faillite personnelle emporte interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole ou toute entreprise ayant toute autre activité indépendante et toute personne morale ;

– dit que, indépendamment des mentions portées au casier judiciaire, le jugement fera l’objet des publicités prévues à l’article R 621-8 du code de commerce et sera adressé aux personnes mentionnées à l’article R. 621-7 du même code ;

– constate que les fonds disponibles du débiteur ne peuvent suffire immédiatement à faire face aux frais de signification et d’insertion du jugement dans les journaux ;

– dit que le Trésor public fera donc l’avance des frais de signification et de publicité dans le journal local et le Bodacc conformément à l’article L663-1 du code de commerce, ainsi que des frais de mention au Registre du commerce et des sociétés perçus par le greffe du tribunal de commerce ;

– dit que pour le remboursement de ses avances, le Trésor public est garanti par le privilège des frais de justice ;

– dit que la décision sera signifiée dans les 15 jours à la diligence du greffe aux personnes sanctionnées ;

– dit que les mesures prononcées par le présent jugement seront inscrites au fichier national des interdits de gérer à la diligence du ministère public dans les conditions des articles R. 128-1 et suivants du code de commerce ;

– rejette le surplus des demandes ;

– condamne Monsieur [L] [V] à payer à la société [11], représentée par Me [P] [X] en qualité de mandataire liquidateur, la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

– ordonne l’emploi des dépens en frais privilégiés de liquidation judiciaire.

M. [V] a relevé appel de cette décision par déclaration au greffe du 20 octobre 2023. La société [11] a formé un appel incident.

*

3. Par dernières conclusions notifiées le 4 janvier 2024, Monsieur [L] [V] demande à la cour de :

A titre principal,

Vu l’article R662-12 du code de commerce,

– prononcer la nullité du jugement rendu le 16 octobre 2023 par le tribunal judiciaire de Périgueux, sans effet dévolutif ;

A titre subsidiaire,

Vu les articles L653-1 et suivants du code de commerce,

– réformer le jugement du 16 octobre 2023 en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau,

– prononcer, en lieu et place de la faillite personnelle, une mesure d’interdiction de diriger à l’encontre de Monsieur [V], pour une durée qu’il appartiendra à la cour d’apprécier.

*

4. Par dernières écritures notifiées le 17 septembre 2024, la société [11] es qualités demande à la cour de :

Vu les articles L 653-1 et suivants du code de commerce,

– juger Monsieur [L] [V] recevable mais mal fondé en son appel ;

– en conséquence l’en débouter ;

– en tout état de cause et compte tenu de l’effet dévolutif de l’appel, la cour évoquera le fond du dossier même si le jugement de première instance devait être annulé en raison de l’absence de rapport du juge commissaire ;

– juger la société [11] représentée par Maître [P] [X] agissant en qualité de liquidateur judiciaire de Monsieur [L] [V] recevable et bien fondée en son action ;

Y faisant droit,

– juger que Monsieur [L] [V] a augmenté frauduleusement le passif, a employé des moyens ruineux en vue de retarder l’ouverture de la procédure collective et s’est abstenu volontairement de coopérer avec les organes de la procédure et a fait obstacle à son bon déroulement ;

– confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il a limité à 5 ans l’interdiction de gérer, administrer, diriger, ou contrôler directement ou indirectement toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole ou toute entreprise ayant toute autre activité indépendante et toute personne morale à l’encontre de M. [V] et porter cette durée à 15 ans ;

En conséquence,

– condamner Monsieur [L] [V] à une mesure de faillite personnelle portant interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler directement ou indirectement toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole ou toute entreprise ayant toute autre activité indépendante et toute personne morale pour une durée de 15 ans ;

A titre subsidiaire,

– prononcer l’interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler directement ou indirectement toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole ou toute entreprise ayant toute autre activité indépendante et toute personne morale pour une durée de 15 ans, conformément à l’article L 653-8, dernier alinéa ;

– condamner Monsieur [L] [V] à payer à la société [11] représentée par Maître [P] [X], mandataire judiciaire, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de Monsieur [L] [V] la somme de 3.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

– dire que les dépens seront mis à la charge de M. [V] ;

– ordonner les publicités prévues par la loi et notamment celles prévues à l’article R 653-3 du code de commerce.

*

5. Par avis notifié le 8 août 2024, le procureur général indique que l’absence de rapport du juge commissaire est susceptible d’entraîner la nullité du jugement mais n’affecte pas la saisine de la cour, ce par application de l’article 562 alinéa 2 du code de procédure civile.

Sur le fond, le procureur général requiert la confirmation du jugement déféré, tant en ce qui concerne la sanction de la faillite personnelle qu’en ce qui concerne la durée de cinq années de cette sanction.

6. Par arrêt prononcé le 20 novembre 2024, la cour d’appel a statué ainsi qu’il suit :

– annule le jugement prononcé le 16 octobre 2023 par le tribunal judiciaire de Périgueux ;

Vu l’article 562 du code de procédure civile,

Vu l’article 444 du code de procédure civile,

– ordonne la réouverture des débats ;

– invite la société [11] à produire :

-l’inventaire dressé par la société civile professionnelle [15],

-les éléments comptables et bancaires mentionnés dans les courriers adressés les 1er mars, 15 avril et 4 octobre 2022 au procureur de la République de Périgueux ;

– sursoit à statuer sur les demandes au fond ;

– renvoie l’affaire à l’audience du 15 janvier 2025 à 14 heures avec une clôture des débats au 8 janvier précédent ;

– réserve les dépens.

7. Par dernières conclusions communiquées le 13 janvier 2025, la société [11] demande à la cour de :

Vu les articles L 653-1 et suivants du code de commerce,

– juger Monsieur [L] [V] recevable mais mal fondé en son appel ;

– en conséquence l’en débouter ;

– en tout état de cause et compte tenu de l’effet dévolutif de l’appel, la cour évoquera le fond du dossier même si le jugement de première instance devait être annulé en raison de l’absence de rapport du juge commissaire ;

– juger la société [11] représentée par Maître [P] [X] agissant en qualité de liquidateur judiciaire de Monsieur [L] [V] recevable et bien fondée en son action ;

Y faisant droit,

– juger que Monsieur [L] [V] a augmenté frauduleusement le passif, a employé des moyens ruineux en vue de retarder l’ouverture de la procédure collective et s’est abstenu volontairement de coopérer avec les organes de la procédure et a fait obstacle à son bon déroulement ;

– confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il a limité à 5 ans l’interdiction de gérer, administrer, diriger, ou contrôler directement ou indirectement toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole ou toute entreprise ayant toute autre activité indépendante et toute personne morale à l’encontre de M. [V] et porter cette durée à 15 ans ;

En conséquence,

– condamner Monsieur [L] [V] à une mesure de faillite personnelle portant interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler directement ou indirectement toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole ou toute entreprise ayant toute autre activité indépendante et toute personne morale pour une durée de 15 ans ;

A titre subsidiaire,

– prononcer l’interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler directement ou indirectement toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole ou toute entreprise ayant toute autre activité indépendante et toute personne morale pour une durée de 15 ans, conformément à l’article L 653-8, dernier alinéa ;

– condamner Monsieur [L] [V] à payer à la société [11] représentée par Maître [P] [X], mandataire judiciaire, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de Monsieur [L] [V] la somme de 3.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

– dire que les dépens seront mis à la charge de M. [V] ;

– ordonner les publicités prévues par la loi et notamment celles prévues à l’article R 653-3 du code de commerce.

*

L’ordonnance de clôture a été reportée au 15 janvier 2025.

Pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, il est, par application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, expressément renvoyé à la décision déférée et aux dernières conclusions écrites déposées.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire en dernier ressort,

Prononce une mesure de faillite personnelle pour une durée de dix années à l’encontre Monsieur [L] [V].

Ordonne, conformément à l’article R.653-3 du code de commerce, les publicités prévues par les articles R.621-8 du code de commerce et la transmission aux personnes mentionnées à l’article R.621-7 du code de commerce, aux frais avancés du Trésor public, garanti par le privilège des frais de justice pour le remboursement de ses avances.

Ordonne la transmission du présent arrêt au procureur général aux fins d’inscription de cette décision au casier judiciaire de Monsieur [L] [V].

Condamne Monsieur [L] [V] à payer à la société [11], en sa qualité de liquidateur judiciaire de l’activité de Monsieur [V], la somme de 3.000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Ordonne l’emploi des dépens en frais privilégiés de la procédure collective.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier Le Président

 


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